5. L’intégration d’une « dimension » jeunesse dans la formulation des politiques publiques en Tunisie

L'intégration d’une perspective sensible à la jeunesse (youth mainstreaming) est un concept exigeant la prise en compte des besoins et des aspirations des jeunes dans les processus politiques et décisionnels dans tous les domaines de politique publique (OCDE, 2019[1]). S’inspirant de la définition de l'ONU de l'intégration de la parité hommes-femmes, l'intégration des jeunes pourrait être définie comme suit : évaluer les incidences pour les jeunes de toute action envisagée, notamment dans la législation, les politiques ou les programmes, dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à incorporer les préoccupations et les expériences des jeunes dans l’élaboration, la mise en œuvre, la surveillance et l’évaluation des politiques et des programmes dans tous les domaines – politique, économique et social – de manière que l’inégalité ne puisse pas se perpétuer (ONU, 1997[2]).

La « dimension » jeunesse dans les politiques publiques nationales englobe les actions de l’État et des collectivités territoriales ainsi que de la société civile. Elle inclut aussi les actions des entités internationales. Une fois appliquée dans le cadre d’une politique publique nationale, elle doit être constamment mise à jour, en fonction des priorités politiques, de l'évolution du contexte et de l'impact des actions sur la jeunesse.

Cette intégration peut plus particulièrement se matérialiser par :

  • Des interventions ciblées sur les besoins et la situation spécifiques de divers groupes de population, des zones géographiques ou des organisations, tels que les jeunes en milieux ruraux et les associations de jeunes de certains quartiers urbains ;

  • Des opérations intégrées destinées à adapter ou modifier les politiques générales, les initiatives sectorielles et les systèmes gouvernementaux existants, par exemple, au titre de la sécurité routière ou d’actions spécifiques contre la consommation d’alcool des jeunes ;

  • Des interventions directes, telles que la construction de logements pour les étudiants ou les jeunes travailleurs, la mise à disposition de logement pour les jeunes, ou les campagnes de contrôle de la natalité ;

  • Des interventions indirectes : la collecte de données probantes, les études scientifiques et analyses, le dialogue sur les politiques publiques, l’amélioration des institutions, la budgétisation tenant compte des jeunes, le renforcement des capacités, les réformes organisationnelles ;

  • Des mesures à court terme : progressives, transitoires ou préparatoires, telles que des campagnes médiatiques en faveur de l’emploi des jeunes ou pour la formation professionnelle des jeunes travailleurs ;

  • Des mesures à long terme : les transformations systémiques, les changements individuels et sociaux et la modification des règles sociales, par exemple, celles affectant le statut personnel des jeunes femmes ;

  • Des mesures publiques intersectorielles : les nouvelles législations, les politiques publiques, les initiatives en matière de production de données ou les allocations spécifiques dans les budgets nationaux comme par exemple, la politique de soutien à la création d’entreprises ;

  • Des mesures spécifiques à certains secteurs : par exemple, le secteur de la santé et du logement.

La participation et l'engagement des jeunes de manière efficace, avec de réelles possibilités pour eux de concevoir les résultats politiques, font partie intégrante de la prise en compte d’une perspective des jeunes. Cette dernière n'a pas encore bénéficié de la même attention de la part les décideurs mondiaux que la parité entre les hommes et les femmes. Cependant, le grand nombre d’expériences et d'outils éprouvés pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes peut aider à identifier les mécanismes efficaces dans le domaine de la jeunesse et éviter les écueils éventuels (OCDE, 2019[3]).

Les budgets et les réglementations sont des instruments essentiels que les gouvernements utilisent pour obtenir des résultats politiques favorables aux jeunes. La recommandation de l'OCDE concernant la politique et la gouvernance règlementaires reconnaît que l’analyse d'impact règlementaire (AIR) est un outil important pour l'élaboration de politiques fondées sur des données probantes (OCDE, 2012[4]). Il s’agit d’une démarche systématique d’évaluation critique des effets des réglementations en projet ou en vigueur ainsi que des alternatives non réglementaires. Dans le contexte de la politique de la jeunesse, l’AIR peut aider à identifier les impacts potentiels différenciés de l'élaboration des politiques et des règles sur les jeunes.

