2. L’intelligence artificielle dans l’éducation : Rassemblons les pièces du puzzle

Ryan S. Baker
Université de Pennsylvanie
États-Unis

Pendant des décennies, les professionnels de l’éducation et les chercheurs ont pensé que les ordinateurs avaient la capacité de révolutionner l’éducation. Aujourd’hui, ils ne sont pas encore utilisés de manière révolutionnaire dans ce domaine. En fait, l’apprentissage implique encore en grande partie un instructeur qui enseigne à de nombreux étudiants simultanément. De même, une bonne part de l’apprentissage assisté par ordinateur se fait à l’aide de programmes et de technologies qui reproduisent des pratiques traditionnelles comme les exercices en classe. Cependant, les applications efficaces de l’informatique dans l’éducation semblent aller maintenant bien au-delà. Des millions d’apprenants utilisent désormais des systèmes de tutorat intelligents dans le cadre de leurs cours de mathématiques - des systèmes qui détectent les connaissances des élèves, mettent en œuvre un apprentissage par la maîtrise (les élèves ne progressent pas tant qu’ils n’ont pas démontré leur compréhension d’un sujet) et offrent des conseils à la demande (VanLehn, 2011[1]). Des millions d’apprenants dans le monde suivent des cours magistraux et font des exercices dans le cadre de cours massifs ouverts en ligne (MOOC), offrant la possibilité d’étudier des milliers de sujets que les établissements d’enseignement à l’échelle locale ne peuvent pas couvrir (Milligan et Littlejohn, 2017[2]). Un nombre croissant d’enfants et d’adultes apprennent à partir d’interactions en ligne (et sont même évalués dans le cadre de ces interactions) telles que les simulations, les jeux, la réalité virtuelle et la réalité augmentée (De Jong et Van Joolingen, 1998[3] ; Rodrigo et al., 2015[4] ; Shin, 2017[5] ; De Freitas, 2018[6]). Peut-être qu’aucun de ces systèmes n’a pleinement atteint le degré de sophistication auquel s’attendaient les premiers articles les concernant (Carbonell, 1970[7]) (Stephenson, 1998[8]). En revanche, l’ampleur de leur utilisation et le degré d’intégration dans les systèmes éducatifs formels ont dépassé ce qui semblait envisageable il n’y a pas si longtemps encore.

De plus en plus, l’enseignement assisté par ordinateur s’appuie sur l’intelligence artificielle (IA). Les progrès de l’IA dans les années 1980, 1990 et la première décennie du nouveau millénaire ont ouvert de nouvelles possibilités aux technologies d’apprentissage dans plusieurs domaines. Ces progrès fondamentaux ont conduit à des avancées dans l’utilisation plus pointue de l’IA dans l’éducation - les communautés de recherche et de pratique de l’analyse de l’apprentissage et de la fouille des données éducatives - depuis 2004 environ jusqu’à aujourd’hui. À mesure que les travaux de recherche donnaient des résultats probants, de nouvelles méthodes se sont diffusées dans les systèmes utilisés à grande échelle par les apprenants. L’IA est aujourd’hui utilisée pour déterminer ce que les étudiants savent (ainsi que leurs stratégies d’implication et d’apprentissage) afin de prédire leurs trajectoires futures, de mieux évaluer les apprenants selon plusieurs dimensions et - en fin de compte - d’aider les êtres humains et les ordinateurs à décider comment mieux accompagner les apprenants.

Au fur et à mesure que ces technologies se développent, qu’elles arrivent à maturité et qu’elles prennent de l’ampleur, il est pertinent de se poser la question suivante : où allons-nous ? Et où pourrions-nous aller ? Si nous parvenions à cerner les frontières et le potentiel de l’intelligence artificielle dans l’éducation, nous serions peut-être en mesure d’orienter la recherche et le développement en élaborant, dans la prochaine décennie, une stratégie appropriée pour arriver à destination.

Dans les chapitres de cet ouvrage, les auteurs font appel à leur expertise dans des domaines précis et mettent en lumière les défis éducatifs posés à l’intelligence artificielle dans le but d’explorer les frontières et le potentiel qu’elle représente. Quelles sont les technologies et les approches pédagogiques qui commencent tout juste à être disponibles dans les classes expérimentales et qui pourraient bientôt être accessibles à un éventail beaucoup plus large d’élèves ? Comment l’intelligence artificielle peut-elle façonner les systèmes éducatifs de manière plus générale, de l’orientation scolaire à la délivrance de diplômes, pour mieux les adapter aux besoins des apprenants ? Où en serions-nous dans dix ans si la R-D disposait des directives et de l’encadrement appropriés ? Comment les apprenants pourront-ils progressivement bénéficier des avancées en la matière ? L’éducation et les expériences des apprenants seront-elles radicalement modifiées ?

Dans cet aperçu, nous clarifierons certains termes et concepts. Ensuite, nous mettrons les chapitres de cet ouvrage en perspective. Notamment, en évoquant certaines tendances et opportunités (dont certains éléments que les auteurs des autres chapitres n’ont pas couverts). La dernière partie abordera les opportunités qu’offrent différents types de technologies d’apprentissage basé sur l’intelligence artificielle et examinera comment un changement de paradigme politique pourra accompagner leur développement.

Dans cette section, nous présentons certaines définitions et des données contextuelles qui sont essentielles pour comprendre les technologies intelligentes dans l’éducation.

