2. Comment les gens perçoivent-ils les inégalités économiques ?

Les préoccupations relatives aux disparités de revenu (Tableau 1.1 et Annexe 1.A) sont très répandues parmi les pays de l’OCDE. D'après les dernières données du Programme international d’enquêtes sociales (PIES) et de l’Eurobaromètre (Annexe 2.A), la grande majorité des gens s'accorde sur le fait que les disparités de revenu dans leur pays sont trop importantes. En effet, en 2017, environ 80 % des personnes interrogées étaient d'accord sur ce point et près de la moitié se disait tout à fait d'accord (Graphique 2.1).

Toutefois, il existe des différences considérables selon les pays. Les pourcentages d’individus qui considèrent que les disparités de revenu sont trop importantes vont de 17 % au Danemark à 63 % en Hongrie. On observe également des différences marquées selon les groupes socio-démographiques. Les personnes âgées, les femmes et ceux qui estiment appartenir aux strates sociales inférieures présentent tous des niveaux de préoccupation plus élevés à l’égard des disparités de revenu (Ciani et al. (2021[1]) pour plus de détails).

Les préoccupations des individus au sujet des disparités de revenu progressent depuis longtemps (Graphique 2.2 et Bussolo et al. (2019[2]))1. Parmi les pays de l’OCDE, la proportion d’individus convaincus que les inégalités de revenu sont trop importantes a augmenté depuis le début des années 1990, avant d'atteindre un pic au début de la crise financière mondiale. Une autre source, la European and World Values Survey, indique une évolution similaire (Ciani et al., 2021[1]). Les données des dernières vagues du PIES (2017 et 2019) montrent que les préoccupations ont légèrement diminué, en moyenne, pendant la décennie qui a suivi le début de la crise financière mondiale2.

La tendance des préoccupations des individus reflète l'évolution des inégalités de revenu dans les pays de l’OCDE décrite par les statistiques traditionnelles. En effet, les données issues de Ia Base de données sur la distribution des revenus ont augmenté entre le milieu des années 1980 et la fin des années 2000 et suivent depuis une tendance plus stable.

La hausse des préoccupations au cours des deux décennies qui ont précédé la crise financière mondiale (pour lesquelles les données se prêtent à une comparaison plus complète et plus étendue) n’a épargné que la Norvège et la Nouvelle-Zélande (Graphique 2.3)3. Et cette progression s'est faite de façon exponentielle en Australie, en Suisse et aux États-Unis, alors qu’elle partait d’un niveau très bas dans ces pays. De même, en Italie, la part des individus qui considéraient sincèrement que les écarts de revenu étaient trop importants est passée de 40 % en 1988, un niveau déjà bien élevé, à 70 % en 2011. La hausse la plus importante a eu lieu en Hongrie qui traversait une période de transition économique et politique. Les préoccupations ont également augmenté en Pologne pendant la transition politique, mais dans une moindre mesure.

Les préoccupations ont légèrement diminué au cours de la dernière décennie, en moyenne. Bien qu’elles aient progressé ou soient restées stables dans la moitié des pays étudiés depuis longtemps, elles ont largement diminué dans d'autres pays. En Italie, les préoccupations ont retrouvé leur niveau de 1987 après avoir atteint un sommet pendant la crise financière mondiale, ce qui a coïncidé avec la crise de la dette souveraine qui a frappé le pays en 2011 (l'année où le PIES 2009 a été mené en Italie). De la même façon, en Autriche et en Pologne, les dernières données disponibles indiquent des niveaux de préoccupations inférieurs à ceux de la fin des années 1980. Toutefois, cette tendance doit être analysée avec prudence car les données sont issues respectivement du PIES 2017 et de l’Eurobaromètre 471/2017, qui ne sont pas totalement comparables aux autres vagues.

Quelle que soit la période observée, les différences entre pays en matière de préoccupations relatives aux disparités de revenu ne correspondent pas aux différences d’ampleur des inégalités estimées au moyen de mesures statistiques traditionnelles (Graphique 2.4 et Gimpelson et Treisman (2018[3])). Dans certains pays, toutefois, les niveaux de préoccupation au sujet des disparités de revenu correspondent à l’ampleur des inégalités mesurées avec des indicateurs traditionnels. Les pays nordiques, par exemple, présentent à la fois des coefficients de Gini bas et des préoccupations limitées, alors que la Turquie affiche un niveau d’inégalités et de préoccupations élevé, tout comme certains pays d’Europe orientale et méridionale et Israël. Le groupe au « coefficient de Gini faible et préoccupations élevées » comprend certains pays d’Europe qui sont passés à une économie de marché, ainsi que la France. En revanche, la plupart des pays anglophones font partie du groupe au « coefficient de Gini élevé et préoccupations faibles », même si leurs niveaux moyens de préoccupations sont relativement proches du niveau médian et de niveaux observés au Japon et dans certains pays d’Europe centrale et méridionale, comme l'Allemagne et la Grèce.

En revanche, l'évolution des préoccupations liées aux disparités de revenus est positivement corrélée avec l'évolution des indicateurs traditionnels relatifs aux inégalités (Graphique 2.5)4. Dans les pays où le coefficient de Gini a progressé le plus, les préoccupations relatives aux disparités de revenu ont également augmenté de façon plus marquée, ce qui permet d’en déduire que les préoccupations des individus suivent les évolutions des disparités qui ont eu lieu dans leur pays au cours des années. Cette déduction va dans le sens d’un ensemble de publications qui mettent en évidence le fait que les différences au sein des pays en matière de perceptions et de préoccupations, apparues au fil du temps ou d’une région à l’autre, ont tendance à entrer en corrélation avec les estimations statistiques relatives aux inégalités (Kerr, 2014[4] ; McCall et al., 2017[5] ; Bussolo et al., 2019[2] ; Kuhn, 2019[6] ; Colagrossi, Karagiannis et Raab, 2019[7] ; Giger et Lascombes, 2019[8] ; Xu et Garand, 2010[9] ; Newman, Shah et Lauterbach, 2018[10] ; Franko, 2017[11]).

À l'échelle des pays, l’évolution du niveau de préoccupations liées aux disparités de revenu est plus étroitement liée à l'évolution des inégalités en termes de revenu disponible qu’en termes de revenu marchant (Tableau 2.1, colonne 1-3). Il faut en déduire que les perceptions des individus tiennent compte de la redistribution effectuée à travers les impôts sur le revenu et les transferts monétaires. Ainsi, si les inégalités du revenu marchand augmentent mais sont compensées par une redistribution efficace, les préoccupations n'évolueront pas de façon significative. De même, si les inégalités du marché ne changent pas mais que la redistribution faiblit, les préoccupations liées aux inégalités auront tendance à augmenter5.

L'évolution des préoccupations liées aux disparités de revenu ne semble pas étroitement liée au contexte macro-économique. Par exemple, des taux d’emploi et des PIB par habitant plus élevés entraînent une baisse des préoccupations alors qu’un chômage plus faible semble les faire monter, mais de peu dans les deux cas (Tableau 2.1, colonne 4).

