1. Tendances récentes de l’émigration ivoirienne

La Côte d’Ivoire a longtemps été, et demeure encore, un pays d’immigration. Les mouvements migratoires massifs vers la Côte d’Ivoire ont été principalement déclenchés par la colonisation en Afrique de l’Ouest à partir de la fin du 19e siècle. Entre les deux guerres mondiales, les mouvements migratoires vers la Côte d’Ivoire étaient caractérisés par le déplacement de nombreux travailleurs forcés. Dans les années 1950, les flux d’immigration étaient majoritairement composés de travailleurs saisonniers en provenance d’autres colonies d’Afrique de l’Ouest, venus pour travailler dans le Sud du pays dans les plantations de café et de cacao et les exploitations forestières (Kipré, 2006[1]).

Après l’indépendance du pays en 1960, le Président Félix Houphouët-Boigny a instauré une politique d’immigration ouverte visant à attirer la main d’œuvre étrangère pour maximiser l’exploitation des richesses agricoles ivoiriennes et ainsi faire de la Côte d’Ivoire un exportateur majeur de produits agricoles. Entre 1960 et 1980, la Côte d’Ivoire a connu une période de forte croissance économique, rendant le pays particulièrement attractif pour les résidents des pays voisins de la région, et plus précisément des zones de la savane et du Sahel, notamment du Burkina Faso et du Mali. Le dynamisme du port d’Abidjan, les cultures de cacao, de café, puis l’exploitation du bois et du palmier à huile étaient les principaux secteurs attractifs du pays. Dès lors, les flux d’immigration en direction de la Côte d’Ivoire se sont intensifiés dans les années 1970, notamment en raison des nombreuses crises climatiques et politiques, survenues dans les pays du Sahel lors de cette période, provoquant le déplacement de nombreux ressortissants ouest-africains. De plus, le gouvernement a mis en place des mesures visant à attirer la main d’œuvre étrangère, telles que l’accès à la propriété foncière pour les personnes étrangères (Kipré, 2006[1]).

La Côte d’Ivoire a signé en 1979 le protocole de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement. Le protocole de 1986 a garanti l’accès à une activité économique pour les ressortissants des pays membres de la CEDEAO. La Côte d’Ivoire est donc très vite devenue le premier pays de destination des migrants en Afrique de l’Ouest, devant le Ghana et le Sénégal.

L’émigration ivoirienne a été pendant longtemps un phénomène relativement mineur et les Ivoiriens émigraient peu : après l’indépendance en 1960 et jusqu’en 1980 environ, des ressortissants ivoiriens quittaient le pays dans le but d’étudier à l’étranger et une petite partie d’entre eux restait dans les pays de destination pour travailler (OIM, 2016[2]). Les mouvements migratoires des résidents ivoiriens se faisaient principalement à l’intérieur du pays, notamment du Nord vers le Sud, qui offrait de meilleures conditions de vie et des salaires plus élevés (OCDE/CIRES, 2017[3]).

À partir de 1980, comme de nombreux pays d’Afrique sub-Saharienne, la Côte d’Ivoire a connu une période de crise économique prolongée dans le cadre de l’adoption des plans d’ajustement structurels. Les flux d’immigration ont ralenti en raison de la moindre attractivité de la Côte d’Ivoire. Les effets délétères de la crise économique et l’absence d’une politique d’intégration effective des immigrés ont engendré l’instauration d’un discours politique de « préférence nationale » hostile à l’égard des immigrés en Côte d’Ivoire et des politiques migratoires restrictives ont été mises en place dans les années 1980 et 1990, telles que l’instauration de la carte de séjour en 1990 et la mise en place d’une politique « d’ivoirisation des emplois » (OCDE/OIT, 2018[4]). En plus de la crise économique, les crises successives qui ont suivies, notamment le coup d’État militaire en 1999, la crise politico-militaire de 2002 et la crise postélectorale de 2011, ont conduit à une réelle réduction des flux d’immigration et à une augmentation des migrations de retour des immigrés vers leurs pays d’origine, notamment le Burkina Faso. Entre 2002 et 2004, les autorités burkinabés ont estimé que 600 000 ressortissants burkinabés sont revenus de Côte d’Ivoire pour vivre au Burkina Faso (OCDE/OIT, 2018[4]).