La technologie éducative renvoie dans un premier temps à l’utilisation de solutions technologiques dans le domaine de l’éducation. Au cours du dernier siècle, les praticiens et les chercheurs ont parfois fait preuve d’un enthousiasme excessif. Les applications des nouvelles technologies n’ont pas nécessairement été efficaces dans l’éducation. Se référer par exemple à ce que rapporte Cuban (1986[9]) sur des instructeurs qui donnent un cours classique, mais à bord d’un avion.

Aujourd’hui, la plupart des discussions sur la technologie dans l’éducation se concentrent sur les ordinateurs et la numérisation, bien que des technologies plus anciennes telles que la radio et la télévision jouent encore un rôle important. Ces deux outils technologiques ont par exemple été utiles dans de nombreux pays à revenu moyen lors de la récente pandémie de COVID-19 (OECD, s.d.[10]). Les technologies éducatives peuvent englober toute une série de technologies. Nous en donnons ici quelques exemples (d’autres sont fournis dans les différents chapitres de cet ouvrage).

  • Les tuteurs informatiques ou les systèmes de tutorat intelligents offrent aux apprenants une expérience d’apprentissage où le système adapte la présentation en fonction d’un modèle ou d’une évaluation continue de l’apprenant, d’un modèle de la matière à apprendre et d’un modèle de la manière d’enseigner (Wenger, 1987[11]). Les modèles peuvent être tantôt sophistiqués tantôt élémentaires. Baker (2016[12]) relève que les systèmes de tutorat intelligents ont aujourd’hui tendance à être sophistiqués dans un seul domaine et très simples dans les autres.

  • Les jeux d’apprentissage numériques inscrivent l’apprentissage dans la perspective d’une activité amusante, qui s’assimile en fait à un jeu. Le degré de ludification s’étend sur une large gamme : il s’agit d’activités qui intègrent l’apprentissage dans le jeu lui-même (qui peuvent même ne pas ressembler à une activité d’apprentissage, comme les jeux informatiques SimCity et Civilisation) ou encore d’activités d’apprentissage plus évidentes où l’apprenant est récompensé pour ses performances (p. ex., lancer une banane à un singe après avoir répondu correctement à un problème de mathématiques dans MathBlaster). 

  • Les simulations sont des reproductions informatisées d’un processus ou d’une activité qu’il serait difficile ou coûteux de réaliser dans le monde réel en tant qu’activité pédagogique. Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants utilisent des laboratoires virtuels pour réaliser des expériences qui autrement pourraient s’avérer dangereuses, coûteuses ou compliquées, mais aussi pour recevoir des commentaires et une aide à l’apprentissage au cours de ces activités.

  • Les systèmes de réalité virtuelle immergent les apprenants dans des représentations en 3D d’activités du monde réel. À l’image des simulations, ils permettent de réaliser, à partir de chez soi ou d’un laboratoire informatique, des activités qui seraient coûteuses, dangereuses ou tout simplement impossibles à réaliser autrement. Les systèmes de réalité augmentée intègrent des informations et des expériences supplémentaires dans les activités du monde réel, qu’il s’agisse de détails contextuels qui apparaissent, d’affichages ambiants (informations disponibles dans l’environnement ne nécessitant pas de concentration) ou de la superposition d’un monde différent au monde actuel. La réalité augmentée et la réalité virtuelle présentent des informations visuelles aux apprenants en général par le biais de casques.

  • Les robots éducatifs ont une présence physique et interagissent avec les élèves dans des activités du monde réel pour les accompagner dans leur apprentissage. Les robots, sous la forme de kits de bricolage éducatifs, sont disponibles en fait depuis les années 1980, mais ils ont évolué et jouent désormais le rôle de tuteur.

  • Les cours ouverts massifs en ligne (MOOC) offrent aux étudiants une expérience d’apprentissage élémentaire, généralement constituée de vidéos et de quizz. Les MOOC ne sont pas innovants par rapport à l’expérience d’apprentissage - il s’agit généralement d’une version simplifiée d’un cours magistral à un vaste public - mais le sont plutôt dans le fait qu’ils rendent accessible aux apprenants du monde entier du matériel élaboré par des professeurs d’universités de renommée mondiale, souvent sur des sujets très spécialisés.

Les données sont, tout simplement, des faits qui sont regroupés. Alors que quelques faits regroupés ne nous permettent pas de raisonner sur les relations représentées dans ces informations, l’accumulation de grandes quantités d’informations le permet et c’est là le pouvoir moderne des mégadonnées. Les données éducatives étaient autrefois dispersées, difficiles à collecter et disponibles à petite échelle. Les enseignants pouvaient tenir un carnet de notes sur papier, l’établissement pouvait conserver les dossiers disciplinaires au sous-sol et les concepteurs de programmes de cours n’avaient qu’une idée très limitée de leur utilisation et des difficultés rencontrées par les élèves. Aujourd’hui, les données éducatives sont recueillies à une échelle beaucoup plus grande. Les carnets de notes, les données disciplinaires, les données d’évaluation, les données relatives aux absences et bien d’autres sont stockées de manière centralisée par les organismes éducatifs locaux (ou souvent par des prestataires nationaux, voire internationaux). Les concepteurs de programmes de cours recueillent souvent de nombreuses données sur l’apprentissage en général. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les réglementations relatives à la manipulation, au stockage et à l’utilisation des données éducatives varient considérablement d’un pays à l’autre. Certains ont des normes très strictes (notamment sur le continent européen), d’autres des réglementations plus laxistes. Chacune de ces sources de données peut être utilisée pour améliorer la qualité de l’éducation et soutenir l’apprentissage, en favorisant à la fois l’intelligence artificielle/l’apprentissage automatique (définition suivante) et le perfectionnement humain du contenu et des expériences d’apprentissage.

