4. Point de vue : Le potentiel inexploité des financements innovants et des organisations humanitaires

Jagan Chapagain
Secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

Les dernières années ont été sans précédent pour le secteur humanitaire. Devant l’aggravation des catastrophes naturelles et l’évolution des crises à l’œuvre partout dans le monde, force est de constater que, malgré tous nos efforts, les hypothèses, les approches et les structures qui, pendant longtemps, ont défini les interventions humanitaires ne permettent désormais plus de répondre comme il se doit aux besoins des populations.

Ce constat n’a rien de surprenant pour les membres et les observateurs du secteur humanitaire. Les débats à la fois importants et incontournables sur l’ancrage local et la décolonisation de l’aide révèlent l’ampleur des transformations à engager – non seulement pour la pérennité du système humanitaire et celle de nos organisations, mais aussi pour l’avenir que nous nous efforçons de bâtir au bénéfice des individus et des communautés avec lesquels nous nous associons.

À la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFCR), ce sont les organisations locales qui dirigent notre action humanitaire. Les 192 sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui composent le réseau de l’IFRC sont ancrées dans leurs communautés locales et sont profondément conscientes des besoins existants et de la meilleure façon de définir une action humanitaire adaptée. Le réseau de l’IFRC dispose ainsi d’un atout et d’une capacité uniques pour acheminer directement les ressources de l’écosystème international vers les organisations locales et nationales.

Il ressort d’une récente analyse que les programmes des acteurs locaux et communautaires sont de 32 % plus efficaces du point de vue des coûts que ceux des intermédiaires internationaux (Cabot Venton et al., 2022[1]). Par l’action de notre réseau, nous savons que l’inscription de l’aide humanitaire dans le contexte local favorise une plus grande inclusion et équité, une confiance accrue, des interventions plus rapides et en temps opportun, une plus grande souplesse, un accès plus général et la pérennité de nos opérations et programmes. En investissant dans des systèmes de soutien locaux et nationaux, nous sommes en mesure de renforcer les infrastructures nationales, ce qui profite directement à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

En investissant dans des systèmes de soutien locaux et nationaux, nous sommes en mesure de renforcer les infrastructures nationales, ce qui profite directement à celles et ceux qui en ont le plus besoin.  
        

Pourtant, malgré les engagements pris par les donneurs dans le cadre du Grand compromis (Grand Bargain) et les importants progrès réalisés par certains d’entre eux, le pourcentage global de financements directs apportés à des acteurs locaux n’a guère dépassé la fourchette basse des pourcentages à un chiffre. Alors que les effets du changement climatique s’accélèrent et que des conflits nouveaux et inattendus dévastent des populations entières, les crises et les catastrophes de faible ou moyenne ampleur ont du mal à attirer l’attention ainsi que des financements, et les personnes touchées risquent d’être négligées par la communauté internationale. Au sein de l’IFCR, nous recherchons des moyens novateurs de couvrir le coût de nos actions pour éviter qu’une telle situation se produise.

Nous avons dû nous poser les questions suivantes : comment réagissons-nous face au défi de faire mieux avec moins ? Comment explorons-nous des pistes innovantes en matière de financement et coopérons-nous avec de nouveaux donneurs ?

La délimitation floue entre le secteur humanitaire et le secteur privé est un domaine de croissance prometteur qui présente un potentiel inexploité en matière de financement innovant. Dans le cadre d’une initiative inédite, l’IFRC collabore avec Aon et le Centre for Disaster Protection pour mettre en place un mécanisme d’assurance innovant qui permet aux marchés de l’assurance privée de tirer parti des contributions des donneurs traditionnels pour accroître la capacité d’intervention de notre Fonds d’urgence pour les réponses aux catastrophes (DREF) en cas de catastrophe naturelle.

