1. Introduction

Dans la plupart des pays, la philanthropie joue un rôle important en concourant à un large éventail d’activités et d'initiatives privées à l’appui de l'intérêt public. Elle se distingue en cela des initiatives du secteur public (action publique au service de l’intérêt général) et de celles à but lucratif (action privée au service d’intérêts privés). L’utilisation de la fiscalité pour soutenir la philanthropie est largement répandue. Outre les subventions publiques et la passation de marchés auprès d’organismes philanthropiques (« soutien direct »), les États contribuent (« indirectement ») à la philanthropie de deux façons : en encourageant les dons par des incitations fiscales, et en accordant des exemptions (totales ou partielles) d’impôts divers aux organismes philanthropiques.

Dans de nombreux cas, ces régimes préférentiels, mis en place depuis de nombreuses années, restent inchangés en dépit de l’évolution de la société. Ainsi, lorsque de nombreux pays ont commencé, au début du vingtième siècle, à exempter de l’impôt sur le revenu les organismes philanthropiques, ceux qui pouvaient prétendre à de tels avantages étaient relativement peu nombreux et les dons représentaient l’essentiel de leurs ressources. Mais au fil du temps, ce secteur a pris de l’ampleur, souvent à mesure que l’État se déchargeait des aspects de protection sociale et d’autres services, et de nombreux organismes philanthropiques s’appuient désormais très largement sur les revenus qu'ils génèrent par le biais d’activités commerciales et de placements. La recherche s’est également beaucoup intéressée à la conception optimale des incitations fiscales aux dons, ce qui a permis de mettre au jour un ensemble de préoccupations tenant, notamment, à leur efficacité et à leur aspect redistributif. De plus, l’importance croissante qu'ont prise les grandes fondations philanthropiques a mis en exergue l'influence que peuvent exercer les généreux donateurs sur l'utilisation de l’argent des contribuables. Enfin, la dimension de plus en plus mondiale de nombreux enjeux de politique publique, tels que les préoccupations environnementales et les problèmes de santé publique (y compris la pandémie de COVID-19), amène à s’interroger sur le traitement fiscal à appliquer à la philanthropie transfrontalière.

Au vu de ces évolutions, un réexamen des règles fiscales en vigueur dans de nombreux pays pourrait se révéler nécessaire. Dans cette optique, ce rapport dresse un état des lieux détaillé de la fiscalité des organismes et des dons philanthropiques dans 40 pays membres et partenaires de l’OCDE et présente un éventail de réformes qui pourraient être envisagées par les pays. Le rapport s’appuie dans une large mesure sur les réponses fournies par les pays au questionnaire Fiscalité et philanthropie (« le questionnaire ») des délégués du Groupe de travail n° 2 sur l’analyse des politiques et les statistiques fiscales du Comité des affaires fiscales de l’OCDE.

Ce chapitre introductif livre des informations contextuelles sur le secteur de la philanthropie afin d’étayer l’analyse présentée par la suite. Après avoir précisé la définition de la philanthropie retenue aux fins du rapport, il s'intéresse à plusieurs aspects déterminants du secteur philanthropique puis à sa taille, c’est-à-dire au nombre d'organismes philanthropiques et au montant total des dons en sa faveur. Enfin, ce chapitre se clôture sur une présentation des grandes lignes du rapport.

Le terme « philanthropie » ne connaît pas de définition universelle. Issu du grec philanthropia, qui signifie « amour de l’humain » ou « amour des dieux pour l’humanité », il a cependant fait l’objet de plusieurs tentatives de définitions. Dans les dictionnaires, la philanthropie est parfois définie comme la « transmission de fonds ou de biens à titre gratuit dans un objectif altruiste ».1

Des spécialistes de différentes disciplines ont tenté de définir le terme en faisant appel à des concepts variés comme l’aspect « volontaire » de la philanthropie, la notion de « générosité » ou de souci d’autrui, ou l'affectation de ressources privées à des fins publiques. La philanthropie a ainsi été définie comme :