Les répondants semblent en moyenne également essentiellement concernés par les différences de revenu entre les niveaux supérieurs et moyens de la répartition (Tableau 2.1, colonne 5), alors que l’écart entre le niveau médian et inférieur de la répartition n’a pas d’effet majeur sur la moyenne des préoccupations. Il faut en déduire que la dynamique de croissance des revenus de la classe moyenne par rapport au sommet de la répartition explique pour une grande partie les préoccupations relatives aux disparités de revenu dans l’ensemble du pays. Le résultat correspond également aux conclusions de Lupu et Pontusson (2011[12]), qui avancent que la structure de l’inégalité – identifiée par la distance entre le 90e centile et le revenu médian – est le moteur essentiel des politiques redistributives observées. Fisman et al. (2020[13]) affirment également, données à l’appui, que le statut social relatif des individus dont les revenus sont élevés est un déterminant particulièrement marqué des préoccupations des individus à l’égard de la répartition des revenus. Leurs résultats indiquent, en outre, que les personnes gardent un œil sur les revenus des individus qui se situent juste au-dessus d’eux dans la répartition.

La colonne 6 du Tableau 2.1 évalue si une autre estimation des inégalités du revenu fiscal de la Base de données mondiale sur les inégalités donne des résultats cohérents avec ceux des indicateurs traditionnels. La Base de données mondiale s'appuie sur des données fiscales et identifie plus précisément le sommet de la répartition. Les résultats indiquent que le principal élément déclencheur des préoccupations est la part du revenu détenue par les 10 % les plus riches alors que la part détenue par 1 % des plus riches n'a, en soi, aucun effet particulier.

Les résultats sont les mêmes au niveau individuel, après contrôle d’un ensemble important de caractéristiques qui influencent les préoccupations. Au niveau individuel, il est également possible d’observer les répercussions sur l’ensemble des réponses possibles à la question du PIES. Lorsque les inégalités augmentent dans leur pays, les personnes interrogées sont plus susceptibles d’être tout à fait d’accord avec le fait que les disparités de revenu sont trop importantes et moins susceptibles de donner une tout autre réponse (Graphique 2.6).

Pour comprendre comment et pourquoi les préoccupations relatives aux disparités de revenu ont évolué au fil du temps en fonction des inégalités de revenu, il est essentiel de rappeler qu’elles associent deux éléments :

  • Les perceptions individuelles de l’étendue des inégalités de revenu, c’est-à-dire celle qu’ils s’imaginent ;

  • Les préférences des individus en matière d'égalité des revenus, c’est-à-dire celle qui devrait être selon eux.

Ainsi, une hausse des inégalités peut influencer les préoccupations à l’égard des disparités de revenu de deux façons :

  • Les personnes peuvent intégrer à leurs perceptions des informations sur la hausse des inégalités (les perceptions s'ajustent à la réalité), ce qui peut accentuer leurs préoccupations à ce sujet.

  • Les préférences des personnes s'adaptent aux niveaux élevés d’inégalités car les individus deviennent progressivement plus tolérants face aux inégalités et en viennent à admettre un niveau d’inégalités plus élevé (Trump, 2018[14]).

Les perceptions et les préférences peuvent se combiner différemment en fonction des hausses des inégalités. Ainsi, lorsque les inégalités progressent, les préoccupations peuvent faire de même si les individus perçoivent des inégalités qui s'éloignent de ce qu’ils sont prêts à admettre. Les préoccupations peuvent ne pas évoluer si les individus ignorent les signes ou si les nouvelles perceptions et préférences en matière d’inégalités s'équilibrent l’une l'autre. Elles peuvent même diminuer si les individus s'adaptent à des inégalités plus marquées.

Les éléments d’information sur la façon dont les préoccupations relatives aux inégalités des individus évoluent sur le long terme (Graphique 2.2) et sur la façon dont elles évoluent par rapport aux indicateurs des inégalités (Tableau 2.1) révèlent que les individus ont davantage tendance à ajuster leurs perceptions à la réalité plutôt que d'adapter leur niveau de tolérance.

Un déterminant fondamental des préoccupations des personnes au sujet des inégalités est leur propre revenu. En effet, ceux qui se trouvent au bas de l'échelle de répartition des revenus sont plus inquiets à l’égard des inégalités que ceux qui occupent le sommet (Rueda et Stegmueller, 2020[15]). Lorsque les inégalités augmentent, le niveau moyen de préoccupation peut augmenter lui aussi, mais pas uniquement parce que les personnes deviennent plus inquiètes au sujet du niveau général des inégalités (Alesina et Giuliano, 2011[16]). Les préoccupations augmentent aussi parce que les revenus d’un plus grand nombre de personnes tombent sous la moyenne et, pour eux, leur situation relative dans l’échelle de répartition s’est dégradée. C’est le mécanisme derrière le modèle de référence Meltzer-Richard (Meltzer et Richard, 1981[17]), selon lequel la demande de redistribution augmente lorsque l’inégalité progresse, parce que l'électeur médian devient plus pauvre que la moyenne. Ceci indique que :

  • la perception à la fois du niveau général des inégalités et de la situation individuelle de la personne dans l’échelle de répartition est essentielle ;

  • l’effet produit par les inégalités sur les préoccupations à ce sujet et sur les préférences en matière de redistribution dépend du revenu relatif.

Le chapitre 3 examine en détail le rôle que joue le revenu des individus – à la fois réel et perçu – dans la modulation des perceptions et des préoccupations à l’égard des inégalités et fait le lien avec les préférences en matière de redistribution.

Les préoccupations relatives aux disparités de revenu dépendent également des opinions quant à l’origine de ces disparités. Les personnes qui pensent que le fait de travailler dur est un facteur de réussite économique plus important que d’autres acceptent plus facilement que certains individus gagnent plus que d'autres en récompense des efforts fournis (Fong, 2001[18] ; Alesina et Giuliano, 2011[16] ; Karayel, 2015[19] ; Clark et D’Ambrosio, 2015[20] ; Daniels et Wang, 2019[21] ; Mijs, 2019[22] ; Almås, Cappelen et Tungodden, 2020[23]). À l’inverse, ceux qui pensent que la chance et le hasard des circonstances sont un facteur de réussite économique sont plus préoccupés par les inégalités (Graphique 2.7). Et dans les pays où les personnes pensent majoritairement que le patrimoine familial influence peu la réussite et que le fait de travailler dur est plus important pour s’en sortir dans la vie, les inégalités de revenu inquiètent moins. Les pays qui croient fermement en l'égalité des chances comptent certains pays nordiques – Islande, Suède et Norvège, mais pas le Danemark et la Finlande – et la plupart des pays anglophones (voir également les données en lien de Benson (2021[24]) sur l’importance accordée à la méritocratie par les personnes interrogées au Royaume-Uni). Alors que les États-Unis sont généralement décrits comme un pays de mobilité sociale, il se situe en réalité au niveau médian quant à la perception de l’importance du patrimoine parental. Toutefois, c’est également le pays qui croit le plus fermement en l’importance de travailler dur. Dans les autres pays, les modèles sont moins tranchés. Les pays de l’Europe méridionale et en phase de post-transition ont tendance à considérer que le patrimoine parental compte, quoique pour certains d’entre eux la moyenne des personnes interrogées pense que le fait de travailler dur est payant. Si son niveau de préoccupations à l’égard des inégalités équivaut presque à la moyenne des pays anglophones, le Japon accorde moins d’importance au patrimoine familial et au fait de travailler dur. La Corée, en revanche, se situe à l’opposé du spectre puisqu’elle considère que le patrimoine parental joue un rôle essentiel et croit fermement en l’importance de travailler dur.

Les deux parties suivantes tentent de démêler encore un peu plus les perceptions des individus et leurs préférences quant aux inégalités, et de comprendre comment ces données évoluent avec le temps. La partie 2.2 s’intéresse aux perceptions et la 2.3 aux préférences. L'analyse nécessite à l’évidence d'aborder la vision qu’ont les personnes de l'égalité des chances et de la vertu du travail.