Par intelligence artificielle, on entend la capacité des ordinateurs à effectuer des tâches traditionnellement caractéristiques de l’intelligence humaine ou, plus récemment, des tâches qui dépassent les facultés intellectuelles de l’être humain. Issue de systèmes relativement simples et polyvalents dans les années 1960, l’intelligence artificielle implique aujourd’hui généralement des systèmes plus spécifiques qui accomplissent une tâche précise impliquant un raisonnement sur les données ou le monde extérieur, puis une interaction avec le monde (plus souvent par le biais d’un téléphone ou d’une interface informatique que par une véritable interaction physique). L’apprentissage automatique (de plus en plus appelé science des données, et également appelé fouille et analyse des données) est un sous-domaine de l’intelligence artificielle. Présent de manière plutôt discrète au départ, il a pris une importance particulière depuis les années 1990. On parle d’apprentissage automatique lorsqu’un système découvre des modèles à partir de données. L’outil devient d’autant plus efficace que davantage de données sont disponibles (et plus encore, lorsque des données plus complètes ou représentatives sont disponibles). Il existe un large éventail de méthodes d’apprentissage automatique, classées principalement en apprentissage supervisé (qui tente de prédire ou de déduire une variable spécifique connue) et en apprentissage non supervisé (qui tente de découvrir la structure ou les relations dans un ensemble de variables). Pour faire simple, il y a eu deux générations d’apprentissage automatique : une première génération de méthodes relativement simples et interprétables et une deuxième génération de méthodes beaucoup plus complexes, sophistiquées et difficiles à interpréter.

L’intelligence artificielle dans l’éducation a d’abord été un sous-domaine interdisciplinaire au début des années 1980, organisé autour d’une conférence semestrielle (aujourd’hui annuelle) et une revue soumise à un comité de lecture. Une grande partie des premiers travaux sur l’intelligence artificielle dans l’éducation concernait les systèmes de tutorat intelligents, mais le domaine s’est élargi au fil des ans. Il inclut désormais tous les types de systèmes/interactions éducatifs définis ci-dessus et accueille aujourd’hui plusieurs conférences et revues indépendantes. La révolution de l’apprentissage automatique et de la fouille des données a également eu un impact sur l’intelligence artificielle dans l’éducation, avec un changement significatif vers 2010 (lié à l’organisation d’une conférence scientifique distincte, Educational Data Mining) qui s’est traduit par une utilisation beaucoup plus importante de ce type de méthode. Aujourd’hui, les systèmes d’intelligence artificielle dans l’éducation intègrent une série de fonctionnalités permettant d’identifier certaines caractéristiques de l’apprenant, ainsi qu’une série de moyens d’interagir avec les apprenants et de leur répondre.

L’analyse de l’apprentissage, également appelée « fouille des données éducatives », est un domaine qui a vu le jour en 2008, avec deux grandes conférences internationales et des revues soumises à des comités de lecture. Elle a pour objectif d’utiliser les quantités croissantes de données provenant de l’éducation pour mieux comprendre et faire des déductions sur les apprenants et les contextes dans lesquels ils apprennent. L’analyse de l’apprentissage et la fouille des données éducatives appliquent à l’éducation les méthodes de l’apprentissage automatique et de la science des données, en faisant appel à des méthodes spécifiques pour résoudre des situations propres à l’éducation. La détection des connaissances des élèves en temps réel et la prédiction du décrochage scolaire ont suscité un intérêt particulier, mais ces méthodes ont trouvé toute une série d’autres applications, qu’il s’agisse d’identifier des relations implicites dans une matière telle que les mathématiques ou de comprendre les facteurs qui conduisent à l’ennui des élèves. Une taxonomie des méthodes et des applications de l’analyse de l’apprentissage est présentée dans (Baker et Siemens, 2014[13] ; DeFalco et al., 2017[14]). Deux types de technologies s’appuient le plus souvent sur les modèles d’analyse de l’apprentissage : les systèmes d’augmentation de l’intelligence et les systèmes d’apprentissage personnalisé (abordés dans la section suivante).

Les systèmes d’augmentation de l’intelligence, également appelés systèmes d’aide à la décision, fournissent des informations aux enseignants et autres intervenants afin de les aider à prendre des décisions. S’ils peuvent simplement donner des données brutes, ils fournissent souvent des informations via des modèles d’apprentissage automatique, des prédictions ou des recommandations. Les systèmes d’augmentation de l’intelligence s’appuient la plupart du temps sur des systèmes d’analyse prédictive, qui font des prédictions sur les possibles résultats futurs des élèves, et - dans le meilleur des cas - fournissent également des éléments objectifs sur lesquels reposent ces prédictions. On fait maintenant appel aux systèmes d’analyse prédictive à grande échelle pour déterminer quels élèves risquent d’abandonner l’école ou d’échouer à l’université, afin de mettre en place des mesures qui remettront les élèves sur les rails. Les systèmes d’augmentation de l’intelligence communiquent souvent les informations aux parties concernées par le biais de tableaux de bord, qui transmettent les données sous forme de graphiques et de tableaux permettant à l’utilisateur d’approfondir les informations sur des apprenants spécifiques. Aujourd’hui, les systèmes d’apprentissage personnalisé et les systèmes d’analyse prédictive s’appuient souvent sur les tableaux de bord pour communiquer des informations aux enseignants. Ils mettent parfois des tableaux de bord à la disposition des conseillers scolaires, des conseillers pédagogiques et des chefs d’établissement, mais ceux-ci sont rarement mis à la disposition des parents. La qualité des données présentées dans les tableaux de bord peut varier considérablement d’un système d’apprentissage à l’autre.