L'utilisation des AIR pour les objectifs de politiques de la jeunesse reste encore peu développée dans le monde. Toutefois, de plus en plus de pays de l’OCDE commencent à mettre en place des mécanismes d’AIR pour des groupes spécifiques de la population, comme les femmes ou les jeunes. L’OCDE propose trois critères pour la bonne utilisation de ce type d’outil : i) un champ d’application clair permettant d’identifier à quel type de politique publique s’appliquera cette clause ; ii) un groupe d’âge spécifique ; iii) un seuil d’application en fonction d’un impact direct ou indirect sur la jeunesse. Les « youth check » développées en France et en Belgique répondent à ces critères et permettent d’élargir la « dimension adulte » appliquée par défaut dans l'élaboration des politiques (Encadré 5.1). Grâce à « l'analyse comparative entre les genres et plus » (Gender-Based Analysis Plus ou GBA+), le Canada possède, quant à lui, un outil qui anticipe l'impact des propositions règlementaires et budgétaires sur les jeunes et les personnes âgées (Encadré 5.2).

Comme l'ont démontré les analyses de l'OCDE, la conduite de l'AIR dans un cadre systématique et approprié peut renforcer la capacité des gouvernements à identifier la meilleure solution pour résoudre les problèmes politiques et veiller à ce que la réglementation soit efficiente et efficace. Dans le même temps, l'AIR documente les données des politiques et renforce la mise en œuvre de l'obligation de rendre compte des décisions stratégiques (OCDE, 2019[1]).

La Tunisie ne dispose pas pour le moment de dispositif d’analyse de l’impact règlementaire sur les jeunes. L’absence de dispositif ne signifie pas que la dimension de la jeunesse ne soit pas prise en compte dans la rédaction et l’adoption de la réglementation, mais seulement qu’elle ne l’est pas de manière systématique et uniforme. Cette analyse est donc faite au cas par cas et de manière empirique et discrétionnaire.

Le gouvernement tunisien pourrait envisager le développement d’un cadre d’utilisation de l’AIR qui identifierait les critères d’utilisation et la portée d’action. Il s’agirait de formaliser, systématiser et uniformiser l’usage des AIR en matière de jeunesse. Les évaluations des impacts sur les jeunes seraient intégrées dans les pratiques d'évaluation qualitative de l'impact général, afin de tenir compte des effets cumulatifs et synergiques des différents impacts et anticiper les bénéfices globaux nets ainsi que les coûts pour les différents groupes de la société.

Dans cette perspective, le gouvernement pourrait également prévoir le renforcement des capacités des décideurs publics afin d’anticiper l’impact de nouvelles lois et règlements sur les différents groupes de la population en fonction de leur âge, leur sexe ou encore de leur région.

Le budget est un outil de premier ordre des politiques publiques en général, et naturellement de celles concernant les jeunes. La recommandation du Conseil de l'OCDE sur la gouvernance budgétaire définit le budget public comme « un document de politique essentiel, montrant quelles priorités seront attribuées aux objectifs annuels et pluriannuels du gouvernement et comment ceux-ci seront atteints » (OCDE, 2015[7]).

Tout comme l’impact de certaines politiques publiques, la part des dépenses publiques dédiées à des domaines particuliers, tels que l’éducation ou le logement, est d’une grande importance pour les jeunes. Une approche inclusive et innovante du budget favorise, par ailleurs, la transparence et l’intégrité, et renforce la confiance des jeunes citoyens dans les institutions publiques.

Un budget public sensible aux préoccupations et aux besoins des jeunes serait le résultat de l’intégration d’une perspective claire en faveur des jeunes dans le contexte général de la procédure budgétaire, par l’intermédiaire des procédés spéciaux et des outils analytiques promouvant des politiques adaptées aux jeunes. Ceux-ci incluent notamment l’élaboration et la publication de la programmation pluriannuelle à travers des moyens plus accessibles et davantage adaptés aux jeunes, le développement d’outils permettant de mieux identifier les dépenses publiques liées à ceux-ci, et l’opérationnalisation de mécanismes intégrant leurs avis dans le budget des programmes et des projets.