  • le fait de donner volontairement, et de s’associer volontairement, principalement au profit d'autrui (Robert Payton, 1988[1]) ; ou

  • le fait de donner volontairement de son temps et de son argent, et d’en recevoir, afin de pourvoir (même imparfaitement) à des besoins d'ordre caritatif ainsi qu’à l’intérêt de chacun à jouir d'une meilleure qualité de vie (Van Til, 1990[2]) ; ou

  • l’utilisation de richesses et de compétences personnelles pour servir des causes publiques spécifiques (Anheier, 2005[3]).

Si toutes ces définitions intègrent la notion de don, le terme de philanthropie est également utilisé dans d'autres contextes. La philanthropie a par exemple été définie comme « une forme de revenu des organismes à but non lucratif » (Salamon et H. Anheier, 1992[3]), assimilant ainsi la philanthropie aux dons tout en mettant l’accent non plus sur le fait de donner mais sur les organismes bénéficiaires. Il arrive également que ce terme soit utilisé pour désigner les organismes eux-mêmes, un chercheur ayant relevé qu’il « s’applique en général à des fondations philanthropiques et autres institutions similaires » (Anheier, 2005[4]).

Autre définition rencontrée : « L’acte d’offrir, de manière planifiée et structurée, de l’argent, du temps, des informations, des biens et des services, ou d'user de son influence ou de sa voix, afin d’améliorer le bien-être de l’être humain et de la communauté » (Philanthropy Australia[5]). Cette définition est plus étroite en ce qu’elle met l’accent sur un acte planifié et structuré, mais également parce qu’elle cite différents types de dons et introduit la notion de communauté. Enfin, selon certains, « être philanthrope renvoie aux largesses de riches donateurs particuliers » (Anheier et Leat, 2006[6]). Ceci étant, ce terme est généralement appréhendé dans un sens suffisamment large pour englober tous les types de dons.

Si les acceptions de la notion divergent, quelques dénominateurs communs s’en dégagent : la philanthropie a trait au « don », à des causes « nobles », et « publiques » plutôt que « privées ». Plusieurs définitions évoquent le don à la fois de temps et d'argent. D’autres font référence à l’« altruisme » ou au souci d’autrui, mais cet aspect n’est généralement pas retenu dans les définitions qui déterminent les organismes ou activités éligibles à des allégements fiscaux. De fait, certains organismes, les groupes de soutien aux handicapés par exemple, sont créés au profit de leurs membres plutôt que d'un public plus large. L’accent est alors mis sur le « don », à savoir le fait d'apporter volontairement une contribution sans rien demander en retour, ainsi que sur l’identification des causes ou des buts nobles. Variable suivant les pays, cette détermination des « causes nobles » constitue un paramètre important du cadre fiscal dans ce domaine.

Dans certains pays de common law, le terme charity (« charité ») est souvent utilisé pour désigner tour à tour l'acte de donner et les organismes qui soit permettent de mener les activités correspondantes, soit les réalisent eux-mêmes. Mais si charity et philanthropy y sont parfois employés indifféremment, ils n'ont pas nécessairement la même signification. Alors que les notions visent le même résultat, subvenir à des besoins et améliorer le monde, la méthode appliquée par les organismes philanthropiques et les organismes caritatifs pour atteindre ce résultat est différente. Tandis que le domaine caritatif a pour objectif d’atténuer directement des souffrances et des problèmes sociaux, la philanthropie cherche à identifier les causes profondes de ces problèmes et à y remédier (Anheier et Toepler, 2010[7]). Cette distinction a joué un rôle majeur dans l’émergence des fondations philanthropiques modernes, en particulier aux États-Unis.