Cette publication se concentre sur deux domaines clés : 1) les nouvelles technologies et approches éducatives pour la salle de classe, et 2) les nouvelles technologies et approches éducatives pour les systèmes éducatifs. Ces nouvelles technologies impliquent souvent, mais pas toujours, l’intelligence artificielle. Dans cette section, nous résumerons les travaux réalisés dans chacun de ces domaines, y compris les travaux abordés dans les chapitres de ce rapport, mais aussi ceux qui vont encore plus loin.

Alors que les enseignants et les apprenants ont de plus en plus accès aux technologies éducatives informatisées, on prend davantage conscience que la technologie ne se contente pas d’être un simple outil pratique pour les enseignants ou de fournir une activité alternative amusante aux apprenants - elle peut promouvoir de nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage. 

L’apprentissage personnalisé. Ces technologies ont un sérieux impact sur l’apprentissage et une nouvelle tendance se dessine clairement : l’apprentissage personnalisé. La personnalisation de l’apprentissage n’a pas vu le jour avec la technologie informatique - dans un sens, elle est disponible depuis la première utilisation du tutorat individuel, il y a des milliers d’années (si ce n’est plus tôt). Cependant, avec le développement de la scolarisation et de l’enseignement il y a plus d’un siècle, on a pris conscience qu’un programme de cours unique ne répondait pas bien aux besoins d’apprentissage de tout le monde. Des approches pédagogiques telles que l’apprentissage par la maîtrise (chaque élève travaille sur un sujet précis jusqu’à ce qu’il le maîtrise pour pouvoir passer ensuite au sujet suivant) ont été développées, mais se sont avérées difficiles à mettre en œuvre à grande échelle en raison des exigences imposées à l’enseignant. Les technologies éducatives ont apporté une solution immédiate à ce problème : l’ordinateur peut gérer certaines des exigences de l’apprentissage personnalisé, en identifiant le degré de maîtrise de chaque élève et en lui proposant des activités d’apprentissage adaptées à sa situation personnelle par rapport au programme de cours.

Les technologies éducatives sont devenues efficaces en matière de personnalisation quand elles ont réussi à évaluer les connaissances des élèves. Molenaar (2021[15]) détaille les efforts déployés pour développer une meilleure personnalisation de l’apprentissage, en fournissant un cadre pour le degré d’automatisation des systèmes d’apprentissage personnalisés. Son chapitre traite du passage de systèmes dirigés par l’enseignant à des technologies informatiques qui peuvent jouer un rôle plus important dans la prise de décision immédiate, tout en respectant les consignes et les objectifs spécifiés par l’enseignant.

Ensuite, les technologies éducatives sont devenues plus efficaces en matière de personnalisation et ont pris en compte l’apprentissage autorégulé des élèves, c’est-à-dire leur capacité à faire de bons choix pendant l’apprentissage afin d’améliorer leurs résultats et leur efficacité. Cette thématique est également abordée dans le chapitre d’Inge Molenaar (Molenaar, 2021[15]). Dans de nombreux cas, les technologies éducatives modernes peuvent déterminer les situations où les élèves utilisent des stratégies inefficaces ou inefficientes, et leur fournir alors des recommandations ou des coups de pouce pour les ramener dans une trajectoire plus efficace.

On a tendance aujourd’hui, principalement dans les classes expérimentales, à détecter également l’implication, l’affect et les émotions des élèves et à s’y adapter. Comme l’a évoqué Sidney D’Mello (2021[16]), ces systèmes sont capables d’identifier ces manifestations chez un élève soit à partir de son interaction et de son comportement au sein du système, soit à partir de capteurs physiques et physiologiques. Il existe aujourd’hui plusieurs exemples de technologies éducatives - en particulier les systèmes de tutorat et les jeux intelligents - qui sont capables de détecter un élève qui s’ennuie, est frustré ou se joue du système (en essayant de trouver des stratégies pour compléter des documents sans avoir besoin d’apprendre) et de le remotiver de manière productive, par exemple. (DeFalco et al., 2017[14]).

De plus en plus de travaux de recherche visent à renforcer la personnalisation, de manière à davantage motiver ou intéresser les élèves. Ces recherches ont une autre dimension temporelle. Alors que l’implication et l’affect se manifestent souvent sur de courtes périodes - parfois uniquement quelques secondes - la motivation et l’intérêt sont des aspects plus stables qui s’inscrivent dans la durée. Les travaux de Kizilcec et de ses collègues (Kizilcec et al., 2017[17]), par exemple, ont tenté de relier les expériences d’apprentissage des élèves à leurs valeurs, ce qui a conduit à un plus haut degré d’achèvement des cours en ligne. Les travaux de Walkington et de ses collègues (Walkington, 2013[18] ; Walkington et Bernacki, 2019[19]) ont porté sur la modification du contenu des systèmes d’apprentissage pour que celui-ci corresponde aux intérêts personnels des élèves, ce qui les amène à travailler plus rapidement, à rester impliqués plus longtemps et à apprendre davantage.

