copy the linklink copied!Chapitre 1. Le financement du développement durable dans un contexte en rapide évolution

Les politiques de développement ne se font pas en vase clos. Les changements socio-économiques, technologiques, environnementaux et autres qui transforment le monde à un rythme rapide influent profondément sur les objectifs de développement et la disponibilité des ressources qui peuvent leur être – ou leur sont – consacrées. Ce chapitre dresse un panorama de ces changements et des contraintes associées au financement du développement durable et les replace dans le contexte des programmes d’action mondiaux pour le développement. Il s’achève sur une vision prospective de ce qu’il reste à accomplir au sein du paysage financier du développement durable.

    

copy the linklink copied!En bref

Le Programme 2030 a rehaussé le niveau des ambitions et des besoins de financement en matière de développement durable. Cependant, ceux-ci n’existent pas en dehors de tout contexte. Différents facteurs socio-économiques, technologiques, environnementaux et autres déterminent les capacités de financement intérieures et extérieures, ce qui influe sur les objectifs de développement et la disponibilité des ressources qui leur sont consacrées. Au cours de la dernière décennie, certains de ces facteurs ont été sous tension.

  • Croissance : Après la crise de 2008-09, la croissance du PIB dans les pays de l’OCDE a stagné, et les prévisions ne se sont améliorées que récemment. Après un rebond, la croissance dans les économies émergentes et en développement s’est elle aussi ralentie, s’établissant à 6-7 % en République populaire de Chine (la « Chine ») et aux alentours de 3-4 % en Afrique subsaharienne, soit bien en dessous des taux de croissance à deux chiffres enregistrés auparavant. Ces évolutions ont pesé sur les capacités extérieures et intérieures de financement du développement.

  • Prix des produits de base : Plus de 60 % des pays en développement sont largement tributaires des produits de base pour leurs recettes d’exportation. La fin du supercycle des produits de base en 2011 et la baisse des prix qui s’en est suivie ont considérablement limité leur capacité à mobiliser des ressources intérieures. L’effet a joué en sens inverse pour les pays importateurs nets de produits de base. Les pays à l’économie diversifiée ont été plus résilients.

  • Niveaux d’endettement : Un endettement excessif (des sommets historiques ont été atteints) non seulement augmente les risques pour la stabilité financière, mais limite en outre la capacité des bailleurs de fonds (flexibilité budgétaire réduite) et des pays en développement bénéficiaires (capacité d’absorption amoindrie) à mobiliser des financements au service du développement durable. Parallèlement, l’emprunt peut être un puissant outil permettant de financer des investissements productifs, et certains pays ont encore la possibilité de s’endetter.

  • Migration : Les flux migratoires à destination des pays de l’OCDE ont augmenté depuis 2010. Les envois de fonds n’ont cessé de progresser pour atteindre 466 milliards USD en 2017, et représentent aujourd’hui environ le triple du montant de l’aide publique au développement. Une part des ressources affectées au financement du développement a été réorientée vers la prise en charge des dépenses afférentes à l’accueil des réfugiés sur le territoire national.

  • Technologie : L’effet global de l’évolution technologique sur les ressources disponibles pour le développement durable reste à déterminer. Les innovations technologiques influent cependant sur les modalités de financement du développement durable, par le biais de nouveaux instruments et d’outils plus efficaces pour mobiliser les ressources intérieures (par exemple, paiement des factures de services publics ou des impôts au moyen d’un téléphone portable).

Ces évolutions ont créé un « effet de ciseaux », les capacités de financement étant bridées alors que les besoins de financement augmentent. Il est donc urgent de réformer. Le Programme d’action d’Addis-Abeba (PAAA) a mis en route un processus de réforme, mais au bout de trois ans, la communauté du développement n’a pas encore exploité pleinement la possibilité d’intégrer un plus large éventail d’acteurs, de ressources et d’instruments à l’écosystème de financement du développement durable (approche dite holistique).

copy the linklink copied!Les capacités de financement du développement durable sont sous pression

Les politiques de développement sont de plus en plus interdépendantes. Différents facteurs influent sur la capacité des pays en développement et d’autres acteurs à mobiliser des ressources à l’appui du développement durable.

