copy the linklink copied!Éditorial – Travailleurs dans des formes d’emploi atypique : l’enjeu des retraites

Le monde du travail évolue. Les mégatendances, comme la transformation numérique, la mondialisation, les évolutions démographiques et le changement climatique, transforment nos économies et nos sociétés. Si de nouvelles perspectives s’ouvrent en termes de croissance et de développement, des difficultés émergent aussi, liées au nombre de plus en plus important de personnes qui pâtissent de conditions de travail précaires, souvent dans des emplois temporaires ou à temps partiel, offrant des revenus bas et irréguliers. Grâce aux nouvelles technologies, il est aujourd’hui plus facile et moins cher de proposer et de trouver du travail en ligne, et les plateformes ont enregistré une croissance exponentielle ces dernières années, même si elles ne représentent encore qu’une petite partie des emplois actuels dans les pays de l'OCDE. Dans l’ensemble, l’emploi atypique, travail indépendant compris, représente plus d’un emploi sur trois dans les pays de l'OCDE. Les travailleurs ayant des formes d’emploi atypique constituent une catégorie de population très hétérogène ; néanmoins, en moyenne, leur rémunération horaire, et surtout annuelle, est inférieure à celles des autres travailleurs. Ainsi, en moyenne dans la zone OCDE, un travailleur indépendant médian qui travaille à temps plein gagne 16 % de moins qu’un salarié à temps plein.

Qu’est-ce que cela implique pour la protection sociale des travailleurs ? La plupart des systèmes de protection sociale actuels reposent sur le principe de carrières stables et linéaires, souvent réalisées auprès d’un seul employeur. Dans ces conditions, ils ne sont pas en mesure d’assurer la sécurité des revenus dont les travailleurs atypiques ont besoin. Nombre d’entre eux, qu’ils soient travailleurs indépendants ou temporaires, qu’ils travaillent à la demande ou par l’intermédiaire de plateformes, risquent donc de ne pas être couverts par les systèmes de protection sociale en place.

Ces évolutions représentent un véritable défi à relever pour toutes les branches du système de protection sociale, mais plus particulièrement pour l’une d’entre elles en raison de son incidence à long terme : celle de l’assurance vieillesse. Pour les retraites, les enjeux liés à l’avenir du travail se jouent aujourd’hui. De nombreux pays ont resserré le lien entre les cotisations versées et les pensions de retraite ; dans ces conditions, pour percevoir une pension convenable, il faut commencer à cotiser tôt et ne pas connaître d’interruption dans son parcours professionnel. Conscients de cette problématique depuis longtemps, les pouvoirs publics ont rendu obligatoire l’adhésion aux régimes de retraite pour la plupart des travailleurs, et ils encouragent la participation aux régimes de retraite professionnels et individuels facultatifs.

Mais, comme toujours, tout est dans les détails. En théorie, les travailleurs qui occupent des emplois à durée déterminée doivent être couverts par le régime de retraite, étant donné que la plupart des pays leur applique le même traitement qu’aux autres travailleurs. Le problème tient, dans une large mesure, au montant des prestations de retraite attendues compte tenu de leurs cotisations plus irrégulières et, souvent, moins élevées. Toutefois, dans certains pays et pour certains groupes en particulier, des cotisations de retraite réduites voire nulles sont imposées pour les travailleurs indépendants, les travailleurs temporaires, les jeunes, les travailleurs saisonniers, les apprentis et/ou les stagiaires.

Il est beaucoup plus difficile d’assurer la couverture retraite des travailleurs indépendants. En l’absence de relation d’emploi formalisée, il est compliqué de déterminer sur quelle base établir les cotisations de retraite. Pour les salariés, les cotisations sont souvent assises sur le salaire brut, qui ne correspond à aucune des catégories de revenu des travailleurs indépendants. Par ailleurs, il est très difficile, si ce n’est impossible, de faire la distinction entre revenu du travail et revenu du capital. Néanmoins, la plupart des pays de l'OCDE imposent aux travailleurs indépendants de cotiser à leurs régimes de retraite obligatoires. Dans ces conditions, pourquoi la couverture retraite reste-t-elle problématique ?

Même lorsqu’ils sont affiliés à un régime de retraite, les travailleurs indépendants se voient souvent appliquer un taux de cotisation inférieur à celui des salariés ayant une rémunération comparable. Ils ont en outre plus de contrôle sur la définition de l’assiette de leurs cotisations, ce qui se traduit souvent par des cotisations retraite plus faibles. Si l’on ajoute à cela des revenus moindres et une corrélation plus étroite entre cotisations et prestations, de nombreux travailleurs indépendants peuvent s’attendre à percevoir des pensions de retraite sensiblement inférieures à celle des travailleurs qui occupent un emploi traditionnel.

