Résumé

Les mesures de politique agricole prises à court terme pour faire face aux crises planétaires doivent à la fois répondre aux défis immédiats et favoriser les réformes pour lutter contre le changement climatique et contre les distorsions affectant les marchés internationaux.

Le soutien total au secteur agricole a atteint 817 milliards USD par an sur la période 2019-21 dans les 54 pays examinés dans le présent rapport, contre 720 milliards USD par an au cours de la période 2018-20, soit une hausse de 13 %. Sur ce total, 500 milliards USD par an ont été financés par les budgets publics et la part restante a pris la forme de majorations de prix. La hausse observée s’explique en partie par des facteurs qui pourraient s’avérer temporaires, comme le soutien apporté aux consommateurs et aux producteurs dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et le renforcement du soutien des prix de marché lié à la reconstitution des élevages après l’épizootie de peste porcine africaine.

Le soutien total a été multiplié par 2.4 entre 2000-02 et 2019-21 en termes nominaux pour s’établir à 817 milliards USD par an, tandis que la valeur de la production agricole a été multipliée parallèlement par 3.3. Ce soutien est concentré dans un petit nombre de grandes économies. Dans les pays de l’OCDE, il est demeuré élevé, atteignant 346 milliards USD par an en moyenne de 2019 à 2021. Les grands producteurs agricoles que sont l’Union européenne et les États-Unis représentent les deux tiers de cette somme. Les réformes des politiques agricoles ont marqué le pas dans les pays de l’OCDE depuis une dizaine d’années, avec même des retours en arrière dans certains cas. Parallèlement, le soutien a sensiblement augmenté dans les 11 économies émergentes prises en compte dans ce rapport pour s’établir à 464 milliards USD par an pendant la période 2019-21, dont 60 % environ provient de la seule République populaire de Chine (ci-après dénommée la Chine).

Le soutien positif apporté aux producteurs à titre individuel s’est élevé à 611 milliards USD par an sur la période 2019-21, représentant 17 % des recettes agricoles brutes dans les pays de l’OCDE et 13 % dans les 11 économies émergentes. Plus de la moitié, soit 317 milliards USD par an, a pris la forme de mesures de soutien faisant payer des prix plus élevés aux consommateurs, tandis que les 293 milliards USD restants ont été financés par les contribuables sous la forme de transferts budgétaires.

Dans un petit nombre de pays, les pouvoirs publics minorent en outre les prix de tout ou partie des produits, ce qui entraîne un soutien négatif de 117 milliards USD pour les producteurs agricoles. Par conséquent, le soutien net aux producteurs (l’estimation du soutien aux producteurs ou ESP) a été en moyenne de 494 milliards USD par an pendant la période 2019-21, ce qui représente 12 % des recettes agricoles brutes dans les 54 pays étudiés dans le rapport.

Par comparaison, le soutien aux services d’intérêt général fournis au secteur (ESSG) a continué de représenter, avec 106 milliards USD par an, une part relativement faible du soutien total – à peine plus d’un huitième. La majeure partie (80 milliards USD par an) est consacrée à des investissements publics dans les systèmes d’innovation agricole, les services de biosécurité et les infrastructures extérieures aux exploitations. En outre, malgré leur importance pour les objectifs relatifs au changement climatique et aux systèmes alimentaires, ces investissements ont baissé rapportés à la taille du secteur durant la majeure partie des vingt dernières années. Dans l’ensemble, la part du soutien aux services d’intérêt général dans les transferts totaux au secteur est descendue à 13 % durant la période 2019-21, contre 16 % vingt ans plus tôt.

Les subventions aux consommateurs (dans le cadre des programmes d’aide alimentaire, par exemple) se sont élevées à 100 milliards USD par an pendant la période 2019-21, soit 2.8 % des dépenses de consommation mesurées au départ de l’exploitation. Si les consommateurs dans certains pays ont également bénéficié de prix minorés, ces minorations n’ont pas été suffisantes en moyenne pour compenser le renchérissement auquel ont dû faire face les consommateurs dans d’autres pays.

