1. Aperçu général

La crise du COVID-19 a révélé et accentué les inégalités, même si les répercussions à court terme qu’elle a eues dans ce domaine sont partagées grâce aux interventions des gouvernements. Les coups portés au marché du travail ont eu des effets fortement asymétriques sur la population (OCDE, 2020[1] ; OCDE, à paraître[2]). Toutefois, les gouvernements de la zone OCDE ont rapidement réagi et adopté des mesures qui ont atténué l’impact du choc sur les travailleurs et les ménages vulnérables. Grâce à cela, les inégalités relatives au revenu disponible n’ont pas tant augmenté et ont parfois même diminué dans certains pays (Brewer et Gardiner, 2020[3] ; Chetty et al., 2020[4] ; Almeida et al., 2020[5] ; Clark, D’Ambrosio et Lepinteur, 2020[6] ; Commission européenne, 2020[7] ; Carta et De Philippis, 2021[8]).

La pandémie a renforcé l’argument selon lequel il convient d'équilibrer les chocs inégaux afin d'éviter les tensions sociales (Baldwin, 2020[9]). Les inégalités étaient déjà élevées avant la pandémie et les mesures liées au COVID n’ont pas suffi à y remédier. Dans presque tous les pays de l’OCDE, les inégalités de revenu se sont creusées au cours des 30 dernières années (OCDE, 2015[10] ; OCDE, 2012[11]), la mobilité sociale a marqué le pas (OCDE, 2019[12]), et les classes moyennes ont été mises à rude épreuve par la hausse des prix, l’incertitude professionnelle et la stagnation des revenus (OCDE, 2019[13]). L'égalité des chances a été mise à rude épreuve et de nombreux enfants issus de familles aux revenus modestes n’ont pas les mêmes chances de réaliser pleinement leur potentiel (OCDE, 2019[12]).

Les plans de relance offrent l’occasion exceptionnelle d’introduire des réformes qui s'attaquent aux inégalités persistantes et au manque de perspectives qui touchent une part importante de la population (Boone et al., 2020[14] ; OCDE, 2020[1] ; OCDE, 2020[15]). Mais la réussite de la mise en œuvre de telles réformes nécessite une adhésion forte de la part des citoyens. L'assentiment doit être suffisamment large pour appuyer la dynamique de la réforme sur la durée et atteindre des objectifs à long terme.

Déjà avant la crise, une grande majorité des citoyens de l’OCDE étaient préoccupés par les disparités économiques et demandaient une répartition plus équitable des revenus. Selon les données de 2017 issues du Programme international d’enquêtes sociales (ISSP) et de l’Eurobaromètre, environ 80 % en moyenne des habitants des pays de l’OCDE considéraient que les inégalités de revenu étaient trop importantes dans leur pays. Sept utilisateurs sur dix de l’outil en ligne de l’OCDE « Comparez votre revenu » estiment que la part des revenus qui revient aux 10 % les plus riches dépasse de cinq points de pourcentage ou plus ce qu’elle devrait être selon eux.1

Certains signes donnent aussi à penser que la crise actuelle a accentué la prise de conscience des inégalités. Les personnes qui ont répondu à l’enquête de 2020 de l’OCDE « Des risques qui comptent » (OCDE, 2021[16]) et qui ont connu des problèmes de santé ou des difficultés d’ordre économique pendant la pandémie considèrent plus que les autres personnes interrogées que les inégalités de revenu se sont creusées et que la mobilité sociale a diminué. Ils ont également plus tendance à vouloir que l’État intervienne davantage et opte pour un système d’imposition plus progressif afin de réduire le fossé entre les riches et les pauvres. De la même façon, les personnes interrogées touchées par une perte d’emploi pendant la crise demandent une hausse des dépenses publiques en faveur de la protection sociale (OCDE, 2021[16]).

Dans les pays de l’OCDE, les individus sont généralement en faveur des interventions qui pourraient faire baisser le niveau actuel des inégalités. La plupart des personnes (un peu plus de 6 sur 10) qui ont répondu à l’enquête de 2020 de l’OCDE « Des risques qui comptent » estiment que leur gouvernement devrait faire plus pour réduire les écarts de revenu entre riches et pauvres en prélevant des impôts et distribuant des aides sociales (Graphique 1.1). En outre, une part similaire des personnes interrogées pensent également que pour aider les pauvres, les gouvernements devraient taxer les riches plus fortement qu’ils ne le font déjà. Ce type de politiques de redistribution est particulièrement demandé dans les pays où les individus considèrent que les inégalités de revenu sont élevées et la mobilité sociale faible.

