copy the linklink copied!Éditorial

La migration touche à la notion même d’État-nation. Les changements apportés à la législation régissant qui peut entrer ou séjourner légalement dans un pays, qui peut s’y installer avec sa famille, qui peut obtenir la citoyenneté ou voter, peuvent tous avoir un impact sur les normes sociales, les valeurs et les institutions.

C’est pourquoi la gestion des flux migratoires et l’intégration des immigrés dans les pays de l’OCDE font partie des questions de politique publique les plus sensibles et les plus complexes auxquelles nous sommes confrontés. Les décisions en matière de politique migratoire suscitent souvent la controverse et, en même temps, les questions de migration et d’intégration figurent souvent en bonne place dans la liste des préoccupations exprimées par les citoyens dans les sondages.

Pourtant, la migration n’est pas un phénomène nouveau. Les humains ont toujours émigré, en quête d’une vie meilleure ailleurs. Et tandis que les flux migratoires atteignent des niveaux records et que de nombreux pays de l’OCDE ont une part importante de leur population née à l’étranger, le discours public dans la presse et sur les réseaux sociaux est souvent dominé par des opinions partielles ou déformées, les immigrés servant de boucs émissaires pour des problèmes ou des craintes pourtant indépendants de ce phénomène. Dans de nombreux cas, l’immigration tend à être réduite à des considérations humanitaires, tandis que des mouvements illégaux sont confondus avec des migrations légales.

Dans un certain nombre de pays, il existe une perception commune au sein du public que l’immigration est incontrôlée et coûteuse. Incontrôlée parce que les frontières ne sont pas perçues comme sécurisées. Coûteuse parce qu’on suppose que les immigrés prennent les emplois de travailleurs nés dans le pays, ou bénéficient des prestations sociales pour eux-mêmes et/ou pour leur famille. De nombreuses analyses économiques empiriques, mentionnées dans le chapitre 3 de cette publication, montrent clairement qu’il y a peu de preuves permettant de soutenir ces points de vue. Les migrations, si elles sont bien gérées, peuvent apporter des avantages économiques et sociaux aux pays de destination et d’origine, ainsi qu’aux immigrants et aux non-migrants. Toutefois, ce serait une grave erreur que de ne pas prendre en considération les opinions et les craintes relatives à l’immigration. Elles reflètent un ensemble complexe de problèmes qui doivent être pleinement compris et traités.

Premièrement, il ne s’agit pas uniquement d’économie. Le scepticisme à l’égard de la volonté des immigrés de s’intégrer dans la société d’accueil et d’adopter les règles et les valeurs de cette société est un défi à relever frontalement. Comme nous le montrons clairement dans le deuxième chapitre de cette publication, de nombreux pays de l’OCDE ont développé des cours et des tests d’intégration civique pour les immigrants nouvellement arrivés. Bien qu’on puisse douter de la possibilité de « tester » l’intégration sociale en tant que telle, il est juste de dire que la participation à la société d’accueil exige, au minimum, l’adoption et le respect de ses valeurs fondamentales. Adapter les politiques relatives aux migrations et à l’intégration pour récompenser ceux qui adoptent et respectent ces valeurs, notamment en termes de renouvellement et de stabilité des permis de séjour, contribuerait certainement à un débat plus équilibré sur l’immigration.

Deuxièmement, même en se concentrant sur les aspects économiques, il est important de reconnaître que si les politiques migratoires sont généralement nationales, les effets sur le marché du travail et la société sont largement ressentis localement. Se concentrer uniquement sur des statistiques globales sur les effets des flux et de l’intégration est une erreur, car les coûts et les bénéfices de l’immigration sont inégalement répartis au sein des pays et entre les niveaux de gouvernement. Par exemple, les immigrés peu qualifiés se concentrent souvent dans des zones urbaines déjà défavorisées, ce qui peut ensuite poser des difficultés pour leur intégration dans les communautés locales. En outre, si le flux total d’immigrés est généralement trop faible par rapport à l’ensemble de la main-d’œuvre pour influer en moyenne sur les perspectives d’emploi et les salaires des personnes nées dans le pays, un afflux important d’immigrés vers des emplois peu qualifiés pourrait nuire aux perspectives d’emploi des jeunes travailleurs non-qualifiés. Il est crucial de reconnaître l’impact distributif inégal de l’immigration, puis de traiter ses conséquences. Il est important d’identifier les gagnants et les perdants, de compenser ces derniers et d’adapter les politiques afin de minimiser les impacts négatifs.

Les immigrés eux-mêmes sont très hétérogènes ; pour certains, notamment les réfugiés, les premières étapes consistant à leur apporter un soutien immédiat à leur arrivée et à les guider tout au long des différents stades de leur intégration, peuvent être coûteuses et pas toujours simples. La reconnaissance de ces faits est une condition préalable à la promotion d’une intégration réussie, mais aussi à une stratégie de communication efficace visant à combler l’écart entre les perceptions du public et la réalité.