L’agression à grande échelle perpétrée par la Russie contre l’Ukraine est lourde de conséquences pour les marchés des aliments destinés à la consommation humaine et animale, des engrais et de l’énergie. Même si les disponibilités restent suffisantes à ce stade, le renchérissement de ces produits provoque déjà des difficultés. Cependant, la persistance des effets de l’invasion russe pourrait aussi intensifier les tensions sur l’offre. Les responsables publics devront rester vigilants face aux répercussions de cette situation sur les consommateurs et les pays pauvres.

Plusieurs pays prennent des mesures pour alléger les pressions que commencent à subir leurs producteurs et consommateurs. Si certaines mesures, comme la baisse des restrictions à l’importation, facilitent l’approvisionnement alimentaire, d’autres peuvent être contre-productives. Les restrictions à l’exportation amplifient les tensions mondiales sur les prix et sur l’offre et devraient être évitées ou supprimées rapidement. L’assouplissement des restrictions environnementales dans le but de stimuler la production intérieure peut également avoir des effets procycliques, mais aux dépens de la durabilité.

Outre les crises immédiates qu’elle traverse actuellement et qui ont suscité d’importantes interventions publiques, l’agriculture fait face à un choc de grande ampleur qui s’inscrit davantage dans la durée et a des implications majeures pour l’action publique dans le secteur. En l’occurrence, le changement climatique représente pour l’agriculture un défi extraordinairement complexe, puisqu’elle est à la fois particulièrement exposée à ses effets et l’une des principales sources mondiales d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Les possibilités de réduire ces émissions ne manquent pas. Qui plus est, l’agriculture fait partie des rares secteurs qui peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique en absorbant du carbone présent dans l’atmosphère pour le stocker dans les sols et la biomasse.

La réduction des émissions de GES en agriculture pose aussi des difficultés particulières, en raison à la fois de l’ampleur des interventions publiques dans le secteur et de l’importance qu’il revêt pour une série d’objectifs sociaux. Un enjeu clé concerne le degré auquel les politiques existantes appuient ou au contraire entravent les efforts d’atténuation du changement climatique, et ce qui pourrait être fait en plus. Par ailleurs, il s’agit d’atteindre les objectifs climatiques sans ignorer les autres dimensions du triple défi que doivent relever les systèmes alimentaires, à savoir fournir suffisamment d’aliments sûrs, nutritifs et de prix abordable à une population mondiale qui ne cesse d’augmenter, procurer des moyens de subsistance sur l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire et faire progresser la durabilité environnementale du secteur.

L’agriculture contribue aux émissions directement, par les gaz à effet de serre autres que le CO2 – méthane et protoxyde d’azote notamment – que rejettent les exploitations dans le cadre de la production, et indirectement du fait de l’expansion des terres agricoles (c’est ce qu’on appelle les émissions du secteur UTCATF, pour utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie). Globalement, l’agriculture, la foresterie et les autres affectations des terres (AFAT) représentent autour d’un cinquième (22 %) des émissions anthropiques de GES. Il s’agit pour moitié d’émissions de CO2 du secteur UTCATF et pour moitié d’émissions de méthane et de protoxyde d’azote, deux gaz qui ont un pouvoir de réchauffement bien supérieur au CO2 et, dans le cas du méthane, un impact beaucoup plus fort à court terme.

Les émissions directes de GES de l’agriculture varient d’un pays à l’autre en fonction de la superficie agricole, de l’envergure du secteur agricole, des types et des méthodes de production. Dans les 54 pays pris globalement, deux tiers des émissions directes de l’agriculture sont imputables à l’élevage, c’est-à-dire à la fermentation entérique, à la gestion des effluents d’élevage et aux effluents d’élevage laissés dans les pâturages. Autre importante source de méthane, la riziculture est à l’origine de 11 % des émissions agricoles directes dans les 54 pays. La part restante – environ un cinquième des émissions directes – est constituée de N2O provenant des engrais épandus sur les terres agricoles. Les parts respectives de ces différentes sources sont très variables selon les pays.

