Chapitre 1. Conflits et stabilité régionale en Afrique du Nord et de l’Ouest

Depuis le début des années 2010, la violence politique ne cesse de progresser en Afrique du Nord et de l’Ouest. Alimentés par des griefs locaux, des luttes nationales et des idéologies mondiales, les conflits de la région sont aujourd’hui plus violents et étendus que jamais (OCDE/CSAO, 2020[1]). Au cours des dix dernières années, plus de 100 000 personnes ont été tuées à la suite d’affrontements entre les forces gouvernementales et les groupes qui s’y opposent, notamment les milices locales, les groupes rebelles et les organisations extrémistes violentes. En outre, nombre de ces conflits se sont propagés au-delà des frontières nationales, créant instabilité et insécurité dans plusieurs États simultanément. Tendance inquiétante, les violences ciblent de plus en plus les civils, en particulier dans les régions rurales et frontalières, où le pouvoir et les infrastructures de l’État sont depuis longtemps déficients. Jusqu’à présent, aucune des interventions militaires menées par les coalitions régionales ou internationales n’a totalement réussi à créer les conditions propices à la fin de l’utilisation de la violence par les groupes non étatiques. Si certaines interventions ont permis l’arrêt temporaire des hostilités entre les belligérants, elles ne se sont pas avérées un moyen durable de réduire les violences à plus long terme.

Le nombre croissant d’acteurs impliqués dans les conflits et la complexité de leurs relations nécessitent de nouvelles approches permettant de modéliser l’évolution des relations d’opposition et de coopération dans le temps. À l’aide de l’analyse des réseaux, ce rapport examine la manière dont les relations entre organisations violentes influencent les dynamiques régionales de violence en Afrique du Nord et de l’Ouest. Plus précisément, il cartographie les fluctuations des rivalités et alliances entre forces étatiques, rebelles et organisations extrémistes, ainsi que leurs victimes, dans 21 pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest de 1997 à 2020 (carte 1.1).

S’appuyant sur une base de données de 36 760 événements violents recensés dans le cadre du projet « Armed Conflict Location & Event Data» (ACLED, 2020[2]), cette approche dynamique des conflits aborde trois questions cruciales pour l’avenir de la région :

  • Qui est allié à qui ? Qui est en conflit avec qui ? Le rapport examine tout d’abord les relations qui lient les organisations violentes de la région. Ces relations forment un réseau de conflit au sein duquel les organisations violentes ne peuvent être appréhendées isolément les unes des autres (chapitre 2). À l’aide d’une approche formelle des réseaux, le rapport cartographie les relations entre États, groupes rebelles et organisations extrémistes afin de mieux comprendre la structure de leurs réseaux et le rôle de chaque acteur au sein de ce système élargi (encadré 1.1 et chapitre 3). Il commence par identifier tous les acteurs qui font usage de la violence ou en sont la cible, cartographie leurs relations d’opposition et de coopération, avant de mettre en évidence les acteurs les plus importants ou centraux de ces systèmes globaux de conflit.

  • Comment rivalités et alliances évoluent-elles au fil du temps ? Le rapport examine ensuite l’évolution des relations entre États, groupes rebelles et organisations extrémistes violentes. Il montre que les relations entre les acteurs en conflit ne sont pas statiques, leur position pouvant se trouver renforcée ou affaiblie au fil du temps. Les acteurs sont aussi dynamiques : de nouveaux groupes rebelles et organisations extrémistes peuvent faire leur apparition, tandis que d’autres peuvent se diviser, fusionner ou être mis en échec (chapitre 4). Ces dynamiques sont liées, d’une part, à l’idéologie, aux objectifs, à l’accès aux ressources et au pouvoir des organisations, et d’autre part, à leurs relations sur le terrain. Chacun de ces facteurs est susceptible de modifier les relations entre belligérants, ainsi que leur position les uns par rapport aux autres. À partir de données sur les événements violents, le rapport détermine la durée moyenne des phases de coopération et d’opposition en Afrique du Nord et de l’Ouest. Sur cette base, il suit également l’évolution de ces deux types de relations au fil du temps et clarifie les fluctuations de la position des principaux protagonistes tout au long de la durée des conflits.

  • Quelle est l’incidence des interventions militaires sur les réseaux de conflit ? Les interventions militaires étrangères et multinationales, fréquentes en Afrique du Nord et de l’Ouest, sont l’un des principaux facteurs externes de changement dans les conflits actuels. Le rapport étudie donc la manière dont les interventions militaires influencent l’évolution des réseaux des acteurs en conflit, question encore largement inexplorée malgré son importance décisive pour l’évaluation des perspectives de paix dans la région. Il analyse si les puissances militaires doivent apporter leur soutien à l’un des groupes rivaux en conflit ou plutôt s’attacher à séparer les belligérants. Il examine enfin l’incidence de ces interventions sur les organisations les plus puissantes en conflit, ainsi que sur les relations qui les lient (chapitre 5).