Un meilleur accès à l’information budgétaire est susceptible d’aider les jeunes à s’engager dans les affaires publiques et à prendre une part plus active dans la définition et le contrôle des moyens financiers des politiques publiques qui les concernent. La transparence contribue également à instaurer la confiance entre le gouvernement et les citoyens.

Selon l’Open Budget Survey 2019 (International Budget Partnership, 2019[8]), l’accès du public aux informations budgétaires en Tunisie reste à renforcer, avec un score de transparence de 35 sur 100, qui situe le pays à la 82e place, sur les 117 pays étudiés1. Cette classification en matière de transparence est notamment expliquée par l’absence de rapport préalable à la formulation d’un budget, qui permettrait d’inciter au débat, ainsi que par le manque de données détaillées dans le projet de budget soumis par l’exécutif (International Budget Partnership, 2019[8]).

Néanmoins, en Tunisie de récents progrès législatifs ont été accomplis en faveur de l’accès aux informations, notamment concernant le budget. Ainsi, la loi organique du budget de 2019 consacre dans son article 8 le principe de transparence et de sincérité et impose que les informations sur le budget soient publiées « dans les délais » (République Tunisienne, 2019[9]). De la même façon, la loi de 2016 relative au droit d’accès à l’information mentionne, dans son article 6, que les organismes publics « sont tenus de publier, d’actualiser, de mettre périodiquement à la disposition du public, dans une forme utilisable, […] toute information relative aux finances publiques y compris les données détaillées liées au budget au niveau central, régional et local » (République Tunisienne, 2016[10] ; OCDE, 2019[11]). Cependant, ces textes ne comportent aucune disposition spécifique en faveur des jeunes.

Il est à noter que le développement d’information budgétaire spécifique sur les jeunes est une approche encore nouvelle, et pas encore répandue dans les pays de l’OCDE. Un exemple intéressant est celui du Canada qui a déjà eu recours à des objectifs spécifiquement liés à la jeunesse dans le cadre de son initiative de budget national genré (OCDE, 2020[6]).

L’approche la plus répandue dans les pays de l’OCDE consiste à publier le budget national dans un langage et un visuel adaptés et à travers des moyens accessibles aux jeunes, tels que l’utilisation de graphiques en Slovénie, l’adoption d’une approche interactive sur les sites gouvernementaux en Australie ou en Irlande, et la création d’une bande dessinée pour présenter les finances publiques aux jeunes de manière ludique à Hong Kong. La bande dessinée est téléchargeable et est complétée par des « faits budgétaires saillants » susceptibles d'intéresser les jeunes (par exemple, « accorder une allocation de 1000 HKD aux étudiants boursiers [...] coûtera 570 millions HKD ») (Gouvernement de Hong Kong, 2010[12]).

Depuis 2014, dans le contexte du renforcement de la transparence des finances publiques et des engagements de la Tunisie lors de son adhésion au Partenariat du Gouvernement Ouvert, le ministère chargé des Finances publie chaque année un « budget citoyen » de l’État. Ce dernier permet aux citoyens de mieux comprendre la distribution des dépenses et ressources publiques grâce une illustration et une explication simplifiées. Le budget citoyen présente notamment le cycle budgétaire tunisien, les nouvelles mesures fiscales adoptées et les grandes lignes budgétaires pour l’année à venir. Certaines communes tunisiennes publient aussi des budgets citoyens locaux. Ces pratiques sont semblables à des actions menées dans certains pays de l’OCDE (Encadré 5.3) (OECD, 2017[13]).

La société civile a également joué un rôle important dans la facilitation de l’accès à de telles informations pour les jeunes et la vulgarisation de ces dernières, à l’image du projet « Budget Marsad » mis en place par l’organisation tunisienne Al-Bawsala dont l’objectif est de simplifier et faciliter l’accès aux données budgétaires publiées par le gouvernement (Encadré 5.4).

