copy the linklink copied!Chapitre 11. Le contrôle de l’action des IGAI dans les pays de MENA

Ce chapitre examine les différentes formes de contrôle auxquelles sont soumises les IGAI en Jordanie, au Liban, au Maroc et en Tunisie, à savoir le contrôle aux niveaux administratif et politique ; de la part des citoyens et de la société civile ; et juridictionnel.

    

Comme toutes les institutions publiques, les IGAI sont soumises à un ensemble de contrôles, qui constituent des enjeux démocratiques fondamentaux. Ces contrôles visent à assurer que les institutions agissent dans le respect des règles qui les fondent, et ils sont les garants de la subordination des IGAI au pouvoir politique qui émet les normes. Ils assurent parallèlement la légitimité du pouvoir des citoyens, et sont pleinement justifiés par la distance qui sépare l'administration des administrés, laquelle est source d’inégalités. Ces contrôles sont d’ordre hiérarchique, parlementaire, juridictionnel ou exercés par la société civile (Magdalijs, 2004). Dans ce domaine, la législation relative au droit d’accès à l’information dans les pays de la région MENA tient compte des mêmes objectifs et contraintes que celle des pays membres de l’OCDE.

copy the linklink copied!11.1. Le contrôle administratif et politique des IGAI

11.1.1. Le contrôle hiérarchique

Le contrôle hiérarchique s’exerce verticalement par un supérieur sur son subordonné. Il permet juridiquement au premier de substituer son appréciation à celle du second, à moins qu’une disposition législative n’interdise la substitution. Cependant, lorsqu’il est question d’une institution ayant vocation à contrôler l’action de l’administration, il est naturel que ses décisions ne puissent pas être remises en cause par le supérieur hiérarchique de l’administration objet de la décision.

S’agissant des IGAI, le contrôle hiérarchique peut s’exercer dans les cas où elles se trouvent à l’intérieur de la hiérarchie administrative et que rien n’indique dans la législation que leurs avis ou décisions ne peuvent pas être annulées ou réformées par l’autorité hiérarchique. Il serait envisageable de se demander si telle ne serait pas la situation pour le Conseil de l’information jordanien et la Commission d’accès à l’information marocaine qui n’ont pas de personnalité juridique propre et s’intègrent dans les structures administratives de leurs pays.

À l’opposé, le premier alinéa de l’article 23 de la loi libanaise relative au droit d’accès à l’information dispose que la Commission nationale anticorruption libanaise rend des décisions qui ne sont pas soumises à un recours administratif. Quant à l’Instance d’accès à l’information tunisienne, elle échappe à toute forme de contrôle hiérarchique en vertu de l’article 37 de la loi organique qui lui confère l’autonomie. Dès lors, pour renforcer la crédibilité des IGAI jordanienne et marocaine, il serait souhaitable que les autorités compétentes réaffirment explicitement que les décisions de ces deux institutions échappent à tout contrôle hiérarchique et que leurs décisions ne sont pas soumises à l’annulation ou à la réformation par les autorités administratives.

11.1.2. Le contrôle parlementaire

Les législations des quatre pays examinés ne prévoient pas que le fonctionnement des IGAI fasse l’objet d’un contrôle particulier par les Parlements nationaux. Ceux-ci auront donc recours à l’ensemble des moyens de contrôle à leur disposition, telles que les questions adressées au gouvernement, les commissions d’enquête ou les discussions relatives au financement des IGAI tel qu’il apparaît dans le projet annuel de loi de finances. Seul l’article 38 de la loi organique relative au droit d’accès à l’information tunisienne dispose, ainsi que mentionné ci-avant, que l’Instance d’accès à l’information soumette son rapport annuel au président de la République, au président de l’Assemblée des représentants du peuple et au Chef du gouvernement. L’Assemblée des représentants du peuple pourrait examiner le rapport annuel et entendre une fois par an le président de l’Instance d’accès à l’information. De manière générale, il ne peut qu’être profitable que les IGAI établissent des relations étroites avec les Parlements de leurs pays.