Parallèlement, les effets de la crise économique sur les conditions de vie, l’accès à l’emploi et aux services sociaux, ainsi que la crise politico-militaire de 2002, ont conduit à l’émergence et à l’accroissement d’une émigration en provenance de Côte d’Ivoire. Ces flux d’émigration nouveaux se sont principalement dirigés vers d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, notamment le Burkina Faso, mais aussi vers l’Europe, particulièrement vers la France en raison de l’histoire coloniale et des liens historiques et linguistiques qui existent entre les deux pays. Les crises politiques successives ont engendré le déplacement de milliers de réfugiés ivoiriens, essentiellement dans les pays voisins et en Europe (OIM, 2009[5]).

La création en 2012, de la Direction générale des Ivoiriens de l’Extérieur au sein du Ministère de l’Intégration Africaine et des Ivoiriens de l’Extérieur, reflète l’importance récente du phénomène d’émigration en Côte d’Ivoire. Toutefois, malgré le recul de l’immigration et l’accroissement de l’émigration, la Côte d’Ivoire reste un important pays d’accueil d’immigrés venant des autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Parmi les pays membres de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Côte d’Ivoire ne fait pas partie des pays dont les flux migratoires vers les pays de l’OCDE sont les plus élevés. En moyenne, entre 2000 et 2019, les flux migratoires depuis le Nigéria, le Sénégal et le Ghana étaient supérieurs à ceux de la Côte d’Ivoire. Les flux migratoires depuis la Côte d’Ivoire vers les pays de l’OCDE ont atteint près de 13 500 personnes en 2019 (fluctuant entre 10 000 et 15 000 depuis 2015), soit environ 10 000 de moins que les flux migratoires en provenance du Sénégal ou du Ghana, tandis que les flux depuis le Nigéria étaient de l’ordre de 70 000 personnes par an. Le volume des flux migratoires en provenance de Côte d’Ivoire est proche de celui des flux depuis la Guinée et le Mali (Graphique 1.1).

Entre 2000 et 2010, la croissance des flux d’émigration de la Côte d’Ivoire vers les pays de l’OCDE a été relativement proche de celle du Sénégal et du Mali. À partir de 2010, cette croissance a été relativement forte (47 %), supérieure à celle du Mali (39 %), du Ghana (31 %) et du Sénégal (18 %), mais inférieure à la croissance considérable des flux depuis la Gambie, la Guinée et la Guinée-Bissau, qui ont cru de plus de 110 %.

Bien que la Côte d’Ivoire reste un pays de destination majeur pour les migrants en Afrique de l’Ouest, le pays a récemment connu une augmentation importante de l’émigration de ses ressortissants, à la fois vers les pays voisins d’Afrique de l’Ouest et vers les pays de l’OCDE. Comme l’indiquent les chiffres issus de la Base de données de l’OCDE sur les migrations internationales (cf. Annexe A), le nombre d’entrées annuelles en provenance de Côte d’Ivoire dans les pays de l’OCDE a fortement augmenté au cours des 20 dernières années, passant d’environ 3 800 en 2000 à 9 500 en 2009 et à près de 13 500 en 2019 (Graphique 1.2). À la suite de la crise post-électorale de 2010-11, on a observé une intensification des flux d’émigration : le nombre d’entrées de ressortissants ivoiriens dans les pays de l’OCDE a augmenté de 25 % entre 2011 et 2012, puis de 73 % entre 2014 et 2017.

Les flux d’émigration des ressortissants ivoiriens vers les pays de l’OCDE sont dirigés vers cinq principaux pays de destination : la France, l’Italie, le Canada, les États-Unis et l’Allemagne, qui ont absorbé en moyenne 91 % des flux de ressortissants ivoiriens dans les pays de l’OCDE entre 2000 et 2019 (Graphique 1.3). La France et l’Italie sont de loin les deux principaux pays de destination de l’OCDE des ressortissants ivoiriens, avec plus de 60 % des flux à destination de ces deux pays. Les flux vers la France ont plus que triplé au cours des 20 dernières années, une croissance essentiellement concentrée entre 2000 et 2004 et entre 2014 et 2017. La France est restée le premier pays de destination des Ivoiriens au cours des 20 dernières années, à l’exception des années 2016 et 2017 durant lesquelles les migrations vers l’Italie ont dépassé les flux dirigés vers la France.(Graphique 1.3).