Dans ce rapport, les termes « don philanthropique » et « organismes philanthropiques » sont employés pour désigner, respectivement :

  • le fait, pour des particuliers ou des entreprises, de donner à des organismes philanthropiques afin de servir des causes nobles, et

  • les organismes exerçant les activités qui défendent ces causes, y compris en octroyant des fonds à d'autres organismes.

Si la philanthropie est en elle-même ancienne, l’idée d'un secteur philanthropique ou « tiers secteur » hors de la sphère de l’État et du marché a une origine plutôt récente, que l’on peut situer après la seconde Guerre mondiale. Le caractère relativement nouveau de cette reconnaissance du secteur comme composante économique et politique peut expliquer le peu de travaux de recherche qui y ont été consacrés, avec une exception notable : les États-Unis.2 Depuis peu, il fait également l'objet de recherches dans d’autres pays, et plusieurs études comparatives menées à l’échelle mondiale3 ont permis de dégager des caractéristiques communes et de contribuer à informer les décideurs. Aujourd'hui encore, cette idée d'un secteur distinct reste déroutante pour le discours politique et social moderne parce qu’il recouvre une immense diversité d’institutions et de comportements.

Procéder à une comparaison des secteurs philanthropiques par pays n’est pas chose aisée, et ce pour plusieurs raisons. La première tient au fait que chaque pays dispose d’un bagage historique, économique et politique qui lui est propre et qui influe sur la taille et le champ d’action du secteur, ainsi que l’a décrit la théorie des « origines sociales ». Cette théorie, qui cherche à expliquer comment et pourquoi l’État providence a pris différentes formes suivant les pays (Anheier et Salamon, 1996[8]), suggère une proportionnalité inverse entre les dépenses de protection sociale engagées par l’État et la taille du secteur à but non lucratif. Selon cette théorie, les pays suivraient l’un des quatre modèles suivants :

  • le modèle « libéral », dans lequel la démocratie a précédé l’État providence. L’État providence peut y être limité, mais il est présent pour les « pauvres méritants ». Les pays de ce modèle sont susceptibles d’avoir un secteur philanthropique plus important ;

  • le modèle « social-démocrate », où la classe ouvrière a pris du pouvoir et fait pression pour obtenir la mise en place d’un État providence à visée universelle. Le niveau élevé de protection sociale de ces pays fait qu'ils ont tendance à avoir un secteur philanthropique moins important ;

  • le modèle « corporatiste », dans lequel l’État providence s’est développé sous un régime non démocratique et où le pays n’a accédé que par la suite à la démocratie. Ces pays ont généralement une faible protection sociale et un secteur philanthropique d’envergure ;

  • le modèle « statique », dans lequel les élites contrôlent l’offre de biens publics, avec deux corolaires : des dépenses de protection sociale peu élevées de la part de l’État et un secteur philanthropique peu développé.4

Toujours d’après cette théorie, l’évolution historique et les rapports de classes ont également conduit à des différences entre les pays pour ce qui est des types prédominants d’activités à but non lucratif. Elle relève en outre d’autres facteurs spécifiques, comme le rôle qu’a pu jouer la religion dans le développement du pays et dans l’instauration d'une culture philanthropique. Le développement économique peut également avoir son importance en ce qu'il influe à la fois sur les bénéficiaires nécessiteux, sur l’accumulation de moyens financiers disponibles pour le bien-être social, et sur la capacité des citoyens à y contribuer par le biais de la philanthropie.

Certains éléments peuvent rendre la comparaison difficile, comme la notion des « familles de droit », suivant que le pays s’appuie sur un droit de common law ou sur une tradition de droit civil. Pour identifier les causes et les activités honorables, les pays de common law ont ainsi tendance à se baser sur la notion de charity qui date du préambule de la loi élisabéthaine de 16015. Les pays de droit civil ne s’enferment généralement pas dans des notions de ce type, mais ont parfois des traditions bien ancrées de liberté d'association et d’organisation pour la défense des droits des travailleurs. En Allemagne, le secteur à but non lucratif a ainsi été influencé par le principe de « subsidiarité » qui fait primer l'action privée sur l’action publique dans de nombreux domaines, comme la santé et les services sociaux, et par celui d’auto-administration, qui accorde de l'indépendance à de nombreuses institutions publiques. Ces deux principes ne facilitent pas l’identification du secteur à but non lucratif ou philanthropique comme tel (Salamon et Anheier, 1992[3]).