copy the linklink copied!11.2. Le contrôle des citoyens et de la société civile

À la lumière de l’histoire politique de la région MENA, il est compréhensible que les citoyens et la société civile veillent désormais attentivement au droit d’accès à l’information et entretiennent des relations suivies avec les IGAI nationales. Cela est d’autant plus vrai que le Printemps arabe a permis l’éclosion d’un grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) qui prônent la transparence et l’accès à l’information comme moyens d’affirmation de la démocratie, l’État de droit et la lutte contre la corruption. Ainsi, Al Bawsala est une association de droit tunisien à but non lucratif qui revendique son indépendance de toute influence politique. Elle cherche à placer les citoyens au cœur de l’action politique en leur donnant les moyens de s’informer sur l’activité des élus et de défendre ses droits fondamentaux. Elle vise aussi à établir des relations avec les élus et les décideurs, à œuvrer à la mise en place d’une bonne gouvernance et d’une éthique politique forte, et à participer à la défense de l’idée de progrès social et d’émancipation des citoyens1. De la même manière, IWatch Tunisia (Ana Yakedh)2, Transparency Maroc3, Transparency Liban4 et Rasheed for integrity and transparency5 sont des ONG qui se consacrent à la défense de la transparence dans la vie publique et économique, et à la lutte contre la corruption. L’association Article 19, pour sa part, est une organisation britannique de défense des droits de l'homme qui se consacre à la défense et la promotion de la liberté d'expression et d'information dans le monde entier, y compris dans la région MENA6.

L’expérience des pays de l’OCDE a montré que le fait de se constituer en réseaux renforce l’influence des organisations de la société civile et favorise le dialogue avec les pouvoirs publics. Le Réseau marocain pour le droit d’accès à l’information (REMDI), créé en 2010, rassemble 16 organisations promouvant le droit d’accès à l’information, facilite les échanges avec le gouvernement, et protège les organisations du risque d’exclusion (OCDE, 2015).

Au moyen des rapports annuels des IGAI, parfois élaborés en collaboration avec la société civile7, les législations promeuvent la culture de l’accès à l’information. De même, à travers des actions de sensibilisation et de formation destinées au public, elles octroient une place essentielle aux citoyens et à la société civile dans l’exercice du droit à l’information. Enfin, l’instauration par les IGAI de relations étroites avec les ONG défendant l’accès à l’information pourrait permettre aux IGAI et aux ONG de réaliser des projets communs dans l’intérêt de tous.

copy the linklink copied!11.3. Le contrôle juridictionnel

Le contrôle juridictionnel est une forme de contrôle parmi d'autres. Mais la décision juridictionnelle, revêtue de l'autorité de la chose jugée, devient exécutable y compris contre l’administration, ce qui en fait un outil essentiel dans la défense de l’État de droit. Dans le respect de l’État de droit et en conformité harmonie avec leur ordonnancement juridique, les quatre pays de la région MENA examinés dans ce rapport ont confié le contentieux relatif aux actes des IGAI à leurs juridictions administratives.

L’article 62 de la Constitution jordanienne prévoit que les juridictions civiles sont compétentes pour les recours contre l’État concernant toutes les personnes et matières, sauf dispositions spécifiques contraires contenues dans la Constitution et les lois en vigueur confiant certains contentieux aux tribunaux religieux ou à des tribunaux spéciaux. La loi n° 27 de 2014 dispose que toutes les décisions administratives, y compris celles des organismes gouvernementaux, peuvent faire l’objet d’un recours en première instance devant la cour administrative dans les 60 jours suivant la décision contestée, et d’un recours en appel devant la même cour dans les 30 jours.

S’agissant d’un organisme administratif, les décisions du Conseil de l’information jordanien sont donc soumises au contrôle de la cour administrative, par exemple, quand ce Conseil signe un contrat administratif. Mais la décision relative à un refus d’accès à l’information du Conseil de l’information jordanien n’est pas elle-même contestable devant la cour administrative. C’est la décision de l’organisme assujetti qui l’est dans les conditions définies par l’article 17 de la loi n° 47 de 2007 relative à la garantie du droit d'accès à l'information. En application de cet article, le demandeur dispose de 30 jours suivant la décision du Conseil de l’information pour saisir le juge concernant la décision de l’organisme concerné. Dans tous les cas, la responsabilité du directeur de la Bibliothèque nationale, qui assure également la fonction de Commissaire à l'information, reste limitée à celle qui relève de sa fonction initiale (art. 15).