La croissance particulièrement forte du nombre de premiers titres de séjour délivrés par les pays européens de l’OCDE aux ressortissants ivoiriens (calculés à partir des données recueillies par Eurostat – voir Annexe A) entre 2014 et 2017 s’explique par une augmentation considérable du nombre de permis délivrés par l’Italie (près de 120 % de croissance entre 2015 et 2017), tandis que le nombre de permis délivrés par la France est resté relativement stable. Cette augmentation des permis de séjour délivrés par l’Italie concernait essentiellement des permis de courte durée : environ 80 % des permis délivrés en 2016 et 2017 avaient une durée de validité inférieure à un an. Cette augmentation coïncide aussi avec une forte croissance des demandes d’asile de ressortissants ivoiriens en Italie (de 1 500 en 2014 à 8 400 en 2017). Il s’agit donc essentiellement de flux migratoires humanitaires. Depuis 2018, le nombre de permis de séjour délivrés par l’Italie a considérablement baissé (de près de 70 %).

Depuis le début des années 2000, les émigrés ivoiriens ont diversifié leurs pays de destination. Le Canada et les États-Unis sont progressivement devenus les deux pays de destination de l’OCDE les plus importants des ressortissants ivoiriens après la France et l’Italie, et ont accueilli en moyenne 22 % des ressortissants ivoiriens au cours de la période 2000-19. Les flux de ressortissants ivoiriens vers les États-Unis ont plus que triplé, passant d’environ 450 en 2000 à près de 1 400 en 2019, une croissance essentiellement concentrée dans les années 2000, les États-Unis étant alors la principale destination des émigrés ivoiriens hors de l’Europe. Cependant, les flux d’émigration vers le Canada ont augmenté rapidement et représentent la moitié des flux vers l’Amérique du Nord depuis 2014.

Relativement à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, la répartition par genre des flux migratoires ivoiriens vers les pays européens de l’OCDE est équilibrée. Comme le montre le Graphique 1.4, le nombre de permis délivrés aux femmes ivoiriennes par la France entre 2012 et 2014 était légèrement supérieur au nombre de permis délivrés aux hommes. La part des hommes a toutefois augmenté au cours de la décennie et les hommes représentent la majorité des récipiendaires de permis depuis 2016. Cependant, en Italie, à partir de 2015, les hommes étaient surreprésentés parmi les ressortissants ivoiriens recevant un titre de séjour : en 2016, près de 4 500 titulaires étaient des hommes et seulement 920 étaient des femmes. Ce déséquilibre s’est légèrement atténué par la suite : 63 % des permis délivrés aux ressortissants ivoiriens par l’Italie en 2019 l’ont été à des hommes.

La majorité des permis de séjour délivrés par les pays européens de l’OCDE étaient délivrés pour des motifs familiaux entre 2010 et 2015 (Graphique 1.5) 1. En 2015, ces derniers représentaient près de 55 % des permis délivrés aux ressortissants ivoiriens, tandis que 23 % des permis étaient délivrés pour motifs d’études, 6 % pour des motifs professionnels et 17 % pour des motifs « Autre », catégorie qui comprend essentiellement des permis délivrés pour des motifs humanitaires. Entre 2015 et 2020, la part du motif familial dans les flux a substantiellement diminué : en 2020, seulement un tiers des permis étaient délivrés pour des motifs familiaux, soit une baisse de près de 20 points de pourcentage depuis 2015. Parallèlement, le nombre de permis délivrés aux ressortissants ivoiriens pour des motifs humanitaires a considérablement augmenté, ces derniers représentant plus de la moitié des permis en 2017 et environ un tiers en 2020. Sur l’ensemble de la période 2010-20, la part des permis délivrés pour motif professionnel est restée en moyenne assez faible (10 %).

Le type de permis de séjour délivrés aux ressortissants ivoiriens varie significativement selon les pays de destination. Les permis délivrés par la France entre 2010 et 2020 ont été majoritairement des permis pour motif familial. On observe toutefois une diminution substantielle de la part de cette catégorie, qui est passée de plus de la moitié des permis en 2010 à 30 % en 2020 (Graphique 1.6). Cette diminution s’est faite au profit des permis délivrés pour motif d’études, la France étant le seul pays parmi les principaux pays de destination en Europe à octroyer un nombre substantiel de permis pour motif d’études. En 2020, ces derniers représentaient près de 30 % des permis délivrés par la France, tandis que cette part n’a pas dépassé 1 % des permis délivrés par l’Italie. Le poids relativement important du motif d’études dans les flux vers la France peut s’expliquer par la connaissance de la langue française par les jeunes Ivoiriens, l’offre de bourses subventionnées par l’État, ainsi que la qualité et le faible coût des études relativement à d’autres pays.