La Tunisie pourrait généraliser et améliorer de telles initiatives afin d’encourager le partage d’informations budgétaires avec les citoyens. La mise à disposition de plus de données et d’analyses plus fines sur les dépenses budgétaires et les résultats des politiques réduirait l’opacité et le manque de transparence dénoncés par de nombreux citoyens. En ce qui concerne plus particulièrement les jeunes, les autorités publiques pourraient utiliser des plateformes numériques ou les réseaux sociaux, ainsi qu’un langage et des présentations visuelles qui leur sont adaptés.

Les dépenses publiques sont généralement présentées par secteur, par domaine fonctionnel ou programme. Ceci rend difficile d’estimer les dépenses par groupe d'âge et d’identifier les dépenses publiques bénéficiant particulièrement aux jeunes. Par exemple, les dépenses publiques consacrées à l'enseignement secondaire et supérieur sont généralement axées sur les jeunes, tandis que les allocations d'invalidité et autres dépenses de politique sociale ne ciblent pas exclusivement les jeunes, alors même qu’un certain nombre de bénéficiaires sont des jeunes (UNICEF, 2016[16]). En outre, il n'existe pas de définition universelle de dépenses « liées aux jeunes ».

En Tunisie, le gouvernement présente ses dépenses par secteur, par domaine fonctionnel ou par programme. Les estimations des dépenses par groupes d’âges ne sont donc pas immédiatement évidentes. Toutefois, l’élaboration de certains indicateurs permet aujourd’hui de mieux identifier les dépenses publiques liées à la jeunesse (autre que l’éducation) et de se rapprocher d’une méthodologie précise pouvant mesurer celles-ci. C’est le cas en Jordanie, où des analyses des budgets sont réalisées à travers le « prisme de l’enfance » (Encadré 5.5).

Avec l’adoption de la loi organique du budget en 2019, (République Tunisienne, 2019[9]) la Tunisie a choisi une gestion axée sur la performance. Cette loi prévoit que chaque ministère établit un projet de projet annuel de performance (PAP) et un rapport annuel de performance (RAP), qui sont annexés respectivement au projet de loi de finances de l’année et à la loi de règlement. Certains ministères sectoriels ont amorcé l’intégration de la question du genre dans leurs RAP pour l’année 20202. Dans une démarche semblable, le gouvernement tunisien pourrait envisager l’intégration dans la procédure budgétaire, ainsi que dans les RAP et les PAP, d’une approche pour la jeunesse, de données et analyses la concernant. Dans ce but, il lui serait envisageable de commencer par une initiative pilote dans les ministères plus particulièrement responsables de la jeunesse.

Le budget participatif constitue une méthode pour recueillir l'opinion des citoyens et l'intégrer dans les choix de finances publiques. Il peut concerner tous les citoyens ou des sous-groupes spécifiques. Des budgets participatifs, ciblant spécifiquement les jeunes, rendent ces instruments de gestion publique plus sensibles aux attentes et besoins spécifiques de ce groupe. Encourager la participation des jeunes au processus de prise de décision relatif à l'allocation des ressources publiques les incite, d’une part, à porter plus d’intérêt à une procédure essentielle qui autrement paraît absconse et, d’autre part, à s’approprier les priorités budgétaires. Cela s’avère particulièrement utile lorsque les jeunes sont impliqués dans toutes les étapes d’un processus clair, transparent et régulier. Un nombre croissant d’initiatives de budget participatif pour les jeunes a vu le jour dans les pays de l’OCDE, en particulier au niveau infranational. Elles ont mis l’accent particulièrement sur certaines questions d’intérêt pour les jeunes, tels que l’entreprenariat social, l’éducation ou le sport. Au niveau national, l’utilisation d'outils budgétaires pour promouvoir les objectifs de la politique de la jeunesse reste encore peu explorée : seuls le Portugal et le Costa Rica déclarent avoir conçu un programme spécifique de budget participatif pour la jeunesse (Encadré 5.6).

