23. Coup de projecteur : L’application des principes d’efficacité du financement dans les îles du Pacifique

Toleafoa Alfred Schuster
conseiller en développement et en engagement stratégique dans le Pacifique

L’auteur tient à exprimer sa gratitude et ses remerciements à Katharina Gugerell pour son aide dans la présente étude de cas.

  • Les cadres régionaux de redevabilité comme le Pacte du Forum ont prouvé leur utilité en tant qu’instruments de redevabilité mutuelle et d’amélioration de l’efficacité des approches à l’appui d’un développement à impact dans le Pacifique. Ils devraient être des sources d’enseignements et de bonnes pratiques.

  • Bien que les systèmes de gestion des finances publiques des pays insulaires du Pacifique se soient améliorés depuis la création du Pacte du Forum, ils sont souvent trop fragiles répondre aux exigences des financements climatiques.

  • Il existe encore une faible corrélation entre la qualité des systèmes nationaux et la probabilité que les partenaires au développement les utilisent.

  • La flexibilité du soutien budgétaire et l’harmonisation des évaluations menées par les donneurs sont des pistes importantes pour favoriser l’utilisation des systèmes nationaux.

Les préoccupations exprimées par les pays insulaires du Pacifique (PIC) concernant leur accès aux financements climatiques rappellent les débats de fond sur l’efficacité de la coopération pour le développement qui ont eu lieu pendant la première décennie d’existence du « Cairns Compact for Strengthening Development Coordination in the Pacific » (Pacte de Cairns pour le renforcement de la coordination du développement dans le Pacifique), connu sous le nom de Pacte du Forum1. Cet instrument, point de départ d’un développement constructif, a mis à la disposition des gouvernements des États insulaires du Pacifique une solide enceinte politique, stratégique et régionale qui a facilité l’élaboration d’un programme de réforme de l’aide. L’objectif du Pacte du Forum était de renouveler l’engagement de favoriser les performances de la région dans les domaines de l’économie et du développement, en cherchant principalement à améliorer la coordination des ressources et des acteurs du développement.

Depuis son adoption en 2009, le Pacte du Forum encadre l’action politique menée pour venir à bout de plusieurs obstacles qui freinent depuis longtemps le développement de la région Pacifique. Il a transposé à l’échelon local les engagements internationaux inscrits dans la Déclaration de Paris, le Programme d’action d’Accra et le Partenariat de Busan. Les principes énoncés dans le Pacte du Forum avaient en outre pour but de susciter un changement de comportement auprès de l’ensemble des acteurs du développement concernés, et de corriger les déséquilibres du pouvoir expérimentés par les pays partenaires du Pacifique. En dépit de la perte de vitesse enregistrée par le Pacte du Forum ces dernières années, les PIC et leurs partenaires au développement peuvent appliquer les leçons qui ont été tirées de ses réussites et de ses échecs lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes d’efficacité similaires sur la question du financement climatique.

Le Pacte du Forum fournit des enseignements précieux, des bonnes pratiques et un modèle de coordination régionale propres à aider les PIC à améliorer l’efficacité de l’aide et à accroître leur accès à des financements vitaux au regard de l’action climatique et du développement. Ses principales priorités étaient notamment la réduction de la fragmentation de l’aide, la gestion plus efficiente de l’aide, l’amélioration de l’efficacité de l’aide par des mesures telles que l’utilisation accrue des systèmes nationaux, le recours à des engagements de financement pluriannuels et prévisibles, des financements groupés, des travaux d’analyse menés en collaboration et la délégation de la mission de fourniture de l’aide aux principaux donneurs (Pacte du Forum, 2017[1]).