S’appuyant sur l’observation quotidienne répétée des organisations violentes sur une période de 23 ans, ce rapport propose un cadre pour les recherches ultérieures sur la région (chapitre 3). Il analyse pour ce faire l’évolution des réseaux de conflit dans le temps, à l’échelon régional et local. Sont ainsi tout d’abord examinées l’origine et l’évolution des principales rivalités et alliances en Afrique du Nord et de l’Ouest. Cette approche régionale est rendue nécessaire par la nature transnationale de plusieurs conflits de la région.

Cette analyse régionale qui dresse une carte de l’environnement de conflit est suivie par l’examen de trois études de cas où des organisations violentes ont connu un essor rapide depuis le milieu des années 90, se sont étendues au-delà des frontières nationales, et ont été à l’origine d’un nombre important d’événements violents et de morts. Il s’agit de l’insurrection au Mali et de ses conséquences dans le Sahel central depuis 2012, de l’insurrection de Boko Haram dans la région du lac Tchad depuis 2009, ainsi que des guerres civiles libyennes depuis 2011. Dans chaque cas, les interventions militaires menées par les coalitions régionales ou internationales ont indéniablement créé de nouvelles opportunités et de nouveaux défis pour les différentes parties prenantes, mais l’évolution globale du réseau de liens au cours de ces interventions reste à explorer.

Le rapport montre qu’en Afrique du Nord et de l’Ouest, les organisations violentes s’affrontent bien plus qu’elles ne coopèrent (chapitre 4). En 2020, le réseau reliant les organisations impliquées dans des événements conflictuels compte ainsi 562 nœuds, soit un nombre plus de quatre fois supérieur à celui des organisations impliquées dans la formation d’alliances à travers la région (graphique 1.1). Des disparités similaires s’observent à l’échelle de chacune des zones de conflit à l’étude : seules 28 alliances sont par exemple recensées au Mali et dans le Sahel central, contre 237 relations de rivalité. Cette rareté des alliances reflète la difficulté de former des coalitions durables entre des organisations qui recourent à la violence politique au nom d’objectifs locaux et opportunistes. Souvent opposées à un ennemi commun, les organisations violentes ne développent pas pour autant un projet idéologique qui leur permettrait de surmonter leurs clivages tribaux, ethniques ou nationaux.

Une autre tendance inquiétante se fait jour : le nombre de belligérants est en forte augmentation dans la région. Alimenté par les insurrections, rébellions et coups d’État au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigéria et en Libye, le nombre global d’organisations impliquées dans des actes violents en conflit a ainsi presque doublé, passant de 604 en 2009 à 1 199 en 2019. Si la situation continue de se dégrader, 2020 sera l’année qui aura connu le plus de conflits entre organisations violentes depuis le début de la collecte des données détaillées sur les violences politiques à la fin des années 90, avec 1 151 organisations recensées jusqu’en juin. Cette multiplication contribue à la propagation de la violence dans des régions auparavant pacifiques, bouleversant la vie de personnes qui n’avaient, jusqu’ici, pas connu de conflits. Ces résultats confirment ceux d’études antérieures, qui mettaient déjà en évidence l’intensification des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest, ainsi que leur tendance à se propager à l’échelon régional (OCDE/CSAO, 2020[1]).

Les conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest sont devenus plus difficiles à résoudre du fait de la complexité des relations entre les belligérants. Le rapport montre que, selon les opportunités offertes par la scène politique locale, nationale et internationale, les acteurs en conflit se battent pour ou contre leur gouvernement, promeuvent l’unité nationale ou la sécession, et rejoignent les rangs de milices, de groupes rebelles ou d’organisations extrémistes violentes. Cette fluctuation des allégeances donne le sentiment qu’il n’y a pas, dans les conflits, de « camp définitif » pour lequel se battre. Iyad ag Ghali, chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (en arabe, Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin [JNIM]), en est un exemple. Après avoir combattu comme mercenaire en Libye et comme rebelle dans le nord du Mali, il travaille comme négociateur d’otages dans son pays et comme conseiller du gouvernement en Arabie saoudite. Ne pouvant prendre la tête du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) au Mali en 2011, il fonde alors l’organisation jihadiste Ansar Dine (les Défenseurs de la foi) (encadré 4.4).

Une instabilité similaire caractérise les relations entre les différentes organisations non étatiques et les groupes impliqués dans les luttes armées de la région. Dans les conflits actuels, des groupes alliés un jour peuvent ainsi s’affronter le lendemain, puis coopérer. De nouveaux groupes se forment, se divisent et se réunifient de manière tout aussi imprévisible. L’exemple d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) illustre bien cette complexité (graphique 1.2). Avant de prêter allégeance à Al-Qaïda en 2007, l’organisation était auparavant connue sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), lui-même né d’une scission du Groupe islamique armé (GIA), responsable du meurtre de milliers de civils pendant la guerre civile algérienne. Au début des années 2010, certains éléments d’AQMI font sécession pour former le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), tandis que d’autres militants créent la brigade des Signataires par le sang. En 2013, le MUJAO et la brigade des Signataires par le sang fusionnent pour former Al-Mourabitoune (les Sentinelles). Ces groupes rejoignent les rangs d’AQMI en 2015, à l’exception de certaines factions qui créent l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). En 2017, Al-Mourabitoune, Ansar Dine, la Katibat Macina et la branche saharienne d’AQMI s’allient sous la bannière du JNIM (encadré 5.1).