Durant les années 2000, les pays en développement ont bénéficié d’une conjoncture économique mondiale favorable pour accéder aux sources de financement. La faiblesse des taux d’intérêt dans les pays développés a amené les investisseurs internationaux à explorer les possibilités d’investissement à fort rendement dans les pays en développement. Ce phénomène, conjugué à la déréglementation des marchés internationaux de capitaux, a débloqué des flux massifs de capitaux à destination des pays en développement. Aux lendemains de la crise financière, l’assouplissement quantitatif qui a caractérisé les politiques monétaires dans les pays développés a encore accru les liquidités. Les actifs des banques centrales des États-Unis, de l’Union européenne et du Japon se sont accrus pour atteindre le montant inégalé de 14 000 milliards USD à la fin 2017, contre environ 2 000 milliards USD en 2007, et les fonds ainsi libérés ont cheminé vers les pays en développement.

La tendance aujourd’hui est inversée. Divers facteurs, présentés comme positifs ou négatifs ou les deux, dans le Tableau 1.1, ont des effets limitatifs sur le financement du développement durable.

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Tableau 1.1. Les pressions au sein du système sur le financement du développement durable

Croissance

Elle n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant 2008 (-)

Prix des produits de base

La fin du supercycle en 2011 peut atténuer les contraintes pesant sur les importateurs nets, mais exacerbe celles pesant sur les exportateurs nets (+, -)

Niveaux d’endettement

Sommet historique dans les pays en développement et les pays donneurs (-)

Migration

Hausse des flux et du coût des réfugiés dans le pays (-) mais augmentation des envois de fonds (+)

Technologie

Source à la fois de menaces et d’opportunités (+, -)

Source : Auteur

Comme indiqué dans ce rapport, il est impératif, face à ces pressions, de s’assurer de la participation effective de tous les acteurs au sein du paysage du financement du développement durable et de tirer le meilleur parti possible des ressources qu’ils peuvent apporter.

Ce chapitre décrit en quoi les capacités de mobilisation de financements pour le développement durable sont soumises à des pressions croissantes tandis que les besoins de financement augmentent, ce qui se traduit par ce que l’on appelle un effet de ciseaux. Le Programme d’action d’Addis-Abeba a mis en route une réforme visant à remédier à cet « effet de ciseaux » en augmentant le nombre des acteurs qui participent au financement du développement durable.

La Partie I de ce rapport présente les différents acteurs et examine quel rôle ces acteurs et leurs ressources peuvent jouer dans le financement du développement durable. La réforme engagée au sein du PAAA est toutefois loin d’être achevée, et il reste encore fort à faire. La Partie II de ce rapport examine ce qu’il faudrait faire pour exploiter pleinement le potentiel de la contribution collective des acteurs, anciens et nouveaux, du financement.

La faiblesse de la croissance économique est préoccupante

La croissance économique joue un rôle déterminant dans les capacités intérieures et extérieures de financement du développement durable. En 2017, la croissance du PIB mondial atteignait 3.8 %, contre 5.6 % avant la crise financière mondiale. (FMI, 2018[1]) L’écart (1.8 %) se situe dans la fourchette du déficit d’investissement estimé, puisque le montant des fonds supplémentaires nécessaires à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) est estimé à 1.5-2.5 % du PIB mondial (Schmidt-Traub, 2015[2]).

Sur le plan national, la croissance économique élargit la base d’imposition d’un pays, conduisant à une hausse des ressources publiques intérieures. Les recettes provenant de l’impôt sur les sociétés et les personnes physiques et de la taxe sur la valeur ajoutée s’accroissent avec l’augmentation du niveau de l’activité économique. Un ralentissement de la croissance dans les pays en développement diminue donc les ressources intérieures disponibles pour le développement durable.

La croissance économique à l’étranger importe également car elle oriente l’offre de financement international vers les pays en développement sous la forme d’échanges commerciaux, d’investissements et autres ressources. Par exemple, il existe un objectif convenu à l’échelon international, qui consiste pour les apporteurs bilatéraux de financement pour le développement à affecter 0.7 % de leur revenu national brut à l’aide publique au développement (APD). Seuls quelques pays satisfont effectivement à cette ambition, mais l’objectif de 0.7 % montre que les sommes consacrées à l’APD sont liées à la taille de l’économie des pays apporteurs et qu’une faible croissance se traduit par une APD moindre.

Étant donné l’importance de la croissance économique, l’atonie de la croissance de l’économie mondiale depuis 2009 est préoccupante. Le Graphique 1.1 montre que la croissance du PIB dans les pays développés stagne aux alentours de 2 % depuis la crise. Après un redressement relativement rapide au sortir de la crise financière, mais en moyenne depuis 2010, les pays en développement ont vu leur taux de croissance décliner. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), les taux de croissance des pays en développement devraient remonter légèrement, à 4.9 % en 2018, puis à environ 5 % les deux années suivantes, mais demeureront inférieurs à leurs niveaux d’avant la crise (FMI, 2018[1]) Un autre facteur important à prendre en considération est le ralentissement de la croissance remarquable de la Chine, qui, après être restée à deux chiffres jusqu’en 2010, est tombée à 6.9 % en 2017 (FMI, 2018[1]).