En Tunisie, la consultation des citoyens sur le budget est de plus en plus répandue au niveau local. De nombreuses municipalités organisent des réunions ouvertes au public sur leur budget annuel, afin d’en expliquer les principaux postes et les choix effectués, et de collecter des idées sur les projets à financer (OCDE, 2019[20]). Ceux-ci s’inscrivent dans une démarche associant la population à la définition des investissements. Ainsi, selon des données de 2016, plus de 5 900 citoyens sont intervenus dans les forums du budget participatif et 270 idées de projets citoyens issus de ces forums ont été soumises au vote, pour 9 millions TND (Encadré 5.7) (Jaouahdou, 2016[21]). Un guide de la participation citoyenne aux investissements communaux a été préparé à cet effet par le gouvernement.

Les autorités publiques tunisiennes pourraient prendre appui sur les initiatives de budget participatif déjà existantes au niveau local afin de les systématiser et de faciliter leur adoption sur l’ensemble du territoire. Elles pourraient également envisager une prise en compte plus spécifique et régulière de l’opinion de la jeunesse dans l’organisation de mesures de budget participatif de manière à renforcer leur intérêt pour ces mécanismes. Ainsi, les groupes représentatifs des jeunes seraient consultés au moyen d’enquêtes d’opinion sur l’affectation des crédits publics ou sur les questions qui les concernent tout particulièrement. Par exemple, les associations d’étudiants seraient entendues pendant la préparation du budget du ministère de l’enseignement supérieur. Cette démarche chercherait à faire évoluer l’allocation des crédits publics et à apporter des résultats concrets pour les jeunes.

L’existence et l’utilisation d’un système de suivi et d’évaluation sont cruciales à l’optimisation d’une politique publique, à sa responsabilisation et transparence, légitimant ainsi l’usage de fonds et de ressources publiques. Le suivi d’une politique publique s’appuie sur la collecte systématique de données sur des indicateurs précis, de sorte à analyser les progrès et les réalisations des objectifs fixés ainsi que l’utilisation des fonds alloués. L’évaluation d’une politique publique se réfère, quant à elle, à l’évaluation systématique et objective d’une politique en cours d’application ou une fois terminée, à son élaboration, sa mise en place et ses résultats (OCDE, 2020[22]).

Dans ce cadre, la mise à disposition de données ventilées, par âge notamment, est une condition nécessaire à une véritable compréhension de l’impact des politiques publiques et à la prise de décision informée (OCDE, 2018[23]). Il est nécessaire de disposer de données fiables et de qualité afin de mieux appréhender l’hétérogénéité de la situation des jeunes dans un pays, en fonction des régions, des zones rurales et urbaines.

En outre, la Déclaration de Bakou sur les politiques de la jeunesse rappelle que celles-ci devraient être « fondées sur la connaissance et étayées de preuves, c’est-à-dire développées et régulièrement mises à jour, se basant sur la collecte, l’analyse et la dissémination d’informations quantitatives et qualitatives sur la situation, les besoins, les défis et les possibilités des jeunes femmes et hommes dans un contexte donné » (First Global Forum on Youth Policies, 2014[24]).

Dans les pays de l’OCDE, le suivi et l’évaluation des politiques de jeunesse est effectué par les administrations elles-mêmes, les corps d’inspection, les autorités d’évaluation, comme la Cour des comptes, les Parlements (Juanico et Poisson, 2013[25]), les centres de recherche et les universités, ou encore les institutions spécialisées dans la jeunesse comme en France et en Suède (Encadré 5.8.), les organisations internationales (Echraf Ouedraogo, Touzri et Djaboutouboutou, 2016[26]) ou la société civile. De manière générale, tous les organismes procédant à des suivis et évaluations des politiques publiques s’efforcent de recueillir et utiliser des données de bonne qualité. Mais la collecte systématique de données ventilées par tranche d’âge reste inégale à travers les différents domaines de politiques publiques.

Alors que presque tous les ministères en charge des affaires de la jeunesse dans les pays de l’OCDE (88 %) déclarent collecter des données pour éclairer la conception de leur stratégies jeunesse, seulement la moitié d'entre eux rassemble des données et des informations ventilées par âge. Parmi eux, plus des deux tiers ont été confrontés à des défis lors de la collecte de données ventilées par âge dans divers domaines politiques qui sont essentiels pour soutenir la transition des jeunes vers une vie autonome (comme le montre le Graphique 5.1).

