Résumé
La reprise économique de l’après-COVID a marqué le pas du fait du climat d’incertitude lié à la guerre en Ukraine et des tensions inflationnistes. Les mesures de soutien adoptées par les pouvoirs publics peuvent aider les ménages vulnérables à faire face à la hausse du coût de la vie, mais elles devraient être bien ciblées et limitées dans le temps et préserver les incitations à faire des économies d'énergie.
La croissance a rebondi fermement en 2021 (Graphique 1). Grâce à un soutien économique décisif, l’économie a pu échapper aux pires conséquences de la crise liée au COVID, et le PIB a renoué avec ses niveaux d’avant la pandémie dès le troisième trimestre de 2020. Les aides post-COVID ont permis à la plupart des secteurs de se redresser vigoureusement en 2021.
La guerre en Ukraine assombrit les perspectives économiques (Tableau 1). L’inflation globale a atteint 8.8 % en octobre, du fait du niveau élevé des prix de l’énergie, de la progression de l’inflation sous-jacente et de l’indexation automatique des salaires, qui a tendance à accentuer leur hausse sur un marché du travail déjà sous tension. À court terme, la croissance devrait ralentir sur fond de relèvement des taux d’intérêt à l’échelle mondiale et d’une confiance en berne. Si le Luxembourg est peu exposé directement à la Russie, le ralentissement de l’activité chez ses partenaires européens aura des répercussions négatives sur son économie. L’embargo de l’UE sur les importations de pétrole, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement provoquées par la guerre et les fermetures dictées par le COVID en Chine auront pour effet de freiner un peu plus l’activité.
Les mesures destinées à amortir le choc de l’inflation sur les revenus devraient être mieux ciblées, limitées dans le temps et ne pas compromettre les incitations à faire des économies d'énergie. L’effort de soutien budgétaire généreux, de l’ordre de 3.3 % du PIB, est surtout axé sur le soutien des prix. Or, des mesures de ce type peuvent nuire aux incitations à réduire la consommation d'énergie, notamment si les prix de cette dernière restent élevés à moyen terme. L'action publique devrait consister en priorité à offrir des aides au revenu temporaire et ciblées.
Le système d’indexation des salaires risque d’alimenter une inflation déjà élevée en période de chocs inédits sur les prix, et pourrait nuire à la compétitivité à long terme. Des augmentations salariales généralisées aboutissent à des gains financiers qui sont proportionnellement supérieurs pour les salariés les plus aisés. Les accords de modération salariale signés avec les partenaires sociaux risquent de ne pas être suffisants si les prix de l'énergie restent de manière prolongée à un niveau élevé. Les pouvoirs publics devraient réformer le mécanisme d’indexation des salaires en concertation avec les partenaires sociaux pour mieux se prémunir contre les risques qu’il fait peser sur la productivité, l’emploi et l’inflation.
Le relèvement des taux d’intérêt à l’échelle mondiale va multiplier les risques dans le secteur financier et sur les marchés du logement à court et moyen terme. Les dépenses de retraite constituent un risque budgétaire important à long terme.
La surchauffe du marché du logement expose certaines catégories d’emprunteurs à des risques. La hausse des prix des logements a été supérieure à celle enregistrée dans la plupart des pays de l’OCDE (Graphique 2), dégradant l’accessibilité financière au logement et portant la dette des ménages à 180 % de leur revenu disponible net en le premier trimestre 2022. Des mesures macroprudentielles ont été prises pour réduire les risques d’emprunt, et les quotités de financement ont été plafonnées en janvier 2021. Il reste néanmoins que des taux d’intérêt plus élevés occasionneront des difficultés à certaines catégories d’emprunteurs ayant souscrit des prêts à taux variables, notamment ceux dont les revenus sont les plus faibles. En sus de maintenir une vigilance accrue à l’égard des banques et de l’endettement des ménages, les autorités doivent se tenir prêtes à appliquer un large éventail d’instruments de politique macroprudentielle.