Mais l'adhésion des citoyens aux mesures en faveur de la réduction des inégalités ne va cependant pas de soi. Une demande accrue en faveur d’une plus grande égalité se traduit-elle nécessairement par une demande accrue d’intervention des pouvoirs publics quelle qu’elle soit ? Quelles mesures concrètes les individus sont-ils prêts à accepter ? La façon dont ont évolué les préoccupations au sujet des inégalités et les demandes en faveur d’une meilleure redistribution, au cours des trois dernières décennies, offre un éclairage important sur ces questions. Depuis la fin des années 1980, les préoccupations autour des disparités de revenu ont généralement augmenté au sein des pays de l’OCDE, parallèlement à la hausse des inégalités de revenu mesurée par des indicateurs statistiques traditionnels, ou « objectifs ».2 Toutefois, l'adhésion des citoyens aux interventions des pouvoirs publics en faveur de la redistribution n’a pas progressé dans les mêmes proportions. Dans plusieurs pays, une part importante d’individus sont préoccupés par les inégalités de revenu mais n’estiment pas qu’il soit de la responsabilité de l’État d’y remédier (Graphique 1.2).

Analyser les préoccupations à l’égard des inégalités et la demande de redistribution peut aider à concevoir des réformes largement soutenues qui visent à réduire des inégalités de longue date. Pour cela, il est essentiel de répondre aux préoccupations et aux demandes d’intervention. Le soutien national aux réformes propres à réduire les inégalités provient à la fois des préoccupations des individus à l'égard de ces inégalités et de leurs préférences quant à l'étendue et aux modalités de ces réformes (Encadré 1.1).

D’un côté, les préoccupations des individus dépendent de la perception qu’ils ont du niveau des inégalités et de leurs préférences dans ce domaine.3 D'un autre côté, l'adhésion des individus aux politiques de redistribution dépend de leur point de vue sur le rôle de l’État dans la réduction des disparités économiques. Ces points de vue diffèrent fortement d’un pays à l'autre. Par ailleurs, différentes combinaisons entre la perception des inégalités de revenu ou de revenu d'activité et de la mobilité intergénérationnelle peuvent susciter l'adhésion à différentes combinaisons de mesures. La perception d’inégalités de revenu ou de revenu d'activité croissantes pourrait donner plus de poids aux mesures qui ont un effet direct sur les résultats, telles que les indemnités de chômage, alors que la perception de la persistance intergénérationnelle serait plus en mesure de susciter l'adhésion à une action en faveur de l’égalité des chances, comme les politiques d'éducation.

De plus, les citoyens d’un même pays ont souvent des opinions divergentes au sujet de la lutte contre les inégalités. Même si, suite à la crise, les mesures d’urgence en faveur de la protection sociale bénéficient actuellement d’un large consensus, ces dernières années, les opinions au sujet des politiques sociales et de redistribution se sont polarisées (Alesina, Miano et Stantcheva, 2020[17]), et différentes catégories de la société expriment des points de vue difficiles à concilier. Et même lorsque la plupart des individus manifestent leur préoccupation à l'égard des inégalités, les moyennes nationales masquent de grands écarts entre les niveaux d’inégalités perçus et préférés par les citoyens. L'analyse de la répartition des perceptions et de son évolution au fil du temps apporte un éclairage sur la polarisation du débat public.

Dans différents pays, lorsque les indicateurs de l’OCDE et d'autres sources indiquent une hausse des inégalités de revenu et une mobilité sociale en baisse, les individus perçoivent généralement eux aussi des inégalités plus importantes et moins de mobilité (Tableau 1.2 et chapitre 2). Les résultats indiquent que les perceptions, quoique fondées sur des informations partielles, reflètent la réalité des données relatives aux inégalités économiques dans la société.

Toutefois, dans certains pays, les perceptions et les indicateurs traditionnels sont parfois très différents. Dans certains pays, les perceptions indiquent un niveau plus faible que les indicateurs traditionnels – c’est-à-dire que les individus ont le sentiment de vivre dans une société plus égalitaire qu’elle ne l’est en réalité – que ce soit à l’égard des inégalités de revenu (Israël, Lituanie et Pays-Bas), de la persistance intergénérationnelle (Canada, Suisse et États-Unis), ou les deux (France et Italie). À l’inverse, dans d'autres pays, les perceptions affichent un niveau plus élevé que les indicateurs traditionnels – c'est-à-dire que les individus ont le sentiment de vivre dans une société moins égalitaire qu’elle ne l’est réellement – que ce soit à l’égard des inégalités de revenu (Autriche, Belgique, Canada et Finlande), de la persistance intergénérationnelle (Turquie et Espagne), ou les deux (Grèce).

Les inquiétudes relatives aux disparités de revenu et les estimations traditionnelles au sujet des inégalités ont évolué parallèlement au fil du temps. La proportion d’individus convaincus que les inégalités de revenu sont trop importantes a augmenté au moins depuis la fin des années 1980 (Graphique 1.4), parallèlement à la hausse des inégalités de revenu mesurée par des indicateurs statistiques traditionnels (OCDE, 2012[11]). C’est dans les pays où les estimations traditionnelles des inégalités de revenu ont enregistré les plus fortes hausses que les préoccupations dans ce domaine se sont accrues le plus. La tendance indique que, généralement, les individus ont intégré dans leurs perceptions les informations factuelles relatives à l’évolution des inégalités de revenu.