Le Pacte du Forum a associé des approches nationales du développement à des approches régionales pour s’attaquer aux défis communs. Plus récemment, les PIC se sont regroupés pour gérer collectivement les impacts du changement climatique. La présidence par les îles Fidji de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques en 2017 (COP23) a consolidé ces efforts, de même que les Orientations des Samoa, un programme d’action approuvé internationalement qui promeut une croissance économique équitable et durable pour les petits États insulaires en développement. Le Pacte du Forum a apporté la preuve de son utilité pour repérer et diffuser les bonnes pratiques, de sa contribution à l’apprentissage transfrontière ainsi que de sa fonction de cadre régional permettant d’assurer le suivi – et les activités de sensibilisation y afférentes – d’éléments qu’il conviendra de préserver dans les travaux qui seront menés à l’avenir sur la région (Pacte du Forum, 2017[2]). Par ailleurs, les examens par les pairs réalisés dans le cadre de cet accord ont été particulièrement utiles pour mettre en œuvre les Objectifs de développement durable, évaluer l’efficacité du développement et faciliter l’analyse du financement climatique.

À titre d’exemple, l’accès aux indispensables financements climatiques passe souvent par des processus d’agrément laborieux et complexes, qui obligent les PIC à disposer de systèmes de gestion des finances publiques à toute épreuve.   
        

Le Pacte du Forum et, plus récemment, les canaux d’acheminement du financement climatique, dépendent dans une large mesure de l’efficacité des systèmes de gestion des finances publiques. Compte tenu de l’importance de l’efficacité des systèmes nationaux, la question de la réforme de la gestion des finances publiques est continuellement abordée lors des réunions des ministres de l’Économie du Forum des îles du Pacifique. En règle générale, les performances des pays qui ont fait l’objet de plusieurs évaluations des dépenses publiques et de la responsabilité financière se sont légèrement améliorées au fil des ans. Néanmoins, des difficultés subsistent, dont certaines étaient déjà qualifiées de problématiques lors de la création du Pacte du Forum : budgets ayant peu de liens avec l’action publique et la planification à moyen terme ; cloisonnement organisationnel de la planification, la budgétisation et la gestion de l’aide ; séparation du budget ordinaire et du budget du développement ; faible maîtrise de la masse salariale, pratiques de passation des marchés inadaptées et comptabilité incomplète. Bien que ces problèmes ne se rencontrent pas dans tous les pays, leur persistance dans la plupart d’entre eux semble indiquer que les prises de décisions sont encore dictées par des intérêts bien ancrés, et que les faiblesses institutionnelles continuent d’éroder les systèmes de finances publiques (Pacte du Forum, 2017[1]). Cette situation a d’importantes répercussions. À titre d’exemple, l’accès aux indispensables financements climatiques passe souvent par des processus d’agrément laborieux et complexes, qui obligent les PIC à disposer de systèmes de gestion des finances publiques à toute épreuve. Bien que les fonds pour le climat aient essayé de simplifier ces processus, les PIC ont toujours du mal à accéder à leurs financements car les réformes requises puisent dans les capacités déjà faibles de ces pays (Fouad et al., 2021[3]).

Les pays de la région Pacifique ont adopté des plans nationaux novateurs et ont progressivement amélioré leurs systèmes centraux, ce qui a permis des avancées en matière de prévisibilité, d’alignement et d’harmonisation de l’aide. Pourtant, le constat émanant des examens par les pairs est qu’il existe peu de corrélation entre la qualité d’un système national et la probabilité qu’il soit utilisé par un partenaire au développement. La décision d’utiliser un système national dépend en grande partie des pratiques sectorielles, du niveau global de confiance entre l’administration publique du PIC et le fournisseur de coopération pour le développement, ainsi que du degré de tolérance au risque de ce partenaire. Lors du Cycle de suivi 2016 du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, certains PIC ont fait état d’une utilisation fréquente des systèmes nationaux. Toutefois, la forte utilisation des systèmes nationaux par certains partenaires au développement ne témoigne pas de la confiance à l’égard de ces systèmes mais est plutôt le reflet d’une pratique ancienne. Dans d’autres PIC, les systèmes nationaux restent peu utilisés par les partenaires au développement. Les Samoa sont le seul pays où le taux d’utilisation de ces systèmes dépassait 80 %. Le recours aux dispositifs nationaux de passation des marchés demeure aussi globalement faible dans l’ensemble des PIC, preuve qu’il s’agit généralement d’un sujet de préoccupation récurrent dans les stratégies de gestion des risques des partenaires au développement (Pacte du Forum, 2017[1]). L’amélioration des systèmes nationaux et leur utilisation accrue sont des impératifs pour mener à bien les programmes, en particulier ceux relatifs à l’adaptation aux effets du changement climatique.