Compte tenu de cette diversité, l’identification du secteur philanthropique au sein d’un pays à des fins de comparaison nécessite de dégager certaines caractéristiques essentielles. Le projet d’étude comparative du secteur non lucratif de l’université Johns Hopkins (le « projet JHU ») (Johns Hopkins University, 2003[9]) distingue un certain nombre d’éléments qui permettraient, selon ses auteurs, d’identifier les organismes à but non lucratif dans les différents pays afin d’effectuer des comparaisons du « secteur non lucratif » :

  • volontaire : le caractère volontaire de l’action des participants et de l’organisme est l’une des caractéristiques qui distinguent ces activités de celles de l’État ;

  • auto-administré : non dirigé par l’État ou une entité extérieure ;

  • privé : c’est-à-dire qui ne fait pas partie de l’État. Le projet relève que dans certains pays, la frontière entre l'activité privée et publique peut être floue ;

  • distribution à but non lucratif : bien que ces organismes puissent réaliser des bénéfices ou générer un excédent, ils n'ont pas été fondés dans un but lucratif. Le critère de non-distribution distingue ces organismes des entités à but lucratif ;

  • organisé : les organismes sont institutionnalisés dans une certaine mesure, ce qui tend à exclure les actes de philanthropie individuels ou l’assistance à un autre individu.6

Ce rapport distingue trois dimensions de l’activité philanthropique : les dons, les fonds, et les organismes d’intérêt général (OIG), chacune d’elles ayant des implications fiscales différentes.

Les dons constituent une part importante des ressources des organismes philanthropiques. Le don philanthropique consiste, pour une personne physique ou morale, à faire un don directement à un fonds ou à un organisme d'intérêt général ; dans le cas des personnes physiques, le don peut prendre la forme d’un legs. Les individus peuvent également contribuer en donnant de leur temps ou en offrant des services par le biais du bénévolat ou du volontariat. Les entreprises peuvent également fournir des services à titre gracieux.

Les fonds désignent les fondations qui octroient des subventions ainsi que les trusts qui utilisent les actifs qu'ils détiennent pour financer des OIG et soutenir leur noble cause. Ce rapport emploie le terme de « fonds » pour désigner ces intermédiaires qui apportent un soutien à des OIG.

L’expression « organisme d'intérêt général » (OIG) est employée dans ce rapport pour désigner les organismes qui mènent des activités afin de servir leur noble cause. Cela dit, la distinction entre les fonds et les OIG n’est pas toujours claire ; dans certains pays par exemple, les OIG ne travaillent pas exclusivement en direct avec les bénéficiaires. De nombreux pays utilisent le terme charity (« œuvre caritative ») pour désigner ce type d'organismes. Les OIG se distinguent des fonds en ce qu'ils travaillent directement avec les bénéficiaires. Deux caractéristiques sont spécifiques aux OIG. La première est qu’ils servent leur cause au moyen de financements issus de la philanthropie, à la fois directement et par le biais des fonds qui leur accordent des subventions, de financements provenant de l’État, et de sources auto-financées, comme des activités commerciales. La seconde est que les OIG peuvent prendre différentes formes juridiques, ce qui peut avoir des incidences en matière fiscale, notamment lorsque l’éligibilité à un traitement fiscal préférentiel est subordonnée à une forme juridique particulière.