Nouvelles pédagogies Bien que l’impact le plus évident des technologies éducatives basées sur l’intelligence artificielle se manifeste par la personnalisation directe de l’apprentissage, de nouvelles pratiques pédagogiques ont également émergé. Celles-ci permettent aux enseignants de soutenir leurs élèves ou de leur offrir des expériences d’une manière qui n’était généralement pas possible avant les développements technologiques.

Le changement majeur concerne vraisemblablement la masse d’informations mises à la disposition des enseignants. Les tableaux de bord fournissent aux enseignants des données variées sur la performance et l’apprentissage de leurs élèves. La perception des devoirs à la maison a complètement changé. Auparavant, les élèves devaient apporter leurs devoirs en classe. L’enseignant pouvait ensuite les noter (ce qui retardait le retour d’information et le soutien à l’apprentissage), ou les élèves pouvaient les noter dans la classe sous la supervision de l’enseignant, ce qui n’est pas une approche très efficace dans le temps. En revanche, les enseignants peuvent aujourd’hui disposer en temps réel des données issues des technologies d’aide aux devoirs. Autrement dit, les enseignants peuvent identifier les élèves qui ont des difficultés et les matières qui ont posé problème en général, et ce avant même que le cours ne commence. Cette approche permet de mettre en place des stratégies où, par exemple, les enseignants identifient les élèves qui ont commis des erreurs courantes. Les élèves qui ont des stratégies de résolution de problèmes à la fois incorrectes et correctes peuvent également bénéficier des discussions avec toute la classe. Les enseignants ont également l’occasion d’envoyer un message aux élèves qui ont pris du retard par rapport à leurs tâches scolaires, de manière à les mettre sur la bonne voie (Arnold et Pistilli, 2012[20]).

Les systèmes d’évaluation formative peuvent bénéficier d’utilisations similaires, de plus en plus courantes dans des contextes où les élèves ont des examens de fin d’année à enjeu élevé. Ces systèmes ont souvent une portée plus large que les devoirs conçus par l’enseignant en termes de couverture des compétences et des concepts clés. Les enseignants s’en servent de plus en plus pour déterminer les sujets à revoir avec leurs classes ainsi que les types de soutien supplémentaire à apporter à certains élèves.

Les enseignants disposent également de meilleures informations sur ce qui se passe dans leurs classes en temps réel, un sujet que Pierre Dillenbourg aborde en détail (Dillenbourg, 2021[25]). L’analyse des données de la classe peut fournir à l’enseignant des informations sur plusieurs aspects de la performance de la classe, des difficultés individuelles des élèves en temps réel jusqu’à l’efficacité relative de la collaboration entre différents groupes d’élèves. Un enseignant ne peut pas surveiller chaque élève (ou chaque groupe d’élèves) tout le temps - des données plus précises peuvent l’aider à comprendre où il doit concentrer ses efforts et quels élèves ont besoin d’une aide immédiate.

La technologie ne fournit pas simplement des données plus précises ; elle peut servir à offrir aux élèves une gamme d’expériences qui n’étaient pas envisageables il y a une génération. Dans le chapitre qu’ils ont rédigé, Tony Belpaeme et Fumihide Tanaka (Belpaeme et Tanaka, 2021[26]) évoquent les nouvelles possibilités d’interaction entre les élèves et les robots.

L’utilisation de simulations et de jeux en classe peut permettre aux enseignants de présenter aux élèves des systèmes complexes et difficiles à comprendre. Les élèves peuvent eux-mêmes explorer et interagir avec ces systèmes. D’un point de vue pédagogique, la combinaison de l’approche technologique fondée sur une simulation et d’un cours traditionnel donné par un enseignant semble plus que bénéfique. Dans un premier temps, l’élève développe une compréhension informelle et pratique de la matière. L’enseignant permet ensuite à l’élève d’avoir une compréhension plus formelle, conceptuelle ou scolaire (Asbell-Clarke et al., 2020[27]). Les technologies modernes offrent également de nouvelles possibilités en matière d’apprentissage collaboratif, grâce à des systèmes qui peuvent renforcer les stratégies de collaboration efficaces (Strauß et Rummel, 2020[28]) ou des systèmes qui offrent des expériences collaboratives, comme les tablettes interactives (Martinez Maldonado et al., 2012[29])

L’équité Les nouvelles technologies éducatives sont généralement conçues dans le but d’améliorer les expériences et les résultats des élèves et des enseignants. Cela étant dit, les concepteurs de ces systèmes ne tiennent pas toujours compte de leur impact sur l’ensemble des apprenants. Souvent, les concepteurs appartiennent à un groupe démographique spécifique (ils ont en général un statut socio-économique élevé, n’ont pas de besoins spécifiques et n’appartiennent pas à une minorité raciale ou ethnique) et ils n’ont en tête que leurs semblables lorsqu’ils développent les systèmes en question (mais pas nécessairement de manière intentionnelle). Ceux-ci risquent de s’avérer moins efficaces sur le plan éducatif pour les membres d’autres groupes socio-économiques.

