Annexe A. Informations générales sur l’azote

A.1 Le cycle de l’azote

La conversion du diazote (N2), très stable (« inerte »), en azote biologiquement disponible (« réactif ») est un processus difficile appelé « fixation ». La fixation est réalisée dans les sols et dans l’eau par des bactéries spécialisées capables de réduire le diazote de l’atmosphère en ammoniac (NH3) ou en ammonium (NH4+) (graphique A.1)1. Très tôt dans l’histoire de notre planète, les micro-organismes ont développé une capacité à utiliser des enzymes pour produire ou « fixer » du NH4+ à partir du diazote, et ce probablement parce que l’azote disponible via les voies abiotiques était alors un frein biologique (McRose et al., 2017). Les procaryotes (bactéries et archées) fixateurs d’azote vivent dans l’eau (cyanobactéries, par exemple), dans les sols (Azotobacter, par exemple), en association avec des plantes (Azospirillum, par exemple) ou en symbiose avec des légumineuses telles que les pois, le trèfle et le soja (rhizobiums, par exemple). Dans ce dernier cas, le procaryote partage l’azote avec la plante, qui lui apporte en échange une source de carbone et d’énergie pour se développer.

Graphique A.1. Le cycle de l’azote : processus principaux
Graphique A.1. Le cycle de l’azote : processus principaux

Note : L’ammoniac (NH3) est très soluble dans l’eau. Lorsqu’il est dissout dans l’eau, une partie du NH3 réagit pour former de l’ammonium (NH4+) en fonction de l’acidité de l’eau, c’est-à-dire de son pH (« potentiel hydrogène »). Le pH correspond à la concentration d’ions hydrogène (H+) dans l’eau. Une baisse de pH provoque une hausse de la concentration en NH4+ et une diminution de celle en NH3.

Source : Jacob (1999).

Le NH3 ou le NH4+ est « assimilé » en tant qu’azote organique par les bactéries ou leurs plantes-hôtes, qui peuvent à leur tour être consommées par des animaux. Tôt ou tard, ces organismes excrètent l’azote ou meurent. L’azote organique est alors consommé par des bactéries et minéralisé en NH3 ou NH42, qui peut être assimilé par d’autres organismes.

Les bactéries peuvent aussi utiliser le NH3 et le NH4+ comme source d’énergie en les oxydant en nitrite (NO2-), puis en nitrate (NO3-). Ce processus (la nitrification) dépend de la présence d’oxygène (conditions aérobies)3. Le NO3- est très mobile dans le sol et facilement assimilé par les plantes et par les bactéries, offrant une autre voie de formation de l’azote organique.

Lorsque l’eau ou le sol sont pauvres en oxygène (conditions anaérobies), les bactéries peuvent utiliser le NO3- comme oxydant de substitution pour convertir le carbone organique en dioxyde de carbone (CO2). Ce processus (la dénitrification) convertit le NO3- en diazote (N2) et renvoie donc l’azote de la biosphère dans l’atmosphère4. La dénitrification peut produire de l’hémioxyde d’azote (N2O).

Une voie supplémentaire de fixation du diazote est son oxydation à haute température en oxyde nitrique (NO) dans l’atmosphère lors d’une combustion (feu de forêt, par exemple) ou d’un éclair, suivie de l’oxydation atmosphérique du NO en acide nitrique (HNO3), qui est hydrosoluble et éliminé par les précipitations.

L’azote est transféré vers la lithosphère par l’enfouissement d’organismes morts (et de l’azote qu’ils renferment) au fond des océans. Ces organismes morts entrent ensuite dans la composition des roches sédimentaires. À terme, les roches sédimentaires affleurent à la surface des continents et sont érodées, ce qui libère l’azote et lui permet de retourner dans la biosphère. L’azote des roches (azote géologique) constitue une grande réserve potentielle d’azote (Holloway et Dahlgren, 2002). L’azote est présent dans les roches à des concentrations qui vont de simples traces (< 200 mg N par kg) dans les granites à plus de 1 000 mg N par kg dans les roches sédimentaires. Les dépôts de nitrates accumulés dans les régions arides et semi-arides sont aussi un grand réservoir potentiel.