De manière générale, les organismes philanthropiques peuvent adopter, ou être considérés comme ayant, différentes formes juridiques. Certains pays excluent du bénéfice des allégements certaines formes comme les partenariats, les partis politiques ou les entités publiques. Parmi les formes susceptibles d’être adoptées, citons :

  • les associations non constituées en sociétés : plusieurs personnes se regroupent pour défendre une cause commune. Généralement, ces associations ne sont pas dotées de la personnalité morale même si, dans certains pays, des procédures d’enregistrement spécifiques peuvent leur conférer un statut juridique. Dans les pays de droit civil, le droit de former une association est consacré par la Constitution ;

  • les organismes constitués en sociétés : l’organisme adopte une forme juridique distincte, celle de la société. Certains pays prévoient également une forme de société spécifique pour les organismes philanthropiques ou caritatifs, ou une forme modifiée de société respectant le critère de non-distribution ;

  • les fondations : parmi elles, on distingue les fondations qui octroient des subventions et les fondations d’exploitation. Dans ce rapport, le terme « fonds » désigne les fondations qui octroient des subventions. Les fondations peuvent prendre plusieurs formes juridiques ;

  • les trusts : ce dispositif juridique utilisé dans les pays de common law marque une séparation entre les droits sur les actifs (du trust) et la jouissance de ces actifs. Le détenteur des actifs du trust (le trustee) est soumis à des obligations strictement encadrées quant à la gestion de ces actifs. Le trust est souvent utilisé pour constituer des fondations ou des fonds et se traduit par la réunion de ressources et leur affectation à un but philanthropique ;

  • la coopérative ou entité mutualiste : il s’agit d’un regroupement de personnes pour un projet commun, avec parfois la possibilité d’opter pour une certaine forme de société. Dans certains pays, une coopérative à but non lucratif constituée par des parents pour diriger un centre de garde d’enfants et ne distribuant pas de bénéfices (donc, une coopérative non distributive) peut être considérée comme appartenant au secteur philanthropique. A contrario, certains pays estiment que ces coopératives ou entités mutualistes offrent plus qu'une contrepartie non substantielle à des intérêts privés (dans l’exemple cité, aux parents des enfants qui sont gardés) et ne les considèrent donc pas comme des organismes philanthropiques. Les coopératives qui distribuent des bénéfices à leurs membres (coopératives distributives) sont généralement soumises à un régime spécial d’imposition. Tandis que les coopératives non distributives ne sont en principe pas imposées selon des règles spécifiques aux coopératives ;

  • autre : il peut exister d’autres formes d’entités, à l’instar des ordres religieux qui n’entrent dans aucune de ces catégories.

Quelle que soit la forme juridique adoptée, la plupart des pays assimilent ces organismes à des sociétés sur le plan fiscal. La forme juridique peut toutefois avoir des incidences dans des domaines comme la réglementation et d’autres obligations juridiques.

Les réponses au questionnaire Fiscalité et philanthropie mettent en lumière d’importantes disparités en ce qui concerne la taille et le champ d'action du secteur philanthropique. Le tableau 1.1 présente le nombre approximatif d’organismes philanthropiques éligibles à une forme de traitement fiscal préférentiel en 2018 (pour les 27 pays ayant communiqué des données).7 Il indique également la population de chaque pays, exprimée en millions. Ces données indiquent qu'un nombre significatif d’organismes sont éligibles à des allégements fiscaux, mais qu'il varie fortement suivant les pays.