La Feuille de route du Pacifique pour un développement durable et la dynamique en faveur d’une augmentation des financements climatiques fournissent une nouvelle occasion de consolider les leçons qui ont été tirées au cours des sept années d’existence du Pacte du Forum. La prise en compte de ces leçons dans les mesures qui seront prises à l’avenir afin d’attirer des financements climatiques et de les utiliser efficacement dans la région peut favoriser un usage plus rationnel des ressources.

Certains partenaires au développement fournissent de plus en plus un soutien budgétaire flexible et coordonné pour accompagner les pays du Pacifique dans leurs propres initiatives de réforme. Ce type de mécanisme est aujourd’hui couramment utilisé par cinq partenaires clés2 dans leur coopération avec presque la moitié des pays insulaires du Pacifique signataires du Pacte du Forum, ce qui représente une nette progression depuis 2009, où son utilisation était très restreinte. Des progrès sont toutefois encore possibles. Plusieurs États du Pacifique réclament que leurs systèmes nationaux soient davantage utilisés par les partenaires. Certains partenaires continuent de privilégier un financement bilatéral et par projet, en allouant les fonds sur la base du critère de l’intérêt national ; les financements climatiques demeurent difficiles d’accès et ciblent des investissements particuliers. Les avancées des États du Pacifique et de leurs différents partenaires sur ces questions doivent être pilotées depuis le terrain. Il conviendrait en particulier que les pays mettent en commun leurs bonnes pratiques afin que l’ensemble des partenaires sachent comment procèdent les autres parties prenantes.

Les PIC soulignent également qu’une piste importante pour l’avenir serait de mieux harmoniser les systèmes de passation des marchés, de sous-traitance, d’évaluation, de suivi et de notification des partenaires, en particulier lorsque les systèmes nationaux eux-mêmes sont défaillants . Les systèmes des PIC sont souvent soumis à diverses évaluations des donneurs. En 2013, par exemple, une étude notait que dans trois des plus petites administrations, entre 150 et 200 projets et dons étaient en cours, et la plupart présentaient des formats de notification, des échéances et des exigences de gestion différents (Forum des îles du Pacifique, 2013[4]). Pour alléger le fardeau administratif qui pèse sur les petits pays et améliorer l’utilisation des systèmes nationaux par les partenaires au développement, il est important : de favoriser et d’adopter des mesures conjointes pour prendre acte des résultats et des recommandations de réformes provenant des évaluations réalisées par d’autres donneurs ; d’établir formellement des accords de collaboration afin d’harmoniser les procédures de passation des marchés et de notification ; et de compléter l’assistance technique et le recours aux systèmes des donneurs uniquement dans les domaines où des lacunes reconnues existent.

Le volume du financement du développement alloué aux pays du Pacifique a augmenté parallèlement aux engagements internationaux à l’appui de l’adaptation aux effets du changement climatique. La création du Fonds vert pour le climat et les engagements qui sous-tendent le Fonds pour l’adaptation promettaient de faciliter l’accès des pays du Pacifique aux financements climatiques et la concrétisation de leurs priorités en matière d’adaptation. Afin d’améliorer la coordination des initiatives relatives à la gestion et la mise en œuvre des financements climatiques, les États du Pacifique ont adopté en 2013 le Cadre d’évaluation du financement du changement climatique dans le Pacifique (Forum des îles du Pacifique, 2013[5]), en s’appuyant sur des cadres régionaux et internationaux existants dont l’examen institutionnel des dépenses publiques dans le domaine climatique (conduit par le Programme des Nations Unies pour le développement), le cadre d’examen des dépenses publiques et de la responsabilité financière, les feuilles de route sur la gestion des finances publiques, et le Pacte du Forum. Le programme « Pacific Islands Climate Change Program », dont le but est d’aider les pays insulaires du Pacifique à mettre en œuvre la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, a de nombreux points communs avec le Pacte du Forum, notamment pour ce qui est de la priorité accordée à l’efficacité du développement ainsi qu’au lien entre les initiatives d’adaptation au changement climatique et l’efficacité de l’aide au développement au sens large (mesurée par l’appropriation, l’harmonisation, l’alignement, la gestion des résultats et la redevabilité mutuelle).