A.2 Le problème de l’azote en bref

D’après les estimations des flux anthropiques et naturels d’azote compilées par Battye et al. (2017), la production anthropique d’azote a quintuplé en un demi-siècle (depuis 1960). Selon Bleeker et al. (2013), les émissions humaines d’oxydes d’azote (NOx)5 et de NH3 dans l’atmosphère ont également été multipliées par cinq environ depuis l’ère préindustrielle. Dans de vastes régions du monde, les dépôts atmosphériques d’azote sont à peu près dix fois supérieurs au niveau naturel. La majeure partie touche des écosystèmes pauvres en azote, ce qui se traduit par une fertilisation involontaire et un recul de la biodiversité.

Toujours selon Bleeker et al. (2013), les transferts d’azote des systèmes terrestres vers les systèmes côtiers ont doublé depuis l’ère préindustrielle. Or, comme les écosystèmes terrestres, beaucoup d’écosystèmes côtiers sont normalement pauvres en azote, de sorte que ces apports abondants provoquent une prolifération des algues et une dégradation de la qualité des écosystèmes aquatiques.

L’azote a aussi des effets directs et indirects sur le climat, puisqu’il est lui-même un gaz à effet de serre (GES) et qu’il influence les émissions et l’absorption d’autres GES comme le CO2. Il favorise en outre la formation d’ozone troposphérique, détruit l’ozone stratosphérique, accentue l’acidification des sols et stimule la formation de particules dans l’atmosphère. Tous ces phénomènes ont des répercussions sur les populations et l’environnement.

Le coût des impacts de l’azote pour la collectivité est visiblement très sous-estimé6. À eux seuls, les effets sanitaires de la pollution de l’air par l’azote ont déjà un coût de plusieurs centaines de milliards de dollars des États-Unis pour la société. En effet, l’azote est responsable d’une part non négligeable de la pollution des villes par les particules fines (PM2.5)7, dont le coût sanitaire (décès prématurés) est estimé à quelque 1 800 milliards USD dans les pays de l’OCDE et 3 000 milliards USD dans les BRIICS (Roy et Braathen, 2017). Si on ajoute la pollution par l’ozone troposphérique, dont l’azote est aussi un précurseur, les coûts sanitaires se montent à environ 1 900 milliards USD dans les pays de l’OCDE et 3 200 milliards USD dans les BRIICS (ibid.).

Il faut ajouter à cela le coût sanitaire de la pollution de l’eau par l’azote et le coût des répercussions de la pollution azotée sur les écosystèmes et le climat. Keeler et al. (2016) ont procédé à des estimations dans le cas de l’État du Minnesota, aux États-Unis (voir chapitre 2).

Qui plus est, le réchauffement climatique pourrait aggraver la pollution azotée (Conniff, 2017). La disponibilité en azote varie sous l’effet du changement climatique, généralement à la hausse lorsque les températures et les précipitations sont plus élevées. Aux États-Unis, par exemple, d’après les projections présentées dans Sinha et al. (2017), les modifications des précipitations imputables au changement climatique augmenteront à elles seules les ruissellements d’azote dans les cours d’eau de 19 % en moyenne pendant le reste du siècle en cas de poursuite des évolutions climatiques actuelles. La prolifération des algues bleues toxiques (ou cyanobactéries), favorisée par la pollution azotée, est amplifiée par la hausse des températures et des précipitations liée au changement climatique (Paerl et al., 2016).

Néanmoins, on ne connaît pas encore parfaitement les interactions complexes entre le changement climatique et le cycle de l’azote (par exemple, dans le cas des milieux inondés à certaines saisons), ni l’effet net qui peut en découler dans différents scénarios d’évolution de l’activité humaine au fil du temps. Il conviendra notamment d’étudier plus avant l’effet conjugué du changement climatique et de l’azote sur la diversité des végétaux. Ainsi, une expérience menée dans un milieu aride du sud de la Californie montre que les dépôts d’azote conjugués à une modification du régime de précipitations peuvent entraîner le remplacement d’arbustes indigènes par des herbes allogènes (Rao et Allen, 2010).

A.3 Informations complémentaires sur les répercussions de l’azote

Le chapitre 1 passe en revue les principales externalités associées à l’excédent d’azote dans l’environnement. On trouvera dans les sections suivantes des éléments factuels complémentaires. La section A.3.1 porte sur la troposphère8.