Pour distinguer les différents facteurs qui alimentent les préoccupations des individus au sujet des inégalités de revenu, il est possible de leur demander quel est, selon eux, le niveau actuel des inégalités économiques (leur perception), et à quel niveau il devrait se situer, d'après eux (leurs préférences).

Les enquêtes qui collectent des informations sur les disparités économiques perçues par les individus portent sur différents résultats. L’enquête de l’OCDE Des risques qui comptent s’intéresse aux revenus des ménages, alors que le PIES interroge les personnes au sujet des disparités de salaire.6 Malgré ces différences, il est intéressant d’observer comment sont perçues les disparités dans ces deux résultats économiques pour deux raisons. Premièrement, il n’existe pas d'étude qui couvre à la fois la perception des inégalités de salaire et de revenu. De plus, les données pour ces deux perceptions ne sont pas toujours disponibles pour tous les pays de l’OCDE et toutes les périodes étudiées. En réalité, l'analyse des évolutions de ces variables n’est possible qu’avec le PIES pour la perception des disparités de salaire. Deuxièmement, il est nécessaire de prendre en considération que les perceptions et les préférences en matière de disparités de rémunération peuvent différer de celles des disparités de revenu. Par exemple, les personnes peuvent tolérer plus facilement des disparités de salaire, parce que ces écarts peuvent être rééquilibrés par des allocations sociales versées aux ménages composés de membres peu rémunérés. En effet, le salaire ne représente qu’une partie du revenu. Ainsi, les préoccupations au sujet des disparités de salaire peuvent être considérées comme un des déterminants des préoccupations générales au sujet des disparités de revenu.

La plupart des personnes perçoivent des niveaux d’inégalités élevés à la fois en termes de revenu et de salaire. D'après les résultats de l’enquête de l’OCDE de 2020 Des risques qui comptent, les répondants estiment en moyenne que la part du revenu total de leur pays qui revient aux 10 % des ménages les plus riches est extrêmement importante (Graphique 2.8). Dans les 25 pays de l’enquête, la perception moyenne est que la part des 10 % les plus riches dans le revenu national est de 42 % - entre 38 % au Danemark et 67 % en Turquie. Pour mettre les perceptions en perspective, la dernière estimation moyenne de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus est que la part du revenu disponible des 10 % les plus riches est de 25 % dans les pays de l’enquête Des risques qui comptent.

Le PIES 2009, qui couvre un large éventail de pays, s’est intéressé aux perceptions des disparités de salaire. Il a trouvé que, en moyenne, les répondants médians pensaient que les travailleurs les plus qualifiés (médecins et PDG) gagnaient près de 9 fois plus que les ouvriers non qualifiés. Toutefois, il existe des écarts importants dans la perception au sein des pays du rapport entre les salaires les plus élevés et les plus bas, qui va de 3 pour la Suède à 26 pour la Corée.

Dans la plupart des pays, la perception dominante est que les inégalités de revenu ont augmenté au cours de la dernière décennie (Graphique 2.9).7 Face à une question rétrospective, le répondant est généralement plus susceptible de répondre que les inégalités sont en hausse. D'autres études, comme le Baromètre d’opinion français, l’enquête récemment menée par Ipsos MORI au Royaume-Uni pour la revue de Deaton (Garret et Day, 2021[25]) et l’American Election Studies (Macdonald, 2019[26]), rapportent des données similaires, et la plupart des répondants affirment que les inégalités sont en hausse ces dernières années.

Comme le montre une documentation abondante (Alesina et Giuliano, 2011[16]), le point de vue des individus sur la mobilité intergénérationnelle joue un rôle essentiel dans la forme que prennent leurs préoccupations relatives aux inégalités de résultats de la période (à la fois des salaires et des rémunérations). Ce rôle central va dans le sens de l’interprétation de l’hypothèse, formalisée par Benabou et Ok, d’une perspective future de mobilité ascendante (POUM) du point de vue intergénérationnel (Benabou et Ok, 2001[27]). Selon l’hypothèse POUM, les personnes sont moins préoccupées par leur situation actuelle si elles pensent que leurs descendants ont de bonnes chances de progresser sur l’échelle des revenus. De plus, la recherche a montré que les inégalités de revenu et la mobilité sociale présentaient une relation inverse, entre les pays (OCDE, 2018[28]) et au niveau national, car les chances de pouvoir s'élever sur l’échelle des revenus sont moindres dans les régions où les inégalités sont plus fortes (Chetty et al., 2014[29]). On sait moins si la perception des individus correspond à cette constatation – si la mobilité intergénérationnelle perçue est plus basse là où les inégalités perçues en matière de revenu ou de salaire sont plus fortes (voir Alesina, Stantcheva et Teso (2018[30]) pour des données dans ces différents domaines sur les États-Unis).

D'après la dernière enquête Des risques qui comptent, menée dans les pays de l’OCDE, les personnes pensent qu’un enfant né dans un foyer relevant du décile le plus bas dans l'échelle des revenus a de très fortes probabilités de s’y trouver encore une fois à l’âge adulte (Graphique 2.10, panel A). Ils sont en moyenne 55 % des personnes interrogées à en être convaincus, et ce pourcentage va de 47 % en Norvège, Pologne et au Danemark, à 64 % en Autriche. Les femmes perçoivent une persistance intergénérationnelle plus forte que les hommes mais elles estiment que la part du revenu détenu par 10 % des plus aisés est moins élevée que ne le pensent les hommes (Ciani et al., 2021[1]).

Il est possible de dresser un tableau plus qualitatif des convictions des personnes interrogées dans le cadre du PIES au sujet de l’importance du contexte familial (Brunori, 2017[31]). Il s’intéresse à deux types de caractéristiques familiales : le patrimoine familial et l’instruction des parents. Il existe des différences conceptuelles entre les deux bien qu’elles soient en corrélation. Des parents aisés, par exemple, peuvent financer l’éducation ou les projets professionnels de leurs descendants. De même, des parents fortement instruits peuvent influencer la réussite de leurs descendants, quel que soit le niveau de richesse familial, en transmettant des connaissances différentes, par exemple. En effet, en France, Belgique, Espagne et au Chili, un pourcentage beaucoup plus élevé de répondants convient qu’il est plus important d'avoir des parents instruits pour réussir dans la vie que des parents riches (Graphique 2.10, panel B).

Un indice de la persistance intergénérationnelle perçue, construit à partir de la moyenne de l’importance accordée à l’instruction et au patrimoine des parents, indique des écarts flagrants entre les pays (Graphique 2.10, panel B). La persistance intergénérationnelle perçue est très forte en Turquie et en Pologne mais faible en Finlande, Norvège et Danemark. Les États-Unis, souvent cités comme le pays où les personnes croient le plus fortement à la promotion sociale, se classent au milieu de cette répartition.8

En moyenne, les perceptions des individus en matière de mobilité intergénérationnelle sont en droite ligne avec ce que l’on appelle « la courbe de Gatsby le Magnifique » selon laquelle une hausse des inégalités entraîne une ascension sociale moindre pour la future génération. Dans l’enquête Des risques qui comptent, les perceptions relatives à la persistance intergénérationnelle parmi les 10 % les plus riches et les plus pauvres en termes de revenu sont étroitement liées (Graphique 2.11). De même, d'après le PIES 2009, la perception d’écarts très marqués entre les salaires les plus élevés et les plus bas est associée à l’idée selon laquelle il est particulièrement important d'avoir une famille riche ou des parents instruits pour réussir dans la vie.9 Ces résultats présentés par l’enquête Des risques qui comptent et le PIES correspondent à des données expérimentales qui indiquent que, lorsque les personnes reçoivent des informations pessimistes au sujet du niveau des inégalités, leur confiance envers la mobilité intergénérationnelle s'affaiblit également (McCall et al., 2017[5] ; Davidai, 2018[32] ; Browman, Destin et Miele, 2020[33]) et, de même, lorsqu’elles reçoivent des informations pessimistes sur la mobilité, elles perçoivent des inégalités en hausse (Shariff, Wiwad D et Aknin, 2016[34]).