Cette fluctuation des allégeances accentue la complexité des conflits, qui ne s’organisent plus clairement autour d’un front uni ou d’une coalition d’opposition au gouvernement avec une ligne idéologique claire, mais impliquent au contraire des coalitions de groupes armés aux allégeances opportunistes et aux intérêts divergents. AQMI n’est, par exemple, que l’un des multiples protagonistes du conflit malien, avec les forces gouvernementales, les milices ethniques, les rebelles ethno-nationalistes, les associations de chasseurs et autres organisations affiliées à Al-Qaïda et à l’État islamique. En 2019, 81 acteurs distincts sont impliqués dans le conflit malien, comme auteurs de violences ou victimes, dont 6 groupes rebelles, 9 organisations extrémistes violentes et 34 milices organisées autour de revendications communautaires ou ethniques. AQMI entretient, par ailleurs, à la fois des relations de coopération et d’opposition avec d’autres groupes également en lutte contre le gouvernement malien et ses alliés internationaux, notamment la France et les Nations Unies.

Le rapport met en évidence des similitudes surprenantes entre réseaux de coopération et d’opposition : tous deux sont ainsi plutôt décentralisés et structurés autour de quelques organisations clés (graphique 1.3). Cette structure, qualifiée de « cosmopolite » pour souligner l’absence de communautés très cohésives, révèle la rareté des liens entre organisations et le grand nombre d’étapes nécessaires pour atteindre tous les acteurs du réseau. Une structure de ce type dans les réseaux d’opposition comme de coopération semble indiquer que les organisations violentes tendent à reproduire les mêmes dynamiques, indépendamment de la nature des relations qui les lient.

Il s’agit là d’un constat déroutant. Combattre un ennemi ou nouer des alliances étant, en termes conceptuels, tout à fait différent, il était attendu que la structure des réseaux d’opposition et de coopération soit également très distincte. Le fait qu’il n’en soit rien laisse à penser qu’opposition et coopération sont davantage à concevoir comme deux alternatives possibles, plutôt qu’exclusives, pour les belligérants. Ces constats illustrent la nature adaptable et opportuniste des relations liant les organisations violentes dans la région. Loin des oppositions immuables ou des accords formels, rivalités et alliances s’envisagent comme deux possibilités mobilisables en fonction de ce que dictent les circonstances.

Le réseau peu structuré et décentralisé de rivaux et d’alliés observé à l’échelon régional est remarquablement similaire à l’environnement conflictuel de chacun des trois principaux théâtres d’opérations :

  • Au Mali et dans le Sahel central, les organisations violentes et leurs victimes forment un réseau de conflit qui dépasse les frontières nationales. Deux organisations jihadistes – le JNIM et l’EIGS – comptent le plus grand nombre d’ennemis dans la région. Elles se situent en outre entre des organisations qui ne s’affrontent pas nécessairement, comme les forces gouvernementales et leurs milices alliées. En termes de réseau, être entouré de nombreux ennemis et jouer le rôle d’intermédiaire constitue un handicap dans un environnement conflictuel où la plupart des organisations tendent à maximiser le nombre de leurs alliés, tout en essayant de minimiser celui de leurs ennemis. Dans cette région, le réseau de coopération se structure autour des forces étatiques, qui jouent un rôle d’intermédiaire entre des coalitions militaires de grande envergure, comme le G5 Sahel, et des milices et groupes d’autodéfense communautaires.

  • La région du lac Tchad est la zone de conflit la plus meurtrière des trois, avec près de 59 000 personnes tuées depuis le début de l’insurrection de Boko Haram en 2009. Le réseau reliant les organisations violentes dans cette région est plus cohésif qu’ailleurs en Afrique du Nord et de l’Ouest. Le conflit y est dominé par la lutte armée entre deux principaux belligérants : les forces nigérianes, d’un côté, et l’insurrection de Boko Haram, de l’autre. La représentation du réseau d’ennemis de Boko Haram et de son groupe dissident, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) en 2020 permet de mettre en évidence les spécificités du paysage de ce conflit (graphique 1.4). La forme en étoile du réseau semble ainsi indiquer que les ennemis de ces deux organisations s’affrontent rarement, à l’exception des forces gouvernementales et des civils au Niger, au Nigéria et au Tchad. Les forces militaires nigérianes sont de loin l’acteur le plus central du réseau de coopération, du fait de leur rôle de coordination au sein de la Force multinationale mixte (MNJTF). La prééminence de l’armée nigériane contraste fortement avec la quasi-absence d’alliances entre organisations jihadistes dans la région.