La hausse des préoccupations a été entraînée par la hausse des inégalités perçues. L'écart perçu entre les revenus d’activité les plus élevés et les plus bas – pour lesquels les données disponibles couvrent une longue période – s’est considérablement creusé ces dernières décennies dans les pays observés. En 2019-20, les individus considéraient que les plus hauts revenus – médecins et présidents de grandes entreprises nationales – gagnaient en moyenne 8 fois plus que les plus bas revenus – ouvriers non qualifiés dans une usine (Graphique 1.5). Ce rapport entre les revenus les plus élevés et les plus bas, tel qu’il était perçu, a fortement augmenté entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, lorsqu’il avoisinait les 5 pour 1, avant d'atteindre son niveau le plus élevé pendant la crise financière mondiale.

La tolérance à l'égard des inégalités de revenu a légèrement augmenté, à mesure que les individus se sont adaptés à des niveaux d’inégalités plus élevés au fil du temps. Les préférences quant aux niveaux d’inégalités sont largement inférieures aux niveaux perçus dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Toutefois, les préférences ont évolué au fil du temps. Entre la fin des années 1980 et la crise financière mondiale, les préférences relatives au niveau des inégalités de revenu ont été revues à la hausse dans tous les pays considérés, de façon plus marquée dans les pays où la perception des inégalités avait le plus augmenté. Les préférences dans ce domaine ont ensuite diminué au cours de la dernière décennie, 2010-19, alors que les écarts de revenu sont restés aussi creusés qu’entre la fin des années 1980 et le début des années 1990.

En moyenne, la révision à la hausse des préférences relatives au niveau des inégalités de revenu a compensé à hauteur de moitié la hausse importante des inégalités perçues. Par conséquent, l’accroissement de la perception des inégalités de revenu ne s’est pas totalement traduit par un accroissement des préoccupations dans ce domaine. Toutefois, malgré la révision à la hausse des préférences quant aux inégalités de revenu, la demande en faveur d’une plus grande égalité dans ce domaine s’est également accrue ces dernières années.

Une hausse de l’importance accordée au fait de travailler dur pour réussir dans la vie, entre le début des années 1990 et la crise financière mondiale, peut expliquer en partie l’augmentation du seuil de tolérance à l’égard des inégalités (Graphique 1.6). Les individus qui estiment que pour réussir dans la vie le fait de travailler dur compte plus que le fait d'avoir de la chance ou de bénéficier d’autres circonstances indépendantes de sa volonté font preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des inégalités de revenu parce qu’ils considèrent que des écarts de revenu élevés sont le fruit des efforts consentis par les personnes. Toutefois, parmi les pays dont les données considérées vont jusqu’en 2019, l’importance donnée au fait de travailler dur a diminué entre le début et la fin des années 2010. Cette tendance indique que les individus ne sont plus aussi convaincus que les écarts de revenus et de revenus d'activité sont liés aux efforts consentis par les personnes.

La perception des inégalités et les préoccupations qui y sont liées sont des facteurs importants de la demande de redistribution. Dans tous les pays, les préoccupations liées aux disparités de revenu sont étroitement corrélées à la part de la population qui estime qu’il incombe à l’État de réduire les écarts de revenu (Graphique 1.7). Les hausses des inégalités – telles que mesurées par des indicateurs statistiques traditionnels – sont associées à une demande accrue de redistribution uniquement dans la mesure où les préoccupations des individus quant aux inégalités augmentent en conséquence (voir chapitre 3).

Les inégalités perçues aussi bien quant au revenu qu’à l’égalité des chances influencent les préférences en matière de politiques en faveur de la diminution des inégalités. Même lorsque les individus estiment que la mobilité sociale est élevée, une perception accrue des inégalités de revenu est associée à une hausse de la demande de redistribution. Toutefois, les perceptions en matière d’inégalités de revenu et de mobilité sociale peuvent être associées à différents types d’intervention. Par exemple, il semble qu’une perception des inégalités de revenu plus importante pourrait être plus étroitement liée à une demande de fiscalité plus progressive. D'autre part, la perception des inégalités de revenu et celle de la mobilité intergénérationnelle influencent dans une même mesure la demande en faveur d’une hausse des dépenses publiques au titre des systèmes d'éducation et de santé (Graphique 1.8).

La demande des individus en faveur d’une intervention pour lutter contre les inégalités diminue à mesure que leurs propres revenus augmentent : les individus dont les revenus sont élevés tolèrent des inégalités plus importantes, même s'ils perçoivent le même niveau d’inégalités en matière de revenu et d’égalité des chances. Les différences de préférences relatives au niveau des inégalités reflètent des considérations de « portefeuille » – la redistribution a un coût pour les riches mais offre des avantages aux pauvres. La plus forte demande de redistribution parmi les individus dont les revenus sont faibles indique que, lorsque les inégalités augmentent, les personnes qui deviennent – et se sentent – plus pauvres que la moyenne soutiennent davantage les politiques de redistribution.