Les perceptions dans les pays sont en étroite corrélation avec les estimations traditionnelles des inégalités, aussi bien les inégalités de revenu que de salaire (Graphique 2.12). De même, là où la persistance intergénérationnelle est fortement perçue, les estimations de l’élasticité des salaires ou de l’instruction entre les pères et leur fils sont plus élevées (une plus forte élasticité signifie que les salaires/l’instruction du fils sont plus fortement liés à ceux du père, signe d’une persistance intergénérationnelle plus forte) (OCDE, 2018[28]).10 Il faut en déduire que les personnes façonnent leurs perceptions des inégalités de revenu et de la mobilité sociale en incorporant au moins quelques informations sur les résultats économiques réels. Cette constatation correspond également à des données d’observation précédentes mentionnées par Kuhn (2019[6]), Bussolo et al. (2019[2]), Roth et Wohlfart (2018[35]) et Domènech-Arumí (2021[36]).

Une série d’expériences d’étude ont exploré dans quelle mesure les perceptions des personnes tiennent compte des informations relatives à l’ampleur des inégalités. Pour ce faire, les chercheurs ont donné à un sous-ensemble de répondants sélectionnés de façon aléatoire des informations sur l’ampleur actuelle des inégalités tirées d’études ou des médias. Ils ont ensuite comparé la perception de ces individus à celle d’un sous-ensemble de participants qui n’ont pas reçu les informations. Ils ont constaté que les individus qui avaient reçu les informations au sujet du niveau élevé des inégalités percevaient des inégalités plus importantes en termes de résultats et de perspectives d’avenir et étaient plus préoccupés à ce sujet (Encadré 2.1), corroborant ainsi les observations faites (Graphique 2.12, par exemple).

Les perceptions et les indicateurs traditionnels des inégalités ne correspondent pas parfaitement. Les perceptions relatives à la part du revenu détenu par les 10 % les plus riches et à la persistance intergénérationnelle des revenus parmi les 10 % les plus bas dépassent les mesures traditionnelles. Par exemple, la moyenne des perceptions relatives à la part du revenu détenu par les 10 % les plus riches, parmi les 25 pays de l’enquête Des risques qui comptent est de 52 % alors que l’estimation moyenne de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus est 25 %. L’outil Comparez votre revenu, qui utilise une méthode différente, parvient aux mêmes résultats pour la part du revenu des 10 % les plus riches.

Les mesures statistiques relatives à la probabilité pour que les enfants les plus pauvres le restent une fois à l’âge adulte ne sont pas disponibles pour tous les pays. Celles qui le sont témoignent une fois de plus des divergences entre les perceptions et les statistiques. Les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête Des risques qui comptent en Italie et aux États-Unis pensent que la persistance intergénérationnelle touchera respectivement 53 % et 52 % des enfants des 10 % des foyers les plus modestes. Les estimations statistiques trouvent des pourcentages bien inférieurs - 16 % pour une cohorte de 1980 en Italie (Acciari, Polo et Violante, 2019[39]) et 20 % pour des cohortes en 1980-82 aux États-Unis (Chetty et al., 2014[29]).

Ces différences entre perceptions et indicateurs traditionnels ne devraient pas nécessairement être interprétées comme le résultat d’un biais pour trois raisons principales (détaillées dans l’Encadré 2.2) :

  1. 1. Les personnes interrogées peuvent penser en termes de richesse, plutôt que de revenus, bien que les questions de l’enquête Des risques qui comptent fassent explicitement référence aux revenus.

  2. 2. Les estimations traditionnelles traduisent des choix méthodologiques alors que les individus en utilisent probablement d’autres, avec des définitions différentes.

  3. 3. Les questions sont compliquées pour les répondants et les différences estimées entre les valeurs perçues et les estimations traditionnelles dépendent fortement de la façon dont la question est définie et formulée.

Les réponses aux questions quantitatives concernant les perceptions liées aux inégalités et à la mobilité sociale donnent des résultats fiables et intéressants qui vont au-delà du biais. Malgré la complexité des définitions et des questions, les perceptions moyennes des personnes interrogées sont en constante corrélation avec les estimations traditionnelles dans les pays, ce qui indique qu’elles traduisent des disparités réelles. En s’intéressant aux perceptions - notamment celles liées aux inégalités de revenu, aux disparités de salaires et à la persistance intergénérationnelle - les chercheurs en apprennent davantage sur la façon dont les individus traitent les informations (Phillips et al., 2020[40]). De plus, comme l’indique le chapitre 3, les réponses données à ces questions quantitatives sur la perception des inégalités et de la mobilité sociale permettent de prédire correctement les préférences en matière de redistribution, à la fois au niveau individuel et national. Enfin, elles fournissent des descriptions de la répartition (et de la polarisation) des perceptions dans un pays (voir chapitre 4). Ces descriptions sont plus riches et diffèrent de celles obtenues à partir de questions qualitatives auxquelles la plupart des personnes ont tendance à donner la même réponse, à savoir « d'accord ». Néanmois, pour des raisons de méthodologie, il est important de :

  • employer un large éventail de mesures des perceptions qui devraient comprendre des questions qualitatives ;

  • analyser les différences en matière de disparités et comment elles diffèrent des perceptions.

Pour comparer les perceptions des pays et les estimations traditionnelles sans s'attarder sur la différence précise des définitions, il convient d’utiliser ces deux données comme des indicateurs pour classer les pays selon les résultats obtenus : élevé, moyen ou faible. Le Tableau 2.2 classe les pays à partir des estimations de la part du revenu détenue par les 10 % les plus riches, tirées de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus, et de la perception moyenne de cette part, tirée de l’enquête Des risques qui comptent. Pour la persistance intergénérationnelle, il propose un classement des pays selon l’estimation de l'élasticité des revenus entre pères et fils (disponible pour un large éventail de pays de l’OCDE) et la perception de la persistance intergénérationnelle parmi les 10 % les plus pauvres.

Les résultats pour les inégalités de revenus correspondent globalement pour les pays situés en bas et en haut du classement. Les pays nordiques présentent des niveaux relativement bas d’inégalités, mesurés et perçus, alors que le Chili, le Mexique et la Turquie affichent des niveaux élevés. Pour la persistance intergénérationnelle, les pays nordiques affichent une fois de plus des niveaux bas pour les deux indicateurs alors qu’ils sont relativement élevés pour l’Autriche, l’Allemagne et le Chili.

Toutefois, à l’échelle d'un pays, les niveaux d’inégalités et de persistance intergénérationnelle perçus et mesurés peuvent être très différents. Certains pays présentent un niveau plus faible d’inégalités perçues que le niveau mesuré – c'est le cas de la France, Israël, l’Italie, la Lituanie et les Pays-Bas – et c'est l’inverse pour d'autres comme l’Autriche, la Belgique, le Canada, la Finlande et la Grèce. Pour la persistance intergénérationnelle parmi les 10 % les plus pauvres, les perceptions en France et en Italie sont plus basses que les indicateurs traditionnels, comme au Canada, en Suisse et aux États-Unis. En Grèce, Irlande et Turquie, toutefois, le niveau de la persistance intergénérationnelle perçu est plus élevé que celui des estimations traditionnelles.