  • Le réseau libyen est dominé par deux organisations puissantes : le Gouvernement d’accord national (GNA), basé à Tripoli, et l’Armée nationale libyenne (LNA), basée à Benghazi. Tous deux bénéficient du soutien de grandes puissances étrangères. En plus de s’affronter, le GNA et la LNA s’opposent à une multitude de milices, forces de sécurité privées et civils, qui ont en général moins d’ennemis qu’eux. C’est pourquoi le réseau libyen est, à ce jour, plus centralisé et moins fragmenté que d’autres réseaux de conflit de la région. Le GNA et la LNA constituent également les principaux nœuds du réseau de coopération, même si tous deux peinent à maintenir des alliances fondées sur des partenaires instables. Du fait de la fluctuation constante des alliances, la centralisation du commandement s’avère ainsi pour le moins complexe en Libye depuis la chute, en 2011, du gouvernement du Colonel Kadhafi.

L’analyse temporelle des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest met en évidence une tendance à la densification et à la centralisation des réseaux d’opposition. Cette évolution très préoccupante indique que les organisations violentes tendent à avoir un nombre croissant d’ennemis, signe indéniable que les conflits s’intensifient dans la région et que chacun des théâtres d’opérations est de plus en plus centralisé autour d’un petit nombre de belligérants clés. Cette polarisation de l’environnement conflictuel a des conséquences dramatiques pour les populations civiles, souvent prises pour cible à la fois par les organisations jihadistes et les forces gouvernementales. Le rapport montre que la légère hausse des liens de coopération constatée à travers la région depuis le début des années 2010 est sans commune mesure avec l’essor des relations conflictuelles.

Afin de visualiser ces tendances, les réseaux d'opposition et de coopération sont étudiés au regard de deux mesures. La première est la densité du réseau, soit la proportion de liens effectivement présents au sein du réseau par rapport au nombre maximum de liens possibles. La seconde mesure indique leur centralisation, soit le degré de structuration du réseau autour de quelques organisations clés (graphique 1.5). Ces deux données confirment que, partout en Afrique du Nord et de l’Ouest, les réseaux d’opposition reliant les organisations en conflit sont de plus en plus denses et centralisés autour de quelques acteurs clés. Chacune des zones de conflit à l’échelon infrarégional présente, à l’évidence, des niveaux de conflit plus élevés que l’ensemble de la région. La structure du réseau d’opposition apparaît cependant très instable en Libye, tandis qu’elle demeure plus constante dans le temps autour du lac Tchad. Les réseaux d’opposition au Mali et dans le Sahel central sont quant à eux rapidement devenus plus meurtriers et polarisés depuis 2017, après plusieurs années de relative stabilité.

Les dynamiques de coopération entre les organisations mettent en évidence une légère tendance globale à la hausse depuis 2009, même si les alliances demeurent plus l’exception que la règle. Chacune des zones de conflit présente, toutefois, davantage de signes de coopération que la région considérée dans son ensemble. Ces alliances sont par ailleurs extrêmement instables dans le temps, en particulier en Libye et au Mali, deux pays connaissant des périodes où les niveaux de coopération sont faibles, ponctuées d’intervalles où ils sont bien plus élevés. La densité et la centralisation croissantes des réseaux d’alliances parmi les forces militaires sont à interpréter comme une conséquence de l’augmentation des conflits dans la région. Alors que les conditions de sécurité continuent de se dégrader, les forces gouvernementales multiplient ainsi leurs collaborations, en quête d’un cadre de sécurité plus adapté.

Il est particulièrement alarmant de constater que ces tendances se combinent avec une augmentation constante du nombre de belligérants depuis 2009. Le nombre croissant d’organisations en conflit, la densification des relations conflictuelles et la polarisation autour d’organisations capables de mener des opérations militaires de grande envergure, rendent plus improbable que jamais une résolution pacifique des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ces conditions prévalent, en outre, à des degrés variables dans les trois principales zones de conflit de la région. Plus de dix ans après le début de l’insurrection de Boko Haram dans le nord du Nigéria, les violences politiques se sont muées en une multitude de foyers de conflit infranationaux qui ont résisté à toutes les tentatives de résolution à ce jour. Au vu des tendances mises au jour dans ce rapport, il est difficile d’imaginer que ce processus puisse trouver une issue dans un avenir proche, et plus réaliste de s’attendre à ce que les réseaux de conflit poursuivent leur trajectoire d’extension, d’intensification et de centralisation.

Malgré des différences évidentes sur les plans tactique et stratégique, l’intervention française dans le Sahel, l’opération Unified Protector de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) et l’offensive conjointe contre Boko Haram autour du lac Tchad étaient toutes destinées à influencer l’issue d’un conflit en apportant leur soutien à l’un des belligérants. Aucun de ces efforts n’est toutefois parvenu à résoudre rapidement les conflits qui continuent de déchirer l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Près de dix ans après le Printemps arabe et la chute du Colonel Kadhafi, ni la Libye, ni le Mali, et encore moins la région du lac Tchad, ne sont ainsi devenus plus pacifiques qu’auparavant. Malgré une implication croissante des soutiens étrangers, les interventions militaires de ces dernières années n’ont pas réussi à mettre un terme à la violence. Aucune des interventions à l’étude dans ce rapport n’a conduit à une stabilisation politique durant laquelle les forces de police et les organismes civils peuvent mener des actions sociales, économiques et politiques.