Le système budgétaire est très résistant aux chocs, mais pourrait l’être encore davantage. Une forte croissance économique, des bases d’imposition solides et un engagement résolu à maintenir la dette publique à un niveau bas sont des garde-fous importants, étant donné en particulier la petite taille de l’économie luxembourgeoise et son degré d’ouverture. Cependant, , les tensions sur les dépenses sont appelées à s'intensifier au fil du temps. Les dépenses de retraite augmenteront nettement si aucune mesure n'est prise, alors que les chocs macroéconomiques liés au changement climatique pourraient être de plus en plus fréquents. L’élaboration d’un cadre plus systématique pour évaluer et hiérarchiser les dépenses pourrait renforcer encore la résilience budgétaire.
L’examen en cours du système de retraites est une opportunité pour s’attaquer à la croissance anticipée des dépenses annuelles de pensions, qui pourraient atteindre jusqu’à 9 points de PIB à l’horizon 2070 (Graphique 3). Les projections de viabilité de la dette à long terme montrent que dans le scénario le moins favorable, la dette publique en pourcentage du PIB pourrait se hisser à plus de 140 % à l’horizon 2060, après l’utilisation intégrale des actifs placés dans les fonds de réserve pour les retraites. Le report de l’âge effectif de départ à la retraite et la mise en place d’ajustements assurant l’équité actuarielle en cas de départ en préretraite permettraient d’améliorer le coût du système de pensions et de renforcer l’équité intergénérationnelle.
La croissance potentielle est appelée à ralentir avec le vieillissement de la population. Il faudrait augmenter le taux d’activité des jeunes et des seniors, tandis que l’accroissement de l’investissement du secteur privé, notamment dans la R-D, permettrait d’accélérer les gains de productivité.
Un certain nombre de jeunes sont très exposés au risque d’être exclus du marché du travail. Les taux élevés de décrochage scolaire concernent surtout les élèves en situation de vulnérabilité, qui sont moins armés pour faire face aux inégalités de scolarité et à l’absence de passerelles entre filières éducatives. Toute réforme du système scolaire prendra du temps pour entrer en vigueur et devra s’accompagner d’un net développement de la formation professionnelle destinée aux jeunes en situation de chômage. Les programmes devront en particulier mettre en avant les qualifications très recherchées dans les métiers techniques.
Les obstacles à l’emploi des seniors, actuellement nombreux, devraient être levés. Les taux d’activité des plus de 55 ans figurent parmi les plus faibles de l’OCDE. La générosité des pensions servies et les pratiques actuelles du monde du travail n’incitent guère à rester en activité. Le système de pensions pourrait être réformé pour permettre un départ progressif à la retraite, notamment en introduisant plus de souplesse dans le recours aux contrats à temps partiel. Les mesures actuelles d’incitation au recrutement des seniors devraient être améliorées, notamment via des formations ciblées destinées à pallier les manques de qualifications, en particulier dans le domaine de la transformation numérique. Un système renforcé de formation des adultes, centré sur la formation continue, garantirait à la main-d'œuvre en place de ne pas être laissée pour compte dans la transition vers une économie verte.
Les niveaux d’investissement privé, qui s’établissent à 8.5 % du PIB, et à 0.6 % du PIB pour l’investissement dans la R-D, sont parmi les plus bas de l’OCDE. Le gouvernement luxembourgeois soutient massivement l’investissement dans la R-D, mais l’investissement privé total, y compris dans la R-D, continue de diminuer en pourcentage du PIB. L’investissement des PME dans le numérique accuse également un retard par rapport à la situation observée dans des pays comparables. Les aides publiques à l’investissement dans la R-D sont très dispersées et de nombreux doublons existent entre les dispositifs. En simplifier la gestion permettrait d’améliorer l’emploi des ressources disponibles et de rediriger les aides depuis les secteurs à haute technologie, leur principale cible, vers le secteur manufacturier. Augmenter la part des fonds mobilisés en contrepartie des financements privés consacrés à la R-D pourrait aider les entreprises à investir davantage.