Toutefois, le lien entre les revenus personnels et le soutien des politiques visant à réduire les inégalités dépend de la perception qu’ont les individus de leur position dans la distribution des revenus. Dans la zone OCDE, une part particulièrement élevée d’individus considèrent appartenir à la classe moyenne. Les données expérimentales indiquent que communiquer des informations aux individus augmente la demande en faveur de la redistribution chez ceux qui découvrent qu’ils sont plus pauvres qu’ils ne le pensaient et cela la diminue chez ceux qui apprennent qu’ils sont mieux lotis (Ciani, Fréget et Manfredi, à paraître[18]).

Cependant, la demande de redistribution dépend également des préférences sociales des individus et de leurs opinions au sujet de ce qui cause les inégalités. Au niveau individuel, la perception du niveau global des inégalités et de la mobilité intergénérationnelle compte autant que le revenu personnel pour expliquer les préférences en faveur de la redistribution. De plus, une hausse des inégalités conduit également à une hausse de l’adhésion des plus riches à la redistribution : à mesure que les inégalités progressent, leurs préférences sociales en faveur de la réduction des disparités dépassent la question des avantages et des coûts entraînés par la redistribution (Rueda and Stegmueller (2019[19]) et Section 3.3). En effet, la redistribution est assortie d’un coût pour les riches mais ils sont encore en mesure de le supporter pour des raisons purement altruistes ou parce qu’ils estiment qu’une hausse des inégalités pourrait leur nuire par d'autres biais – par exemple par une baisse de la productivité nationale ou une hausse de la délinquance. Enfin, indépendamment de leurs revenus, les individus adhèrent davantage aux interventions visant à réduire les inégalités s’ils estiment que les inégalités existantes sont le fruit de circonstances indépendantes de leur volonté.

Même si la perception des inégalités et les préoccupations qui y sont liées sont des facteurs déterminants des préférences en matière de redistribution, une demande accrue en faveur d’une plus grande égalité ne se traduit pas nécessairement par un appui massif des interventions des pouvoirs publics. Au fil du temps, les préférences en matière de redistribution des revenus dans les pays de l’OCDE ont progressé, en moyenne, moins que les préoccupations. Les indicateurs statistiques traditionnels indiquent également qu'elles ont moins réagi aux évolutions des inégalités de revenu observées (suivies par des indicateurs statistiques traditionnels). Dans la plupart des pays, le pourcentage d’individus interrogés qui estiment qu’il incombe aux pouvoirs publics de réduire les inégalités est moins élevé que le pourcentage d’individus qui considèrent que ces inégalités sont trop importantes (Graphique 1.9). Dans certains pays, une part importante des personnes interrogées pensent qu’il incombe aux entreprises privées, aux syndicats ou aux individus eux-mêmes de réduire les écarts de revenu, et non au gouvernement.

L’efficacité perçue des interventions publiques entraîne l'adhésion aux mesures visant à réduire les inégalités. Les individus demandent moins de redistribution par le système de prélèvements et de prestations s’ils considèrent que les prestations sont réelles et bien ciblées. En effet, les données de l’enquête Trustlab de l’OCDE indiquent que les individus sont moins favorables à une fiscalité progressive s’ils considèrent que les agents de la fonction publique sont largement concernés par des pratiques de petite corruption, conduisant à un mauvais usage et un détournement de fonds publics. En revanche, ils soutiennent les politiques redistributives s’ils perçoivent que ces interventions réduisent efficacement les inégalités et la pauvreté.

Si les individus conviennent de la nécessité d’une intervention publique, ils ne sont pas toujours d'accord sur les mesures à adopter. On observe de grandes différences entre les pays – et entre les individus – quant à leurs perceptions de l’échelle des inégalités en matière de situtation (inégalités en bas ou en haut de l’échelle de distribution) et des obstacles à la mobilité intergénérationnelle, comme l’éducation des parents ou le patrimoine, par exemple. De la même manière, les individus dans différents pays associent la « redistribution » à différents types d’intervention, qui vont de la fiscalité progressive à l’aide au revenu en passant par l’aide au logement et à la santé.

La perception des individus de l'ampleur actuelle des inégalités de revenu peut également varier fortement au sein des pays, certains citoyens percevant un niveau très faible et d'autres très élevé (Graphique 1.10). Dans certains pays - comme dans la moyenne de l'OCDE – il n’existe pas de perception prépondérante mais un large éventail. Dans d'autres, comme aux États-Unis, les perceptions ont tendance à se polariser en groupes ayant des opinions radicalement différentes. Dans quelques pays seulement, la plupart des individus ont tendance à percevoir des niveaux d’inégalités de revenu similaires – soit faibles, comme au Danemark, ou élevés, comme en Grèce. Pour les perceptions en matière de disparités de revenu d’activité et de mobilité sociale, la dispersion est la même (voir chapitre 4).