Les disparités perçues sous la forme du ratio entre les salaires les plus élevés et les plus faibles progressent significativement depuis longtemps. Elles ont généralement atteint un sommet pendant la crise financière mondiale et sont ensuite retombées au cours de la décennie suivante. Entre les années 1980 et la crise financière mondiale, le ratio médian perçu entre les salaires les plus élevés et les plus faibles a progressé dans les 13 pays pour lesquels des données sont disponibles (Graphique 2.13 et Giger et Lascombes (2019[8])). Globalement, il a doublé et est passé de 5 à 10 entre la première vague du PIES et 2009. Au cours de la décennie suivante, alors qu’il était toujours plus élevé que 30 ans auparavant, il est tombé de 10 à 8 (comme l’indique le PIES 2019).

Parmi les pays étudiés dans le PIES depuis 1987, cette hausse était particulièrement marquée en Australie (Leigh, 2013[46]) et aux États-Unis, ainsi que dans les pays qui opèrent leur transition vers une économie de marché, comme la Pologne et la Hongrie. Pour les pays observés depuis 1992, la hausse a été marquée en Allemagne, en Italie et en Slovénie. La chute depuis la crise financière mondiale a été particulièrement forte en Australie où les disparités de salaire perçues avaient atteint un très haut niveau en 2009. Toutefois, elles sont restées stables en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, ce qui s’explique éventuellement par le fait que, dans ces deux pays, la dernière étude du PIES a été menée en 2020, pendant la pandémie.

Pendant les 30 dernières années, la perception moyenne de la persistance intergénérationnelle n’a que faiblement diminué, d’après l’indice construit à partir des réponses qualitatives du PIES au sujet des caractéristiques parentales importantes pour réussir dans la vie (Graphique 2.14, panel A). Au niveau national, toutefois, le phénomène est différent. Entre la fin des années 1980 ou le début des années 1990 et la crise financière mondiale, la hausse a été marquée en Australie, Allemagne, Hongrie, Slovénie et aux États-Unis pour les deux critères de richesse et d’instruction des parents (Graphique 2.14, panel B). L'évolution était également conséquente en Pologne où, toutefois, la perception selon laquelle il est important de venir d’une famille riche a diminué. En Nouvelle-Zélande, Italie, Autriche et Suède, en revanche, les répondants au PIES de 2009 indiquent que la persistance était moins forte qu’à la fin des années 1980 ou au début des années 1990. Au cours de la décennie qui a suivi la crise financière mondiale, la perception de la persistance a diminué en Australie, Suisse et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni. Néanmoins, elle a augmenté dans les autres pays, notamment en Nouvelle-Zélande et en Italie où elle a plus que rattrapé la baisse constatée au cours des deux décennies précédentes.

Des données montrent que la pandémie actuelle et la récession qu’elle entraîne ont révélé des inégalités déjà existantes (Blundell et al., 2020[47]). Ainsi, une prise de conscience à l'égard des disparités de revenu et du manque de mobilité intergénérationnelle a aussi pu avoir lieu. En effet, les résultats de l’enquête Des risques qui comptent montrent que les personnes qui déclarent avoir été confrontées à des problèmes de santé ou des difficultés d’ordre économique pendant la crise du COVID-19, personnellement ou dans leur foyer, perçoivent des inégalités et une persistance intergénérationnelle plus fortes que les autres (Tableau 2.3).11 (Voir OCDE (2021[48]) pour un approfondissement de la question de l’insécurité des ménages pendant la crise du COVID-19). Cette perception n’est pas liée à des différences de statut socio-économique ou de caractéristiques démographiques chez les personnes interrogées. Elle ne peut pas non plus être imputée aux changements mentionnés au sujet de la situation financière de leur ménage ou aux performances macro-économiques de leur pays au cours des 12 mois précédents. Si les individus touchés par le COVID-19 ont tout de même pu percevoir des niveaux d’inégalités plus élevés, l’impact de la pandémie et des inégalités économiques a pu exacerber ces perceptions (Tableau 2.3).

Dans tous les pays, les disparités économiques que les personnes sont prêtes à accepter (c'est-à-dire leurs préférences) sont nettement inférieures à celles qu’elles perçoivent. Dans tous les pays de l’OCDE et de l’UE couverts par le PIES 2009, le ratio médian préféré entre les salaires les plus élevés et les plus bas - les salaires que les personnes jugent acceptables - équivaut à moins de la moitié du ratio qu'ils perçoivent, soit 4 contre 9 (Graphique 2.15). De même, l’outil numérique Comparez votre revenu indique que, dans les pays de l’OCDE pour lesquels les données sont disponibles, la préférence quant à la part du revenu des 10 % les plus riches affiche près de 20 points de pourcentage de moins en moyenne que la part perçue (Balestra et Cohen, 2021[41]).12

Les préférences quant aux niveaux d’inégalités, à la fois en termes de salaires et de revenus, sont également plus homogènes dans les différents pays que les niveaux perçus dans le domaine. Le ratio considéré comme acceptable entre les salaires des plus riches et des plus pauvres va de 2, en Suède, à 9 au Chili, contre 3 et 20 respectivement pour les niveaux perçus. La part du revenu des 10 % les plus riches considérée comme acceptable est plus basse en Norvège où elle affiche 24 % et plus élevée en Pologne, avec 36 %, alors que les parts perçues varient entre 40 % et 60 %. La plupart des gens tolèrent un certain degré d’inégalité. En effet, le ratio médian « acceptable » des salaires est toujours loin de 1 et la moyenne de la part du revenu détenue par 10 % des plus riches considérée comme souhaitable est toujours plus élevée que sa valeur réelle (qui est de 10 %).

La faible corrélation entre les préoccupations quant aux disparités de revenu et les mesures traditionnelles réalisées dans ce domaine (Graphique 2.3) peut potentiellement s’expliquer par le fait que les personnes des pays où les inégalités sont plus fortes ont tendance à les tolérer davantage.13

Les données relatives aux ratios préférés entre les salaires des plus riches et des plus pauvres vont dans le sens de cette hypothèse (Graphique 2.16). Dans les pays où les écarts de salaire brut sont plus élevés, les préférences en la matière le sont également (d'après les mesures de l’enquête PIES). Australie et les États-Unis en sont de bons exemples. Dans ces deux pays, la valeur médiane des ratios entre les salaires des déciles supérieurs et inférieurs, perçus par les personnes interrogées, est élevée – 23 en Australie et 20 aux États-Unis selon le PIES 2009, contre 9 en moyenne pour l'OCDE. Mais ils sont également prêts à tolérer des ratios avoisinant 7, contre 4 en moyenne pour l’OCDE.

En revanche, cette hypothèse n’est pas étayée par les données de l’outil numérique Comparez votre revenu. D'après cet outil, les niveaux de préférence concernant la part du revenu détenue par les 10 % les plus riches ne sont pas supérieurs dans les pays où les inégalités sont fortes. Ces données contradictoires, en faveur et à l’encontre de l’hypothèse, peuvent s’expliquer par le fait que les personnes sont plus prêtes à accepter des écarts de salaire plus importants (comme le montre le PIES) plutôt que des différences dans les revenus des ménages (comme le montre Comparez votre revenu) donc ils adaptent leurs préférences plus facilement aux niveaux réels. En effet, les préférences peuvent être plus homogènes lorsqu’il s’agit de disparités parmi les revenus des ménages, qui tiennent compte des impôts et des transferts.