S’agissant des décisions relatives aux demandes d’accès à l’information, l’article 31 de la loi organique tunisienne relative au droit d’accès à l’information dispose que le demandeur d’accès à l’information ou l’organisme concerné peuvent interjeter appel auprès du tribunal administratif dans les 30 jours à compter de la date de notification de la décision de l’instance les concernant. En revanche, aucune précision ne figure dans la loi sur les actes collectifs ou généraux pris par l’instance, par exemple ses marchés publics ou les décisions relatives à son personnel. S'agissant d'une institution administrative ou d’une juridiction administrative spéciale, il apparaît naturel que ses actes relèvent de l’ordre administratif dans les conditions de droit commun.

Il serait aussi envisageable de substituer les chambres administratives d’appel au tribunal administratif dans les contentieux relatifs aux demandes d’accès à l’information. Jusqu’en mai 2017, le tribunal administratif siégeait à Tunis exclusivement, et était difficilement accessible aux citoyens des autres régions. La loi organique n° 2001-79 du 24 juillet 2001 relative au tribunal administratif prévoyait pourtant, notamment dans l’article 15, l’instauration de chambres de première instance dans les régions. Plus récemment, l’article 116 de la Constitution de 2014 a précisé que « la justice administrative est composée d’un tribunal administratif supérieur, de cours administratives d’appel, et de tribunaux administratifs de première instance ». En vertu de ces dispositions, le gouvernement a adopté le décret n° 620 portant création de 12 chambres de première instance relevant du tribunal administratif8. À la place du tribunal administratif, ces chambres pourraient en conséquence être déclarées compétentes pour statuer sur les décisions de l’Instance d’accès à l’information, sur la base du lieu de résidence du demandeur, ce qui contribuerait à simplifier les procédures judiciaires pour les citoyens.

Par ailleurs, en application de l’alinéa 2 de l’article 23 de la loi de 2017, les décisions de la Commission anticorruption libanaise peuvent faire l’objet de recours devant le conseil d'État, la seule juridiction administrative du pays, par la voie du recours plein contentieux ou pour excès de pouvoir.

L’article 21 de la loi marocaine prévoit, enfin, la possibilité de contester devant les tribunaux compétents soit la décision du président de la Commission d'accès à l'information, soit directement la décision de refus de l'administration concernée, dans un délai de 60 jours à compter de la réception de la réponse de la Commission du droit d’accès à l’information concernant la plainte ou de l’expiration du délai légal pour répondre à cette plainte. Il semblerait qu’en application de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs9, cette contestation relèverait de la juridiction administrative. Les autres actes administratifs du président de la Commission d'accès à l'information marocain, agissant par exemple en sa qualité d’ordonnateur de l’institution, seraient aussi, par la voie du recours pour excès de pouvoir ou du plein contentieux, de la compétence de la juridiction administrative.

Références

Magdalijs C. (2004), « Le contrôle de l'action administrative, contribution à une typologie orientée des contrôles », Revues du centre d'études de recherche l'administration publique, pp. 65 – 82 https://journals.openedition.org/pyramides/376

OCDE (2015), Le gouvernement ouvert au Maroc, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, pp. 133-34, https://www.oecd-ilibrary.org/governance/le-gouvernement-ouvert-au-maroc_9789264226722-fr

Notes

← 1. Voir : Al Baswala, « Qui sommes-nous ? »,www.albawsala.com/presentation.

← 2. Voir : iWatch Tunisia, www.iwatch.tn/ar/ (site web, en arabe).

← 3. Voir : Transparency Maroc, http://transparencymaroc.ma/TM/ (site web).

← 4. Voir : The Lebanese Transparency Association, http://www.transparency-lebanon.org/ (site web).

← 5. Voir : Transparency International - Jordan, http://rasheedti.org/ (site web).

← 6. Voir: Article 19, https://www.article19.org/ (site web).

← 7. Article 38 de la loi organique tunisienne n ° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information. De même, l’alinéa 3 de l’article 12 de la Constitution marocaine énonce que « les associations intéressées à la chose publique, et les organisations non gouvernementales, contribuent, dans le cadre de la démocratie participative, à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics (...) ».

← 8. Création des chambres administratives régionales de première instance dans les gouvernorats de Bizerte, Kef, Sousse, Monastir, Gabès, Sfax, Kasserine, Gafsa, Médenine, Sidi Bouzid, Kairouan et Nabeul.

← 9. Loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs (promulguée par le Dahir n° 1-91-225 du 22 rebia I 1414 ; 10 septembre 1993), http://www.wipo.int/wipolex/fr/details.jsp?id=2968

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