Différents individus sont plus susceptibles d’être d’accord sur le niveau « idéal » d’inégalités de revenu que sur leur estimation du niveau actuel. En effet, dans tous les pays, les préférences quant à la part du revenu détenu par les 10 % les plus riches varient moins que les niveaux perçus dans ce domaine. Les opinions divergent quant à l’ampleur des inégalités de revenu qui devraient être réduites essentiellement parce que les individus perçoivent des niveaux d’inégalités différents, plutôt qu’en raison de différences de préférences en matière d’égalité.

La dispersion des perceptions et des préférences en matière de disparités de revenu d’activité s’est considérablement étendue ces dernières décennies (Graphique 1.11), ce qui indique des niveaux de désaccord en hausse. Dans certains pays, des signes d’une polarisation montante sont également visibles. Deux écoles sont apparues : une selon laquelle les disparités actuelles de revenu d'activité sont plus acceptables, et l'autre pour laquelle elles sont extrêmement creusées. Les individus ont tendance à être particulièrement en désaccord au sujet du niveau actuel des revenus les plus élevés et de ce qu’ils devraient être. La forte progression de ces tendances, identifiée par les indicateurs statistiques traditionnels (OCDE, 2012[11]), au cours des trente dernières années, s'accompagne d’une division accrue de l’opinion publique.

Les désaccords entre individus aux caractéristiques sociodémographiques similaires à propos de l’ampleur des inégalités peuvent être élevés. Ces désaccords ont augmenté au fil des années. Les perceptions à l’égard des inégalités de revenu et de la mobilité sociale varient selon le salaire, le niveau d’instruction, la situation professionnelle, le sexe, l’âge et le type de logement des individus mais ces disparités restent comparativement peu significatives. Les différences entre les catégories socioéconomiques n’expliquent pas plus de 10 % de la dispersion totale des perceptions, les 90 % restants traduisent des différences de perception entre individus aux profils très similaires. En outre, l'élargissement de la dispersion des perceptions et des niveaux de préoccupation à l'égard des inégalités de revenu reflète essentiellement une plus forte dispersion au sein des catégories.

La crise du COVID-19 a mis au jour la vulnérabilité d’une part importante de la population au sein des pays de l’OCDE. Alors que les mesures d’urgence disparaissent progressivement, les gouvernements s’emploient à mettre en œuvre des réformes qui répondront à ces vulnérabilités et mettront l'accent sur l'égalité des chances. Ainsi, d’après le rapport, il convient, pour instaurer une compréhension mutuelle entre les citoyens et les pouvoirs publics en matière de réduction des inégalités et de promotion de la mobilité sociale, de déterminer comment les individus se forgent leurs perceptions et opinions. Les perceptions, les préférences et les préoccupations en matière d’inégalités se modifient en fonction de l’évolution des inégalités mesurées. Toutefois, au bout du compte, c’est l’association de ces facteurs qui détermine le soutien des individus en faveur des réformes prévues pour lutter contre les inégalités durables. Les perceptions, les préférences et les préoccupations varient selon les pays et évoluent au fil du temps. Ainsi, les données sur l’opinion des individus au sujet des inégalités peuvent orienter la conception des politiques publiques et permettre aux réformes de recueillir l'adhésion nécessaire des citoyens.

La plupart des individus de la zone OCDE considèrent que le niveau actuel des inégalités de revenu est trop élevé. Les perceptions relatives aux inégalités de revenu et à une mobilité sociale faible induisent les préoccupations à ce sujet. De plus, les individus se sentent plus préoccupés au sujet des inégalités de revenu lorsqu’ils pensent que le fait de travailler dur n’est pas une condition pour réussir dans la vie. En d’autres termes, ils s’intéressent aux inégalités de revenu et à l’égalité des chances. Ils considèrent que ces deux paramètres sont liés et qu’ils doivent être ciblés tous les deux par les interventions des pouvoirs publics pour réduire les disparités de revenu. De ce fait, les réformes qui visent ces deux points sont plus susceptibles d’être soutenues.

Toutefois, une demande étendue en faveur d’une plus grande égalité ne signifie pas nécessairement que les citoyens sont favorables à n’importe quelle intervention des pouvoirs publics puisque les perceptions et les préférences diffèrent selon les pays. Les perceptions et les préférences quant au revenu et à l’égalité des chances varient selon les pays. Ainsi, l’importance que les individus accordent à un type d’inégalité par rapport à l’autre n’est pas la même dans tous les pays et ceci influe sur leur soutien aux réformes. Certaines ciblent la redistribution, notamment avec une hausse du taux d’imposition des hauts revenus, d'autres s’intéressent à l’égalité des chances, par exemple en améliorant l'accès à un enseignement de qualité. Par ailleurs, les perceptions et opinions des individus peuvent également être façonnées par d'autres aspects – si les revenus les plus élevés sont trop hauts ou si les revenus inférieurs sont trop bas, ou selon les obstacles à la mobilité intergénérationnelle perçus comme les plus difficiles (comme l’éducation parentale ou le patrimoine). Afin de bénéficier d’un appui suffisant des individus, les décideurs politiques doivent tenir compte de ces différences nationales lorsqu’ils conçoivent des trains de réformes.

