5. Comportement des ménages et consommation alimentaire

Les systèmes alimentaires comprennent les activités liées à la production, la transformation, la distribution et la consommation de nourriture. Ils font face à un triple défi : garantir la sécurité alimentaire d’une population en hausse, améliorer leur durabilité environnementale et faire vivre les agriculteurs et ceux dont la subsistance dépend de la chaîne d’approvisionnement alimentaire (OCDE, 2021[1]). L’importance croissante de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche se reflète dans la contribution de ces secteurs à l’économie mondiale, qui est passée de 0.9 milliard USD en 1970 à 3.6 milliards USD en 2020 (Banque mondiale et OCDE, 2022[2]). La croissance démographique, combinée à la hausse des revenus par habitant, devrait accroître la demande alimentaire mondiale de 1.4 % par an pendant la décennie à venir (OCDE/FAO, 2022[3]). On estime que, pour satisfaire la demande en 2050, la production agricole devra fournir 35 % à 56 % de calories en plus par rapport à 2010 (van Dijk et al., 2021[4]). La sécurité alimentaire fait aussi face aux défis posés par une possible pénurie de terres arables et d’eau ainsi que par l’augmentation de la demande de produits alimentaires sous-tarifés et mobilisant des ressources considérables, comme la viande et les produits laitiers (Godfray et al., 2018[5]). La pression exercée sur les systèmes alimentaires par l’évolution de la demande est accentuée par la dégradation de l’environnement, la concurrence autour de l’utilisation des terres et le changement climatique.

Les terres cultivées avoisinent 40 % de la surface terrestre et comptent pour environ 70 % de l’utilisation mondiale d’eau douce (Poore and Nemecek, 2018[6]; Foley et al., 2011[7]; GIEC, 2019[8]). Les systèmes alimentaires émettent environ un tiers des gaz à effet de serre (GES) anthropiques dans le monde, tandis que l’agriculture en représente à elle seule 17 % (FAO, 2021[9]; Poore and Nemecek, 2018[6]; Crippa et al., 2021[10]; GIEC, 2019[8]). Parmi les émissions imputables aux activités agricoles, l’élevage compte pour 32 %, les cultures pour 37 % et le changement d’affectation des terres pour 31 %. En plus de contribuer au changement climatique en libérant de grandes quantités de carbone stockées dans la végétation et le sol, la conversion de forêts en terres cultivées conduit au recul de la biodiversité dans le monde (Searchinger et al., 2018[11]).

L’intensification de l’agriculture peut accroître les rendements et donc réduire la demande de terres cultivées. Cependant, les engrais et pesticides utilisés à forte dose dans la production alimentaire intensive peuvent passer dans l’environnement à des niveaux qui excèdent souvent les normes admises, ce qui constitue un risque pour la santé de l’écosystème et sa biodiversité (Pimentel and Burgess, 2014[12]). Selon les analyses des cycles de vie, la pollution causée par les systèmes alimentaires, majoritairement par l’utilisation d’engrais azoté, est responsable de 32 % de l’acidification du sol (c’est-à-dire la modification de ses propriétés chimiques à cause des dépôts de soufre et d’azote) et de 78 % de l’eutrophisation (un processus similaire dans les masses d’eau douce) (OCDE, 2019[13]). À long terme, ces externalités pourraient menacer les systèmes alimentaires productifs, qui sont tributaires d’écosystèmes fonctionnels.

Si les systèmes de production alimentaire dépendent tous plus ou moins de l’environnement, ils ont aussi des effets sur lui. Le besoin d’une action publique ciblée pour accroître à la fois la durabilité et l’efficacité de ces systèmes et, ainsi, réduire leur impact global sur l’environnement se fait plus pressant à mesure que la demande alimentaire mondiale augmente. Les mesures axées sur l’offre, comme les normes environnementales, peuvent jouer un rôle important dans la survenue de changements qui réduisent l’impact négatif de la production alimentaire sur l’environnement (GIEC, 2022[14]). Par exemple, la viande bovine issue du secteur laitier affiche des émissions 60 % plus faibles que celle provenant de troupeaux de bovins à viande (Poore and Nemecek, 2018[6]).