Toutefois, le nombre d’organismes philanthropiques au sein d'un pays n’est qu'un indicateur parmi d’autres de la taille et de l'importance du secteur dans ce pays. D’autres éléments comme la contribution économique, la taille des effectifs et, uniquement pour ce secteur, le nombre de bénévoles, entrent en jeu. Le manque de données fiables pour ces indicateurs rend l’évaluation particulièrement difficile pour les différents pays. Malgré les limites de cet exercice, le projet JHU, qui a étudié 35 pays de 1995 à 2002 et a mesuré la contribution économique du secteur philanthropique en se fondant sur les dépenses, a estimé que le secteur pesait 1300 milliards USD, soit 5.1 % du produit intérieur brut combiné (PIB). Le projet s’est également penché sur la taille des effectifs, qu’il a évalués à 39.5 millions de travailleurs en équivalent taux plein (ETP), parmi lesquels 21.8 millions de travailleurs rémunérés et 12.6 millions de bénévoles en ETP, soit 4.4 % de la population économiquement active. Toujours selon les conclusions de ce projet, les 35 pays étudiés compteraient 190 millions de bénévoles. Plus récemment, en 2013, le projet JHU a estimé pour un échantillon plus restreint de 15 pays (à partir des données de 2002-2009) que la contribution économique du secteur était de 4,5% du PIB. (Salamon et al., 2013[12]).

Le poids du secteur philanthropique peut également se mesurer à l’aune des dons effectués aux organismes philanthropiques, qui font l'objet du tableau 1.2. Toutefois, la disponibilité des données et leur comparabilité ne sont pas optimales, tous les pays n'ayant pas été en mesure de fournir le montant annuel total des dons aux OIG et aux fonds pour 2018 ; de plus, dans certains pays, seul le montant des dons ouvrant droit un traitement fiscal préférentiel est disponible. Néanmoins, les réponses au questionnaire montrent que le montant des dons philanthropiques varie fortement d'un pays à l'autre, et qu'une part significative de ces dons bénéficie d’un traitement fiscal préférentiel.

Bien sûr, les données fournies ne révèlent pas le montant total des dons par pays. Pour commencer, elles ne tiennent pas compte des dons aux organismes qui ne sont pas des bénéficiaires éligibles. En Australie par exemple, les dons aux organismes religieux ne sont pas déductibles ; ils représentent pourtant environ 30 % des dons annuels (Charities Aid Foundation, 2019[10]). Ensuite, les données n'incluent pas non plus les dons pour lesquels le donateur n’a pas réclamé son allégement fiscal, soit par oubli, soit parce que le don était inférieur au seuil applicable, soit encore parce que le donateur n’a pas souhaité bénéficier d’un traitement fiscal préférentiel pour garder le contrôle de ses dépenses.8

En 2016, la Charities Aid Foundation a entrepris de comparer les dons, exprimés en pourcentage du PIB, de 24 pays en s’appuyant sur des enquêtes et des données publiques. Le tableau 1.3 présente les résultats pour les pays qui ont répondu au questionnaire. Il faut toutefois noter que ces résultats ne se limitent pas nécessairement aux dons qui ont bénéficié de subventions et d’un traitement fiscal préférentiel.

Le projet JHU a également constaté que les dons à caractère philanthropique, bien que conséquents, ne constituaient pas la principale source de revenus des organismes philanthropiques. La répartition de leurs sources de revenus, c’est-à-dire la part des revenus provenant de la philanthropie, de recettes propres et de l’État, est également très variable. La classification retenue par le projet JHU distingue les dons à caractère philanthropique, à savoir les dons effectués par les particuliers, les entreprises et les fondations (subventions) ; les recettes propres, qui recouvrent des paiements au titre de la fourniture de biens et de services, des cotisations de membres et des revenus de placements ; et les aides publiques, qui incluent les subventions, les contrats et les paiements provenant de tous les niveaux de l’État. Le tableau 1.4 présente les résultats de notre enquête par pays.