Ce rapport s’attache plus particulièrement à l’étude de l’un des facteurs susceptibles d’expliquer les résultats limités des interventions militaires sur le plan de la résolution des conflits : la fluctuation constante des relations d’alliance et d’opposition liant les organisations violentes et leurs victimes. Cette approche par les réseaux semble indiquer que les interventions militaires au Mali, autour du lac Tchad et en Libye ont considérablement modifié l’environnement conflictuel au sein duquel opèrent les organisations violentes dans la région. L’introduction d’un acteur extérieur dans chacun des conflits a, en effet, non seulement augmenté le nombre d’organisations impliquées dans des actes de violence, mais aussi exacerbé les rivalités internes. Ces interventions créent de nouvelles configurations parmi les belligérants qui rendent les conflits plus violents et potentiellement plus difficiles à résoudre.

Pour mieux comprendre l’incidence que peuvent avoir les interventions militaires sur les réseaux de conflit, cette étude mesure le pouvoir politique de certaines des organisations impliquées dans les trois principales zones de conflit de la région avant, pendant et après chaque intervention. La mesure de ce pouvoir politique s’effectue à l’aide de l’indice positif-négatif (PN), qui évalue les contraintes et opportunités offertes par le réseau d’ennemis et d’alliés au sein duquel s’inscrit une organisation. Contrairement à d’autres mesures du pouvoir fondées sur les caractéristiques des organisations, comme leur taille ou le nombre d’armes dont elles disposent, l’indice PN évalue le degré de contrainte qu’exerce la structure globale de l’environnement conflictuel sur le pouvoir d’action d’une organisation. L’indice PN part ainsi du principe qu’une organisation a davantage de pouvoir quand elle est liée à des organisations ayant peu d’alliés que quand elle est en lien avec des organisations bien connectées. La même logique s’applique aux liens négatifs : il est préférable d’avoir des ennemis ayant eux-mêmes de nombreux ennemis que des ennemis moins contraints par leurs relations d’opposition avec d’autres organisations.

Dans le Sahel central comme dans la région du lac Tchad, les interventions militaires ont renforcé les dynamiques d’alliance préexistantes et contribué à durcir celles d’opposition. Les opérations Serval et Barkhane, mises en œuvre par la France, tout comme l’offensive menée par le Nigéria sous l’égide de la MNJTF, étaient en effet destinées à influencer l’issue du conflit en prenant résolument le parti des forces gouvernementales. Ces interventions ont ainsi fortement contribué à renforcer le pouvoir politique des forces armées maliennes et nigérianes, tout en réduisant celui des organisations jihadistes (graphique 1.6). En d’autres termes, la position structurelle des forces maliennes et nigérianes s’est vue améliorée par les nouvelles alliances nouées durant les interventions, tandis que celle de leurs adversaires s’en est trouvée dégradée.

Dans ces deux régions, les organisations jihadistes se sont révélées largement incapables de nouer des alliances durant l’intervention, et leurs alliés sont devenus moins tributaires d’elles qu’auparavant. Au Mali, de nombreux combattants d’Ansar Dine ont par exemple rejoint les rangs du MNLA ou du Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), nouvellement créé, après l’intervention de la France en janvier 2013. Au Nigéria, l’intervention de la MNJTF a exacerbé les tensions internes au sein de Boko Haram et contribué à la scission de l’organisation en deux factions qui ne coopèrent guère contre les forces gouvernementales. Les organisations jihadistes affiliées à Al-Qaïda ou à l’État islamique se sont donc trouvées confrontées à davantage d’ennemis, ou à des ennemis moins contraints qu’auparavant, comme les armées malienne et nigériane.

En Libye, l’intervention de l’OTAN en 2011, théoriquement destinée à protéger les civils des représailles de l’armée libyenne durant l’insurrection, a fonctionné de facto comme une mission de soutien au renversement du régime. Initialement axée sur l’attaque des unités militaires libyennes assiégeant les groupes rebelles dans les villes de l’est du pays, la campagne aérienne de l’OTAN a ensuite étendu ses frappes à des bases et unités militaires à travers tout le pays. Comme au Mali et dans le nord du Nigéria, l’intervention de l’OTAN a contribué à renforcer le pouvoir politique du belligérant soutenu par les puissances militaires étrangères. L’Armée de libération nationale (ALN) s’est ainsi retrouvée en meilleure position que les groupes pro-régime résistant encore après la fin de l’opération Unified Protector de l’OTAN.