Néanmoins, les protéines issues d’un animal d’élevage sont bien plus préjudiciables à l’environnement que leur équivalent nutritionnel d’origine végétale, indépendamment du mode de production. En matière d’émissions de GES, d’eutrophisation et d’acidification, ce sont les sources de protéines végétales (légumineuses, fruits à coque et tofu) qui affichent l’impact environnemental le plus faible. Même en considérant les producteurs de protéines animales au plus faible impact, les émissions imputables à la viande, aux produits laitiers, au poisson d’élevage et aux œufs excèdent toujours les émissions moyennes des protéines végétales (Poore and Nemecek, 2018[6]). Les produits animaux pris dans leur ensemble utilisent 83 % des terres agricoles et sont responsables de 56 à 58 % des émissions dues à l’alimentation, alors qu’ils fournissent seulement 37 % des protéines et 18 % des calories produites dans le monde (Poore and Nemecek, 2018[6]).

Le passage à une production alimentaire biologique peut atténuer les effets des engrais et pesticides de synthèse sur la santé de l’écosystème, le recul de la biodiversité et l’utilisation de carburants fossiles, et soutenir la santé du sol à long terme par la rotation des cultures et les cultures intercalaires. Cependant, l’agriculture biologique requiert plus de surface que l’agriculture intensive, et les émissions de GES de ces deux modes de production sont similaires (Clark and Tilman, 2017[15]). Les kilomètres alimentaires ne déterminent pas forcément l’impact environnemental net d’un produit, surtout pour les produits animaux : des études montrent en effet qu’importer des légumes depuis des régions dans lesquelles ils sont de saison entraîne bien moins d’émissions que de les produire localement pendant les mois d’hiver (Hospido et al., 2009[16]). Si les preuves de l’impact environnemental des aliments ultra-transformés sont limitées, bon nombre d’entre eux contiennent de l’huile de palme ou de soja, dont les effets sur l’environnement et la biodiversité sont particulièrement négatifs (Seferidi et al., 2020[17]).

Les mesures qui parviennent à détourner les consommateurs des produits mobilisant des ressources considérables peuvent fournir des avantages environnementaux supérieurs à ceux résultant de la seule amélioration des méthodes de production (Poore and Nemecek, 2018[6]; OCDE, 2021[1]). C’est particulièrement vrai dans les pays développés, où la demande de protéines animales est élevée. D’après les estimations, le potentiel d’atténuation du passage à des régimes alimentaires axés sur les produits végétaux est de 0.7-8 gigatonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Gt éq. CO2) par an d’ici à 2050.1 Les changements de régime alimentaire pourraient aussi réduire de 3.1 milliards d’hectares les terres utilisées pour l’agriculture, ce qui à son tour réduirait la dégradation des sols et la désertification (GIEC, 2019[8]; GIEC, 2022[14]). Par ailleurs, les régimes alimentaires plus respectueux de l’environnement ont des retombées particulièrement bénéfiques sur la santé publique et la sécurité alimentaire (Searchinger et al., 2018[11]; GIEC, 2019[8]). On estime que le passage à des régimes alimentaires moins axés sur les produits animaux pourrait réduire de 6 à 10 % la mortalité dans le monde (Springmann et al., 2016[18]). Les substituts végétaux et la viande synthétique peuvent être obtenus avec des méthodes mobilisant moins de ressources, pour une empreinte carbone considérablement moindre que la viande produite de manière conventionnelle (Frezal, Nenert and Gay, 2022[19]; Treich, 2021[20]). Les politiques de santé publique qui ont prouvé leur efficacité à influencer les choix de consommation, comme l’étiquetage informatif des produits alimentaires, peuvent constituer un point de départ valable pour la conception des politiques (Giner and Brooks, 2019[21]; Temme et al., 2020[22]).