Compte tenu de l’ampleur des fonds publics mobilisés pendant la pandémie, les coûts et les avantages des réformes à venir font l’objet d’une attention toute particulière. De plus, l’efficacité des mesures adoptées a de l’importance pour l’ensemble des citoyens. Les citoyens sont plus favorables à certaines mesures lorsqu’ils considèrent qu’elles réduisent efficacement les inégalités. Il est donc nécessaire de concevoir avec soin les réformes sociales et en faveur de la redistribution, en tirant les leçons des bonnes pratiques et des évaluations des actions menées par le passé. Toutefois, il est également important de permettre aux individus de comprendre le fonctionnement et les répercussions des politiques publiques. Pour ce faire, les gouvernements devraient évaluer de façon approfondie les interventions menées et expliquer clairement leurs effets en matière de redistribution, mais aussi recueillir les données accessibles qui permettent de réaliser cette évaluation. Ils devraient s'appuyer sur des recherches indépendantes menées par des universités et des organisations non gouvernementales ou internationales, afin de garantir la transparence des données et de susciter la confiance des citoyens.

Même si la plupart des individus les soutiennent, l’introduction de réformes peut être compliquée si différents groupes ont des points de vue difficiles à concilier. L’opinion publique est souvent divisée au sujet de l'ampleur réelle des inégalités et de ce qu’il convient de faire pour améliorer la situation. Cette division complique le débat public au sujet de la nécessité de mettre en œuvre des mesures pour réduire les inégalités car ces différents groupes ont souvent des opinions très partagées. Il est à noter que ces divisions vont au-delà des différences de classe : les désaccords profonds des individus ne s’expliquent qu’en partie par des différences d’opinion entre riches et pauvres ou entre catégories sociodémographiques. Les mesures qui ne ciblent qu’un groupe – défini selon des critères classiques (par ex. les jeunes ou la classe ouvrière) – peuvent ne pas réussir à rallier un soutien suffisant, même au sein du groupe ciblé.

Les données expérimentales montrent que communiquer aux individus des informations sur les inégalités modifie leurs perceptions à ce sujet, mais que cela n’a qu’un effet limité sur leurs préférences en matière de redistribution. Communiquer des informations de qualité sur les inégalités en termes de revenu et de chances pourrait contribuer à réduire la large dispersion des perceptions au sein de la population. Cela permettrait de mettre en place des bases communes pour le débat public, même si cela n’atténue pas nécessairement les différences d’opinions au sujet de l’action publique.

Enfin, l’interprétation des données sur les perceptions des individus nécessite une analyse et une évaluation rigoureuse. Pour améliorer la comparabilité entre les pays et dans le temps, il est nécessaire de définir des normes et des lignes directrices sur la manière de mesurer les perceptions, les préférences et les opinions relatives aux inégalités. Le Groupe d’experts de l’OCDE sur les nouveaux indicateurs de l'acceptabilité des réformes auprès du public, créé récemment, a pour objectif d'œuvrer dans ce sens. Le présent rapport met également en évidence une série de lacunes dans les données liées à des facteurs importants qui influencent l’opinion des individus au sujet des inégalités.

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[23] Diermeier, M. et al. (2017), « Impact of inequality-related media coverage on the concerns of the citizens », DICE Discussion Paper, n° 258, Heinrich Heine University Düsseldorf, Düsseldorf Institute for Competition Economics (DICE), https://www.econstor.eu/bitstream/10419/162781/1/893307378.pdf.

[31] Giuliano, P. et A. Spilimbergo (2013), « Growing up in a Recession », The Review of Economic Studies, vol. 81/2, pp. 787-817, https://doi.org/10.1093/restud/rdt040.

[20] Hauser, O. et M. Norton (2017), « (Mis)perceptions of inequality », Current Opinion in Psychology, vol. 18, pp. 21-25, https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2017.07.024.

[32] Hvidberg, K., C. Kreiner et S. Stantcheva (2020), Social Position and Fairness Views, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w28099.

[37] Kolm, S. (1976), « Unequal inequalities. I », Journal of Economic Theory, vol. 12/3, pp. 416-442, https://doi.org/10.1016/0022-0531(76)90037-5.

[26] Luttmer, E. et M. Singhal (2011), « Culture, context, and the taste for redistribution », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 3/1, pp. 157-179, https://doi.org/10.1257/pol.3.1.157.

[30] Mijs, J. (2019), « The paradox of inequality: income inequality and belief in meritocracy go hand in hand », Socio-Economic Review, https://doi.org/10.1093/ser/mwy051.

[16] OCDE (2021), Main Findings from the 2020 Risks that Matter Survey, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/b9e85cf5-en.

