Éditorial : L’après COVID-19, de la reprise à la résilience

En l’espace de quelques mois, les progrès accomplis depuis plus de dix ans ont été réduits à néant. Début 2020, le taux d’emploi dans la zone OCDE atteignait le niveau record de 68.9 %, soit 2.6 points au-dessus du précédent record établi juste avant la crise financière et économique mondiale de 2008. C’est alors que la pandémie a frappé. En quelques mois, le COVID-19 s’est propagé à travers le monde, provoquant l’urgence de santé publique la plus importante depuis un siècle. La pandémie a déclenché la plus grave crise économique jamais enregistrée depuis la Grande Dépression des années 30. Plus de 10 millions de personnes ont été infectées par le virus, plus de 500 000 sont mortes et plusieurs milliards de dollars ont été injectés dans l’économie mondiale pour protéger les vies et les moyens de subsistance. Face à cette situation, une stratégie « en quatre R » (réponse, reconstruction, réciprocité et résilience) s’impose pour reconstruire un marché du travail plus performant, plus solide et plus inclusif.

La réponse immédiate à la pandémie a été d’une ampleur sans précédent. Alors que les pays sortent du confinement, la reconstruction sera déterminante pour protéger de nombreux emplois. La réciprocité, chacun contribuant à la reconstruction fort d’un sens des responsabilités, jouera aussi un rôle essentiel dans la reprise. Enfin, la crise du COVID-19 a mis en évidence des lacunes sur le marché du travail qu’il convient de combler pour favoriser la résilience. Les travailleurs faiblement rémunérés, les jeunes, les femmes, les travailleurs indépendants et les travailleurs temporaires sont parmi les plus durement touchés par la crise : le fardeau de la pandémie est donc supporté de manière disproportionnée par les plus vulnérables.

Dans le monde entier, les pays ont pris des mesures importantes pour réagir rapidement à la crise. Sur le front de la santé publique, l’objectif principal consistait à « aplatir la courbe » de propagation du virus, à limiter les pressions considérables pesant sur l’hôpital et, en dernier ressort, à sauver plusieurs millions de vies. Les pouvoirs publics ont agi rapidement. De nombreux pays ont adopté des mesures de confinement strictes, qui ont abouti pour la première fois – du moins en temps de paix – à l’arrêt total de la plupart des activités non essentielles, des crèches jusqu’aux établissements scolaires, en passant par les usines, la majorité des commerces et les loisirs.

Face à des incertitudes très fortes, à la peur de la contagion, aux directives publiques et aux mesures de confinement imposées, l’activité économique s’est brutalement contractée, provoquant un choc profond et généralisé sur le marché du travail. Un nombre sans précédent de travailleurs (39 % en moyenne) sont passés au télétravail, ce qui a contribué à faire reculer encore les obstacles qui freinent l’adoption de cet autre mode d’organisation du travail. Néanmoins, dans tous les pays, le nombre d’actifs continuant à travailler a chuté de manière beaucoup plus marquée que lors des dernières crises économiques et financières, à mesure que les entreprises implantées dans les secteurs d’activité non essentiels licenciaient du personnel, gelaient les embauches et plaçaient la plupart de leurs salariés en chômage partiel indemnisé. En mai 2020, dans certains pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, les entreprises avaient demandé à bénéficier des allocations d’activité partielle pour plus de 30 % de leurs salariés, voire jusqu’à 50 % en France ou en Nouvelle-Zélande. Parallèlement, le taux de chômage a grimpé de 5.3 % en janvier à 8.4 % en mai dans la zone OCDE.

Le virus ne s’arrête à aucune frontière ni n’épargne aucune catégorie socioéconomique, mais il s’est propagé plus largement parmi les populations les plus vulnérables, soit directement parce qu’elles éprouvent plus de difficultés à se protéger, soit indirectement en raison des retombées du confinement sur leurs emplois. Ce sont les travailleurs à bas salaires qui paient le plus lourd tribut. Comme le montre la présente édition des Perspectives de l’emploi de l’OCDE, pendant le confinement, les travailleurs les mieux rémunérés étaient en moyenne 50 % plus susceptibles de télétravailler que ceux qui se situent dans le dernier quartile des salaires, tandis que ces derniers étaient plus nombreux à travailler dans des secteurs de services essentiels pendant le confinement et donc plus exposés au risque d’infection par le virus dans le cadre de leur activité professionnelle. Parallèlement, les travailleurs faiblement rémunérés étaient deux fois plus susceptibles que leurs homologues aux salaires plus élevés d’être contraints de cesser complètement de travailler.