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Graphique 1.1. La croissance économique reste morose depuis la crise financière
%
Graphique 1.1. La croissance économique reste morose depuis la crise financière

Source : Fonds monétaire international (2018[3]), Perspectives de l’économie mondiale (base de données), avril 2018, https://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2018/01/weodata/index.aspx

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933973933

Les cours des produits de base ont chuté avec la fin du supercycle

Pour les pays en développement, les résultats et perspectives en matière de croissance sont souvent liés au commerce et au prix des produits de base. D’un côté, nombre de pays en développement dépendent des recettes des exportations de produits de base et de ressources naturelles pour générer des ressources intérieures. D’après la CNUCED, 64 % des pays en développement tirent plus de 60 % de leurs recettes d’exportation de marchandises des produits de base (CNUCED, 2017[4]). De plus, les fluctuations des cours des produits de base peuvent affecter la balance courante des pays, ce qui leur crée alors des difficultés pour assurer le service de la dette.

D’un autre côté, certains pays en développement sont des importateurs nets de produits de base. Ils sont touchés en sens inverse par les variations des cours des produits de base – autrement dit une baisse des prix améliore le solde de leur balance courante. La volatilité des cours des produits de base peut précariser la sécurité alimentaire dans ces pays.

Les prix internationaux de la plupart des catégories de produits de base ont augmenté après la crise, mais ce rebond a rapidement été suivi d’un effondrement des prix de l’ensemble des produits de base après 2011. Entre 2011 et 2016, les produits de base hors combustibles ont perdu 26 %, les combustibles 51 % et les métaux 36 %, comme le montre le Graphique 1.2. Cette chute a pénalisé les exportateurs de produits de base tels que le Chili, qui avait enregistré jusqu’alors une croissance si forte qu’il était entré en 2013 dans la catégorie des pays à revenu élevé (voir Encadré 1.1). Les fluctuations des cours des produits de base exposent donc de nombreux pays à des revers sur les plans de l’économie et du développement. Cependant, la récente stabilisation des cours des produits de base augure d’une amélioration graduelle de leur situation économique. En particulier, le prix des matières premières énergétiques devrait s’accroître de 28 % en 2017 et de 4 % en 2018 selon les prévisions. (Banque mondiale, 2017[5])

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Graphique 1.2. Le prix des produits de base a chuté
Indice 100 en 2005
Graphique 1.2. Le prix des produits de base a chuté

Source : FMI (2018[3]), Perspectives de l’économie mondiale (base de données), avril 2018, https://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2018/01/weodata/index.aspx

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933973952

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Encadré 1.1. La réponse contracyclique du Chili face à la fin du supercycle des produits de base

Durant les années 2000, ce que l’on a appelé le « supercycle des produits de base » a considérablement amélioré les termes de l’échange de nombreuses économies exportatrices de produits de base, même pendant la crise, jusqu’en 2011, date à laquelle les cours des produits de base ont commencé à baisser. La fin des prix élevés des produits de base présente un risque persistant de chocs exogènes dans les pays tributaires des produits de base. Des mesures contracycliques peuvent s’avérer utiles en contribuant à atténuer ces vulnérabilités.

En 2011, le Chili est devenu le premier pays d’Amérique du Sud à adhérer à l’OCDE, et il a été radié en 2017 de la liste des pays bénéficiaires de l’APD. Il fait mieux que la plupart des autres pays d’Amérique latine en ce qui concerne les risques sur les plans macroéconomique, politique, de l’emploi et du commerce extérieur. Cependant, le Chili dépend fortement d’un petit nombre de produits de base, l’exploitation du cuivre représentant 20 % de son PIB et 60 % de ses exportations. De 2000 à 2011, les termes de l’échange ont doublé au Chili. Quand les prix des métaux ont amorcé leur ajustement à la baisse en 2011, la croissance réelle du PIB et l’investissement sont entrés dans une période de baisse prolongée (Graphique 1.3). L’effondrement des cours des produits de base a entraîné une dépréciation du peso, créant des tensions inflationnistes qui ont réduit les possibilités de mener une politique monétaire contracyclique et conduit la banque centrale à relever son taux directeur afin de maintenir l’inflation dans la fourchette cible.