A.3.1 Qualité de l’air

Le dioxyde d’azote (NO2) et, dans une moindre mesure, l’ammoniac (NH3) portent directement atteinte à la santé humaine. L’oxyde nitrique (NO) n’est pas considéré comme une substance dangereuse pour la santé aux concentrations ambiantes habituelles, mais le NO2 est toxique à concentration élevée et est donc classé comme un polluant atmosphérique dangereux par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Les oxydes d’azote (NOx) et le NH3 sont des précurseurs à partir desquels se forme dans l’atmosphère une partie des particules secondaires. Les NOx sont également des précurseurs importants de l’ozone troposphérique (sous l’effet des rayons du soleil).

Dioxyde d’azote (NO2)

Il existe des preuves sérieuses d’incidences respiratoires (aggravation de l’asthme) après de brèves expositions au NO2, en général de l’ordre de quelques minutes ou heures (voir notamment USEPA, 2016a et 2017). Outre les effets des expositions de courte durée, les données sur le développement de l’asthme chez les enfants pointent une probable relation de cause à effet entre expositions prolongées au NO2 et incidences respiratoires. Les personnes asthmatiques ainsi que les enfants et les personnes âgées sont de façon générale plus sensibles aux risques du NO2 pour la santé.

Ammoniac (NH3)

Une exposition de courte durée par inhalation de niveaux élevés de NH3 peut provoquer chez l’humain une irritation et des brûlures sévères de la bouche, des poumons et des yeux (voir notamment USEPA, 2016b). Une exposition chronique au NH3 atmosphérique peut accroître le risque d’irritation des voies respiratoires, de toux, de sifflement respiratoire, de gêne respiratoire et de troubles des fonctions pulmonaires. Chez l’animal, respirer des concentrations suffisamment élevées de NH3 peut aussi provoquer des troubles de l’appareil respiratoire. Il ressort aussi des études sur animaux qu’une exposition à des niveaux élevés d’ammoniac atmosphérique peut endommager d’autres organes, tels que le foie, les reins et la rate.

Particules

La pollution particulaire est formée d’un mélange de particules solides et de gouttelettes liquides dans l’air (voir notamment USEPA, 2013b). Ces particules (PM) présentent des tailles et des formes variables et peuvent être constituées de centaines de substances chimiques différentes. Certaines, les PM primaires, sont émises directement par des sources comme les chantiers, les routes non revêtues, les champs, les cheminées et les feux. La plupart des particules se forment toutefois dans l’atmosphère à la suite de réactions chimiques : ce sont des PM secondaires comme le nitrate d’ammonium (NH4NO3).

Les PM peuvent être inhalées et causer de graves problèmes de santé. Elles peuvent pénétrer profondément dans les poumons, voire pour certaines passer dans le sang. L’exposition aux PM accroît le risque de décès prématuré chez les personnes atteintes de maladies cardiaques ou pulmonaires, ainsi que le risque de crise cardiaque non mortelle, d’arythmie cardiaque, d’asthme aggravé, de troubles des fonctions pulmonaires et d’augmentation des troubles respiratoires comme l’irritation des voies respiratoires, la toux ou les difficultés respiratoires. Les sujets souffrant de maladies cardiaques ou pulmonaires, les enfants et les personnes d’un certain âge sont plus exposés aux conséquences de la pollution particulaire. Des effets sur la santé sont associés à une exposition de longue et de courte durée. Le risque de mortalité est plus fort en cas d’exposition de longue durée. En cas d’exposition de courte durée, le risque de morbidité cardiovasculaire est plus élevé que celui de morbidité respiratoire.

Ozone troposphérique

Respirer de l’ozone troposphérique (« mauvais ozone ») peut affecter les fonctions pulmonaires, accentuer les troubles respiratoires et l’inflammation des poumons, en particulier chez les enfants, les personnes âgées et celles souffrant d’asthme ou d’autres maladies pulmonaires, ainsi que chez d’autres populations à risque (voir notamment USEPA, 2015). Des effets sur la santé sont associés à une exposition de longue et de courte durée. Il ressort aussi des études que l’exposition à l’ozone troposphérique peut accroître le risque de décès prématuré pour cause de maladie cardiaque, même si des travaux complémentaires doivent être menés pour comprendre de quelle façon l’ozone troposphérique peut toucher le cœur et le système cardiovasculaire. L’ozone troposphérique atteint plus facilement des niveaux nocifs les jours ensoleillés et chauds en milieu urbain, mais le niveau peut aussi monter pendant les mois plus froids.