Ce chapitre propose un tour d’horizon des données recueillies lors de la troisième édition de l’enquête sur la politique de l’environnement et l’évolution des comportements individuels (EPIC) à propos d’une série de décisions prises par les ménages en lien avec les systèmes alimentaires.2 Il étudie en particulier les domaines suivants :

  • Habitudes alimentaires et propension à essayer la viande produite en laboratoire

  • Priorités alimentaires et habitudes d’achat

  • Achats d’aliments de saison, locaux et biologiques

  • Changements dans la consommation alimentaire survenus à la suite de la pandémie de COVID-19

  • Adhésion aux politiques relatives aux systèmes alimentaires

Pour chacun de ces domaines, ce chapitre utilise des échantillons représentatifs de la population des neuf pays pour analyser les différences dans les comportements et attitudes des personnes interrogées selon des variables pertinentes, comme le niveau de revenus, le lieu de résidence et le degré de préoccupation environnementale.

L’enquête montre que les produits animaux les plus fréquemment consommés sont les produits laitiers (Graphique ‎5.1), avec une moyenne de 69 % des ménages qui en mangent plusieurs fois par semaine (le spectre allant de 60 % en Belgique à 76 % en Suède). En moyenne, 65 % des ménages indiquent consommer de la viande rouge au moins une fois par semaine (de 56 % en Suisse et aux Pays-Bas à 76 % aux États-Unis). Parmi eux, 41 % en mangent une fois par semaine (de 36 % en Suède à 48 % au Canada) et 24 % plusieurs fois par semaine (de 18 % aux Pays-Bas à 34 % aux États-Unis). La consommation de viande blanche est plus fréquente mais aussi plus variable selon les pays (de 23 % en Suisse à 47 % au Royaume-Uni indiquent en manger plusieurs fois par semaine), tandis que les produits de la mer sont en général consommés moins fréquemment et de manière encore plus variable (de 3 % en Suisse à 15 % au Royaume-Uni en mangent plus d’une fois par semaine). Il est à noter que, dans tous les pays, les personnes qui indiquent consommer moins de viande rouge et blanche indiquent également consommer moins de produits laitiers.

Tous les pays affichent une forte corrélation entre hausse des revenus et augmentation de la consommation de produits laitiers, de viande blanche, mais aussi et surtout de viande rouge et de produits de la mer. Les personnes appartenant aux quintiles de revenu supérieur indiquent manger de la viande plus fréquemment que celles appartenant aux quintiles de revenu inférieur : 29 % des personnes interrogées au sein des ménages aisés disent en consommer plusieurs fois par semaine, contre 20 % au sein des ménages modestes. De même, 15 % des personnes vivant dans des ménages modestes indiquent ne jamais manger de viande rouge, contre 8 % de celles vivant dans des ménages aisés. Aux États-Unis, où la consommation de viande rouge est relativement élevée, la différence entre les ménages à bas revenus et ceux à hauts revenus est moins marquée (4 points de pourcentage). D’autres études mettent en évidence de fortes corrélations positives entre revenus et consommation de viande, bien qu’une corrélation négative soit observée à de très hauts niveaux de revenus dans certains cas (Bonnet et al., 2020[23]).

La consommation de viande rouge semble plus fortement corrélée aux revenus qu’aux préoccupations environnementales (Graphique ‎5.2). La proportion de personnes interrogées indiquant manger de la viande rouge plusieurs fois par semaine est légèrement plus faible chez celles qui sont soucieuses de l’environnement que chez celles qui sont peu préoccupées par cette question (Graphique ‎5.2). La différence va de 3 points de pourcentage aux États-Unis à 12 points de pourcentage au Royaume-Uni. En moyenne, 12 % des personnes interrogées soucieuses de l’environnement indiquent ne jamais manger de viande rouge, contre 10 % de celles qui sont peu préoccupées par cette question. Cette différence relativement faible peut être le signe que d’autres facteurs, comme le bien-être animal et la santé personnelle, jouent un rôle important dans la consommation de viande rouge, ou que la sensibilisation du public aux impacts environnementaux de la viande rouge est encore limitée.