Les travailleurs atypiques – à savoir les travailleurs indépendants et les travailleurs temporaires ou à temps partiel – ont été particulièrement exposés aux suppressions d’emplois et à la baisse des revenus. Contrairement à ce qui s’était produit pendant la crise financière mondiale, les femmes ont été plus durement touchées que les hommes car elles sont surreprésentées dans les secteurs les plus atteints et elles sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires, alors même que leur charge de travail à la maison a augmenté. En outre, les « diplômés du coronavirus » quittent l’école et l’université en ayant très peu de chances de trouver un emploi ou un stage cet été ou à l’automne.

RÉPONSE : la réponse d’urgence à la pandémie a été d’une ampleur sans précédent. Face au choc sanitaire et économique le plus rapide et le plus violent jamais enregistré, la réponse des pouvoirs publics a été elle aussi sans précédent, puisque plusieurs milliers de milliards de dollars ont été mobilisés rapidement à travers le monde pour venir en aide aux individus, aux ménages et aux entreprises. Au-delà de l’aide financière directe et indirecte fournie aux entreprises, la grande majorité des pays de l’OCDE ont renforcé et/ou étendu les dispositifs d’aide au revenu afin que les personnes dans l’incapacité de travailler ou sans emploi puissent en bénéficier. Nombre d’entre eux ont étendu ou mis en place des dispositifs de maintien dans l’emploi pour les entreprises victimes d’un ralentissement temporaire de leur activité, ce qui a permis d’éviter les licenciements, qui auraient entraîné la destruction de compétences précieuses et d’investissements viables. De nombreux pays ont également introduit ou renforcé le congé de maladie, y compris pour les travailleurs en quarantaine, et ont pris des mesures afin d’aider les parents qui télétravaillaient à s’occuper de leurs enfants.

En dépit des mesures de grande ampleur adoptées dans les pays du monde entier, l’incertitude reste grande quant à l’évolution du marché du travail, d’autant que le risque d’une résurgence de l’épidémie est élevé. L’évolution du marché du travail sera donc en grande partie déterminée par l’évolution de la pandémie. Les résultats d’un modèle épidémiologique mis au point par l’OCDE pendant la crise donnent à penser que les mesures de confinement strict adoptées dans de nombreux pays ont réussi à limiter le nombre de décès. Par ailleurs, il ressort des simulations sur modèle qu’une deuxième vague peut être évitée même en l’absence de vaccin. Pour ce faire, il convient de mettre en place un train complet de mesures de santé publique : forte montée en puissance des capacités de test, de suivi des déplacements et de traçage numérique, amélioration des mesures relatives à l’hygiène, recours généralisé aux masques et application continue des mesures de distanciation physique telles que l’interdiction des rassemblements de grande ampleur ou l’incitation au télétravail.

Au vu de l’incertitude relative à l’évolution de la pandémie, la dernière édition des Perspectives économiques de l’OCDE présente deux scénarios possibles, ayant une probabilité équivalente : un premier scénario dans lequel l’épidémie continue de reculer et reste sous contrôle, et un second dans lequel une deuxième vague de propagation rapide du virus survient avant la fin de l’année 2020. Même dans le scénario du choc unique, on estime que la production économique mondiale devrait chuter de 6 % cette année, avant de regagner 5.2 % en 2021. En revanche, les perspectives sont beaucoup plus sombres dans l’hypothèse de deux chocs successifs. Selon les estimations les plus optimistes, le taux de chômage dans la zone OCDE devrait s’établir à 9.4 % au quatrième trimestre 2020, soit son plus haut niveau depuis la Grande Dépression, tandis que le taux d’emploi moyen devrait reculer de 4.1 % à 5 % par rapport à 2019, selon qu’une deuxième vague interviendra ou non.