L’ozone troposphérique peut également avoir des conséquences nocives sur les plantes et écosystèmes sensibles, y compris les cultures, notamment pendant la croissance. La pénétration d’une certaine quantité d’ozone troposphérique dans les feuilles d’un végétal sensible peut ralentir la photosynthèse et la croissance de celui-ci et le rendre plus vulnérable aux maladies. Les impacts de l’ozone troposphérique sur des végétaux particuliers peuvent se répercuter sur les écosystèmes, notamment en faisant reculer la diversité spécifique et en modifiant la composition spécifique, la qualité des habitats ainsi que les cycles de l’eau et des éléments nutritifs.

A.3.2 Effet de serre

Trois formes d’azote ont une influence directe sur l’effet de serre (Erisman et al., 2011). En premier lieu, il y a l’hémioxyde d’azote (N2O), qui a un potentiel de réchauffement global sur 100 ans (PRG à 100 ans) élevé (proche de 265)9. Les facteurs de conversion du PRG à 100 ans ont changé au fil des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il y a plusieurs raisons à cela, dont la température de l’atmosphère et la hausse de la concentration des gaz à effet de serre (GES) eux-mêmes. Ces facteurs de conversion ne prennent pas en compte les effets indirects du N2O sur le cycle du carbone, comme le fait que le réchauffement imputable au N2O se répercutera sur la quantité de carbone que les océans et les forêts de la planète auront la capacité de stocker à l’avenir. Ces effets sont jugés importants : leur prise en compte porterait le facteur de conversion du N2O défini en 2013 de 265 à 298 (GIEC, 2013).

En second lieu, il y a les oxydes d’azote (NOx), dont les émissions contribuent à (i) la formation d’ozone troposphérique, (ii) la diminution du méthane (CH4) et (iii) la formation d’aérosols de nitrates. Le CH4 et l’ozone troposphérique sont les deuxième et troisième GES les plus importants après le dioxyde de carbone (CO2)10. Les aérosols qui contiennent de l’azote ont un effet refroidissant, direct aussi bien qu’indirect (par l’intermédiaire de la formation des nuages)11. Le CH4 a un effet de réchauffement (s’agissant d’un GES), mais également un effet refroidissant (par le biais de la formation d’aérosols dans la troposphère). L’effet net des trois contributions des NOx réunies est un refroidissement. En troisième lieu, les émissions d’ammoniac (NH3) favorisent la formation d’aérosols et ont un effet de refroidissement.

L’azote a aussi des effets indirects sur le changement climatique (Erisman et al., 2011). Premièrement, l’ammonification par les micro-organismes de l’azote organique dissous (NOD) dans les sols (décomposition de la litière) contribue à la respiration du sol et donc aux émissions de CO2. Deuxièmement, l’azote accroît la productivité des végétaux et donc l’absorption de CO2 par les écosystèmes terrestres, sauf lorsqu’il accélère la décomposition de la matière organique, ce qui intensifie les rejets de CO2. Troisièmement, il augmente la productivité marine et, par conséquent, l’absorption de CO2 par les océans, sauf lorsqu’il provoque l’acidification de ces derniers. Quatrièmement, l’ozone troposphérique diminue la productivité des végétaux, et donc l’absorption de CO2 par les plantes.

Selon Erisman et al. (2011), si on tenait compte de toutes les formes de l’azote et non seulement du N2O, ainsi que de l’ensemble de ses effets directs et indirects, on constaterait qu’il n’a pas d’impact net significatif sur l’équilibre radiatif global. Cela étant, cette appréciation ne tient pas compte du fait que les effets des NOx et du NH3 sont relativement brefs, alors que ceux du N2O perdurent dans l’atmosphère pendant un siècle environ. Par exemple, des mesures qui réduisent la quantité d’aérosols à courte durée de vie sans agir sur le N2O, qui a une longue durée de vie, amplifient l’effet net de réchauffement de l’azote.

A.3.3 Qualité de l’eau

L’augmentation de la concentration d’azote dans les eaux due aux activités humaines menace directement les humains et les écosystèmes aquatiques (eaux douces et marines). Des teneurs en nitrate/nitrite (NO3-/NO2-) élevées dans l’eau de consommation peuvent provoquer une altération sanguine susceptible d’engager le pronostic vital des nourrissons de moins de six mois, la méthémoglobinémie ou « syndrome du bébé bleu ». Ce trouble altère la capacité du sang à transporter l’oxygène et entraîne, chez le nourrisson, un risque de troubles respiratoires et de coloration bleutée de la peau, voire de décès.