Les gouvernements de la région MENA s’appuient également sur une gamme variée d’institutions, tels que les bureaux nationaux des statistiques et équivalents, les ministères compétents et les institutions académiques, pour procéder à la collecte d’informations, notamment lors de l’élaboration d’une stratégie nationale de la jeunesse. Cette approche implique parfois la société civile ainsi que la jeunesse organisée. Il semble néanmoins que les autorités locales soient peu incluses dans ce processus (OCDE, 2018[28]).

La Tunisie cherche à s’appuyer sur des données scientifiques fiables dans l’élaboration de ses politiques et programmes en faveur des jeunes. D’un point de vue institutionnel, malgré l’existence d’organismes chargés des statistiques expérimentés et bien structurés, les capacités de collecte et de traitement de données sur les jeunes dans le pays restent limitées. L’Observatoire National de la Jeunesse (ONJ) constitue ainsi le seul organisme scientifique étudiant la jeunesse et réalisant régulièrement des sondages et des études d’opinion sur celle-ci (OCDE, 2018[29]).

De manière générale, l’absence de données ou le manque de ressources limitent la capacité des institutions publiques tunisiennes à produire des statistiques de base, des indicateurs de référence et des analyses quantitatives et qualitatives. Les cadres des résultats restent également insuffisamment élaborés (détail des résultats, des extrants, défaut de mention du responsable) (Zaouche, 2017[30]). De plus, les informations recueillies par l’OCDE soulignent le manque de données désagrégées sur la jeunesse et d’indicateurs statistiques ciblant notamment ce public en Tunisie. L’absence de données précises sur des sujets tels que la transition entre l’enseignement primaire et le collège ou le travail des enfants paraît remarquable (UNICEF et Ministère de l’Éducation Nationale, 2014[31]). De même, selon les données recueillies par l’OCDE dans la préparation de ce rapport, seules 6 institutions gouvernementales tunisiennes sur 14 sondées déclarent utiliser des données ventilées par catégorie d’âge dans la formulation de leurs programmes ou services3.

En conséquence, les capacités de l’Observatoire National de la Jeunesse pourraient être renforcées. Il serait également pertinent de promouvoir la coordination des acteurs institutionnels tunisiens chargés de la collecte de données et statistiques en lien avec la jeunesse, tels que l’Institut National de la Statistique et les différentes directions et cellules de chaque ministère, responsables du suivi et de l’évaluation des programmes et services. La mise en place d’un système centralisé et complet de collecte, d’analyse et de production d’informations sur la jeunesse permettrait de mieux suivre l’évolution de la jeunesse tunisienne, d’identifier ses principaux défis et de contribuer à l’élaboration de politiques publiques adaptées. Des efforts ont été récemment engagés dans ce sens, et des discussions sont en cours entre l’Observatoire National de la Jeunesse et le Conseil National des Statistiques dans le but de créer un groupe thématique sur la jeunesse au sein du Conseil National. Ce groupe aurait pour mission l’harmonisation des statistiques, l’indentification d’indicateurs et la mise en place d’un système d’information dans tous les secteurs en lien avec la jeunesse.

Le recours accru aux technologies de l’information et de la communication serait naturellement susceptible de faciliter le recueil de données fiables auprès des jeunes. Il convient toutefois, de tenir compte que celui-ci est de nature à introduire des biais statistiques et cognitifs dans certaines circonstances, par exemple, lorsque le recueil des avis par internet surpondère les groupes de jeunes ayant accès à ce moyen.

Plus largement, l’élaboration d’indicateurs clés de performance dans les politiques et stratégies de développement national devrait prévoir la ventilation de ceux-ci par âge lorsqu’ils concernent des secteurs stratégiques pour la jeunesse. La mise en œuvre de la Gestion budgétaire par objectifs (GBO) en Tunisie offre un cadre propice à la mise en place d’indicateurs ventilés par âge qui facilitent le suivi et l’évaluation des politiques publiques de la jeunesse en Tunisie (OCDE, 2017[32]).

Enfin, il est nécessaire d’aller vers une collecte élargie de données sur la jeunesse tunisienne en établissant une plus grande collaboration multipartite avec le secteur privé, la société civile et les universités de manière à assurer une plus grande pertinence des informations utiles à l’élaboration de politiques publiques en faveur de la jeunesse.

