16. Point de vue : Collaborer avec les fournisseurs du Sud pour agir à plus grande échelle et de manière plus pertinente

Sachin Chaturvedi
Directeur général
Research and Information System for Developing Countries

Le dynamisme, le poids et le périmètre croissants de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire ont transformé le système de coopération internationale pour le développement et ouvrent de nouvelles perspectives pour réaliser les Objectifs de développement durable (ODD). Des collaborations innovantes, menées à titre pilote et axées sur des problématiques précises, sont couronnées de succès. Par exemple, les normes volontaires de durabilité du climat à l’échelle nationale, qui font l’objet de débats entre les pays à revenu élevé, intermédiaire et faible, se concentrent sur des défis régionaux communs et sur des définitions adaptées au contexte local des bonnes pratiques sociales et environnementales. L’Inde commence à se démarquer en tant que chef de file dans la création de formes innovantes de coopération et de partenariat, que le système de coopération pour le développement devrait intégrer. La présidence par l’Inde du Groupe des 20 (G20) en 2023 est l’occasion de promouvoir plus avant de tels partenariats innovants.

L’essor de nouvelles plateformes financières élargit les possibilités d’établir des partenariats multipartites inédits entre les acteurs de la coopération Sud-Sud. Citons ainsi le Nouveau plan Marshall, le Corridor de croissance Asie-Afrique, l’Initiative des Nouvelles routes de la soie et le Fonds de la Route de la soie. Dans les économies de marché émergentes que sont le Brésil, la République populaire de Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, des échanges, des investissements et des projets commerciaux sont réalisés au titre de la coopération Sud-Sud par l’intermédiaire de nouvelles banques de développement, comme la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et la Nouvelle banque de développement. Si cette dynamique peut certes apporter de nouvelles solutions, elle crée davantage de complexité ainsi que des difficultés pour ce qui est de l’exercice de la redevabilité et de la coordination entre des acteurs du développement, des systèmes et des cadres normatifs multiples. Parmi les principaux aspects contestés figurent l’absence de normes universellement acceptées et de normes de l’OCDE à l’aune desquelles mesurer la qualité du développement ; le cloisonnement de ces plateformes financières, qui débouche sur des contributions contradictoires au Forum sur le financement du développement et au Forum politique de haut niveau sur le développement durable organisés par les Nations Unies ; et les dissonances entre les clubs ou l’apparition de nouvelles institutions en conséquence d’un manque de représentation et de confiance dans le système existant de gouvernance mondiale.

Jusqu’ici, les gardiens de l’aide publique au développement (APD) détenaient, de fait, le monopole de la définition de normes en matière de coopération pour le développement. Ces mêmes gardiens, à savoir les membres du CAD de l’OCDE, ont eu du mal à inclure et à prendre en compte les nouveaux et divers cadres d’aide non institutionnels. Or, il y a du changement dans l’air. Les membres du CAD ont certes exclu la coopération Sud-Sud des modalités de coopération pour le développement lors des forums de haut niveau sur l’efficacité de l’aide organisés dans les années 2000 (elle n’a par exemple pas été reconnue lors du Forum politique de haut niveau d’Accra, en 2008) et participé avec réserve aux débats tenus lors de la deuxième Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération Sud-Sud (BAPA+40), en 2019, mais aujourd’hui, la nouvelle mesure statistique du Soutien public total au développement durable tient pleinement compte de l’importance croissante de cette forme de coopération.

Malgré les domaines de discorde qui subsistent entre les acteurs du développement, de plus en plus de fournisseurs maximisent le potentiel du développement en tirant parti de nouveaux partenariats dans le cadre de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire. L’expérience de l’Inde en atteste.

Depuis 2014, l’Inde connaît un regain d’engouement en faveur de la coopération triangulaire, qui s’accompagne d’une impulsion et d’un engagement politique de la part du Premier ministre. Ce nouvel élan repousse les frontières en sollicitant de nouveaux acteurs, en nouant des liens plus forts et en prenant des engagements plus importants. Le modèle de coopération triangulaire de l’Inde se caractérise par la mise à profit, par les hauts dirigeants politiques, des innovations et des partenariats nationaux établis avec divers acteurs du développement pour induire une montée en puissance des initiatives. Quand elle porte sur l’infrastructure matérielle, la coopération triangulaire peut être un outil de promotion du progrès social. Ainsi, l’amélioration des réseaux énergétiques régionaux accroît la connectivité numérique et ouvre de nouvelles perspectives dans les domaines de l’éducation et de la santé.

Malgré les domaines de discorde qui subsistent entre les acteurs du développement, de plus en plus de fournisseurs maximisent le potentiel du développement en tirant parti de nouveaux partenariats dans le cadre de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire.  
        

L’Inde doit le succès de son cadre de coopération Sud-Sud à ses modalités de mise en œuvre simples et de faible coût. Elle inscrit ses partenariats de développement dans une approche baptisée « théorie du pacte de développement », articulée autour de cinq modalités : le renforcement des capacités, le concours financier, le financement concessionnel, les technologies et les échanges commerciaux. L’Inde combine ces modalités sur mesure, selon le contexte. Au Mozambique, par exemple, le soutien à la production de panneaux solaires a reposé sur trois modalités : le renforcement des capacités grâce à des formations de scientifiques par Central Electronics Limited, le financement concessionnel et des dons pour les projets d’infrastructure.