Pour les pouvoirs publics des pays de l’OCDE et au-delà, il a fallu déployer d’immenses efforts afin d’être en mesure de relever rapidement les défis gigantesques posés par le confinement décidé brutalement. À mesure que l’activité économique reprend, l’action publique doit montrer la voie à suivre, sur le marché du travail et à l’échelle de la société dans son ensemble, vers la reconstruction. Cependant, les efforts nécessaires pour adapter ces programmes d’aide exceptionnels à la reprise progressive et mesurée de l’activité sont conséquents eux-aussi et feront appel à la réciprocité et à la responsabilité de toutes les parties prenantes.

RECONSTRUCTION : à court terme, il faut continuer de soutenir certains secteurs pour protéger les emplois et le bien-être, mais les mécanismes du marché du travail doivent recommencer à fonctionner. Une approche en deux temps s’impose pour accompagner le marché du travail pendant la levée progressive des mesures de confinement. Tout d’abord, la politique du marché du travail doit soutenir les efforts déployés pour empêcher une seconde vague de propagation de l’épidémie et s’y préparer au cas où elle surviendrait. Souvent, le télétravail reste un moyen efficace de continuer de travailler tout en limitant le risque de contracter le virus. Selon les données présentées dans cette édition des Perspectives de l’emploi, le télétravail peut être réalisé dans des conditions normales pour un tiers environ des emplois en moyenne. Pour généraliser le recours au télétravail, il convient non seulement de faciliter les accords entre employeur et salariés mais aussi d’investir pour s’assurer que ces derniers disposent des outils nécessaires pour travailler à leur domicile dans de bonnes conditions (ordinateur ou tablette, connexion haut débit, pièce où pouvoir travailler sans être dérangé, etc…). Il est également indispensable de planifier l’organisation du travail, surtout en cas de deuxième vague d’infections, et de former les salariés afin de tirer le meilleur profit du télétravail.

Près de deux tiers des emplois ne peuvent pas, ou à peine, être réalisés à domicile. Certains d’entre eux sont peu exposés aux risques d’infection étant donné qu’ils impliquent peu, voire pas du tout, d’interactions physiques (exemples : plombiers, chauffeurs routiers ou archivistes). Toutefois, près de la moitié de tous les emplois supposent des interactions fréquentes et, en l’absence de précautions, exposent les travailleurs au risque de contracter le virus (comme en témoigne le nombre important de foyers de contamination qui se sont développés dans des abattoirs). Dans ces conditions, la mise au point et l’adaptation de normes d’hygiène et de sécurité strictes au travail restent une priorité de l’action publique. En outre, il sera essentiel de continuer à proposer des congés de maladie rémunérés de longue durée, de sorte que les travailleurs potentiellement infectés ne propagent pas le virus sur leur lieu de travail.

Ensuite, à mesure que l’économie s’ouvre à nouveau et que l’activité reprend, il faut ajuster les politiques sociales et du marché du travail afin de refléter les situations diverses des travailleurs, des ménages et des entreprises. Pendant le confinement, une stratégie d’aide générale et universelle était justifiée, dans la mesure où la plupart des activités étaient purement et simplement stoppées et que les entreprises comme les emplois n’auraient pas survécu sans une aide immédiate. Aujourd’hui, les responsables de l’action publique doivent s’atteler à une tâche difficile, qui consiste à assurer la transition entre des actions d’urgence caractérisées par un soutien massif et généralisé, et des aides différenciées en fonction de la situation des entreprises, des secteurs et des travailleurs.

Les entreprises et les travailleurs des secteurs d’activité encore à l’arrêt – notamment dans certains pans de l’industrie du spectacle – ont encore besoin d’aide, du moins pendant un certain temps, afin d’augmenter leurs chances de reprise. Néanmoins, lorsque l’activité peut redémarrer, les mécanismes de marché doivent fonctionner à nouveau, de sorte que les travailleurs et les ressources puissent se redéployer des activités non viables vers celles qui sont prometteuses.