Les flux vers l’Italie présentent une tendance significativement différente. La part des permis délivrés pour motif professionnel a fortement diminué entre 2010 et 2014 avant de se stabiliser à un niveau modeste : alors que cette catégorie représentait près de 50 % des permis délivrés aux ressortissants ivoiriens en 2010, elle ne représentait plus que de 2 % des permis en 2020. Cette diminution s’est produite parallèlement à une hausse significative du nombre de permis délivrés pour motif humanitaire, qui représentent depuis 2012 plus de la moitié des permis délivrés par l’Italie aux ressortissants ivoiriens (et 90 % en 2016). Cette part a toutefois diminué à partir de 2018 au profit des permis pour motif familial qui représentent en moyenne 45 % des permis délivrés en 2019 et 2020. L’augmentation du nombre de permis humanitaires coïncide aussi avec une hausse très forte du nombre de demandeurs d’asile en Italie, qui a été multiplié par plus de cinq entre 2014 et 2017.

Cette tendance est relativement similaire en Allemagne, où les flux en provenance de Côte d’Ivoire étaient dominés par les migrations familiales jusqu’en 2016, puis par les migrations pour motif humanitaire à partir de 2017. À partir de cette période, la part des permis délivrés à titre humanitaire n’a cessé d’augmenter pour passer de 44 % à 56 % en 2019.

Comme le montre le Graphique 1.7, les femmes reçoivent plus souvent des permis pour motif familial que les hommes. En 2020, près de 43 % des permis délivrés aux femmes ivoiriennes par l’ensemble des pays européens de l’OCDE étaient des permis pour motif familial, tandis que cela ne concernait que 25 % des permis délivrés aux hommes. Cet écart est particulièrement marqué pour les permis délivrés par l’Italie : 63 % des femmes ivoiriennes ont reçu des permis familiaux contre 33 % des hommes en 2020. La part des permis de séjour pour motif d’études (essentiellement délivrés par la France) est toutefois similaire parmi les femmes et les hommes.

Appréhender les intentions d’émigration au sein de la population de la Côte d’Ivoire permet de mieux comprendre l’ampleur et les raisons des flux migratoires en provenance de ce pays. Par ailleurs, les intentions d’émigration peuvent donner des indications utiles sur les tendances futures de ces flux. L’enquête mondiale Gallup (cf Annexe A) recueille des informations sur les intentions d’émigration des personnes nées et résidant en Côte d’Ivoire âgées de 15 ans ou plus. La disponibilité d’informations sur les caractéristiques de ces individus permet d’analyser la corrélation entre les intentions de quitter le pays et différentes variables socio-économiques, comme le niveau d’éducation ou la situation de l’emploi.

Sur la période 2013-18, la Côte d’Ivoire est le troisième pays parmi les pays de l’UEMOA où les intentions d’émigration étaient les plus élevées, après le Togo et le Sénégal : 32 % des personnes de 15 ans et plus nées et résidant en Côte d’Ivoire indiquaient souhaiter vivre de façon permanente dans un autre pays, tandis que cette proportion était de 28 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’UEMOA (Graphique 1.8). Les destinations préférées des Ivoiriens exprimant le désir d’émigrer étaient la France (22 %), les États-Unis (20 %) et le Canada (12 %). La part relativement importante de personnes souhaitant quitter le pays pour s’installer aux États-Unis ou au Canada reflète la progressive diversification des pays de destination des émigrés ivoiriens, dont les flux d’émigration sont de plus en plus souvent dirigés vers l’Amérique du Nord. De ce point de vue, alors que l’Italie est la deuxième destination des Ivoiriens parmi les pays de l’OCDE, ce pays est peu cité par les répondants comme destination souhaitée (seulement 4 %). Ce pays semble ainsi davantage représenter une étape éventuelle dans le parcours migratoire des Ivoiriens qu’un pays de destination où s’installer de façon durable.