Les bénéfices tirés de ces interventions militaires s’avèrent de courte durée. Au Mali, la violence connaît une forte recrudescence depuis 2017 et dépasse désormais les niveaux qui avaient déclenché l’opération Serval en 2013. En 2017, des groupes affiliés à Al-Qaïda se regroupent pour former la coalition jihadiste la plus puissante jamais connue dans la région, trois ans seulement après le remplacement de l’opération Serval par l’opération Barkhane. Dans le nord du Nigéria, les violences restent persistantes dans certaines zones autour du lac Tchad et de la frontière camerounaise (carte 1.2). Boko Haram et ISWAP sont loin d’être vaincus : au cours du premier semestre 2020, 600 événements violents attribués à l’un ou l’autre de ces deux groupes ont causé la mort de 2 623 personnes, selon ACLED. En Libye, la première guerre civile est suivie d’un second conflit en 2014. L’invasion manquée de l’ouest de la Libye par les forces de la LNA du Général Khalifa Haftar en 2019 est la dernière phase du conflit dans la guerre civile en cours, sans constituer une intervention étrangère en soi. Cependant, le rôle des soutiens militaires extérieurs à la LNA et au GNA est un sujet de préoccupation croissante et devrait continuer d’influencer l’issue du conflit. La bataille de Tripoli pousse le GNA à former une nouvelle coalition de groupes armés auparavant non alliés, ce qui renforce considérablement son pouvoir politique. La coalition formée autour des forces de Haftar se révèle quant à elle plus fragile et sa viabilité pourrait se trouver compromise sans succès militaires futurs.

L’évolution des relations complexes entre les acteurs en conflit en Afrique du Nord et de l’Ouest reste méconnue, malgré son importance évidente, à terme, pour la résolution des conflits armés. Au vu des centaines d’acteurs fluctuants impliqués dans les conflits modernes, la cartographie de ces réseaux de rivalités et d’alliances constitue une étape clé pour la mise en œuvre de politiques susceptibles d’enrayer l’escalade de la violence. L’analyse des réseaux permet ainsi de dégager quatre grandes options politiques pour améliorer la stabilité politique à long terme de la région.

Le problème le plus urgent reste la nécessité de mieux protéger les civils, qui restent les premières victimes de l’augmentation des violences dans la région. Ce constat confirme les résultat d’un précédent rapport (OCDE/CSAO, 2020[1]). Les civils sont impliqués, comme victimes, dans plus de conflits que n’importe quel autre type d’acteur en Afrique du Nord et de l’Ouest, que ce soit les forces étatiques, les groupes rebelles, les milices politiques et identitaires, ou les forces extérieures. En 2020, ils représentent plus de la moitié des acteurs en conflit recensés à l’échelon régional, au Mali et dans le Sahel central, ainsi qu’autour du lac Tchad (graphique 1.7). Au nord du Sahara, ils représentent 80 % des acteurs du conflit libyen, pourcentage très élevé qui s’explique par les bombardements aveugles de la LNA et les frappes aériennes menées par le GNA lors de la bataille de Tripoli en 2019-20.

Le nombre de groupes de civils victimes d’événements violents augmente, passant de 350 en moyenne dans les années 2000 à 500 en 2019. Pour inverser cette tendance, la protection des civils doit devenir la priorité absolue des autorités gouvernementales et de leurs alliés internationaux dans l’optique d’une stabilisation de la région. Près de dix ans après le début de la guerre civile malienne, il ne fait plus guère de doute que le moyen le plus efficace de contrer les insurrections jihadistes est de répondre aux problématiques rencontrées par les civils, en particulier dans les régions rurales où les populations locales sont souvent à la merci d’organisations extrémistes.

Jusqu’à présent, aucune des interventions militaires menées en Afrique du Nord et de l’Ouest n’est parvenue à créer des zones sécurisées pour les civils, qui permettraient la mise en œuvre de politiques de stabilisation par les forces de police et les organismes civils. L’un des effets des interventions, ainsi que des ripostes des organisations armées non étatiques, est le tribut toujours plus lourd payé par les civils de la région depuis 2010. Lors de chaque intervention, les violences contre les civils augmentent, que ce soit à dessein ou de manière accidentelle. C’est dans la région du lac Tchad que la situation est sans aucun doute la plus grave, avec quatre fois plus de personnes tuées dans le cadre de l’insurrection de Boko Haram et d’autres actes de violence depuis 2009 que lors de la guerre civile malienne. Dans cette zone durablement marquée par les violences politiques, la contre-offensive lancée par le Nigéria et ses voisins sous l’égide de la MNJTF est l’intervention militaire la plus meurtrière qu’ait connue la région depuis la fin des années 90.

Même dans les opérations visant spécifiquement à protéger les civils, comme celle menée par l’OTAN en Libye, le constat est identique : toujours plus de civils sont pris pour cible et tués chaque année. Les civils peuvent servir de cibles de substitution à des groupes affaiblis militairement lors des interventions. En effet, de nombreuses organisations n’ayant pas la capacité d’affronter directement les forces d’intervention ou leurs alliés peuvent en revanche prendre pour cible des non-combattants pour asseoir leurs revendications. Il importerait que les interventions futures soient aussi soucieuses de la protection des civils que du soutien militaire à leurs alliés politiques.