D'après les données disponibles, les dons à caractère philanthropique ne constituent pas la principale source de financement des organismes, dans quelque pays que ce soit. Toutefois, rien ne permet de savoir si les revenus sont majoritairement issus de l’auto-financement ou d’aides publiques, les résultats étant très variables selon le type d'organisme et le pays. De plus, les moyennes peuvent se révéler trompeuses. Ainsi, aux États-Unis, les écoles, les collèges et les hôpitaux à but non lucratif tirent des revenus substantiels des frais de scolarité, des recettes propres et des aides publiques, ce qui réduit en conséquence la part moyenne en pourcentage des dons. À l'inverse, certains types d’organismes philanthropiques comme les banques alimentaires et d’autres organisations dédiées au bien-être social sont plus largement dépendantes des dons. Il n’est pas non plus possible de conclure à un quelconque lien de cause à effet et de savoir si les organismes se tournent vers l’auto-financement suite à une baisse des autres sources de revenus, ou si le fait de bénéficier d’aides publiques réduit le besoin pour l'organisme de générer des revenus propres ou de procéder à des levées de fonds. La question d’un éventuel effet d’éviction des subventions publiques, selon lequel l’octroi de subventions publiques découragerait les dons à caractère philanthrope, a été largement débattue par la doctrine et sera abordée au chapitre 2.

La suite du rapport s’articule de la façon suivante. Le chapitre 2 passe en revue les arguments pour et contre l’octroi d’allégements fiscaux aux organismes philanthropiques et les incitations fiscales en faveur des dons.

Le chapitre 3 examine le traitement fiscal des organismes philanthropiques appliqué par les pays membres de l’OCDE et les pays qui ont participé à l’enquête, à commencer par la procédure que doivent suivre les organismes pour être reconnus OIG ou fonds et les critères à remplir (notamment de noble cause, d'intérêt général et de but non lucratif), suivie d’une présentation des obligations administratives et des stratégies de surveillance. Le chapitre analyse ensuite les différentes formes d'avantages fiscaux accordés aux organismes philanthropiques. Enfin, il met en évidence le risque potentiel de fraude et d’évasion fiscales impliquant des organismes philanthropiques et les mesures mises en place par les pays pour lutter contre ces abus.

Le chapitre 4 aborde le traitement fiscal des donateurs et des dons aux organismes philanthropiques dans les pays membres de l’OCDE et les pays participants. Il examine dans un premier temps la conception des incitations fiscales en faveur des dons des particuliers, puis des entreprises. Il met ensuite en évidence le risque potentiel de fraude et d’évasion fiscale et les mesures mises en place par les pays pour lutter contre les abus.

Le chapitre 5 s'intéresse à la fiscalité de la philanthropie transfrontalière. Après une analyse des incitations fiscales en faveur des dons et des legs, il examine tour à tour l’imposition des dons, des successions, et des plus-values en cas de don non monétaire. Il aborde ensuite le traitement fiscal des organismes philanthropiques aux activités transfrontalières, en s’interrogeant sur l’éventuelle extension des avantages fiscaux aux organismes étrangers exerçant leur activité sur le territoire national, avant d’étudier le traitement fiscal des OIG nationaux opérant à l’étranger. En dernier lieu, il se penche sur le traitement fiscal des subventions accordées par des fonds à des organismes étrangers.

Le chapitre 6 fait la synthèse des principaux enseignements des chapitres précédents et examine leurs implications en matière de politique fiscale. Il souligne que les pays doivent veiller à ce que la conception des incitations fiscales en faveur des dons à caractère philanthropique soit cohérente avec les objectifs de politique publique sous-jacents. Il suggère également que les pays reconsidèrent l’intérêt d’accorder des exonérations fiscales au titre des revenus commerciaux des organismes philanthropiques, au moins dans la mesure où ces revenus ne sont pas liés à la cause défendue par l’organisme concerné. De façon plus générale, il traite de la marge de manœuvre dont disposent les pays pour réduire la complexité tout en améliorant la surveillance des régimes fiscaux favorables aux organismes et aux dons philanthropiques. Enfin, à la lumière de la dimension de plus en plus mondiale de nombreux enjeux de politique publique, comme les préoccupations environnementales et les questions de santé publique (notamment la pandémie de COVID-19), il suggère que les pays s'interrogent sur les restrictions généralement appliquées aux incitations fiscales à la philanthropie transfrontalière.