Les mesures doivent être mieux ciblées pour venir en aide à ceux qui en ont besoin, tout en renforçant les incitations à la reprise du travail pour ceux qui le peuvent. C’est aujourd’hui nécessaire pour éviter la stigmatisation associée aux longues périodes de chômage et d’inactivité d’une part, et pour assurer la durabilité des interventions menées d’autre part. Les dispositifs de maintien dans l’emploi offrent un exemple parlant de la nécessité d’adapter les interventions des pouvoirs publics. Dans les secteurs où l’activité a repris, les entreprises doivent supporter une partie des coûts associés aux dispositifs de maintien dans l’emploi. Pour éviter d’aggraver les difficultés financières auxquelles sont confrontées les entreprises, la participation des employeurs peut prendre la forme d’un prêt à remboursement retardé ou à taux zéro. Par ailleurs, l’application de limites plus strictes concernant la durée des subventions et le recours à des incitations à chercher du travail, à conjuguer un deuxième emploi temporaire et des aides à court terme ou à se former figurent parmi les leviers d’action à étudier par les responsables publics et les partenaires sociaux au cours des prochains mois.

Étant donné que les possibilités de retrouver un emploi rapidement resteront limitées pour de nombreux travailleurs, certains pays devraient allonger la durée de l’indemnisation chômage afin d’empêcher que les demandeurs d’emploi basculent trop rapidement dans des régimes de revenu minimum beaucoup moins généreux. Cela sera d’autant plus nécessaire en cas de deuxième vague d’infections et de nouvelles restrictions à l’activité économique. L’aide d’urgence pour les travailleurs indépendants doit aussi être réexaminée, afin d’être mieux ciblée, de rétablir les incitations et d’assurer l’équité. D’une manière plus générale, il convient de passer en revue tous les programmes de garantie de revenu mis en place au cours des premiers mois de la crise au regard de leur durée, du public ciblé et de leur générosité, afin de s’assurer qu’ils sont viables, qu’ils ne pèsent pas sur les incitations au travail et qu’ils contribuent à diriger l’aide vers ceux qui en ont le plus besoin. Les services publics et privés de l’emploi auront aussi la lourde tâche de venir en aide à un grand nombre de demandeurs d’emploi dans des situations très différentes. Il conviendra d’augmenter leurs capacités afin d’éviter de négliger trop longtemps des fonctions susceptibles d’avoir été considérées comme étant de moindre importance pendant la première phase d’urgence de la crise (comme les services d’orientation ou de conseils professionnels).

La mise en œuvre de ces programmes complexes sera déterminante. Pendant la crise, de nombreuses personnes ont attendu trop longtemps pour recevoir l’aide dont elles avaient besoin et à laquelle elles avaient droit. De nouveaux programmes se sont trouvés pris au piège de lourdeurs administratives et n’ont pas pu bénéficier à temps à ceux qui en avaient besoin. La presse s’est fait l’écho de nombreux exemples d’entreprises mettant la clé sous la porte avant d’avoir reçu les aides promises, de travailleurs ayant perdu leur emploi et s’inscrivant au chômage sans percevoir d’allocation pendant plusieurs semaines, ou même d’enfants n’ayant pas eu de déjeuner en remplacement de ceux servis par les cantines scolaires fermées.

RÉCIPROCITÉ et RESPONSABILITÉ : à court et à long terme, toutes les composantes de la société doivent participer à cette reconstruction en étant conscientes de leurs responsabilités, et notamment ceux qui ont bénéficié, ou bénéficient encore, d’aides publiques.

Tous les acteurs de l’économie doivent jouer leur rôle dans la reconstruction d’un meilleur marché du travail. Une réciprocité s’impose entre d’un côté l’aide publique accordée aux entreprises et aux secteurs en difficulté, et de l’autre le soutien du secteur privé aux efforts déployés pour aider les chômeurs à retrouver du travail, favoriser la montée en compétence des travailleurs, et veiller à ce que personne ne soit laissé de côté une fois la reprise amorcée. Cela vaut particulièrement pour les entreprises qui bénéficient ou ont bénéficié d’aides au maintien dans l’emploi ou d’autres subventions, mais toutes les entreprises doivent engager des efforts pour contribuer à reconstruire un marché du travail dynamique. L’embauche et la réembauche, l’investissement dans les nouvelles technologies et dans la formation des salariés, et/ou la participation aux programmes d’apprentissage doivent être au cœur des décisions des entreprises. Les aides à l’embauche limitées dans le temps se sont révélées efficaces pour soutenir la création d’emplois, notamment en période de crise, tout en limitant les coûts administratifs liés au suivi des conditions d’accès à ces dispositifs (par exemple en autorisant la récupération des subventions lorsque les objectifs de création d’emplois ne sont pas remplis ou en étudiant la possibilité de mettre en place des crédits à l’embauche remboursables, comme l’avaient fait certains États américains pendant la crise financière mondiale).