Selon une autre interprétation, les personnes se forgent leur propre notion du ratio qu’ils souhaiteraient voir entre les salaires les plus élevés et les plus bas à partir de leur estimation du ratio actuel (Osberg et Smeeding, 2006[49] ; Pedersen et Mutz, 2018[50]), comme le confirme la proche corrélation entre les logarithmes des ratios perçus et préférés au niveau individuel (0.69 pour la vague de 2009 du PIES).14 Ceci ne s’applique pas aux parts perçues et préférées du revenu détenues par les 10 % les plus riches qui ne sont presque pas corrélées au niveau individuel dans les données de Comparez votre revenu. Cette corrélation est peut-être très faible parce que les répondants considèrent la part du revenu détenue par les 10 % les plus riches comme un concept éloigné puisqu’ils sont peu à se considérer comme appartenant à cette portion de la population (Balestra et Cohen, 2021[41]). Les répondants sont donc plus susceptibles d’envisager leur préférence vis-à-vis de la part du revenu des 10 % les plus riches d’un point de vue purement altruiste, même s’ils font partie de ce groupe (ou pourraient être amenés à en faire partie à l'avenir). Par conséquent, les réponses sont plus homogènes et se rapprochent d’un « idéal ».

Entre la fin des années 1980 et la crise financière mondiale, le niveau de disparités préféré a augmenté mais dans une moindre proportion que le niveau de disparités perçu (Graphique 2.17), ce qui n’a compensé qu’en partie cette hausse. Les écarts entre les ratios préférés et perçus entre les salaires des plus riches et des plus pauvres permettent de mesurer les préoccupations quant aux écarts de salaires parce que cela traduit la tension entre ce que les personnes perçoivent et ce qu’elles sont prêtes à accepter. Dans la droite ligne de l'étude de Schneider (2011[51]), cet écart est donné par la différence logarithmique entre les deux ratios, soit un ratio de ratios. L'évolution de cet écart peut être attribuée à des hausses des ratios perçus ou des augmentations des ratios préférés (Graphique 2.18, panel A).

Si les ratios perçus ont progressé dans la plupart des pays, les niveaux tolérés de disparités aussi. Par conséquent, les préoccupations des individus au sujet des disparités de salaires ont diminué compte tenu de l’évolution des préférences. En effet, si les préférences en matière de disparités de salaires n’avaient pas augmenté, l'accroissement moyen de l’écart entre les disparités perçues et préférées dans les pays de l’OCDE aurait été presque deux fois plus important. Cet effet de compensation a été particulièrement fort en Australie, mais aussi en Pologne et en Hongrie, des pays où les écarts salariaux importants étaient très mal acceptés au départ – à la fin des années 1980, les ratios médians étaient de 2/1 et 2/2, respectivement (comme en Norvège et en Suède au début des années 1990).

Au cours de la décennie qui a suivi la crise financière mondiale, une légère baisse du ratio préféré entre les salaires les plus élevés et les plus bas a été observée dans la plupart des pays du PIES jusqu’en 2019 (Graphique 2.18, panel B). En Norvège, Suisse et au Royaume-Uni, la baisse a compensé celle du ratio perçu, comme en Australie, Italie et Slovénie, dans une moindre mesure. Toutefois, il n’y a qu’en Slovénie que l'écart entre les disparités de salaire perçues et préférées a atteint les niveaux du début des années 1990. Enfin, en Nouvelle-Zélande et Allemagne, où la dernière vague du PIES a été menée pendant la pandémie de COVID-19, les disparités de salaires préférées ont baissé alors que les niveaux perçus ont augmenté, entraînant ainsi une hausse des préoccupations.

La hausse de l'ampleur tolérée des disparités de salaire entre la fin des années 1980 et la crise financière mondiale a été plus raide dans les pays où les niveaux de disparités perçus ont le plus progressé. Cette tendance peut traduire des « préférences adaptatives » – quand les personnes s'habituent à vivre dans une société moins égalitaire, ils les acceptent davantage (Benabou et Tirole, 2006[52]). Toutefois, l’évolution au fil du temps des préférences relatives au ratio entre les salaires les plus élevés et les plus bas peut aussi s’expliquer par la tendance des personnes interrogées à se forger leur idée des disparités « acceptables » à partir des différences de revenu qu’ils perçoivent, comme cela a été abordé précédemment. Bien que les données ne permettent pas de choisir entre l’une ou l’autre des explications, il est important de souligner que les perceptions de disparités de salaire importantes ont tendance à être compensées par les préférences dans ce même domaine, ce qui entraîne une hausse moins prononcée des préoccupations à cet égard. Des données tirées d’expériences d’étude en Suède et aux États-Unis montrent que les personnes adaptent leurs préférences lorsqu’ils reçoivent l’information selon laquelle les niveaux actuels d’inégalités sont élevés (Trump, 2018[14]). Toutefois, les éléments de preuve de ce mécanisme sont encore limités.15

Les niveaux préférés de disparités de revenu et de salaire ont également pu augmenter à cause de la propagation de l’idée selon laquelle le fait de travailler dur compte plus que la chance ou la situation personnelle pour réussir dans la vie (Mijs, 2019[22]). Et de telles idées peuvent en effet s’intensifier au fil du temps. En effet, d'après le modèle proposé par Alesina et Angeletos (2005[53]), l’idée largement répandue selon laquelle le travail acharné compte plus que la chance pourrait donner naissance à une société dans laquelle la redistribution et les impôts sont faibles. Une telle société ancrerait la conviction selon laquelle l’effort individuel détermine le succès individuel, et l’idée de méritocratie du départ finirait par se révéler juste par la réalité (Piketty, 1995[54]). Les différences internationales quant à l’idée de la méritocratie, attribuables, notamment, à l’histoire, pourraient finalement contribuer à la création de deux sociétés proposant des régimes de protection sociale différents.

L’idée selon laquelle il est important de travailler dur pour réussir dans la vie a progressé dans la plupart des pays entre la fin des années 1980 et la crise financière mondiale (Graphique 2.19 et Mijs (2019[22])). Toutefois, contrairement à la prévision du modèle d’Alesina et Angeletos (2005[53]) selon laquelle les différences entre les pays se creuseraient au fil du temps, des signes de convergence ont été observés puisque les pays qui ont le plus évolué sont ceux qui accordaient au départ le moins d’importance au fait de travailler dur.

Entre 2010 et 2019, toutefois, l’importance accordée au travail semble avoir diminué, d'après les données par pays disponibles du PIES 2019. Elle a retrouvé son niveau moyen de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Ceci peut expliquer en partie pourquoi les préoccupations relatives aux disparités de revenu et de salaire ont enregistré une baisse limitée depuis la crise financière mondiale alors que le ratio perçu entre les revenus les plus élevés et les plus faibles s'est contracté.

Selon les pays, des différences importantes existent quant aux niveaux et aux évolutions des préoccupations relatives aux disparités de revenu. Pour les expliquer, il est fondamental de comprendre quelle est l’influence des perceptions et des préférences relatives aux disparités de résultats (comme les salaires), des perceptions de la persistance intergénérationnelle et des convictions quant à l’importance du travail pour réussir dans la vie.