Le Cadre d’évaluation du financement du changement climatique dans le Pacifique peut s’appuyer sur d’importants instruments mis en place dans la région – et s’en inspirer –, en particulier le Pacte du Forum. Il reflète la priorité accordée depuis peu à l’échelle régionale aux éléments suivants : l’amélioration de la gestion et de la mise en œuvre du financement du développement ; la nécessité que l’efficacité de la coopération pour le développement soit du ressort et de la responsabilité des États du Pacifique ; et le fait que le rôle principal des fournisseurs d’aide au développement est d’assurer un accès facile aux ressources financières ainsi que l’alignement et l’appropriation de mesures reconnues d’efficacité. Cela dit, depuis 2009, la dynamique du développement a évolué aux niveaux régional et mondial. Par conséquent, la nature de la collaboration entre les pays du Pacifique doit constamment évoluer si les intéressés veulent progresser en direction de leurs objectifs de développement, en particulier s’agissant de la lutte contre le changement climatique.

La difficulté réside dans la nécessité de réorienter l’ambition des principes énoncés dans le Pacte du Forum vers les aspects pratiques des accords de partenariat, notamment en ce qui concerne le financement en faveur du développement et du climat. Les données issues de l’observation montrent que le Pacte du Forum représente une base solide pour permettre aux PIC de jouer un rôle pilote dans la définition des conditions dans lesquelles ils souhaitent inscrire une coopération pour le développement efficace dans le Pacifique ; l’accord prévoit, pour soutenir sa mission, des examens par les pairs, la communication annuelle d’informations par les donneurs sur une sélection d’indicateurs d’efficacité nuancés, ainsi qu’un dialogue régulier, inclusif et régional sur les résultats des processus instaurés par l’accord.

Le Pacte du Forum est un instrument conçu localement par des instances politiques pour encourager la redevabilité mutuelle et l’adoption d’approches plus efficaces destinées à assurer un développement constructif et prometteur dans le Pacifique. La région est trop souvent le théâtre de pratiques censément nouvelles et novatrices en matière de financement du développement et de partenariats efficaces, adoptées par pur attrait de la nouveauté. Il suffit pourtant de regarder en arrière et de considérer le retour sur investissement du Pacte du Forum pour se rendre compte que les approches qui ont fait leurs preuves sont tout aussi efficaces, voire plus.

Références

[5] Forum des îles du Pacifique (2013), Pacific Climate Change Finance Assessment Framework Final Report, Forum des îles du Pacifique, Suva, Fidji, https://library.sprep.org/sites/default/files/2021-04/PCCFAF_Final_Report.pdf.

[4] Forum des îles du Pacifique (2013), Tracking the Effectiveness of Development Efforts in the Pacific Report, Forum des îles du Pacifique, Suva, Fidji.

[3] Fouad, M. et al. (2021), « Unlocking access to climate finance for Pacific Island countries », Blog PFM du FMI, https://blog-pfm.imf.org/en/pfmblog/2021/09/unlocking-access-to-climate-finance-for-pacific-islands-countries.

[1] Pacte du Forum (2017), « Forum Compact Review background note 1: Overview of activities and results », document non publié.

[2] Pacte du Forum (2017), « Forum Compact Review background note 2: Development outcomes and financing », document non publié.

Notes

← 1. Le Pacte de Cairns est une déclaration d’entente formulée par les dirigeants des membres du Forum des îles du Pacifique. Elle reste aujourd’hui un document officiel témoignant de la décision prise par ces dirigeants. Les engagements et les investissements de la région à l’égard des résultats énoncés dans cet accord ont atteint leur apogée au cours de la période 2009-18.

← 2. Les cinq partenaires fournissant régulièrement des informations sur les indicateurs du Pacte du Forum adaptés de la Déclaration de Paris/du Partenariat de Busan sont les suivants : Australie, Nouvelle-Zélande, Banque asiatique de développement, système des Nations Unies et Banque mondiale.

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