L’une des principales raisons de l’intensification des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest tient à l’augmentation du nombre de belligérants. Cette étude met ainsi clairement en évidence que la multiplication des organisations en conflit contribue à diffuser la violence politique dans des régions auparavant épargnées, affectant un nombre croissant de personnes, principalement en zones rurales. Davantage d’efforts politiques doivent donc être consentis pour limiter cette tendance inquiétante et réduire le nombre de nouveaux groupes armés, notamment les milices politiques et identitaires dont la violence augmente considérablement depuis le début des années 2010 (graphique 1.8).

En 2020, les milices politiques et identitaires représentent un tiers des organisations en conflit en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ces milices n’apparaissent pas uniquement en réponse à l’insécurité grandissante dans la région. Comme ailleurs sur le continent (Raleigh, 2016[4]), elles sont aussi l’une des principales causes de l’insécurité politique dans les États en voie de démocratisation. Les élites politiques, les dirigeants religieux et les leaders communautaires les utilisent souvent comme des armées privées pour s’arroger l’accès aux ressources, régler les différends et renforcer leur pouvoir local.

Les forces étatiques représentent environ un quart des organisations en conflit en Afrique de l’Ouest, et moins de 10 % en Libye. Leur implication croissante depuis le milieu des années 2000 reflète la dégradation de la situation sécuritaire dans la région et leurs rivalités envers les organisations extrémistes et les populations civiles. Les autorités gouvernementales devraient éviter le recours à ce type de milices, tenter de les démilitariser et favoriser le recours à des troupes entraînées, à même de répondre de leurs actes en cas de violations des droits humains.

Dans le Sahara-Sahel, les forces françaises n’ont pas eu recours à des milices et des forces auxiliaires, contrastant nettement avec les interventions de l’époque coloniale et de la Guerre froide (Shurkin, 2020[5]). Cela n’a cependant pas empêché le développement de nombreuses milices dans les régions rurales et leur utilisation par les élites locales et nationales. Dans le nord du Nigéria, la coopération entre les forces gouvernementales et les milices locales s’est avérée déterminante dans la lutte contre Boko Haram, mais a aussi entraîné une prolifération d’armes, une militarisation croissante de la région et un cycle de représailles aux répercussions dramatiques pour les civils. C’est toutefois en Libye que l’importance des milices et leur effet potentiellement déstabilisateur sont les plus marqués. La LNA comme le GNA rassemblent une myriade de milices locales aux allégeances fluctuantes et ne forment guère d’entités politiques et militaires réellement unifiées. Cette nature hétéroclite des deux principaux belligérants du conflit libyen rend la perspective d’un cessez-le-feu difficile à concrétiser, au vu de la divergence des objectifs de chacune de leurs composantes.

La complexité des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest est accentuée par leur dimension transnationale. Le conflit malien, par exemple, s’inscrit dans un environnement conflictuel plus vaste comprenant le Burkina Faso et le Niger (graphique 1.9). En 2019, pas moins de 136 acteurs étatiques et non étatiques sont impliqués dans des actes de violence dans le Sahel central. Au lieu de former trois théâtres d’opérations distincts, les réseaux de coopération et d’opposition du conflit malien s’étendent au-delà des frontières de l’État malien, du fait des activités d’organisations violentes transnationales telles que le JNIM et l’EIGS (en vert), et des offensives militaires conjointes lancées par les pays de la région et leurs alliés internationaux (en gris).

En plus d’augmenter le nombre de belligérants, la nature transfrontalière des violences complique les relations de coopération et d’opposition avec les gouvernements. Les groupes rebelles et les organisations extrémistes peuvent opérer dans un pays et en utiliser un autre comme refuge pour l’entraînement et le recrutement de leurs militants, développant ainsi des relations divergentes avec des forces gouvernementales voisines. Des groupes s’opposant au gouvernement d’un pays peuvent par ailleurs soutenir celui d’un autre. Au cours des dix dernières années, des mouvements sécessionnistes se sont par exemple développés parmi les communautés touareg du nord du Mali, tandis que les Touareg ont maintenu des relations de coopération avec le gouvernement du Niger.

Les États du Sahel doivent poursuivre leurs efforts pour mettre en place des forces régionales à même de faire face à la diffusion de la violence politique dans la région, comme la Force conjointe du G5 Sahel. La coordination des actions des forces militaires n’est nulle part ailleurs plus importante dans la région qu’à la périphérie des États. Dix pour cent des victimes d’actes de violence dans la région sont tuées à moins de dix kilomètres d’une frontière terrestre, ce qui fait des zones frontalières les régions les plus dangereuses d’Afrique du Nord et de l’Ouest (OCDE/CSAO, 2020[1]). La singularité de cette géographie des conflits appelle des politiques plus territorialisées. Longtemps négligées par les autorités gouvernementales et mal connectées aux centres urbains régionaux et nationaux, les régions frontalières doivent être la priorité des approches pangouvernementales coordonnées par les puissances intervenant dans la région. Les gouvernements du Sahel doivent en outre reconnaître les spécificités des régions frontalières et la nécessité de renforcer la cohésion nationale en décentralisant les institutions et les infrastructures au bénéfice de tous, sur un pied d’égalité.