Pour faire baisser les émissions de GES liées à l’agriculture, les pays peuvent agir sur l’offre ou sur la demande. Du côté de l’offre, ils peuvent : (i) réduire les émissions directes résultant de la production agricole (en faisant progresser la productivité et l’efficacité d’utilisation des intrants par des technologies et une gestion améliorées, ainsi que par des solutions techniques spécifiques) ; (ii) réduire les émissions indirectes résultant des changements d’affectation des terres et augmenter la quantité de carbone stockée dans les sols agricoles (en limitant l’expansion des terres agricoles, y compris grâce à des gains de productivité, en remettant en état les terres agricoles dégradées, en augmentant la séquestration du carbone par les sols des terres cultivées et des prairies, ainsi qu’en réalisant des opérations de reboisement) ; et (iii) réduire les émissions imputables aux pertes de produits alimentaires, en limitant les pertes intervenant dans les champs et dans les exploitations après la récolte. Du côté de la demande, les pays peuvent s’efforcer de faire évoluer les préférences alimentaires et, partant, la demande des consommateurs, d’encourager la consommation de produits qui occasionnent moins d’émissions, ainsi que de faire baisser le gaspillage alimentaire au niveau des ménages.

Les 54 pays considérés dans le présent rapport contribuent à hauteur de deux tiers environ aux émissions mondiales de GES d’origine agricole. Si l’agriculture est généralement prise en compte dans les objectifs de réduction des émissions fixés à l’échelle de l’économie tout entière, la définition d’objectifs propres à ce secteur peut être utile pour cibler les efforts d'atténuation et mesurer les progrès accomplis. Cependant, seuls 16 des 54 pays ont fixé sous une forme ou une autre un objectif de réduction chiffré à leur secteur agricole, et il serait largement possible d’intensifier et d’accélérer la baisse des émissions dans ce secteur.

Dans bon nombre de pays étudiés dans ce rapport, les mesures de réduction des émissions agricoles mettent l’accent sur l’amélioration des méthodes de production et l’augmentation de la productivité par l’innovation pour faire diminuer l’intensité d’émission dans l’agriculture. Elles permettent certes de faire baisser les émissions, mais ne sont sans doute pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction requis. À l’inverse, le recours à des incitations directes comme la tarification du carbone ou des mesures réglementaires équivalentes reste limité, y compris dans les pays qui appliquent des mécanismes de tarification à d’autres secteurs.

Qui plus est, les mesures de soutien existantes peuvent favoriser l’augmentation des émissions agricoles. Un soutien important continue ainsi d’être apporté à des productions fortement émettrices comme celles de viande de bœuf et de veau, de viande ovine et de riz, pour lesquelles il représente entre 8 % et 15 % des recettes brutes. En outre, les mesures de soutien potentiellement les plus dommageables pour l’environnement, notamment parce qu’elles favorisent des émissions de GES plus élevées, représentent toujours la majeure partie du soutien aux producteurs. De fait, dans les pays de l’OCDE, le ralentissement des réformes des politiques agricoles est allé de pair avec des progrès moindres dans l’amélioration des résultats environnementaux.

Il existe à la fois des synergies et des antagonismes entre les efforts de lutte contre le changement climatique et les politiques rendues nécessaires par les autres volets du triple défi des systèmes alimentaires (sécurité alimentaire, moyens de subsistance et durabilité). À titre d’exemple, les mesures destinées à améliorer les performances environnementales du secteur peuvent certes réduire les émissions agricoles, mais aussi faire reculer la production et les revenus agricoles.

Il existe de larges possibilités de réforme pour à la fois favoriser les objectifs concernant les systèmes alimentaires et faire contribuer l’agriculture à une réduction ambitieuse des émissions de GES afin de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C, et de préférence à 1.5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, ainsi que le prévoit l’Accord de Paris. Ces réformes devraient s’articuler autour de six grands axes complémentaires :

  1. 1. Abandonner progressivement le soutien des prix de marché et les paiements qui risquent fort de nuire à l’environnement et de fausser les marchés et les échanges. Il est avéré que les paiements au titre de la production et de l’utilisation sans contraintes d’intrants variables, de même que le soutien des prix de marché, sont de nature à accentuer les pressions exercées sur les ressources naturelles et à faire augmenter les émissions nationales de GES. Même si l’effet mondial de leur suppression est incertain, les mesures de soutien des prix du marché contribuent potentiellement à accroître les émissions nationales de GES. Les mesures de soutien de ce type sont aussi celles qui risquent le plus de fausser la production et les échanges, elles constituent des moyens peu efficients de transférer des revenus aux exploitants et elles ont tendance à être inéquitables en ce qu’elles ne ciblent pas les producteurs à faible revenu.