La coopération triangulaire entre l’Inde et l’Allemagne a permis d’apporter un soutien dans de nouvelles régions. Ainsi, l’Inde a récemment conclu des accords bilatéraux avec le Cameroun, le Ghana et le Malawi pour soutenir les gains de productivité dans le domaine agricole et a lancé en Éthiopie des projets sucriers recourant à la technologie d’amélioration de la qualité des germoplasmes. Ce soutien offre un accès à des marchés diversifiés, outre le conditionnement des produits sur les marchés européens. L’Inde a également aidé des pays d’Amérique latine à adopter des technologies émergentes de construction de grands axes routiers. Ces partenariats, fondés sur les besoins et à forte composante spécialisée, dépassent la relation traditionnelle donneur-bénéficiaire.

L’Inde a trouvé de nouveaux moyens de coopérer avec le secteur privé afin de créer une plateforme propice aux innovations. Un partenariat mondial pour l’innovation, lancé en 2022 dans le cadre d’un programme piloté par le Royaume-Uni, sera financé par un fonds trilatéral de coopération pour le développement dans le but de faire progresser les ODD.

D’après des estimations de l’institut RIS, la coopération pour le développement mise en œuvre par l’Inde représenterait 8.7 milliards USD en 2020 (OCDE, 2022[1]). Le portefeuille indien de partenariats de développement couvre plus de 160 pays et assure la formation de plus de 20 000 personnes chaque année (RIS, 2022[2]). L’exécution des projets par l’intermédiaire des missions indiennes à l’étranger en garantit la rentabilité. Leur impact reste toutefois limité en raison des contraintes budgétaires propres au portefeuille des projets de coopération pour le développement. Les partenariats avec les fournisseurs d’APD devraient donc permettre d’assurer une montée en puissance des activités de coopération pour le développement et de donner l’élan nécessaire pour mobiliser les financements durables requis.

Il est indispensable d’établir des principes communs pour s’engager sur une trajectoire de développement nouvelle et durable. De tels principes permettront de garantir que les partenariats entre acteurs du développement mettent à profit leurs avantages comparatifs et servent des objectifs de développement communs. La présidence indienne du G20 pourrait justement donner l’impulsion nécessaire en amenant les hauts dirigeants à concentrer leur attention sur l’exécution de projets au moyen de la coopération pour le développement et sur l’exploitation des atouts de la coopération triangulaire. L’Inde pourrait également profiter de sa présidence du G20 pour promouvoir de nouveaux paradigmes pour mesurer le produit intérieur brut, par exemple en prenant en compte la biodiversité, l’inclusion sociale et le bien-être.

La résolution de la question de la coopération dans le cadre de la gouvernance internationale ne pourra se faire qu’en conciliant (et intégrant) l’universalité des cadres de redevabilité liés aux ODD avec la préservation de la souveraineté nationale à l’appui des progrès en matière de développement. Le système d’APD doit intégrer de nouvelles formes de coopération et de mécanismes de gouvernance. L’émergence de la coopération Sud-Nord, Nord-Nord, Sud-Sud et de la coopération triangulaire ouvre de nouvelles perspectives pour l’établissement de partenariats multipartites reposant sur des modèles d’apprentissage réciproque. Les divers acteurs devraient en outre clarifier le rôle dévolu à la société civile en tant que canal de mise en œuvre de la coopération triangulaire. L’association de la société civile et l’aide qui peut lui être apportée pour qu’elle renforce ses mécanismes de mise en œuvre peuvent accroître l’impact au-delà du cadre et de l’influence des pouvoirs publics. Par exemple, les contacts avec les sociétés civiles liées à la diaspora offrent de nouvelles possibilités d’échanges et de renforcement de l’efficacité de la coopération triangulaire.

L’émergence de la coopération Sud-Nord, Nord-Nord, Sud-Sud et de la coopération triangulaire ouvre de nouvelles perspectives pour l’établissement de partenariats multipartites reposant sur des modèles d’apprentissage réciproque.  
        

En ces temps difficiles, l’unique façon de progresser passe par la mise en place de partenariats innovants. L’accroissement de la demande et les défis mondiaux, les fréquentes ruptures des chaînes d’approvisionnement et les crises résultant de la pénurie de produits alimentaires et de carburant exacerbent les difficultés auxquelles les pays en développement doivent faire face. L’APD à elle seule ne permet pas de surmonter ces crises et de satisfaire la demande globale. Il est temps d’harmoniser des discours et des normes disparates et d’unir nos forces.

Références

[1] OCDE (2022), Les profils de coopération au développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5cd4ba84-fr.

[2] RIS (2022), 75 Years of Development Partnership: Saga of Commitment to Plurality, Diversity and Collective Progress, Research and Information System for Developing Countries, https://www.ris.org.in/sites/default/files/Publication/Indian_Development_Coperation-75%20yrs-NEW-PRINT-11-APRIL-2022-Web-1.pdf.

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