Références

[11] Anheier, H. et al. (2020), The Non-Profit Sector: A Research Handbook, Yale University Press, London.

[4] Anheier, H. (2005), A Dictionary of Civil Society, Philanthropy and the Non-profit Sector, Routledge, London.

[6] Anheier, H. et D. Leat (2006), Creative Philanthropy: Toward a New Philanthropy for the Twenty-First Century, Routledge, London.

[8] Anheier, H. et L. Salamon (1996), “The Social Origin of Civil Society: Explaining the Non-profit Sector Cross-Nationally”, International Journal of Voluntary and Nonprofit Organizations, vol. 9, pp. 213–248.

[7] Anheier, H. et S. Toepler (2010), International Encyclopedia of Civil Society, Springer Publishing, New York.

[10] Charities Aid Foundation (2019), Australia Giving 2019, https://www.cafonline.org/docs/default-source/about-us-publications/caf-australia-giving-report-2019-16master.pdf?sfvrsn=65e49940_2.

[5] Philanthropy Australia (n.d.), “Glossary”, https://www.philanthropy.org.au/tools-resources/glossary/#P.

[1] Payton, R. (1988), Philanthropy: Voluntary action for the public good, Macmillan Publishing, London.

[3] Salamon, L. and H. Anheier (1992), “In search of the non-profit sector I: The question of definitions”, International Journal of Voluntary and Non-profit Organisations, Vol. 3, pp. 125–151.

[13] Salamon, L., S. Sokolowski and H. Anheiner (2000), Social Origins of Civil Society: An Overview, Johns Hopkins Comparative Nonprofit Sector Project, Johns Hopkins University, Baltimore.

[9] Salamon, L., S. Sokolowski and R. List (2003), Global Civil Society: An Overview, Johns Hopkins Comparative Nonprofit Sector Project, Johns Hopkins University, Baltimore.

[12] Salamon, L. S. Sokolowski, M. Haddock and H.Tice (2013), “The State of Global Civil Society and Volunteering: Latest findings from the implementation of the UN Nonprofit Handbook”, Comparative Nonprofit Sector Working Papers, No. 49, Johns Hopkins University.

[2] Van Til, J. (1990), Defining Philanthropy, Jossey Bass, San Francisco.

Notes

← 1. Merriam-Webster Dictionary (en ligne).

← 2. Citons à cet égard les travaux du projet d’étude comparative du secteur non lucratif de l’université Johns Hopkins et l’école de philanthropie de la famille Lilly de l’université de l’Indiana.

← 3. Voir par exemple le projet d’étude comparative du secteur non lucratif de l’université Johns Hopkins : http://ccss.jhu.edu/research-projects/comparative-nonprofit-sector-project/

← 4. Notons toutefois que l’un des auteurs de ces travaux de recherche a récemment mis en doute la pertinence de cette théorie (Anheier, H. et al., 2020[74]).

← 5. La loi stipulait dans son préambule un ensemble de buts séculiers (pour la plupart) qui pouvaient être soutenus. La répartition des œuvres caritatives en quatre catégories remonte quant à elle à l’affaire Commissioners for Special Purposes of Income Tax v Pemsel (1891), AC 531.

← 6. Ibid.

← 7. Ces dernières années, le secteur philanthropique italien a fait l'objet d'une réforme d’envergure destinée à simplifier les activités philanthropiques et à encourager les dons du public. Adoptée par le Parlement italien en 2017 (décret-loi n° 117/2017), cette réforme n’est pas encore totalement entrée en vigueur, certains décrets techniques ministériels n’ayant pour l'heure pas été pris. En particulier, s’agissant des dispositions fiscales de la réforme, la mise en œuvre du régime préférentiel est subordonnée à l’autorisation de la Commission européenne conformément aux règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État.

← 8. Voir par exemple la Chan Zuckerberg Initiative, qui est constituée en LLC (Limited Liability Company) et non en fondation traditionnelle : https://chanzuckerberg.com

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