Créé en 1985, le DREF est un mécanisme de financement centralisé par lequel l’IFCR débloque rapidement des fonds en faveur de sociétés nationales en vue d’une action précoce et d’une intervention immédiate en cas de catastrophe. Par le passé, le solde de trésorerie requis pour que le DREF puisse répondre aux demandes des sociétés nationales était financé au moyen d’un appel de fonds annuel. Cependant, en 2020, devant l’ampleur des demandes de fonds, les allocations du DREF ont, pour la première fois de son histoire, dépassé les ressources disponibles. Les besoins croissants auxquels les sociétés nationales sont confrontées partout dans le monde et les incertitudes de l’avenir ont par conséquent déclenché un processus de modernisation, dans le but de renforcer la flexibilité et l’efficacité du DREF.

Grâce à la structure d’assurance que nous sommes en train de mettre en place, les donneurs paieront une prime au lieu de financer directement les interventions en cas de catastrophe via le DREF (Graphique ). Ce système accroît la valeur de leurs contributions et transfère le risque au secteur privé en cas de dépassement des ressources disponibles. Les marchés de la réassurance prendront à leur charge les risques d’aléas naturels excessifs et permettront aux sociétés nationales de pouvoir compter sur des fonds, même en période de demande excessive ou inattendue.

Grâce à cette approche inédite, nous entendons porter les dotations annuelles du DREF à 100 millions CHF (francs suisses), soit environ 100 millions USD, en 2025. Sachant qu’il est impossible d’atteindre un tel objectif à partir des seules contributions des donneurs, le mécanisme d’assurance représente une formidable avancée qui a le potentiel de transformer la façon dont le système humanitaire international fera face à des crises complexes à l’avenir.

L’IFRC a également répondu à cette nécessité en mettant en place un programme d’aide sous forme de transferts monétaires et de coupons. Le recours aux transferts monétaires réaffirme notre engagement envers l’adoption de méthodes plus agiles et plus efficaces pour apporter un soutien humanitaire qui laisse une liberté de choix aux personnes et aux communautés et préserve leur dignité. Ce type de programme nous permet de réduire les coûts d’exploitation en centrant nos opérations sur les personnes touchées par des crises et des catastrophes, et, surtout, sur leurs propres préférences et décisions.

La nouvelle application d’aide en espèces que nous venons de créer en nous appuyant sur les enseignements tirés d’autres opérations d’urgence permet aux personnes fuyant l’Ukraine de s’auto-enregistrer et de se soumettre aux vérifications nécessaires pour obtenir de l’aide. Cette approche novatrice de l’aide en espèces, que nous avons déployée en Roumanie, nous a permis de porter à plus grande échelle et d’accélérer notre action et, très souvent, d’être le principal organisme à distribuer une aide en espèces dans le contexte de la crise en Ukraine. Plus de 17.4 millions EUR ont ainsi été distribués à plus de 56 000 personnes en Roumanie. L’application a été lancée en Bulgarie, où en l’espace de quatre jours seulement, 20 % des Ukrainiens connus dans le pays ont été en mesure de s’auto-enregistrer.

À terme, l’expansion et la reproduction de ces programmes ambitieux et innovants au sein de notre réseau mondial permettront de tirer efficacement parti des liens qui existent entre des organisations comme l’IFRC et les communautés. Il est indéniable que nous aurons besoin d’urgence de fonds supplémentaires pour faire face aux situations d’urgence humanitaire qui ne cessent de se multiplier dans le monde. Il n’en demeure pas moins que l’innovation financière est la clé d’une action humanitaire durable, utile et efficace.

Références

[1] Cabot Venton, C. et al. (2022), Passing the Buck: Economics of Localizing International Assistance, The ShareTrust, https://static1.squarespace.com/static/5b2110247c93271263b5073a/t/63730c9f5000d05ac3ef5a27/1668484256347/Passing+the+Buck_Deck.pdf.

Mentions légales et droits

Ce document, ainsi que les données et cartes qu’il peut comprendre, sont sans préjudice du statut de tout territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région. Des extraits de publications sont susceptibles de faire l'objet d'avertissements supplémentaires, qui sont inclus dans la version complète de la publication, disponible sous le lien fourni à cet effet.

© OCDE 2023

L’utilisation de ce contenu, qu’il soit numérique ou imprimé, est régie par les conditions d’utilisation suivantes : https://www.oecd.org/fr/conditionsdutilisation.