Ainsi, Judith Good (2021[30]) souligne que peu d’efforts ont été déployés pour mettre au point des technologies éducatives spécialement conçues pour les élèves handicapés ou ayant des besoins spécifiques. Elle donne des exemples de technologies qui pourraient aider les apprenants atteints d’autisme, de dysgraphie ou de déficience visuelle. Le peu d’attention qu’accordent la communauté scientifique et les concepteurs de technologies éducatives intelligentes aux personnes ayant des besoins spécifiques est une source majeure d’inégalité et c’est bien regrettable. L’élaboration de politiques qui facilitent le développement de systèmes destinés à soutenir les apprenants ayant des besoins spécifiques (p. ex., en élaborant des approches qui améliorent l’accès aux données sur les handicaps tout en protégeant la vie privée des élèves) ou la mise sur pied de mesures incitatives qui favorisent le développement de solutions destinées aux populations ayant des besoins spécifiques pourraient combler ce manque d’équité.

Une autre situation inéquitable concerne les populations historiquement mal desservies et sous-représentées, notamment les minorités ethniques/raciales et les minorités linguistiques. La plupart des technologies éducatives sont développées par des membres de groupes démographiques qui ont toujours été bien soutenus. Ce sont souvent des représentants de ces mêmes groupes qui participent aux phases de test de ces systèmes. La participation à ces tests de populations historiquement sous-représentées n’intervient souvent qu’à un stade ultérieur du développement (ou lors des évaluations finales de l’efficacité à grande échelle), lorsqu’il est trop tard pour apporter des changements majeurs en termes de conception. Il apparaît de plus en plus clairement que si la méthodologie conceptuelle de la recherche éducative et les algorithmes ainsi obtenus concernent des groupes majoritaires, ils ne fonctionneront pas nécessairement aussi bien pour d’autres groupes d’apprenants (Ocumpaugh et al., 2014[31] ; Karumbaiah, Ocumpaugh et Baker, 2019[32]).

Les avantages de la technologie éducative moderne - intelligence artificielle et apprentissage automatique - ne se limitent pas au simple soutien à l’enseignement et à l’apprentissage. Les technologies éducatives modernes (qui ne s’appuient pas toujours sur l’intelligence artificielle) profitent de bien d’autres manières aux étudiants et aux établissements dans lesquels ils sont scolarisés. Cette thématique est au cœur du chapitre de Dirk Ifenthaler (Ifenthaler, 2021[33]),mais d’autres points plus précis sont également traités dans d’autres chapitres.

Systèmes d’alerte précoce. L’analyse prédictive dans l’éducation s’est matérialisée dans la création des systèmes d’alerte précoce. Ces systèmes, discutés en détail dans le chapitre d’Alex Bowers (Bowers, 2021[34]) tentent de prédire quels élèves risquent de connaître une issue défavorable - le plus souvent le décrochage scolaire ou la non-obtention d’un diplôme, mais parfois aussi d’autres résultats comme l’échec dans une matière donnée. À ces prédictions viennent souvent s’ajouter des informations sur les raisons qui donnent à penser qu’un élève est susceptible de connaître une issue défavorable, comme de mauvaises notes dans un cours spécifique ou un nombre trop élevé de problèmes disciplinaires.

Les mêmes types de données sont également utilisés dans les systèmes de rapports à l’échelle de l’établissement pour suivre l’apprentissage des élèves ou les problèmes disciplinaires. Ces tableaux de bord au niveau de l’établissement (ou du district scolaire) donnent aux responsables scolaires une vue d’ensemble du climat et de la performance de l’établissement. Aux États-Unis, ces outils sont de plus en plus souvent fournis aux districts par des prestataires qui combinent leur expertise dans la saisie des données du système d’information de l’établissement (souvent dans un ensemble déconnecté de bases de données différentes) avec leur expertise dans la création de tableaux de bord pertinents. Grâce à ces prestataires, ce type de technologie d’intelligence artificielle est mis à la disposition de millions d’élèves.

Rapports à destination des parents. De nombreux établissements, districts scolaires et organismes éducatifs locaux fournissent aux parents des rapports sur les progrès scolaires de leurs enfants. Le champ couvert par ces rapports s’est élargi puisqu’y figurent aujourd’hui, outre le contenu des bulletins scolaires classiques (qui se contentaient d’indiquer une note pour chaque matière), toute une série d’informations concernant les apprenants.

Admissions et inscriptions dans les établissements d’enseignement. Les admissions et les inscriptions dans les établissements relèvent du même processus - à savoir déterminer si un élève sera invité à fréquenter un établissement ou une université spécifique - mais sous un angle différent. Les admissions impliquent généralement une décision prise par un seul établissement dans un environnement où les élèves peuvent être admis dans plusieurs établissements ; les inscriptions impliquent généralement un seul centre de décision centralisé. Dans un cas comme dans l’autre, les algorithmes sont utilisés pour allouer des ressources limitées (places disponibles dans les établissements/universités) en fonction des valeurs de l’établissement, qu’il s’agisse d’équité ou de sélectivité. Cette pratique est de plus en plus répandue, qu’il s’agisse de réseaux d’écoles à charte aux États-Unis, de l’enseignement secondaire public en France ou d’universités en Hongrie.

Systèmes de surveillance. Les fermetures intermittentes (ou continues) d’établissements qui se produisent presque partout dans le monde en raison de la pandémie de COVID-19 ont fait surgir des inquiétudes quant à la sécurité des examens - par exemple, le risque que des élèves trichent en demandant à une autre personne de passer un test à leur place, ou que des élèves aient accès à des informations non autorisées pendant qu’ils passent un test. Cette situation a conduit à une explosion des systèmes de surveillance : les étudiants doivent (par exemple) montrer une carte d’identité avec photo au début de l’examen, garder leur webcam allumée pendant qu’ils le passent, et un surveillant contrôle le flux de la webcam d’un groupe d’étudiants. Certains systèmes surveillent également les autres activités sur les ordinateurs des étudiants pendant la durée du test et ce qui se passe dans la salle où les étudiants passent le test, en utilisant dans de nombreux cas l’intelligence artificielle pour épauler les surveillants humains.