[1] OCDE (2020), Enhancing equal access to opportunities for all in G20 countries, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd.org/economy/enhancing-equal-access-to-opportunities-G20/.

[15] OCDE (2020), « Reconstruire en mieux : Pour une reprise durable et résiliente après le COVID-19 », Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/583cf0b8-fr.

[12] OCDE (2019), L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/bc38f798-fr.

[13] OCDE (2019), Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/2b47d7a4-fr.

[10] OCDE (2015), Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264235519-fr.

[11] OCDE (2012), Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264119550-fr.

[2] OCDE (à paraître), Well-Being and COVID-19: Life in the First Year of the Pandemic, Éditions OCDE, Paris.

[36] Osberg, L. et I. Bechert (2016), « Social values for equality and preferences for state intervention: Is the USA « Exceptional »? », Working Paper, n° 2016-03, Dalhousie University, Department of Economics, https://wp.economics.dal.ca/RePEc/dal/wpaper/DalEconWP2016-03.pdf.

[24] Perez-Truglia, R. (2019), The Effects of Income Transparency on Well-Being: Evidence from a Natural Experiment, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w25622.

[25] Phillips, L. et al. (2020), Inequality in People’s Minds, Center for Open Science, https://doi.org/10.31234/osf.io/vawh9.

[21] Piketty, T. (1995), « Social Mobility and Redistributive Politics », The Quarterly Journal of Economics, vol. 110/3, pp. 551-584, https://doi.org/10.2307/2946692.

[19] Rueda, D. et D. Stegmueller (2019), Who Wants What?, Cambridge University Press, https://doi.org/10.1017/9781108681339.

[29] Trump, K. (2018), « Income Inequality Influences Perceptions of Legitimate Income Differences », British Journal of Political Science, vol. 48/4, pp. 929-952, https://doi.org/10.1017/S0007123416000326.

Dans les publications et le débat public, un large éventail de mesures sont utilisées pour examiner les opinions qu’ont les citoyens au sujet des inégalités. Elles peuvent être classées selon trois grandes dimensions :

  • Leur domaine. Les inégalités des situtation (par ex. disparités de revenu) ou des chances (par ex. possibilités offertes de monter dans l’échelle sociale).

  • Leur point de vue. Les opinions exprimées peuvent concerner la distribution globale des situtations et des chances au sein de la population d'un pays donné, ou la position individuelle dans cette distribution.

  • La situation concernée. Les individus peuvent être interrogés sur leur perception de la situation actuelle ou sur la situation telle qu’ils aimeraient qu’elle soit. Ils peuvent également être invités à exprimer leur préoccupation quant à la situation actuelle – le fruit de la différence entre leurs perceptions des inégalités et leur souhait dans ce domaine. Ainsi, le Programme international d'enquêtes sociales demande depuis 1987 aux personnes interrogées si elles sont d'accord ou non avec l’affirmation suivante : « Les écarts de revenu [dans votre pays] sont trop importants ». Cette question vise à mesurer l’écart entre la perception qu’ont les individus des inégalités existantes et le niveau auquel elles devraient s’établir selon eux.

Une analyse théorique simple (présentée de manière synthétique dans le Graphique d’annexe 1.A.1 Graphique d’annexe 1.A.1et inspirée des travaux d’Alesina, Miano et Stantcheva (2020[17])) permet de relier les différents éléments examinés dans ce rapport :

  • Les individus se forgent leur propre perception de la distribution des revenus et des chances au sein de leur société, ainsi que de la position qu’ils occupent dans cette distribution (Hauser et Norton, 2017[20]). Ces perceptions sont déterminées par le vécu des individus, par exemple leur propre expérience de la réussite (Piketty, 1995[21]), ou une histoire commune (Corneo et Grüner, 2002[22]), ainsi que par les informations recueillies dans les médias et auprès d’autres sources (Diermeier et al., 2017[23] ; Perez-Truglia, 2019[24] ; Phillips et al., 2020[25]). Les individus ont par ailleurs leurs propres convictions quant à l’importance de la chance, du mérite ou des circonstances indépendantes de la volonté pour expliquer les inégalités de revenu. Ces convictions sont cruciales pour expliquer les différentes mentalités en matière de redistribution et sont étroitement liées aux perceptions (ainsi, elles sont classées parmi les perceptions dans le Tableau 1.1). Toutefois, ces convictions procèdent en réalité à la fois des perceptions qu’ont les individus et de leurs préoccupations, parce qu’ils ont tendance à confondre souvent une observation factuelle (sur la source réelle des inégalités) et un jugement de valeur (lié à l’importance que chacun attache au mérite).