À la lumière des éléments indiquant que la consommation de viande rouge est plus influencée par les revenus que par les préoccupations environnementales, les campagnes de sensibilisation et autres instruments de politique environnementale « doux » pourraient mettre en avant les coûts inférieurs et les retombées bénéfiques sur la santé de la réduction de la consommation de viande rouge (GIEC, 2019[8]; Willett et al., 2019[24]). Il est prouvé qu’une communication convaincante peut entraîner une baisse de la consommation de viande rouge et transformée (Carfora et al., 2019[25]). Les consommateurs soucieux de l’environnement mais non conscients des impacts environnementaux de la production de viande pourraient constituer un groupe cible. Si les systèmes d’étiquetage et les programmes de certification peuvent favoriser une meilleure compréhension des régimes alimentaires durables, les données existantes sur la capacité des indications de durabilité à influencer les comportements ne sont pas concluantes (Godfray et al., 2018[5]).

Quand on leur demande si elles sont prêtes à remplacer la viande rouge par de la viande produite en laboratoire, 28 % des personnes répondent par l’affirmative, 44 % par la négative, et les autres indiquent être indécises. C’est en France que les répondants y sont le moins disposés (20 %) et en Israël qu’ils sont le plus à l’aise avec cette idée (41 %).

Par ailleurs, la propension à essayer la viande synthétique varie nettement en fonction du degré de préoccupation environnementale, de l’âge et du genre (Graphique ‎5.3). Dans tous les pays, la proportion des personnes interrogées qui se disent prêtes à essayer la viande produite en laboratoire est bien plus élevée parmi les consommateurs soucieux de l’environnement (33 %) que parmi ceux qui sont peu préoccupés par cette question (19 %). En général, les jeunes s’y montrent plus disposés que les moins jeunes (41 % contre 16 %), et les hommes plus que les femmes. C’est au Royaume-Uni que la différence est le plus marquée, avec 47 % des hommes qui seraient prêts à consommer de la viande synthétique, contre 26 % des femmes. La Belgique et Israël font figure d’exceptions, la proportion d’hommes et de femmes qui l’envisagent y étant similaire (32 % contre 24 %). La propension à essayer la viande produite en laboratoire varie moins selon les revenus : 27 % des répondants y sont disposés dans les quintiles de revenu inférieur, contre 31 % dans les quintiles de revenu supérieur.

Les réserves concernant d’éventuels effets sur la santé sont le motif le plus fréquemment cité par les personnes réticentes à essayer la viande produite en laboratoire (29 %). Celles-ci mentionnent aussi le goût ou la valeur nutritionnelle supposés inférieurs (13 %), le coût élevé (11 %) et l’incompatibilité avec leur culture ou leurs valeurs (10 %).

Ces résultats peuvent servir à identifier les groupes de consommateurs susceptibles d’être le plus réceptifs à des politiques encourageant la transition de produits alimentaires à fort impact environnemental vers de la viande synthétique ou végétale. Le fait de réduire les réserves des personnes réticentes à essayer les substituts de viande pourrait encourager un plus grand nombre de ménages à modifier leur régime alimentaire. Les normes de production axées sur l’offre et l’étiquetage environnemental des substituts de viande constitueront des mesures importantes pour accroître la confiance des consommateurs dans de nouveaux produits alimentaires plus durables, comme la viande synthétique (Frezal, Nenert and Gay, 2022[19]).

Lorsqu’ils achètent des produits alimentaires, les répondants accordent généralement la priorité au prix, au goût, à la valeur nutritionnelle et à la fraîcheur (Graphique ‎5.4). Bien que leur ordre puisse varier selon les revenus et le degré de préoccupation environnementale, ces quatre critères restent prioritaires pour les répondants de toutes les catégories. C’est aussi le cas pour d’autres variables telles que la présence d’enfants au sein du ménage ou l’habitude de faire des achats dans les magasins locaux. Les considérations environnementales importent généralement moins aux personnes interrogées. D’autres études montrent que le prix, le goût, la valeur nutritionnelle et la sécurité alimentaire comptent parmi les principaux critères des consommateurs, mais que les priorités diffèrent nettement selon les individus et les habitudes de consommation (Lusk and Briggeman, 2009[26]). En juin 2022, une hausse des prix à la consommation et une baisse des salaires réels ont nui au pouvoir d’achat dans bon nombre de pays de l’OCDE (OCDE, 2022[27]) ; l’importance du facteur prix pourrait donc être en partie due à la crise du coût de la vie qui sévissait pendant la réalisation de l’enquête.