L’Agence fédérale pour la protection de l’environnement des États-Unis (USEPA) ne prescrit aucun plafond de concentration de l’ammoniac (NH3). On sait toutefois depuis le début du siècle que le NH3 est toxique pour les poissons et que sa toxicité augmente avec la hausse du pH et de la température de l’eau (USEPA, 2013a). Au-delà d’un certain seuil de NH3 dans l’eau, il devient difficile pour les organismes aquatiques d’éliminer les quantités nécessaires de composés toxiques, lesquels s’accumulent alors dans les tissus internes et dans le sang et peuvent entraîner la mort. En 2013, l’USEPA a émis des recommandations définitives à l’égard de plusieurs critères de teneur en ammoniac dans l’optique de limiter l’effet toxique du NH3 sur la vie aquatique.

Dans les écosystèmes aquatiques, l’enrichissement en éléments nutritifs (eutrophisation) provoque une prolifération d’algues (parfois toxiques12) en surface. Dans les eaux profondes, ce phénomène peut entraîner une raréfaction ou la disparition de l’oxygène, et donc des poissons, créant ainsi des « zones mortes ».

Les recherches continuent de mettre en évidence des impacts de l’azote sur la santé et sur les écosystèmes aquatiques. Par exemple, Zhang et al., 2015, ont observé un lien entre la prolifération de cyanobactéries toxiques et le risque de décès dû à des troubles hépatiques. L’exemple du corail illustre un autre autre impact. Cet animal affectionne les eaux tropicales claires et pauvres en éléments nutritifs13, où il prolifère grâce à d’étroits échanges avec des algues microscopiques et des micro-organismes fixateurs d’azote (dits diazotrophes). La photosynthèse des algues constitue pour les coraux une source de carbone et d’énergie, tandis que les diazotrophes fournissent l’azote nécessaire à leur métabolisme et à leur croissance. Dans cette relation, les coraux régulent la croissance des algues en limitant leur accès à l’azote (Pogoreutz et al., 2017). Néanmoins, des effluents riches en sucres rejetés dans les eaux côtières (eaux usées, par exemple) stimulent l’activité des diazotrophes, qui fixent ainsi davantage d’azote. L’excédent dont disposent alors les algues rompt leur symbiose avec les coraux et provoque un phénomène de blanchissement (ibid.)14.

A.3.4 Écosystèmes et biodiversité

Les espèces et les populations les plus sensibles à des épisodes chroniques de dépôts d’azote élevés sont celles qui sont adaptées à de faibles concentrations en éléments nutritifs ou sont mal armées contre l’acidification. 15 Au Royaume-Uni, l’azote perturbe de nombreuses plantes vasculaires, bryophytes et espèces de lichens ainsi que certains groupes de champignons (Plantlife and Plant Link UK, 2017). Selon de premières constatations, la modification des habitats due aux dépôts d’azote pourrait aussi perturber d’autres groupes d’organismes comme les insectes et les oiseaux, bien que des recherches soient encore nécessaires sur le sujet (ibid.). De plus, si elle augmente dans les premiers temps, la productivité des forêts et des prairies décline à partir d’un certain seuil de charge en azote.

Hernández et al., 2016, ont montré que 78 des 1 400 espèces d’invertébrés, de vertébrés et de plantes recensées par la loi américaine sur les espèces menacées (soit environ 6 %) étaient touchées par la toxicité directe de l’azote, l’eutrophisation de leur habitat ou la propagation d’espèces végétales exogènes. Simkin et al., 2016, ont constaté que les dépôts d’azote dépassaient la charge critique au-delà de laquelle se produit une perte de diversité des espèces végétales dans 24 % des 15 136 sites (bois, prairies, etc.) qu’ils ont étudiés sur l’ensemble du territoire américain. Ils ont relevé que les effets des dépôts d’azote sur la variété des espèces végétales étaient plus prononcés dans les sols acides que dans les sols neutres ou basiques, et dans les climats secs que dans les climats humides. Selon SRU, 2015, en 2009, 48 % des écosystèmes terrestres naturels et semi-naturels d’Allemagne étaient touchés par l’eutrophisation et 8 % par l’acidification.

Jones et al., 2014, ont estimé l’impact de la diminution des dépôts d’azote sur la valeur de six services écosystémiques au Royaume-Uni : deux services d’approvisionnement (production de bois d’œuvre et production herbagère), deux services de régulation (séquestration de CO2 et réduction des émissions de N2O) et deux services culturels (pêche de loisir et appréciation de la biodiversité). Leurs estimations laissent apparaître un bilan positif. En effet, la réduction des émissions de N2O, gaz à effet de serre, et l’amélioration des services culturels font plus que compenser les coûts (perte de valeur) liés à une moindre séquestration du CO2 et à une réduction des services d’approvisionnement.