Dans certains cas, la réduction de la charge que représentent les cotisations de retraite pour les travailleurs indépendants est un moyen utilisé pour atteindre d’autres objectifs de l’action publique, comme la promotion de l’entrepreneuriat ou la hausse du revenu disponible de différents groupes, comme les agriculteurs ou les artistes. Dans la présente édition du Panorama des pensions, des simulations comparent les règles qui s’appliquent aux travailleurs indépendants et celles qui prévalent pour les travailleurs salariés, dans l’hypothèse d’un niveau de salaire moyen. Même dans l’hypothèse de carrières complètes, la pension de retraite des travailleurs indépendants au titre des régimes obligatoires correspond à 79 % de celle des travailleurs salariés en moyenne dans la zone OCDE.

Dans les régimes professionnels aussi, les travailleurs ayant des formes d’emploi atypique sont désavantagés : ils sont souvent exclus des plans d’entreprise, les périodes d'acquisition de droits pénalisent les travailleurs qui changent souvent d’emploi, et les droits à pension acquis dans le cadre d’une relation d’emploi ne peuvent souvent pas être transférés en totalité lorsqu’un travailleur change d’emploi. Les travailleurs indépendants n’ont évidemment pas accès aux régimes d’entreprise et ne peuvent s’appuyer que sur les minimum vieillesse et leur épargne retraite individuelle.

Pour résoudre les difficultés posées par les retraites des travailleurs atypiques, une approche globale s’impose. Dans cette optique, il est crucial d’adopter une vision couvrant l'ensemble du cycle de vie : cela suppose de commencer par améliorer les perspectives de revenu et la stabilité et la progression des parcours professionnels, afin que chacun puisse accumuler des droits à pension. Les régimes de retraite obligatoires et facultatifs doivent s’efforcer de réserver le même traitement aux travailleurs indépendants et aux travailleurs salariés, et d’harmoniser les règles qui encadrent leur participation. Si les pouvoirs publics entendent offrir des conditions de cotisation plus favorables à certaines catégories de travailleurs, cela ne doit pas se faire au détriment de leurs droits à pension ; les cotisations de retraite pourraient plutôt être subventionnées à partir d’autres sources, du moins pour les travailleurs à bas revenus.

Dans l’édition 2019 des Perspectives de l’emploi, entièrement consacrée à l’avenir du travail, l'OCDE a appelé de ses vœux l’élaboration d’un Programme de transition vers un monde du travail qui profite à tous, fondé sur une approche à l’échelle de l’ensemble de l’administration qui cible les interventions sur les populations qui en ont le plus besoin. Un programme de ce type implique une approche embrassant l'ensemble du cycle de vie, qui couvre à la fois l’éducation et les compétences, les services publics de l’emploi, les politiques de la protection sociale et de la famille, mais aussi la réglementation du marché du travail, la fiscalité et même le logement, les transports, le droit de la concurrence et la politique industrielle.

Toutes ces mesures permettront aux travailleurs non seulement d’améliorer leurs revenus mais aussi leurs droits à pension. Dans son enquête « Des risques qui comptent » réalisée en 2018 dans 21 pays, l'OCDE a interrogé les citoyens sur leurs principales inquiétudes pour l’avenir. Pour 82 % environ des répondants âgés de 55 à 70 ans en moyenne, la situation financière à la retraite se classe parmi les trois premières préoccupations à long terme. De nombreuses personnes plus jeunes partagent aussi ces craintes.

Il est important que les pouvoirs publics entendent cet appel et agissent dès aujourd’hui pour améliorer les perspectives de retraite de tous les travailleurs, dans le cadre du Programme de transition. Les mesures adoptées pour assurer le caractère inclusif et la coordination des régimes de retraite obligatoires et facultatifs, qu’ils soient publics, professionnels ou individuels, contribuent à assurer le bien-être de tous pendant la vieillesse. De la créativité et des solutions inédites seront nécessaires pour faire face aux enjeux spécifiques auxquels sont confrontés les travailleurs ayant des formes d’emploi atypique. La présente édition du Panorama des pensions contribue au débat en présentant une série de mesures propres à atteindre cet objectif.

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Stefano Scarpetta

Directeur, Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE

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Greg Medcraft

Directeur, Direction des Affaires financières et des entreprises de l’OCDE

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