Les personnes interrogées sont plus nombreuses dans les ménages aisés que dans les ménages modestes à privilégier la fraîcheur, le goût et les bienfaits pour la santé (Graphique ‎5.4). Dans les premiers, 58 % des répondants affirment que le prix est un facteur important lorsqu’ils achètent de la nourriture, contre 69 % dans les seconds. Tous les groupes de revenus indiquent toutefois donner la priorité au prix plutôt qu’aux considérations environnementales, telles que de faibles émissions et une production biologique ou locale. Les ménages comprenant des enfants disent accorder plus d’importance au goût que ceux sans enfants. En outre, les ménages qui se fournissent auprès de boulangeries, boucheries et primeurs autour de chez eux semblent avoir plus tendance à privilégier la fraîcheur et les bienfaits pour la santé au prix que ceux qui ne font jamais d’achats dans des commerces locaux ou alors rarement. Les répondants âgés et ruraux indiquent accorder plus de valeur à la production locale que la population jeune et urbaine, ce qui se vérifie dans tous les quintiles de revenu. Les personnes interrogées jeunes et diplômées de l’enseignement supérieur donnent plus souvent la priorité à la production biologique et à faibles émissions que celles qui sont âgées et n’ont pas suivi d’études supérieures.

Le fait que le prix reste décisif même pour les répondants soucieux de l’environnement tend à montrer que l’ordre des priorités dans les ménages qui s’approvisionnent localement est déterminé non pas par les préoccupations environnementales, mais par la fraîcheur perçue des aliments et les considérations de santé qui y sont liées. Si ce résultat s’avère tenir face à des variables de contrôle supplémentaires dans des études plus poussées, cela pourrait indiquer que l’approvisionnement local influence les priorités d’achat (Johe and Bhullar, 2016[28]). Dans ce cas, les mesures encourageant les ménages à se rendre plus souvent dans les commerces locaux pourraient servir à instaurer des normes et comportements sociaux souhaitables d’un point de vue environnemental et à jouer dessus (Nyborg et al., 2016[29]).

Des études montrent que les consommateurs ignorent généralement l’ampleur des effets qu’ont leurs choix alimentaires sur l’environnement (de Boer, de Witt and Aiking, 2016[30]), ce qui pourrait expliquer en partie le faible degré de priorité accordé aux facteurs environnementaux, comme les émissions, même parmi les personnes soucieuses de l’environnement. Différentes mesures pourraient être utiles pour amener les consommateurs à réduire les effets environnementaux de leurs achats de nourriture. L’information pourrait être diffusée par le biais d’un étiquetage environnemental, de directives gouvernementales et de campagnes de sensibilisation. Ces dernières pourraient aussi attirer l’attention des consommateurs sur les retombées bénéfiques de leurs choix alimentaires durables lorsqu’ils coïncident avec leurs priorités en matière de santé et de rapport qualité-prix. D’autres études montrent que, bien souvent, les choix alimentaires sont tout simplement déterminés par des habitudes, qui sont difficiles à modifier en diffusant des informations ou en faisant appel à des valeurs (Abrahamse, 2020[31]; Campbell-Arvai, Arvai and Kalof, 2014[32]). Des interventions comportementales, comme le fait de proposer par défaut des plats végétariens dans les cantines scolaires, pourraient venir en renfort des campagnes d’information et de sensibilisation. Quant aux interventions axées sur l’offre, telles que l’instauration et l’application de normes environnementales, elles pourraient fournir un soutien précieux aux politiques alimentaires durables en garantissant le prix, la disponibilité, la valeur nutritionnelle et le goût des options durables.

Dans le cadre de l’enquête, les ménages ont été interrogés sur la fréquence à laquelle ils consomment des produits de saison, locaux et biologiques, ainsi que des aliments transformés (Graphique ‎5.5). Dans l’ensemble, 56 % d’entre eux indiquent manger souvent ou toujours des produits locaux, et 47 % des aliments transformés et des plats cuisinés. La consommation de nourriture biologique est plus faible, 20 % des ménages en moyenne disant en manger fréquemment ou systématiquement. C’est en Israël que cette consommation est la plus basse (11 % des ménages) et en Suisse qu’elle est la plus élevée (31 %).