Cet argument vaut aussi pour les individus qui perçoivent des aides au revenu. Par exemple, l’une des priorités sera de rétablir l’approche fondée sur les « obligations mutuelles », aux termes de laquelle les pouvoirs publics s’engagent à fournir aux demandeurs d’emploi des prestations et des services efficaces d’aide au retour à l’emploi en contrepartie de quoi les bénéficiaires doivent engager des démarches actives pour rechercher du travail ou améliorer leur employabilité. C’est essentiel pour inciter les chômeurs à trouver un emploi viable.

RÉSILIENCE : la crise du COVID-19 met en évidence, plus que jamais, la nécessité de renforcer la résilience et l’inclusivité sur marché du travail. À moyen terme, les pays doivent s’attaquer aux problèmes structurels mis en lumière par la crise sanitaire. Comme le souligne la Stratégie de l’OCDE pour l’emploi, la résilience de l’économie implique des politiques macroéconomiques contra-cycliques, une garantie de revenu adaptée pour tous les travailleurs, une extension rapide des dispositifs de maintien dans l’emploi pendant la crise et un dialogue social efficace.

La crise du COVID-19 a mis au jour les lacunes des systèmes de protection sociale. Dans de nombreux pays, la fonction d’assurance de la protection sociale est efficace pour les salariés occupant des emplois stables. Pour autant, comme le montre la présente édition des Perspectives de l’emploi, même si les règles d’admissibilité sont généralement identiques pour tous les salariés, les conditions applicables à la durée minimale d’emploi ou au salaire avant la période de chômage sont souvent plus difficiles à remplir pour ceux qui perdent un emploi à temps partiel, qui occupent des emplois précaires ou qui ont peu d’expérience professionnelle. Les travailleurs indépendants et les autres travailleurs atypiques sont souvent peu couverts par les systèmes de protection sociale, voire pas du tout. Parallèlement, la fonction d’assistance des systèmes de protection sociale – qui dispense les minima sociaux aux personnes sans autres ressources – a été sérieusement mise à l’épreuve. Face à l’urgence de la situation, des actions énergiques ont été menées pour remédier aux défaillances de la protection sociale. Le défi consiste désormais à s’appuyer sur ces initiatives pour transformer les mesures temporaires en véritables mutations structurelles.

Les travailleurs qui occupent des formes d’emploi atypiques doivent pouvoir acquérir des droits afin de prétendre aux différents types de prestations de non-emploi accessibles aux salariés traditionnels. Si l’intégration des travailleurs indépendants dans les dispositifs de protection sociale liés aux revenus d’activité peut soulever le risque de l’aléa moral et d’autres préoccupations d’ordre logistique et administratif, plusieurs pays ont déjà réussi à mettre en œuvre des mesures bien conçues et adaptées à leur situation. Ainsi, plusieurs pays de l’OCDE incluent les travailleurs indépendants dans leurs régimes d’assurance chômage et maladie. Avec un traitement plus équitable des différentes formes d’emploi, il y aura moins besoin, à l’avenir, de mettre en place des programmes de fortune, qui sont obligatoirement moins bien ciblés, offrent un moins bon rapport coût-efficacité et sont plus susceptibles de laisser passer certaines personnes entre les mailles du filet.

Même avec des régimes d’assurance sociale bien pensés, la garantie d’une aide minimum pour les personnes dans le besoin constitue l’une des fonctions essentielles des systèmes de protection sociale. Pourtant, même en temps normal, l’accessibilité, la réactivité et la générosité de ces programmes varient considérablement d’un pays à l’autre. Souvent, des conditions d’accès et des procédures complexes freinent l’utilisation de ces programmes et se traduisent par de longs délais d’attente et des niveaux de prestations parfois inadaptés. Les versements ponctuels ou forfaitaires temporaires, comme ceux qui ont été mis en place par de nombreux pays pendant la crise du COVID-19, ont permis de venir rapidement en aide à ceux qui en avaient besoin. Mais à plus long terme, face aux pressions budgétaires croissantes, des programmes viables et ciblés seront nécessaires. Il demeure urgent, pour les responsables de l’action publique, d’améliorer la réactivité des régimes de garantie de revenu minimum, grâce à une réévaluation régulière des droits en cas de changement brutal de situation.