Troisièmement, il est légitime que les résidents souhaitent connaître le nombre de réfugiés et d’immigrés qui arrivent et dans quel but, où ils vont vivre et travailler, et quelle est leur capacité potentielle à s’intégrer dans la société. Le partage de l’information et la communication sur les questions de migration doivent, sans aucun doute, être améliorés. En Europe, par exemple, le dernier Eurobaromètre suggère que 60 % des personnes interrogées ne se sentent pas bien informées sur l’immigration et l’intégration. En moyenne, les personnes interrogées dans l’Union européenne surestiment le nombre d’immigrés en provenance de l’extérieur de l’Europe par un facteur de deux, et la moitié d’entre elles supposent à tort qu’il y a plus d’immigrés séjournant irrégulièrement qu’en situation légale, alors que les estimations disponibles suggèrent que les personnes en situation irrégulière représentent une part relativement faible du nombre total d’étrangers.

Les Perspectives des migrations internationales de l’OCDE ont fourni, au cours de leurs 43 éditions annuelles, des données comparables détaillées sur les effectifs et les entrées d’immigrés dans les pays de l’OCDE. Le premier chapitre spécial de l'édition de cette année ajoute un nouvel élément important en présentant pour la toute première fois des données comparables sur l’impact des migrations temporaires et des travailleurs frontaliers sur les marchés du travail des pays de l’OCDE. Ce chapitre montre que les migrants temporaires ajoutent 2 à 4 % à la population en emploi en Belgique, en Israël, en Corée et en Nouvelle-Zélande, plus de 9 % en Suisse et 65 % au Luxembourg. Ce groupe, parce qu’il est très hétérogène et qu’il n’est pas toujours couvert par des données administratives, n’est pas bien pris en compte dans les analyses de l’immigration. Pourtant, de nombreuses personnes considèrent les travailleurs détachés en Europe ou les travailleurs étrangers temporaires dans d’autres parties de l’OCDE comme une menace pour leurs perspectives d’emploi.

Quatrièmement, les défis réels ou perçus de l’intégration d’un nombre croissant d’immigrés sont souvent le signe d’autres inquiétudes dans une société qui est de plus en plus préoccupée par le présent et l’avenir. Les préoccupations au sujet de l’immigration et de ses effets sur l’économie et la société sont associées à une augmentation plus générale de l’anxiété et de la méfiance à l’égard de la capacité des gouvernements à répondre aux besoins des populations. Les sondages d’opinion suggèrent que, s’il existe au sein de la population deux groupes de taille significative avec des points de vue opposés sur l’immigration, il existe un important groupe médian qui est plus indécis. Nombre de ses membres appartiennent à la classe moyenne, une classe qui est de plus en plus exposée aux incertitudes économiques. Dans l’ensemble de la zone OCDE – à l’exception de quelques pays – les revenus de la classe moyenne sont aujourd’hui à peine plus élevés qu’il y a dix ans. Le coût de la vie – éducation, logement, santé – a toutefois considérablement augmenté et les perspectives du marché du travail sont devenues de plus en plus incertaines : parmi les travailleurs à revenu moyen, un sur six occupe un emploi exposé à un risque élevé d’automatisation, comparé à un sur cinq parmi les travailleurs à faible revenu et à un sur dix parmi ceux à revenu élevé.

Pour relever ce défi, il faut non seulement adopter sur l’immigration un discours public équilibré et fondé sur des faits, qui ne néglige pas les préoccupations exprimées par ceux qui font partie de la « classe moyenne inquiète », mais il faut aussi aider la classe moyenne avec un plan d’action global, comme le recommande l’OCDE dans son récent rapport « Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse ».

Enfin, il est nécessaire d’améliorer la communication publique sur les questions d’immigration et d’intégration. Certains pays ont élaboré de solides stratégies de communication sur ces sujets. C’est le cas, par exemple, du Canada avec Limmigration, ça compte, initiative qui cherche à mettre en évidence les avantages de l’immigration à l’échelle locale, en dissipant les idées reçues sur l’immigration et en promouvant des relations positives entre les nouveaux arrivants et les Canadiens. Cependant, dans la plupart des pays, il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la communication avec le public au sujet de l’immigration. L’OCDE s’est pleinement engagée à promouvoir une communication meilleure et plus efficace sur les questions d’immigration et a lancé en 2018 le Réseau des chargés de communication sur les migrations (NETCOM). Ce réseau rassemble des responsables de la communication et des conseillers politiques travaillant dans les ministères, agences et autorités locales des pays de l’OCDE pour discuter des objectifs et des défis de la communication dans le domaine de l’immigration et de l’intégration, et pour partager les bonnes pratiques. L’objectif de ce réseau est de créer un espace d’échange, d’examiner des expériences concrètes et des études de cas, et de faciliter les échanges entre ministères et entre pays, améliorant ainsi la coordination, notamment en temps de crise.

Relever ces défis ne sera ni rapide ni facile, mais il est essentiel que les gouvernements et les citoyens reconnaissent l’impact continu que les migrations auront sur nos normes, valeurs et institutions sociales, ainsi que sur nos économies et notre bien-être. L’OCDE continuera de travailler en étroite collaboration avec les pays membres et toutes les parties prenantes concernées pour alimenter un débat public raisonné et constructif.

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Stefano Scarpetta,

Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE

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https://doi.org/10.1787/60811ed3-fr

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