Dans la plupart des pays, les personnes interrogées au sein de ménages modestes sont plus nombreuses à indiquer ne jamais manger de produits biologiques (Graphique ‎5.6). La Belgique et la Suède font figure d’exceptions à ne pas afficher de corrélation manifeste entre les revenus et la consommation d’aliments biologiques. En moyenne, 26 % des ménages appartenant aux quintiles de revenu supérieur indiquent manger des produits biologiques, contre 18 % de ceux appartenant aux quintiles de revenu inférieur. C’est en Suisse et aux États-Unis que la différence entre les quintiles de revenu est le plus marquée. Par ailleurs, les répondants jeunes indiquent consommer plus souvent de la nourriture biologique que ceux qui sont âgés. Dans tous les pays, 28 % des 18-34 ans disent en manger fréquemment, contre 15 % des 55 ans et plus. En outre, l’approvisionnement local semble associé à la consommation d’aliments biologiques. Au total, 33 % des personnes qui se fournissent souvent dans des commerces proches de chez elles indiquent acheter fréquemment de la nourriture biologique, contre 16 % de celles qui n’ont pas cette habitude. Enfin, les préoccupations environnementales semblent fortement corrélées avec l’achat d’aliments biologiques. Dans l’ensemble, 26 % des répondants soucieux de l’environnement disent acheter fréquemment de la nourriture biologique, contre 13 % de ceux qui sont peu préoccupés par cette question.

Comme pour d’autres types de comportements à l’égard de l’environnement, les données mettent en évidence un décalage entre attitude et comportement dans le domaine des achats d’aliments biologiques (Hughner et al., 2007[33]). Les publications à ce sujet montrent en effet que, même si les consommateurs ont généralement une bonne opinion des produits biologiques, principalement en raison des bienfaits pour la santé, du goût et de la sécurité qu’ils semblent offrir, seule une petite part d’entre eux en achète effectivement. Les principaux obstacles à l’achat de nourriture biologique sont son prix plus élevé, un manque de disponibilité et la satisfaction apportée par les produits issus de l’agriculture conventionnelle (Aschemann-Witzel and Zielke, 2017[34]). Ces éléments indiquent que, pour soutenir la consommation de nourriture biologique, les politiques pourraient chercher à réduire les écarts de prix entre les aliments biologiques et conventionnels, fournir des informations sur les bienfaits de l’agriculture biologique pour l’environnement et les raisons pour lesquelles elle peut être plus coûteuse que l’agriculture conventionnelle, et rectifier les perceptions erronées au sujet de son accessibilité. Les écarts de prix entre les produits conventionnels et biologiques pourraient être réduits en révisant les subventions agricoles et la réglementation environnementale (Aschemann-Witzel and Zielke, 2017[34]).

Dans cette enquête, les personnes interrogées jeunes ou dont le ménage compte des enfants indiquent plus fréquemment consommer des aliments transformés, probablement en partie pour des raisons pratiques. Dans les différents pays, il semble ne pas y avoir de corrélation manifeste entre revenus et consommation de nourriture transformée, mais les répondants qui vivent en zone rurale disent en manger moins souvent. La consommation d’aliments de saison est plus courante parmi les personnes interrogées âgées de 55 ans ou plus, et elle dépend aussi de l’endroit où la nourriture est achetée : partout, ce sont les ménages qui font régulièrement des achats dans des magasins locaux qui mangent le plus de produits de saison (Graphique ‎5.7).

Les ménages aisés et ceux qui sont soucieux de l’environnement mangent plus de produits locaux (Graphique ‎5.8), sauf aux Pays-Bas, où il n’existe pas de corrélation manifeste et où la consommation de nourriture produite localement est globalement faible. Dans la plupart des pays, il semble ne pas y avoir de corrélation entre la consommation de produits locaux ou de saison et le fait de vivre dans une zone urbaine ou rurale, à l’exception des États-Unis, où les urbains achètent plus souvent que les ruraux de la nourriture produite localement. L’intérêt pour les produits locaux a augmenté ces vingt dernières années et s’avère dépendre plus de normes et d’attitudes, comme les préoccupations environnementales, que du statut socio-économique (Wenzig and Gruchmann, 2018[35]). Comme la nourriture biologique, la nourriture locale est perçue par les consommateurs comme étant meilleure pour la santé (Feldmann and Hamm, 2015[36]). L’Encadré ‎5.1 montre que la pandémie de COVID-19 a eu des effets sur certains aspects de la consommation alimentaire.