Références

[19] Consejeria Presidencial para la juventud (2013), Sistema Nacional de Juventud, http://www.colombiajoven.gov.co/participa/snj.

[26] Echraf Ouedraogo, A., F. Touzri et I. Djaboutouboutou (2016), Analyse de la mise en œuvre de politiques jeunesse dans les États et gouvernements membres de la Francophonie et exemples de bonnes pratiques, http://obsjeunes.qc.ca/sites/obsjeunes.qc.ca/files/Rapport_final_sur_les_Politiques_Jeunesse_2016.pdf (consulté le 10 août 2020).

[24] First Global Forum on Youth Policies (2014), Baku Commitment to Youth Policies, https://www.youthpolicy.org/library/documents/baku-commitment-to-youth-policies/ (consulté le 6 août 2020).

[12] Gouvernement de Hong Kong (2010), (No Title), https://www.budget.gov.hk/2010/chi/flip/main.pdf (consulté le 11 août 2020).

[8] International Budget Partnership (2019), Open Budget Survey 2019: Tunisia, International Budget Partnership, https://www.internationalbudget.org/sites/default/files/country-surveys-pdfs/2019/open-budget-survey-tunisia-2019-fr.pdf (consulté le 24 février 2021).

[21] Jaouahdou, K. (2016), Le Budget Participatif en Tunisie : Développement numérique et perspectives, http://www.aegid-foundation.org/events/archives/0/interventions/9 (consulté le 11 août 2020).

[25] Juanico, R. et J. Poisson (2013), N° 1613 - Rapport d’information de MM. Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson déposé en application de l’article 146-3 du règlement, par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1613.asp (consulté le 11 août 2020).

[27] Ministère de l’Éducation Nationale, D. (2019), Le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, https://www.jeunes.gouv.fr/Le-Conseil-d-orientation-des?recommander=oui (consulté le 11 août 2020).

[5] Ministère de l’Éducation Nationale, D. (2018), La clause d’impact jeunesse, https://www.jeunes.gouv.fr/La-clause-d-impact-jeunesse (consulté le 11 août 2020).

[6] OCDE (2020), Governance for Youth, Trust and Intergenerational Justice, OECD.

[22] OCDE (2020), Improving Governance with Policy Evaluation: Lessons from Country Experiences, OCDE, https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/89b1577d-en.pdf?expires=1614188457&id=id&accname=ocid84004878&checksum=5205CCD2C5743E72702988D9960956EA (consulté le 24 février 2021).

[1] OCDE (2019), Impliquer et autonomiser les jeunes dans les pays OCDE, https://www.oecd.org/gov/impliquer-et-autonomiser-les-jeunes-dans-les-pays-ocde.pdf (consulté le 29 juillet 2020).

[3] OCDE (2019), « Impliquer et autonomiser les jeunes dans les pays OCDE », https://www.oecd.org/fr/gov/impliquer-et-autonomiser-les-jeunes-dans-les-pays-ocde.pdf (consulté le 22 février 2021).

[20] OCDE (2019), Le gouvernement ouvert en Tunisie : La Marsa, Sayada et Sfax, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264310902-fr.

[11] OCDE (2019), Les institutions garantissant l’accès à l’information: OCDE et la région MENA, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/c315ec4d-fr.

[15] OCDE (2018), Bonne Gouvernance au niveau local pour accroitre la transparence et la redevabilité dans la prestation des services : expériences de Tunisie et d’ailleurs.

[23] OCDE (2018), OECD Draft Policy Framework on Sound Public Governance, https://www.oecd.org/gov/draft-policy-framework-on-sound-public-governance.pdf (consulté le 7 août 2020).

[29] OCDE (2018), Pour un meilleur engagement de la jeunesse dans la vie publique en Tunisie, https://www.oecd.org/mena/governance/Tunisia-discussion-paper-Feb18-web.pdf (consulté le 10 août 2020).

[28] OCDE (2018), Sept conclusions clés de l’ enquête sur la gouvernance des affaires de la jeunesse, http://www.oecd.org/mena/governance/seven-key-findings-from-the-youth-governance-survey-french.pdf (consulté le 30 juillet 2020).