Les colonnes 1-3 du Tableau 2.4 indiquent que plus le niveau des disparités de salaire perçues est élevé, plus les préoccupations relatives aux disparités de résultats augmentent alors qu’elles diminuent lorsque le niveau de disparités tolérées évolue à la hausse. L’idée selon laquelle les caractéristiques des parents influencent la réussite dans la vie engendre une hausse des préoccupations quant aux disparités de revenu alors que l’idée selon laquelle il est important de travailler dur a l’effet inverse. Il est important de noter que les publications sur les enquêtes expérimentales confirment le rôle de ces différents facteurs. Des expériences liées aux informations valident l’importance des perceptions relatives aux disparités économiques et à la persistance intergénérationnelle (Encadré 2.1), alors que des expériences en laboratoire confirment l’importance du rôle que joue l’idée d’un travail assidu (Durante, Putterman et van der Weele, 2014[55] ; Almås, Cappelen et Tungodden, 2020[23]).

Le facteur déclencheur le plus évident de la hausse des préoccupations relatives aux disparités de revenu entre la fin des années 1980 et la crise financière mondiale était le creusement de l’écart entre les disparités de salaire perçues et préférées. Le panel A du Graphique 2.20 propose une illustration simple de l’importance relative des différents facteurs dans l’explication des changements apparus au fil du temps dans les préoccupations relatives aux disparités de revenu :16

  • l’écart entre perceptions et préférences en matière de disparités de salaire,

  • la persistance intergénérationnelle perçue,

  • l’idée qu’il est important de travailler dur.

L’écart croissant entre les perceptions et les préférences en matière de disparités de salaire joue un rôle significatif dans la plupart des pays.17 En revanche, l’évolution des perceptions en matière de persistance intergénérationnelle a peu d’incidence dans la plupart des pays (mis à part en Allemagne, Australie, aux États-Unis et en Slovénie). Enfin, la hausse de l’idée selon laquelle il est important de travailler dur a entraîné une baisse des préoccupations dans tous les pays, quoique légère pour certains.

Pendant la décennie entre 2010 et 2019 (panel B), la diminution de la perception selon laquelle il est important de travailler dur, dans tous les pays à l’exception de l’Italie, a entraîné une hausse des préoccupations. La contribution de la persistance intergénérationnelle perçue était là encore hétérogène et, en moyenne, relativement faible. En Allemagne et en Nouvelle-Zélande, où la dernière vague du PIES a été réalisée pendant la pandémie de COVID-19, les trois facteurs ont été bénéfiques pour les préoccupations relatives aux inégalités de revenu.

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Le PIES est une enquête de longue date qui s’intéresse au domaine social. Il recueille les perceptions et opinions d’un échantillon représentatif de répondants dans un large éventail de pays. Chaque année il porte sur un sujet spécifique. Le module sur les inégalités sociales a été mené lors des vagues de 1987, 1992, 1999 et 2009. Il est réalisé par des comités nationaux du PIES auprès d’un échantillon représentatif de la population du pays. L'année de l’étude varie selon les pays mais le programme est généralement réalisé dans les 2 ans de « l’année du module », soit entre 2008 et 2011 pour le module de 2009. Le module de 2017, qui portait sur les réseaux sociaux, comprenait également des questions sur les inégalités de revenu et les préférences en matière de redistribution mais toutes les autres variables ne sont pas citées dans le présent rapport. Les principales variables reprises ici sont les mêmes pour toutes les années et pour les différents pays observés. Il existe quelques exceptions, comme les salaires perçus et préférés pour différentes professions, abordés dans les parties concernées de ce rapport.

L’Eurobaromètre est une étude menée annuellement pour suivre l’opinion publique des pays membres et candidats de l’Union européenne. Il comporte une partie standard et un rapport spécial. Le rapport spécial de l’Eurobaromètre 471/2017 portait sur « L"équité, les inégalités et la mobilité intergénérationnelle ». L’enquête a été menée auprès de la population âgée de 15 ans et plus dans les 28 États membres, à partir d’un échantillon d’environ 1 000 personnes interrogées par pays.

L'enquête de l'OCDE Des risques qui comptent (Risks that Matter - RtM) est une enquête internationale qui examine les perceptions des citoyens quant aux risques sociaux et économiques ainsi que leur opinion sur la manière dont l’État gère ces risques. La première enquête a été conduite en deux phases, au printemps et à l’automne 2018. La vague de 2020, menée en septembre-octobre 2020, s'appuie sur un échantillon représentatif de plus de 25 000 personnes âgées de 18 à 64 ans dans 25 pays de l’OCDE.

À l’instar d'autres enquêtes, RtM a été menée en ligne par Respondi Limited au moyen d’échantillons recrutés par internet et par téléphone. Une somme nominale est versée aux répondants (1 EUR ou 2 EUR par enquête). L’échantillonnage se fonde sur une méthode modifiée d’échantillonnage par quotas, les critères étant le sexe, le groupe d’âge, le niveau d’instruction et le statut professionnel (au dernier trimestre de 2019). Des pondérations sont utilisées pour corriger toute sous-représentation ou surreprésentation en fonction de ces cinq critères. L’échantillon cible et pondéré se compose de 1 000 répondants par pays.

Comparez votre revenu (CYI, www.compareyourincome.org) est un outil internet développé par l’OCDE pour permettre aux utilisateurs des pays membres de comparer leurs perceptions des inégalités de revenu avec les statistiques sur le sujet tirées de la Base de données sur la distribution des revenus. Pour commencer, les personnes interrogées doivent fournir quelques données socio-démographiques de base sur leur genre, leur pays de résidence, leur âge, la taille de leur foyer et le revenu net de leur foyer. On leur demande ensuite s’ils estiment que leur situation correspond à la distribution de revenu de leur pays et de quel revenu minimum ils auraient besoin pour ne pas faire partie de la catégorie des « pauvres ». Une question consiste à savoir comment ils pensent que la population de leur pays est répartie, en termes de revenu, et comment ils aimeraient qu’elle le soit s’ils avaient le choix. En plus de ces questions, selon une approche modulaire, des modules courts et ponctuels portant sur des sujets spécifiques en lien avec les inégalités ont été ajoutés à l’enquête au fil des années.

Pour compenser le manque de représentativité des échantillons de CYI et obtenir des estimations plus précises, un système de pondération a été développé. Ceci permet d'équilibrer et compenser la surreprésentation et la sous-représentation de certains groupes de la population, au sein de l’échantillon et selon les pays (pour plus de détails, voir Balestra et Cohen (2021[41])). Après nettoyage des données, seuls les échantillons des pays qui présentaient au moins 1 500 observations ont été retenus pour l'analyse.

Notes

← 1. Hormis lorsque cela est précisé, ce chapitre et le reste du rapport ne s’intéressent qu'au pourcentage de personnes interrogées qui se disent tout à fait d'accord avec l’affirmation suivante : « Les écarts de revenu en [pays] sont trop importants ». Il y a deux raisons à cela : (i) une grande majorité des personnes interrogées se disent d'accord avec l'affirmation ; (ii) la variation la plus importante observée au fil du temps concerne les personnes qui se disent tout à fait d’accord. Ciani et al. (2021[1]) propose une étude plus détaillée et une comparaison avec d'autres mesures.

← 2. Il devrait être précisé que le questionnaire du PIES 2017 présente des différences importantes par rapport aux vagues de 1987, 1992, 1999 et 2009, puisqu’il porte essentiellement sur les inégalités sociales et ne relève pas toutes les variables utilisées ci-dessous pour étayer l’enquête et expliquer l'évolution des préoccupations. Le PIES de 2017 s’intéresse plus particulièrement aux réseaux sociaux. La question au sujet des disparités de revenu suit le modèle de celle du PIES de 1987, 1992, 1999 et 2009. Toutefois, en 1987, 1992, 1999 et 2009, les questions relatives aux disparités de revenu étaient posées après avoir demandé aux personnes interrogées d'estimer les revenus d’un large éventail de professions en précisant le niveau de rémunération qu’ils considéraient comme « juste ». Ceci a pu influencer les réponses données aux questions suivantes, plus générales, au sujet des disparités de revenu. La vague de 2019, en revanche, est parfaitement comparable aux vagues précédentes mais n'a été publiée que pour un petit nombre de pays et se poursuit encore dans d'autres. Toutefois, les comparaisons entre les données des diverses vagues d’enquête et celle de 2009, confirment une tendance légèrement à la baisse.