Le succès de la mise en place de toute politique dépend, en définitive, de l’adhésion du public. C’est particulièrement vrai pour les politiques touchant aux activités quotidiennes des ménages. Cette enquête constate une adhésion générale à presque toutes les politiques relatives aux systèmes alimentaires qu’elle évalue (Graphique ‎5.11). Les mesures qui suscitent la plus forte adhésion des personnes interrogées sont celles qui visent à éduquer les enfants scolarisés aux régimes alimentaires durables (78 %), à mettre en place des incitations à réduire les pratiques agricoles préjudiciables à l’environnement (74 %) et à réglementer de manière plus stricte l’utilisation de pesticides, l’élevage industriel et l’aquaculture (71 %). Les politiques ciblant les aspects commerciaux des systèmes alimentaires suscitent une adhésion plus faible (57 %), et une taxe sur la viande ou les produits de la mer bien plus faible (23 %). Plus d’un quart des personnes interrogées (26 %) sont très opposées à des mesures fiscales, mais moins de 5 % d’entre elles le sont au reste des politiques relatives aux systèmes alimentaires. L’aversion générale pour les mesures fiscales pourrait s’expliquer par des inquiétudes quant à leur équité.

Les critères socio-économiques ont peu d’effets sur l’adhésion des répondants aux politiques relatives aux systèmes alimentaires. Une taxe sur la viande ou les produits de la mer fait figure d’exception, l’adhésion étant nettement plus forte parmi les personnes interrogées jeunes et urbaines (respectivement 35 % et 30 %) que dans les tranches d’âge supérieures et la population rurale (respectivement 13 % et 17 %). Le durcissement de la réglementation sur l’utilisation des pesticides, les incitations à adopter des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et l’éducation aux régimes alimentaires durables suscitent une plus forte adhésion chez les répondants âgés. Les ménages avec enfants adhèrent plus volontiers à une taxe sur la viande ou les produits de la mer que ceux sans enfants, mais l’adhésion à d’autres politiques relatives aux systèmes alimentaires, comme les incitations visant une agriculture durable et le durcissement de la réglementation de l’agriculture, est identique dans ces deux groupes. Une analyse détaillée sera nécessaire pour déterminer si ce résultat est dû à des différences dans d’autres facteurs, comme les revenus ou la précarité financière.

Les préoccupations environnementales et l’approvisionnement local sont corrélés avec l’adhésion à tous les types de politiques (Graphique ‎5.12), ce qui est surprenant au regard des faibles effets qu’ont les préoccupations environnementales sur les habitudes alimentaires et les priorités d’achat (Section ‎5.3.1). Les personnes qui fréquentent les magasins alimentaires locaux expriment une plus forte adhésion à toutes les mesures, et en particulier à une taxe sur la viande ou les produits de la mer.

Références

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[15] Clark, M. and D. Tilman (2017), “Comparative analysis of environmental impacts of agricultural production systems, agricultural input efficiency, and food choice”, Environmental Research Letters, Vol. 12, https://doi.org/10.1088/1748-9326/aa6cd5.

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[19] Frezal, C., C. Nenert and H. Gay (2022), Meat protein alternatives: Opportunities and challenges for food systems’ transformation, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/387d30cf-en.

[14] GIEC (2022), Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, https://doi.org/10.1017/9781009157926.

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Notes

← 1. Le spectre du potentiel d’atténuation va d’un scénario dans lequel 50 % de la population mondiale adopte des régimes alimentaires comprenant moins de 60 g de protéines animales à un scénario dans lequel la population mondiale entière adopte un régime végétarien, sans prise en compte du changement d’affectation des terres (GIEC, 2019[8]).

← 2. Voir l’Annexe B sur la conception et la réalisation de l’enquête EPIC et sur la qualité du panel de répondants.

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