[17] OCDE (2017), « Les jeunes dans la vie publique : Vers un engagement ouvert et inclusif de la jeunesse » au Maroc, https://www.oecd.org/mena/governance/Morocco-discussion-paper-Sept17-web.pdf.

[32] OCDE (2017), Une meilleure performance pour une meilleure gouvernance publique en Tunisie: La gestion budgétaire par objectifs, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264265950-fr.

[7] OCDE (2015), Recommandation du Conseil sur la gouvernance budgétaire, http://www.oecd.org/gov/budgeting/Recommendation-du-conseil.pdf (consulté le 11 août 2020).

[4] OCDE (2012), Recommandation de l’OCDE concernant la politique et la gouvernance réglementaires, https://www.oecd.org/fr/gov/politique-reglementaire/Recommendation%20with%20cover%20FR.pdf (consulté le 11 août 2020).

[13] OECD (2017), Un meilleur contrôle pour une meilleure gouvernance locale en Tunisie, Éditions OCDE, https://www.oecd.org/mena/governance/finances-publiques-Tunisie.pdf.

[2] ONU (1997), Extract from the Report of the Economic and Social Council for 1997, https://www.un.org/womenwatch/osagi/pdf/ECOSOCAC1997.2.PDF (consulté le 11 août 2020).

[9] République Tunisienne (2019), Loi n° 2019-15 du 13 février 2019 portant Loi Organique du Budget, http://www.gbo.tn/images/LOB-V-Fr.pdf (consulté le 24 février 2021).

[10] République Tunisienne (2016), « Loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016, relative au droit d’accès à l’information », Journal Officiel de la République Tunisienne, vol. 26, https://www.steg.com.tn/fr/cell_acces_info/loi_organique_N22_2016_du_2432016.pdf (consulté le 11 août 2020).

[14] Transparencia Presupuestaria (2021), Paquete Economico 2021, https://www.transparenciapresupuestaria.gob.mx/es/PTP/infografia_ppef2021.

[16] UNICEF (2016), Investing in Children and Youth, https://www.un.org/esa/ffd/wp-content/uploads/2016/01/Investing-in-Children-and-Youth_UNICEF-and-Envoy-on-Youth_IATF-Issue-Brief.pdf (consulté le 11 août 2020).

[31] UNICEF et Ministère de l’Éducation Nationale (2014), Tunisie : Rapport national sur les enfants non-scolarisés, https://www.unicef.org/tunisia/sites/unicef.org.tunisia/files/2020-06/rapport-national-enfants-non-scholaris%C3%A9s-fr-2014.pdf (consulté le 4 août 2020).

[18] Villa Nova de Gaia (s.d.), GOP+Jovem 2021.

[30] Zaouche, A. (2017), Synthèse de la révision régionale des politiques de jeunesse dans 5 pays arabes, http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/FIELD/Beirut/synthesis.pdf (consulté le 11 août 2020).

Notes

← 1. Un score de transparence de 61 ou plus indique qu'un pays est susceptible de publier suffisamment de documents pour favoriser un débat public informé sur le budget (Open Budget Survey).

← 2. Certains ministères sectoriels sous le pilotage de l’unité GBO centrale et avec l’appui de l’UE et de l’ONU Femme, ont amorcé l’intégration de l’aspect genre dans leur projet annuel de performance pour l’année 2020 et ce conformément aux orientations de la circulaire du président du gouvernement n° 9 du 29 mars 2019 relative à la préparation du budget de l’État pour l’année 2020.

(http://www.gbo.tn/index.php?option=com_content&view=article&id=318%3Alaspect-genre-accompagne-le-projet-de-loi-de-finances 2020&catid=35%3Adefilement&Itemid=53&lang=fr#:~:text=Cette%20constitution%20financi%C3%A8re%20de%20l,des%20objectifs%20et%20des%20indicateurs)

← 3. Le Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, le Ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’homme, le Ministère des Affaires Sociales, le Ministère de l’Éducation, le Ministère des Transports et le Ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Séniors

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