← 3. Uniquement une part limitée de ces évolutions en matière de préoccupations au sujet des disparités s’explique par des changements de la structure socio-démographique (voir Ciani et al. (2021[1])).

← 4. Le Graphique 2.5 et le Table 2.1 n’utilisent que les données qui précèdent 2017 pour deux raisons : (i) certains pays du PIES 2019 ont été étudiés au cours d’une année pour laquelle aucun indicateur relatif aux inégalités n’est encore disponible ; (ii) cela permet de couvrir un plus grand nombre de pays au cours d’une seule vague plutôt que d'associer les données de plusieurs vagues d’enquête.

← 5. Ces résultats sont constants quels que soient les tests de sensibilité effectués comme le retrait des variables indicatrices de temps, en tenant compte de l’année de l’enquête (plutôt que des variables de temps fictives), en utilisant un estimateur en différences premières, en n’utilisant que des séries réalisées à partir de l’ancienne définition du revenu de la Base de données sur la distribution des revenus, en excluant les données de l’Eurobaromètre (ou en intégrant une variable fictive pour les données en lien). En ajoutant les données de la Luxembourg Income Study (LIS), les estimations sont les mêmes pour les deux colonnes (3) et (4) mais les estimations de la colonne (4) deviennent non significatives ; ceci peut être à cause de l’erreur de mesure supplémentaire induite dans la LIS en raison de la fusion de différentes sources de données. Les résultats ne sont pas influencés par un seul pays. Voir Ciani et al. (2021[1]) pour les tableaux de résultats complets.

← 6. Les inégalités de salaire et de revenu peuvent être très différentes pour plusieurs raisons. Par exemple, le revenu d’un ménage comprend également des revenus qui ne proviennent pas de l’emploi et le salaire ne porte que sur l’individu sans prendre en compte le ménage.

← 7. Poser la question n’est pas la même chose qu’observer comment les préoccupations des individus relatives aux inégalités de revenu ont évolué au fil du temps. En effet, les tendances des préoccupations au sujet des disparités (Graphique 2.2) affichent en réalité une baisse des préoccupations au cours de la dernière décennie.

← 8. Osberg et Smeeding (2006[49]) montrent également que, d'après les indicateurs du PIES, les États-Unis ne sont pas un cas à part dans la mobilité intergénérationnelle perçue. Toutefois, Alesina, Stantcheva et Teso (2018[30]) suggèrent que les habitants des États-Unis surestiment la probabilité que les enfants de familles pauvres puissent remonter dans l'échelle sociale. Les publications ne sont pas unanimes à ce sujet (McCall et al., 2017[5] ; Cheng et Wen, 2019[56]).

← 9. L'association dans le PIES est moins forte que dans l’enquête Des risques qui comptent. Ceci s’explique notamment parce que le PIES mesure les perceptions en matière de disparités de salaires et de persistance intergénérationnelle par rapport à la richesse et l’instruction, associant donc des dimensions différentes. Contrairement au PIES, dans Des risques qui comptent ces deux mesures se réfèrent à la distribution des revenus.

← 10. Alors que pour la perception des inégalités des résultats il est possible de comparer des perceptions et des estimations qui font globalement référence à des aspects similaires (la part du revenu des plus aisés ou les disparités de salaire, par exemple), ce n’est pas aussi simple pour la persistance intergénérationnelle. Il y a deux raisons à cela. Tout d'abord, l’indice construit à partir du PIES est qualitatif et mesure deux dimensions, l’une (persistance intergénérationnelle du patrimoine) n'étant pas mesurée par des statistiques internationales. Ensuite, bien qu’il soit intéressant de mesurer la persistance intergénérationnelle du revenu, les estimations ne sont disponibles que pour peu de pays parce que la plupart des estimations traditionnelles s'appuient sur les salaires et l’instruction.

← 11. Être confronté à des problèmes de santé ou des difficultés d’ordre économique comprend les problèmes de santé physique ou psychologique liés à la pandémie, les perturbations professionnelles que cela a entraîné pendant la pandémie ou les difficultés à joindre les deux bouts pendant la crise sanitaire.

← 12. Les résultats de Comparez votre revenu concernant la perception relative à la part du revenu des 10 % les plus riches peuvent être différents de ceux de l’enquête Des risques qui comptent pour plusieurs raisons, notamment compte tenu de la période d’observation (de mai 2015 à mai 2020 pour l’outil en ligne, et de septembre à octobre 2020 pour l’enquête) et de la méthodologie (enquête après consentement des utilisateurs en ligne de l’outil numérique, enquête en ligne à partir d'un panel pour Des risques qui comptent). Toutefois, pour les 20 pays inclus dans les deux outils, en moyenne, les perceptions relatives à la part du revenu des 10 % les plus riches sont relativement identiques. La corrélation est de 0.75 et la différence est en moyenne de 2.9 points de pourcentage seulement. Les résultats des 27 pays de l’OCDE analysés par Balestra et Cohen (2021[41]) confirment également que les perceptions relatives à la part des 10 % les plus riches sont en corrélation avec les valeurs de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus (IDD) (dont la moyenne a été calculée pour les années disponibles à compter de 2015). La corrélation est de 0.5 et la droite de régression a une pente de 0.7, statistiquement significative au seuil de 1 %.

← 13. Par exemple, Roth et Wohlfart (2018[35]) montrent que les individus qui ont grandi pendant des périodes de grandes inégalités de revenu tolèrent plus facilement les niveaux actuels, même lorsque leurs perceptions de ces inégalités correspondent à la réalité.

← 14. C'est l’effet d'ancrage étudié par Pedersen et Mutz (2018[50]).

← 15. La seule autre expérience disponible a été menée par Campos-Vazquez te al. (2020[57]), et elle ne confirme pas les données de Trump pour le Mexique. En fait, les auteurs constatent que le fait de fournir aux répondants des informations sur l’ampleur réelle des inégalités de revenu ou de la mobilité intergénérationnelle n'a pas d’effet sur leurs niveaux de préférence en matière d’inégalité et de mobilité intergénérationnelle.

← 16. La principale limite de cet exercice est que les différentes variables utilisées dans les décompositions sont des mesures imparfaites des concepts sous-jacents (par exemple, le ratio perçu entre les salaires les plus élevés et les plus bas porte sur les salaires et non les revenus). Il permet toutefois de comprendre l’importance et le sens des différentes contributions.

← 17. La hausse de l’importance du rôle joué par les perceptions et les préférences en matière de disparités est mise en évidence par les régressions selon les effets fixes par pays (Table 2.3, colonnes 4 à 6) qui analysent l’évolution au fil du temps des différentes dimensions. Ces régressions par effets fixes reposent toutefois sur un petit nombre de pays (21) observés au moins deux fois pour toutes les variables pertinentes (et permettent d’inclure uniquement l’importance d’avoir des parents aisés, parce que l’importance d'avoir des parents instruits et le fait de travailler dur ne sont pas observés dans une des vagues intermédiaires). Il est donc nécessaire d'aborder ces résultats avec prudence.

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