Les intentions d’émigration des Ivoiriens ont augmenté entre 2013 et 2018 : en moyenne en 2013-15, 28 % des Ivoiriens indiquaient souhaiter émigrer et cette part a atteint 37 % en 2016-18. Cette tendance est commune à l’ensemble de la région puisque les six autres pays de l’UEMOA présentent également des intentions d’émigration plus fortes entre 2015 et 2018 qu’entre 2010 et 2014, à l’exception du Burkina Faso où les intentions d’émigration de la population sont restées stables entre les deux périodes.

Cependant, la plupart des personnes souhaitant quitter la Côte d’Ivoire ont peu de chances de concrétiser leurs souhaits d’émigration à court ou moyen terme. La question « envisagez-vous de partir vivre de façon permanente dans un autre pays dans les 12 prochains mois » permet d’évaluer si la volonté d’émigrer est susceptible de se traduire en action dans un horizon temporel défini. Les réponses à cette question mettent en évidence, pour tous les pays de l’UEMOA, un décalage important entre l’intention d’émigration et la probabilité que cette intention se concrétise à court terme. Alors que les intentions d’émigration des Ivoiriens sont relativement élevées, seulement 27 % des personnes souhaitant émigrer considéraient le faire au cours des 12 prochains mois, et 16 % indiquaient avoir commencé à préparer leur départ du pays.

Les intentions d’émigration varient significativement selon les caractéristiques sociodémographiques comme l’âge, le niveau d’éducation et la situation sur le marché du travail. Dans tous les pays de l’UEMOA, les intentions d’émigration sont particulièrement élevées parmi les jeunes (personnes âgées de 15 à 24 ans). Comme le montre le Graphique 1.9, 43 % des jeunes Ivoiriens expriment l’intention d’émigrer, soit près de 10 points de pourcentage de plus que l’ensemble de la population. Si les jeunes expriment plus fréquemment l’intention d’émigrer, ils sont cependant peu nombreux à indiquer une concrétisation de ce souhait à court-moyen terme : seulement 22 % des jeunes Ivoiriens souhaitant émigrer considéraient quitter le pays dans un délai d’un an. Contrairement à ce qu’on peut observer dans d’autres pays de l’UEMOA, il n’y a pas de différence majeure entre hommes et femmes dans les intentions d’émigration parmi les Ivoiriens.

On observe en revanche des différences marquées selon le niveau d’éducation. Les individus ayant un niveau d’éducation élevé expriment beaucoup plus souvent l’intention d’émigrer : près de 50 % des diplômés du supérieur affirment vouloir quitter le pays, soit 18 points de pourcentage de plus que l’ensemble de la population. Les personnes se déclarant au chômage indiquent également plus souvent souhaiter quitter la Côte d’Ivoire : 45 % d’entre eux souhaitent quitter le pays, alors que ce n’est le cas que de 33 % des personnes indiquant avoir un emploi.

La situation de l’emploi et particulièrement la situation défavorable des personnes éduquées sur le marché du travail en Côte d’Ivoire peut notamment expliquer cette répartition des intentions d’émigration. En effet, l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail et la difficulté pour les personnes possédant un niveau d’éducation intermédiaire ou élevé à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications peuvent les conduire à envisager de rechercher une meilleure situation à l’étranger.

Toutefois, les intentions d’émigration ne correspondent pas toujours aux décisions réelles d’émigration, en particulier pour certains groupes démographiques. Les personnes en emploi ou hautement qualifiées ont probablement plus de capital économique et social, nécessaires pour émigrer, que les jeunes ou les personnes au chômage, qui font face à de difficultés pour envisager concrètement cette émigration. Les facteurs déterminant les intentions d’émigration et la possibilité de faire des plans concrets d’émigration sont toutefois très nombreux, et liés à la fois à des contraintes structurelles et conjoncturelles, mais aussi aux caractéristiques individuelles, aux attitudes à l’égard de la migration, au contexte familial, aux réseaux transnationaux, et à la qualité de vie perçue (Piguet et al., 2020[10]).

Les mesures disponibles sur le bien-être subjectif des Ivoiriens souhaitant émigrer mettent en lumière les déterminants des intentions d’émigration, et donc pour partie les facteurs explicatifs des mouvements migratoires effectifs. Le Graphique 1.10 montre que près de 70 % des personnes ne souhaitant pas émigrer considèrent que leur emploi actuel est l’emploi idéal, tandis que ce n’est le cas que pour 38 % des individus souhaitant quitter le pays. En Côte d’Ivoire, la difficulté à trouver un bon emploi, qui correspond mieux aux aspirations individuelles, semble être la principale cause du souhait d’émigration. Bien que la part des personnes affirmant être satisfaites de la liberté de mener leur vie soit élevée, elle reste inférieure pour les personnes souhaitant émigrer (68 %) à celle des individus ne souhaitant pas quitter la Côte d’Ivoire (77 %). De plus, les personnes exprimant le désir d’émigrer sont plus susceptibles d’avoir des amis et de la famille à l’étranger sur qui ils peuvent compter.