Les interventions militaires peuvent profondément modifier l’équilibre des forces entre les belligérants, selon que ces tierces parties s’attachent à renforcer les collaborations existantes entre alliés ou ciblent les conflits entre ennemis. Il est en général difficile de prévoir l’issue de ces interventions, car elle dépend des relations préexistantes entre les belligérants, dont les rivalités et alliances restent souvent mal connues. La cartographie du réseau de conflit peut aider à mesurer l’impact direct et indirect des interventions militaires sur l’ensemble des parties prenantes.

Les situations en Libye, au Mali, et au Nigéria questionnent les résultats de stratégies militaires qui prennent parti pour un belligérant par rapport à celles qui cherchent une médiation entre les parties belligérantes. Les interventions dans lesquelles les tierces parties s’impliquent de façon neutre semblent davantage susceptibles de promouvoir la coopération entre les belligérants et la réduction des violences. Même si elle peut entraîner des violences, la médiation a néanmoins un plus fort potentiel de stabilité à long terme, en créant une situation propice à la coopération entre les acteurs, ou en amenant les acteurs à changer d’allégeances et à collaborer entre eux. Les interventions dites partisanes ont tendance à favoriser l’opposition entre les acteurs, ou les changements d’allégeances créant de nouveaux affrontements.

Les analyses de réseau effectuées pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest montrent que les interventions militaires partisanes ont contribué à la formation d’alliances avec au moins un des acteurs centraux du conflit. Au Mali et autour du lac Tchad, la France et la MNJTF ont par exemple noué des alliances avec les États contre leurs rivaux non étatiques, tandis qu’en Libye, l’OTAN s’est alliée avec les rebelles anti-Kadhafi. Cette stratégie partisane ne modifie pas paradoxalement l’équilibre des forces entre la puissance intervenante, les États et leurs rivaux. Sans entraîner de changement politique nécessaire à l’amélioration de la situation sécuritaire, les interventions militaires ont contribué à créer une situation dans laquelle les organisations jihadistes sont trop faibles pour renverser les régimes en place, et les forces gouvernementales trop mal équipées pour mettre fin aux insurrections.

Désormais, les puissances militaires extérieures tentent de maintenir l’équilibre des forces sans s’impliquer dans le projet politique national et depuis la fin de la Guerre froide, se concentrent sur les opérations militaires. Cependant, les régimes locaux peinent à mettre en place les réformes politiques nécessaires à la gestion de la situation sécuritaire au-delà des interventions militaires. Les approches manquent de coordination et tendent à favoriser le statu quo. Comme le note Shurkin (2020[5]) à propos des opérations Serval et Barkhane : « L’armée française se contente de cibler la sécurité dans l’attente que d’autres opèrent le travail politique […] contribuant ainsi à perpétuer un système politique qui constitue l’un des vecteurs de conflit ».

Les gouvernements du Sahel s’inscrivent dans une stratégie de rempart laïque contre l’islamisme aux côtés de leurs partenaires. Cependant, la structure des conflits actuels montre qu’ils sont motivés également par des revendications communautaires laissées sans réponse par les autorités. Les organisations extrémistes ont certes noué des liens avec Al-Qaïda et l’État islamique, mais leur opposition aux forces gouvernementales et leur violence contre les civils s’expliquent par des facteurs essentiellement locaux, comme l’accès aux ressources pastorales ou le contrôle des voies commerciales, qui varient selon les sociétés et les États.

Une action exclusivement militaire ne peut venir à bout des racines de tels conflits. Les forces extérieures ne sauraient être le principal instrument de la stabilité politique de la région. Cela nécessiterait un engagement militaire d’une durée indéfinie, peu susceptible de faire disparaître la menace posée par les organisations jihadistes opérant en Afrique du Nord et de l’Ouest et les autres formes de violence. Une amélioration de la situation politique suppose que les États soient porteurs de projets politiques soutenables et d’alternatives face aux idéologies extrémistes fondées sur la peur et l’exclusion. Pour les forces militaires, il s’agit essentiellement de créer les conditions propices à la recherche de solutions politiques, qui doivent naître du dialogue entre les forces politiques en présence.

Références

[2] ACLED (2020), The Armed Conflict Location & Event Data Project, https://acleddata.com/data-export-tool/.

[3] Dorff, C., M. Gallop et S. Minhas (2020), « Networks of violence: Predicting conflict in Nigeria », The Journal of Politics, vol. 82/2, pp. 476-493.

[1] OCDE/CSAO (2020), Géographie des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest, Cahiers de l’Afrique de l’Ouest, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/4b0abf5e-fr.

[4] Raleigh, C. (2016), « Pragmatic and promiscuous: Explaining the rise of competitive political militias across Africa », Journal of Conflict Resolution, vol. 60/2, pp. 283–310.

[5] Shurkin, M. (2020), « France’s war in the Sahel and the evolution of counter-insurgency doctrine », Texas National Security Review, vol. 4/1, pp. 1–15.

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