  2. 2. Réorienter le soutien budgétaire vers la fourniture de biens publics et de services d’intérêt général essentiels afin d’améliorer les performances du secteur agricole, ou accroître ce soutien là où il est aujourd’hui peu élevé. La plupart des paiements actuels n’ont pas pour effet d’encourager ou de faciliter une production agricole plus durable et la diminution des émissions de GES, même si les prescriptions environnementales peuvent en partie combler cette lacune. La rémunération directe des agriculteurs qui fournissent des biens publics, tels que des services écosystémiques ou la séquestration de carbone dans les sols agricoles, et qui adoptent des pratiques de production économes en ressources contribue à la fois à faire baisser les émissions et à procurer de nouvelles sources de revenus aux exploitants. Le recentrage des dépenses sur l’innovation, et en particulier sur la R-D tournée vers les technologies et méthodes de production permettant de réduire les émissions, va dans le sens de l’atténuation du changement climatique et d’une croissance durable de la productivité, et contribue ainsi également à réduire les pressions exercées sur les revenus par le durcissement des normes d’environnement et d’émission.

  3. 3. Cibler les mesures de soutien du revenu sur les ménages qui en ont le plus besoin. Les ménages modestes, agricoles et autres, peuvent avoir besoin d’une aide transitoire et d’un filet de protection sociale élargi pour compenser les pertes de revenus provoquées par l’arrêt des mesures de soutien positif des prix de marché ou les coûts alimentaires élevés associés à la suppression des mesures de soutien négatif des prix. Cela nécessitera de disposer de meilleures informations sur les revenus et les actifs des ménages agricoles. Les économies réalisées grâce à la réforme des mesures de soutien mal ciblées pourraient en outre permettre de dégager des fonds non négligeables pour financer les biens publics.

  4. 4. Améliorer la boîte à outils relative à la résilience face à la diversité des risques et à la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles. L’investissement dans les données, les outils et les compétences utiles permet aux agriculteurs de couvrir les risques de petite et moyenne envergure eux-mêmes ou en faisant appel aux instruments du marché. Les pouvoirs publics devront continuer de prendre en charge les risques de grande envergure, au moyen de politiques soigneusement définies pour éviter d’étouffer les initiatives privées de gestion des risques.

  5. 5. Mettre en œuvre un système efficace de tarification des émissions de GES d’origine agricole pour inciter à opérer la transition vers une agriculture à faibles émissions. Les subventions en faveur de la réduction des émissions peuvent constituer une autre piste possible, mais risquent d’être difficiles à maintenir à mesure que les besoins en matière d’atténuation augmentent.

  6. 6. Lorsque l’agriculture n’est pas intégrée dans les dispositifs généraux de tarification du carbone ou des dispositifs équivalents ou complémentaires, élaborer une panoplie de mesures pour garantir un abaissement significatif des émissions du secteur. Les pouvoirs publics peuvent agir à la fois sur l’offre et sur la demande pour réduire les émissions en agriculture. Du côté de l’offre, il s’agit par exemple de rendre l’utilisation d’intrants plus productive et plus rationnelle ; de faire adopter des techniques de production qui engendrent moins d’émissions ; d’augmenter la séquestration du carbone dans les sols ; de mener des opérations de reboisement ou de remettre en état les terres dégradées ; et de réduire les pertes de produits alimentaires au niveau des champs et des exploitations. Du côté de la demande, il peut s’agir de fournir des informations et des incitations aux consommateurs pour qu’ils évoluent vers des choix alimentaires moins émetteurs de GES et réduisent le gaspillage alimentaire. Une action coordonnée et une coopération internationale rendraient ces mesures plus efficientes.

Ces réformes auraient pour effet de rendre les systèmes agricoles et alimentaires plus performants tout en contribuant davantage à la réduction des émissions de GES. Cet important programme d’action sera à l’ordre du jour de la réunion ministérielle de l’OCDE sur l’agriculture qui aura lieu en novembre 2022.

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