Ces résultats sont confirmés par ceux de l’enquête Afrobaromètre qui couvre plus de 30 pays africains (voir Annexe A). D’après les données de la vague d’enquête 2016/2018, le motif principal du souhait d’émigration des Ivoiriens est l’emploi et ce, quel que soit leur âge. Pour près d’un-tiers d’entre eux, la volonté d’émigrer est liée aux difficultés économiques auxquelles ils font face en Côte d’Ivoire. Enfin, 8 % des Ivoiriens indiquent que la pauvreté est le motif le plus important de leur souhait d’émigrer (Graphique 1.11). Au total, plus de sept adultes ivoiriens souhaitant émigrer sur dix (74 %) le feraient pour des raisons économiques.

La forte croissance des flux migratoires en provenance de Côte d’Ivoire vers les pays de l’OCDE entre 2000 et 2019 reflète le caractère récent de l’émigration en Côte d’Ivoire, pays traditionnel d’immigration au sein de l’Afrique de l’Ouest. Si les flux migratoires de ressortissants ivoiriens vers les pays de l’OCDE restent en très grande partie dirigés vers la France et l’Italie, les pays de destination des émigrés ivoiriens se sont toutefois diversifiés avec l’intensification des flux migratoires vers les États-Unis et le Canada au cours des 20 dernières années. Entre 2010 et 2020, les permis de séjour délivrés aux ressortissants ivoiriens par les pays européens de l’OCDE étaient majoritairement délivrés pour des motifs familiaux, bien que les permis délivrés pour des motifs humanitaires en Italie et pour des motifs éducatifs en France soient devenus de plus en plus importants à partir de 2016. Les intentions d’émigration au sein de la population ivoirienne sont plus élevées que celles de l’ensemble de la population résidant dans les pays de l’UEMOA et sont particulièrement fortes parmi les diplômés du supérieur, les jeunes et les chômeurs. Ce souhait d’émigration est principalement lié au manque d’opportunités sur le marché du travail et aux difficultés économiques auxquelles font face les Ivoiriens.

Références

[7] CEDEAO (2019), Rapport sur les indicateurs régionaux de la migration en Afrique de l’Ouest en 2018, Commission de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

[6] ICMPD/OIM (2015), Enquête sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest, International Centre for Migration Policy Development, Organisation Internationale pour les migrations.

[9] IOM (2020), West and Central Africa — COVID-19 — Impact on Mobility Report (April 2020), International Organisation for migrations.

[8] IOM (2019), Setting up a road map for mixed migration in West and North Africa, International Organization for Migration.

[1] Kipré, P. (2006), Migrations et construction nationale en Afrique noire : le cas de la Côte d’Ivoire depuis le milieu du XXe siècle, https://doi.org/10.3917/oute.017.0313.

[3] OCDE/CIRES (2017), Interactions entre politiques publiques, migrations et développement en Côte d’Ivoire, OCDE, https://doi.org/10.1787/9789264277090-fr.

[4] OCDE/OIT (2018), Comment les immigrés contribuent à l’économie de la Côte d’Ivoire, OIT, Geneva/Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264293304-fr.

[2] OIM (2016), Migration en Côte d’Ivoire : Profil National 2016, Organisation Internationale pour les migrations.

[5] OIM (2009), Migration en Côte d’Ivoire : Profil national 2009, Organisation internationale pour les migrations.

[10] Piguet, E. et al. (2020), « African students’ emigration intentions: case studies in Côte d’Ivoire, Niger, and Senegal », African Geographical Review, pp. 1-15, https://doi.org/10.1080/19376812.2020.1848595.

Note

← 1. Les permis de séjour délivrés pour des motifs familiaux sont majoritairement des permis octroyés à des membres de la famille, surtout des conjoints et des enfants rejoignant des ressortissants de l’UE et, dans une moindre mesure, des conjoints rejoignant des ressortissants de pays tiers.

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