  • Les individus ont des préférences concernant le niveau des inégalités qui pourrait être acceptable s’agissant du revenu et de l’égalité des chances. Ces préférences peuvent être transmises d’une génération à l’autre (Luttmer et Singhal, 2011[26]) et dépendent du contexte historique de chaque pays (Corneo et Grüner, 2002[22] ; Alesina et Fuchs-Schündeln, 2007[27]). Elles sont aussi influencées par le vécu individuel. Les recherches montrent que les personnes peuvent avoir un seuil de tolérance plus élevé face aux inégalités (ou défendre plus fermement la méritocratie) lorsqu’elles vivent dans une société plus inégalitaire (Benabou et Tirole, 2006[28] ; Trump, 2018[29] ; Mijs, 2019[30]). Si elles ont traversé des périodes difficiles, les personnes sont à l’inverse moins susceptibles d’accepter des inégalités marquées (Giuliano et Spilimbergo, 2013[31]). Les perceptions peuvent aussi avoir une incidence sur les préférences. Premièrement, ceux qui se considèrent comme relativement riches sont moins susceptibles d’être préoccupés par les inégalités pour des raisons personnelles (Hvidberg, Kreiner et Stantcheva, 2020[32]). Ensuite, de nombreux travaux ont montré que les individus sont prêts, du moins en partie, à accepter des inégalités de revenu s’ils croient en l’égalité des chances ou considèrent que les revenus élevés sont le fruit des efforts consentis par les personnes plutôt que du hasard ou de circonstances indépendantes de leur volonté (Piketty, 1995[21] ; Alesina et Giuliano, 2011[33]). Il est en outre possible que les préférences et les autres facteurs subjectifs connexes (comme les opinions politiques) influent aussi sur les perceptions, en conditionnant la manière dont les individus interprètent les informations et leur vécu, et le poids qu’ils leur accordent (Alesina, Miano et Stantcheva, 2020[17] ; Phillips et al., 2020[25]).

  • Les individus sont préoccupés par les inégalités quand ils constatent un écart entre leur perception de la réalité et leurs préférences. Par exemple, le niveau de préoccupation des individus varie selon qu’ils considèrent les inégalités actuelles supérieures à ce qu’elles devraient être selon eux.

  • Les préoccupations relatives aux inégalités peuvent conduire les individus à afficher des préférences accrues en faveur de la redistribution et à demander l’adoption de politiques publiques visant spécifiquement à réduire les disparités. Mais les préférences en faveur de la redistribution dépendent aussi de la perception qu'ont les individus de l’efficacité des politiques, ainsi que des avantages et des inconvénients qui en découlent pour eux en termes de prestations et d’impôts, c’est-à-dire pour leur propre portefeuille. Les avantages et inconvénients perçus dépendent de la position que les individus pensent occuper sur l’échelle de distribution (Cruces, Perez-Truglia et Tetaz, 2013[34]), ainsi que de leurs ambitions d’évolution dans le futur (Piketty, 1995[21] ; Benabou et Ok, 2001[35]).

  • Les préférences en faveur de la redistribution, et leur relation avec les inégalités perçues et réelles, dépendent aussi de l’opinion qu’ont les individus du rôle de l’état dans la lutte contre les inégalités (Osberg et Bechert, 2016[36]). Par exemple, les inégalités perçues peuvent ne pas se traduire par un soutien plus marqué en faveur de la redistribution si les citoyens n’ont qu’une confiance limitée dans l’efficacité des politiques.

D'après le Graphique d’annexe 1.A.1, certaines de ces dimensions n’exercent aucune influence l’une sur l’autre. En réalité, ce cadre pourrait bien se révéler plus complexe. Ainsi, les préférences peuvent conditionner le vécu d’une personne (notamment en modifiant son réseau social) et la manière dont elle s’informe (en influant par exemple sur son choix de sources fiables). Le rapport ne tient pas compte de ces considérations supplémentaires, puisqu’il vise principalement à déterminer comment les inégalités de revenu réelles influent sur la perception de ces inégalités, et comment cette perception détermine la demande en faveur de la redistribution.

Notes

← 1. Les utilisateurs de l’outil « Comparez votre revenu » ne sont pas représentatifs de la population, les chiffres sont estimés à partir d’une méthode de pondération qui rend l'échantillon d’utilisateurs de l’outil en ligne similaire à un échantillon de l’ensemble de la population en fonction de l’âge, du genre, de la taille du foyer et du revenu disponible (Balestra et Cohen, 2021[38]).

← 2. Dans ce rapport, le terme « indicateurs statistiques traditionnels » se réfère aux estimations des inégalités réalisées à partir des données sur les revenus des ménages (comme le coefficient de Gini calculé à partir de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus), afin de les différencier des perceptions des individus qui correspondent à un facteur subjectif. Il est à noter toutefois que les indices relatifs aux inégalités ont une interprétation normative (Atkinson, 1970[39]) et, ainsi, le recours à des indices statistiques différents peut correspondre à différentes préférences sociales.

← 3. Par conséquent, les différences entre les pays en matière de niveau moyen de préoccupation ne correspondent par toujours aux estimations statistiques traditionnelles : non seulement les individus peuvent percevoir un niveau d'inégalités qui ne correspond pas aux mesures statistiques, mais les niveaux préférés d’inégalités des individus peuvent également varier selon les pays.

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