Pour renforcer la résilience du marché du travail, il faut aussi accroître les moyens octroyés aux institutions afin de transposer à plus grande échelle les mesures clés plus rapidement, sans sacrifier la qualité des services. Ainsi, lorsqu’une crise éclate, l’infrastructure nécessaire à l’adoption des mesures doit déjà être en place de manière à être déployée à plus grande échelle plus rapidement. Les données laissent à penser que les problèmes de mise en œuvre rencontrés lors de la crise du COVID-19 étaient plus fréquents lorsqu’il fallait trouver des solutions d’urgence en partant de zéro.

Reconstruire un marché du travail plus performant et plus résilient, c’est investir dans l’avenir et dans les générations futures. On ne peut laisser une « génération coronavirus » être stigmatisée pour toujours. Après la crise financière mondiale, les pouvoirs publics ont agi bien trop tard pour remédier aux difficultés rencontrées par les jeunes sur le marché du travail, ce qui s’est traduit par des séquelles importantes qui perduraient encore juste avant l’épidémie de COVID-19. Il n’y a pas de temps à perdre pour mettre rapidement en œuvre un train de mesures complet afin de veiller à ce qu’aucun travailleur jeune ne soit laissé de côté. Chacun doit avoir une voie à suivre (comme par exemple le programme Garantie pour la jeunesse de l’UE). Toutes les parties prenantes doivent assumer leurs responsabilités, dans un souci de réciprocité : il faut, par exemple, inciter les entreprises à offrir des possibilités d’acquérir une expérience professionnelle en embauchant de jeunes diplômés ou en proposant des apprentissages, des stages ou une formation en milieu professionnel ; les pouvoirs publics doivent quant à eux accompagner les entreprises en leur proposant des incitations financières spécifiques.

Pour être complets, les plans en faveur de la reprise doivent prévoir la montée en puissance des mesures actives du marché du travail offrant un bon rapport coût-efficacité, comme les services de conseil, d’aide à la recherche d’emploi ou d’aide à la création d’entreprise. Il est aussi crucial de renforcer le soutien à l’enseignement et la formation professionnels (EFP). Comme le montre cette édition des Perspectives de l’emploi, le passage de l’école à la vie active reste bien plus facile pour les diplômés de l’EFP non supérieur que pour leurs camarades diplômés de l’enseignement général. Pour autant, il est capital de veiller à ce que ces programmes restent à l’écoute de l’évolution des besoins du marché du travail.

Le dialogue social et la négociation collective ont un rôle déterminant à jouer pour améliorer la résilience du marché du travail. Lorsque les partenaires sociaux coopèrent, cette flexibilité et cette précision permettent d’adapter et de déployer plus rapidement les mesures nécessaires au moyen d’accords sur mesure et d’une réorganisation du travail adaptée à chaque situation. Dans de nombreux pays, par exemple, la négociation collective et le dialogue social ont contribué récemment aux efforts engagés pour améliorer la sécurité au travail. Les lignes directrices et codes de bonne conduite élaborés par les partenaires sociaux et les accords signés entre les employeurs et les syndicats dans ce domaine dans différents pays (comme le Danemark, l’Espagne, la France ou l’Italie) illustrent parfaitement comment le dialogue social et la négociation collective peuvent être mis à profit pour compléter l’action publique et apporter des solutions flexibles et adaptées aux entreprises et aux travailleurs.

Les pays doivent tirer les enseignements de cette crise et préparer un examen minutieux de la résilience du marché du travail, en s’appuyant sur le cadre de la Stratégie de l’OCDE pour l’emploi. Cette tâche complexe devra mobiliser l’ensemble des parties prenantes et permettre de définir des panoplies de mesures propres à chaque pays en vue de renforcer la résilience et l’inclusivité du marché du travail.

Nous ne devons pas, aujourd’hui, reconstruire à l’identique, mais reconstruire mieux.

Stefano Scarpetta

Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales

OCDE

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