Progrès dans la délivrance de titres et certificats. Les progrès récents dans les technologies informatiques ont conduit à des avancées dans la délivrance de titres de compétences. L’avancée la plus remarquable dans ce domaine est sans doute l’utilisation de la blockchain dans l’éducation, abordée dans le chapitre de Natalie Smolenski (Smolenski, 2021[38]). La blockchain offre un moyen sûr de réduire la fraude aux diplômes et de rationaliser la validation des titres et certificats.

Les récents changements majeurs dans la délivrance de titres provenant du côté de l’offre (la disponibilité de nouveaux titres et certificats) rendent ces nouvelles avancées encore plus pertinentes. Un nombre croissant d’organisations proposent des certificats, tels que les certificats techniques délivrés par Cisco, Microsoft ou CompTIA. En outre, les organisateurs de cours en ligne ouverts et massifs proposent des cours et des certificats en ligne élaborés en partenariat avec toute une série d’universités. Les organisateurs de cours en ligne ouverts et massifs comprennent à la fois de grandes structures internationales telles que edX, Coursera et FutureLearn, qui s’associent à des universités du monde entier pour offrir un grand nombre de cours. Sont également présents des organisations régionales ou nationales et des prestataires spécialisés. Cet environnement suscite de nouveaux cas en vue de l’utilisation de la blockchain.

Systèmes de gestion de la relation client. Les systèmes de gestion de la relation client, qui étaient à l’origine utilisés à des fins commerciales, sont désormais également utilisés dans la gestion des systèmes éducatifs. Ces systèmes suivent les interactions des individus avec un établissement d’enseignement au fil du temps - avec qui ils ont interagi et comment ils l’ont fait. Certaines universités et programmes en ligne intègrent ces outils à des systèmes d’alerte précoce afin de suivre la manière dont un étudiant à risque est encadré. Dans les universités où les conseillers académiques contactent régulièrement les étudiants, comme la Southern New Hampshire University et la Liberty University, un de ces conseillers peut consulter un tel système pour obtenir une mise à jour hebdomadaire des progrès de l’étudiant, consulter les interactions passées entre cet étudiant et ses instructeurs ou d’autres conseillers académiques, puis suivre sa propre interaction avec l’étudiant après l’avoir joint par téléphone.

Affectation et planification des ressources. Un nombre croissant de districts scolaires et d’organismes éducatifs locaux utilisent désormais des systèmes algorithmiques pour estimer leurs besoins futurs en matière d’équipement, de personnel et d’autres ressources. Les systèmes de cette nature servent également, souvent avec le soutien de bureaux de consultants, à déterminer comment les ressources telles que les financements publics peuvent être demandées et/ou exploitées au bon moment pour combler les futures lacunes en matière de ressources.

Ces dernières années, l’intelligence artificielle est apparue comme un outil puissant pour renforcer l’éducation. L’utilisation de ces technologies s’est développée à des rythmes différents. Certaines technologies ont connu une expansion rapide, comme les systèmes d’alerte précoce aux États-Unis qui ont explosé au cours des dernières années, et d’autres se sont développées progressivement, comme les technologies d’apprentissage personnalisé qui ont connu une expansion lente et parfois en dents de scie. Certaines technologies, en particulier celles qui permettent d’étudier l’interaction en classe et de soutenir l’orchestration de la classe, ont été lentes à émerger des salles de recherche et ont besoin d’un plus grand soutien (et de meilleurs moyens de protéger la vie privée) afin de favoriser leur développement.

Cette publication aborde les nombreuses applications et utilisations différentes qui ont recours à l’intelligence artificielle dans une perspective éducative. Elles sont traitées en quelque sorte indépendamment les unes des autres, comme des tendances émergentes distinctes et dissociées. Il y a une raison à cela : bien qu’elles émergent des mêmes types de technologies, elles ont été en grande partie des tendances distinctes. Elles ont émergé l’une après l’autre, portées par des acteurs différents, avec des objectifs différents, parfois même en opposition les unes avec les autres. Par exemple, les diverses formes de technologies d’apprentissage personnalisé se sont souvent fait concurrence en termes d’utilisation et de diffusion, au lieu d’essayer de trouver des moyens de travailler de concert.

Il en a résulté un écosystème d’apprentissage fragmenté. Un établissement scolaire peut utiliser plusieurs technologies d’intelligence artificielle, mais pas nécessairement ensemble. Un élève peut même utiliser cinq ou six technologies différentes dans une seule classe, au cours d’un semestre. Ce manque d’intégration entraîne des coûts importants : des technologies d’apprentissage différentes peuvent chacune révéler quelque chose sur l’élève que l’enseignant sait déjà. L’utilisation simultanée des technologies d’apprentissage basées sur l’intelligence artificielle, comme le préconise (Baker, 2019[39]), peut réduire le manque d’efficacité et améliorer les expériences d’apprentissage des élèves.