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Notes

← 1. La conversion du diazote en NH3/NH4+ est l’œuvre des « bactéries fixatrices de l’azote ».

← 2. La décomposition de la matière organique est l’œuvre des décomposeurs (« bactéries ammonifiantes »).

← 3. La conversion du NH3/NH4+ en NO2- et en NO3- est l’œuvre des « bactéries nitrifiantes ».

← 4. La retransformation du NO3- en diazote, qui clôt le cycle de l’azote, est l’œuvre des « bactéries dénitrifiantes ». Les bactéries dénitrifiantes sont un ensemble de plus de 150 espèces connues et probablement de centaines d’espèces inconnues.

← 5. Les oxydes d’azote (NOx) comprennent l’oxyde nitrique (NO) et le dioxyde d’azote (NO2).

← 6. Il a été estimé entre 75 et 485 milliards EUR par an dans l’UE-27 (Van Grinsven et al., 2013), et entre 81 et 441 milliards USD par an aux États-Unis (Sobota et al., 2015).

← 7. Par exemple, selon les estimations de Huang et al. (2017), les aérosols de nitrate et d’ammonium représentaient jusqu’à un tiers des émissions de PM2.5 mesurées à Beijing, Tianjin et Shijiazhuang entre juin 2014 et avril 2015. En l’occurrence, ces émissions étaient composées en majorité de matières organiques (16.0 %–25.0 %), d’aérosols de soufre (14.4 %–20.5 %), d’aérosols de nitrate (15.1 %–19.5 %), d’aérosols d’ammonium (11.6 %–13.1 %) et de poussières minérales (14.7 %–20.8 %). Les voies de formation des aérosols azotés sont décrites au chapitre 1.

← 8. La troposphère est la couche qui va de la surface terrestre à une altitude de 7 à 20 km au-dessus du niveau de la mer, en fonction des latitudes et des saisons (et de l’alternance jour / nuit). Les couches atmosphériques (troposphère et stratosphère) ont été définies pour refléter les variations considérables de température et de pression en fonction de l’altitude.

← 9. Autrement dit, une tonne de N2O émise cette année provoque, sur les cent prochaines années, un réchauffement 265 fois supérieur à celui qu’entraîne une tonne de CO2.

← 10. Comme il s’agit d’un polluant local et qui a une courte durée de vie, l’ozone troposphérique n’a pas en lui-même des effets de réchauffement mondial prononcés, mais il peut provoquer un forçage radiatif (réchauffement) à l’échelle régionale. Dans certaines régions du monde, ce forçage radiatif peut être équivalent à 150 % de celui du CO2. L’effet de forçage radiatif de l’ozone troposphérique est très lié à l’altitude et à la latitude, car l’évolution de ce gaz est fonction de la température, de la vapeur d’eau et des nuages (Bowman et al., 2013).

← 11. Les aérosols présents dans l’atmosphère dispersent et absorbent le rayonnement visible, ce qui limite la visibilité. Ils ont une influence sur le climat de la planète à la fois directement (en dispersant et en absorbant le rayonnement) et indirectement (en servant de noyaux pour la formation des nuages).

← 12.  Zhang et al., 2015, ont constaté une prolifération de cyanobactéries (toxiques) dans 62 % des 3 100 comtés qu’ils ont étudiés aux États-Unis.

← 13. Une grande partie des eaux marines dans le monde ne contient pas d’azote biodisponible, ce qui limite la photosynthèse dans les océans.

← 14. Le blanchissement survient lorsque les algues qui vivent dans les coraux et leur donnent leurs couleurs sont expulsées (sous l’effet d’une élévation de la température de l’eau, par exemple). Ce blanchissement n’est pas synonyme de mort immédiate pour les coraux. Cependant, ceux-ci puisent jusqu’à 90 % de leur énergie des algues, si bien qu’une fois ces dernières expulsées, ils viennent à manquer d’éléments nutritifs et risquent de mourir.

← 15. Les prairies, la lande, les tourbières, les forêts et les écosystèmes arctiques et d’altitude sont des habitats réputés vulnérables en Europe ; d’autres le sont peut-être aussi, mais n’ont guère encore été étudiés (Sutton et al., 2011)

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