Les charges administratives sont importantes et brident la dynamique des entreprises. Les règles concernant l’obtention d’une autorisation pour les professions libérales sont parmi les plus restrictives de toutes celles en vigueur dans les pays de l'OCDE. Bien que possible en ligne, la création d’une entreprise demeure une procédure fastidieuse.
Le Luxembourg s’est fixé des objectifs climatiques ambitieux, mais de profonds changements sont nécessaires pour les concrétiser. Des mesures visant à relever les prix du carbone, renforcées par des politiques des transports et du logement adéquates, peuvent améliorer les choix de lieu de vie et les modalités de déplacement des ménages.
Il faudra que les prix du carbone augmentent à longue échéance pour réussir la transition verte (Graphique 4). Les prix payés par les consommateurs pour l'énergie ont augmenté considérablement depuis peu, mais devront sans doute être encore relevés à long terme si l'on veut atteindre des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre. En effet, un carbone peu onéreux encourage des niveaux élevés d'utilisation de la voiture et de consommation en chauffage des résidents, et n'incite guère à modifier sensiblement ses comportements ou à engager des investissements coûteux dans l'efficacité énergétique. Les ventes de carburants à des frontaliers sont importantes car, traditionnellement, les prix pratiqués au Luxembourg sont inférieurs à ceux des pays voisins.
La taxe carbone actuelle ne donne pas les incitations à long terme nécessaires pour la transition verte. Une taxe carbone revue à la hausse, selon une progression clairement définie sur longue période, inciterait à procéder aux investissements qui s’imposent dans l’efficacité énergétique. Il faudrait qu’elle soit accompagnée d’une politique expliquant clairement la manière dont les recettes supplémentaires issues de la fiscalité environnementale pourront être employées. Les politiques publiques qui intègrent explicitement la question des effets sur la distribution sont généralement mieux acceptées et améliorent la viabilité des mesures de transition.
Les objectifs ambitieux fixés par les pouvoirs publics doivent s’accompagner d’estimations des coûts de la transition verte. Ces coûts varieront au fil du temps et selon les catégories de ménages et d’entreprises. Leur évolution, et la manière dont ils seront affectés par les politiques publiques, doivent être suivies de près. Chiffrer le coût de la transition permettra de hiérarchiser les exigences budgétaires à long terme, notamment concernant les pensions.
Le prix élevé des logements, les incitations à l’utilisation de la voiture et les difficultés de coordination dans l’aménagement du territoire ont abouti à un processus d’étalement urbain et à une forte dépendance à l’automobile. Le Luxembourg est l’un des pays de l’OCDE où l’étalement urbain progresse le plus rapidement. Les abattements fiscaux applicables au kilométrage entre le domicile et le travail, ainsi qu’aux véhicules de société, devraient être supprimés et remplacés progressivement par des péages routiers et des restrictions de stationnement pour inciter davantage de personnes à utiliser les services de transports en commun gratuits et en expansion. Les incitations proposées aux communes et aux ménages pour développer l’offre de logements devraient être harmonisées de manière à encourager des constructions conformes au Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT). Revoir à la hausse les avantages en faveur des ménages qui entreprennent simultanément des projets de densification sur des espaces existants et de rénovation pour accroître l’efficacité énergétique pourrait inciter à des efforts de rénovation plus en profondeur et améliorer la convergence entre les objectifs du logement et ceux du climat.
La biodiversité et la qualité de l’eau et des sols sont fortement menacées. Le nombre d’espèces menacées au Luxembourg figure parmi les plus élevés de l’Union européenne. L’élevage intensif de bovins et l’utilisation massive d’engrais nuisent à la biodiversité, et leurs incidences sur l’environnement sont très peu prises en compte dans l’élaboration de la politique agricole. Il faut renforcer de toute urgence la réglementation sur l’utilisation des engrais et des pesticides dans l’agriculture. Les dispositifs d’aides au secteur doivent être repensés pour soutenir une agriculture écologique.