Dans une réflexion plus poussée, un constat est évident : si nous pouvons développer un écosystème dans lequel diverses technologies basées sur l’intelligence artificielle se coordonnent entre elles et communiquent des informations aux enseignants et aux autres intervenants, nous pouvons améliorer considérablement les résultats des apprenants. Le risque de décrochage d’un élève sera plus facilement prévisible si l’on dispose de données continues sur l’utilisation des systèmes d’apprentissage personnalisés par les élèves. L’intégration des évaluations formatives aux technologies d’orchestration de la classe facilitera l’évaluation des compétences du XXIe siècle tout en donnant aux enseignants des informations en temps réel sur leur évolution. Les possibilités sont en fait multiples - presque toutes les combinaisons possibles des technologies abordées dans ce chapitre créent de nouvelles opportunités lorsqu’elles sont intégrées dans un ensemble. L’école du futur peut évoluer vers une expérience d’apprentissage intégrée pour les élèves, où les données sont combinées non seulement sur les plateformes d’apprentissage, mais aussi dans tous les aspects de l’expérience d’apprentissage. Dans ce cas de figure, les enseignants de différentes classes pourraient se coordonner pour soutenir le développement des compétences du XXIe siècle de chaque élève, en travaillant avec une variété de plateformes d’apprentissage pour créer une expérience d’apprentissage intégrée et unifiée. Un élève qui rechigne à demander de l’aide, par exemple, pourrait être encouragé à le faire (de manière appropriée) dans le cadre d’activités de groupe en classe, au sein d’une plateforme d’apprentissage personnalisée utilisée pour les devoirs et encadrée par un robot éducatif. Les enseignants pourraient examiner ensemble un tableau de bord intégré pour évaluer les progrès de l’élève et les risques de décrochage scolaire. La capacité des élèves à acquérir les compétences du XXIe siècle pourrait être évaluée de manière formative et sommative par des systèmes d’évaluation. Une telle approche représente plusieurs défis. Le plus important est peut-être de susciter des mesures politiques qui incitent les concepteurs de ces systèmes dispersés à travailler ensemble. De manière plus fondamentale, il est impératif de travailler à la refonte de plusieurs systèmes existants - conception des plateformes, pratiques scolaires et développement professionnel des enseignants - afin de véritablement saisir les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies.

L’intérêt croissant des enseignants pour les données de grande qualité et les rapports sur les performances et les progrès des élèves peut permettre de renforcer la mise en commun des informations produites par les différentes technologies. Cette tendance se dessinait déjà avant 2020, mais elle s’est amplifiée avec le passage à l’apprentissage à domicile pendant la pandémie de COVID-19. Des tableaux de bord contenant des informations sur les difficultés des élèves sont déjà disponibles sur certaines plateformes d’apprentissage avancées, mais leur utilisation est loin d’être systématique. Ce type d’informations devient essentiel pour les enseignants lorsqu’ils ne peuvent pas interagir avec les élèves en personne. Cette situation induit de nouvelles fonctionnalités : les sources de données doivent se connecter entre elles et fournir des données plus précises aux enseignants. Il en découle aussi la nécessité de mettre au point des mesures politiques qui accompagnent les enseignants dans leurs décisions basées sur de simples données. Les tableaux de bord ont généralement été plus largement utilisés par les enseignants ayant un niveau élevé de connaissances en matière de gestion des données. Pour en tirer pleinement parti, il faudra en améliorer la conception afin qu’ils soient plus faciles à comprendre pour les utilisateurs non experts. La formation professionnelle des enseignants en matière de culture des données sera aussi nécessaire. L’utilisation des tableaux de bord dans le cadre de la pratique pédagogique devra devenir une seconde nature.

Cette évolution s’inscrit dans un champ plus large : l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le monde de l’éducation. Il est souvent difficile de voir comment la pensée a évolué. L’idée que les systèmes d’intelligence artificielle vont complètement remplacer les enseignants semble manifestement erronée pour la plupart des chercheurs et des praticiens travaillant dans le domaine, et que cette idée ait pu être répandue auparavant paraît bizarre. À titre d’exemple, les recherches sur la conception de tableaux de bord des enseignants dans les systèmes d’intelligence artificielle étaient rares il y a encore 15 ans (voir (Feng et Heffernan, 2006[23]). Cette évolution s’inscrit dans le cadre d’un changement plus large, qui consiste à considérer ces systèmes non plus comme un objet utilisé par l’élève, mais comme un élément d’un écosystème plus vaste impliquant également les enseignants, les responsables scolaires et les parents. Prenons, par exemple, les cinq visions de l’avenir des systèmes d’apprentissage artificiellement intelligents présentées il y a 25 ans par Shute et Psotka (1996[40]). Ces cinq visions impliquaient chacune des expériences d’apprentissage captivantes et riches en soi. Aucune d’entre elles n’impliquait les enseignants ou les parents (sauf en tant que personne à saluer sur le chemin d’un box de réalité virtuelle). De plus en plus, nous comprenons qu’il ne faut pas à choisir entre l’IA et les enseignants : ils peuvent travailler ensemble.

Les changements qui affecteront les pratiques éducatives au cours des vingt prochaines années seront en grande partie déterminés par l’adoption croissante de l’intelligence artificielle. Pour que ce cheminement soit couronné de succès, il faudra immanquablement compter sur les développements technologiques et scientifiques, mais aussi sur la collaboration étroite des enseignants, des responsables scolaires et des apprenants eux-mêmes. Si les bonnes mesures politiques sont mises en place, on peut espérer que les propos optimistes de cet ouvrage se vérifieront, voire qu’on les dépassera (OECD, 2021[41]).

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