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Graphique 1.3. Les prix du cuivre ont affecté l’investissement
Graphique 1.3. Les prix du cuivre ont affecté l’investissement

Source : Les données sur le prix du cuivre proviennent de la banque centrale du Chili (2018[6]), Base de Datos Estadisticos, https://si3.bcentral.cl/Boletin/secure/boletin.aspx?idCanasta=FHLES3325 ; les données sur la formation brute de capital fixe proviennent de OCDE (2018[7]), Statistiques sur les comptes nationaux (base de données)https://www.oecd-ilibrary.org/fr/economics/data/statistiques-de-l-ocde-sur-les-comptes-nationaux_na-data-fr

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933973971

Pour amortir les chocs exogènes, en particulier les effets de la volatilité des prix des produits de base, le Chili a établi en 2006 une règle dite de l’excédent structurel, en fixant pour objectif un excédent budgétaire de 0.5 % et en imposant d’accroître les dépenses publiques quand l’activité est faible et de les diminuer en période d’expansion. En 2008, la balance courante du Chili est devenue déficitaire ; cependant, les dépenses publiques ont fléchi après la dégradation des termes de l’échange, pour revenir à une situation excédentaire en 2009-10. La fin du supercycle a détérioré la balance, et le Chili a de nouveau accusé un déficit en 2011. Le déficit était presque résorbé en 2014, atteignant à peine -2 % du PIB, s’approchant de l’objectif d’un excédent de 0.5 %. La règle budgétaire adoptée par le Chili s’est révélée efficace pour donner un tour plus contracyclique à la politique budgétaire. Le PIB par habitant est resté stable durant le supercycle des produits de base, ce qui témoigne de l’efficacité de la règle budgétaire contracyclique.

L’augmentation des niveaux d’endettement réduit les capacités d’absorption

Les niveaux d’endettement augmentent dans les pays en développement et les pays développés, ce qui exerce des pressions sur les ressources susceptibles d’être consacrées au développement durable. La dette mondiale a atteint un sommet historique de 164 000 milliards USD en 2016, soit l’équivalent de 225 % du PIB mondial (Gaspar et Jaramillo, 2018[8]).

La dette publique des pays en développement s’accroît, mettant à rude épreuve les capacités d’absorption, notamment la capacité des pays à affecter les fonds levés par emprunt à des activités productives et leur capacité à s’endetter davantage.

L’alourdissement du coût du service de la dette pèse sur les finances publiques et sur la capacité à réaliser des investissements dans des secteurs tels que l’infrastructure, l’éducation et la santé, qui sont primordiaux pour le développement. Les récentes évolutions font apparaître un creusement des déficits budgétaires dans la majorité des pays en développement. D’après le FMI, les soldes budgétaires se sont détériorés dans 70 % des pays à faible revenu. Les emprunts publics ne se sont accompagnés d’une hausse de l’investissement public que dans une minorité de pays (10 sur 34). Le nombre des pays en développement présentant un niveau de risque élevé ou en surendettement est passé de 13 en 2013 à 24 début 2018 (FMI, 2018[9]).

De même, l’endettement des pays à l’étranger fait peser le risque d’une diminution des financements extérieurs. Depuis 2011, la dette brute totale des administrations publiques dépasse 100 % du PIB dans les économies développées (Graphique 1.4)La dégradation des comptes publics dans les pays développés réduit leur capacité à allouer des fonds au développement, sous la forme d’APD par exemple.

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Graphique 1.4. Les niveaux d’endettement ont augmenté dans les pays développés comme dans les pays en développement
% du PIB
Graphique 1.4. Les niveaux d’endettement ont augmenté dans les pays développés comme dans les pays en développement

Note : Le graphique retrace l’évolution de la dette brute des administrations publiques dans les « économies avancées » (« pays développés » dans le graphique) et dans les « économies émergentes et en développement » (« pays en développement » dans le graphique), selon les définitions du FMI.

Source : FMI (2018[3]), Perspectives de l’économie mondiale (base de données), avril 2018, https://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2018/01/weodata/index.aspx

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933973990

L’innovation et la technologie sont porteuses d’opportunités mais aussi de risques

Le progrès technologique recèle d’immenses opportunités pour le développement durable, car il influe sur la croissance économique comme sur la qualité de la croissance sur les plans social et environnemental, et il pourrait transformer la façon dont les ressources financières sont mobilisées et dépensées au service du développement durable.

Le progrès technologique peut contribuer à créer de nouvelles activités et de nouveaux marchés, à sauter des étapes sur la voie du développement et à élargir les perspectives de développement. Le nombre des emplois liés à la « servicification » des activités de production a augmenté rapidement dans les pays en développement et les pays développés, car la négociabilité accrue des services induite par l’émergence des chaînes d’approvisionnement mondiales crée des emplois non seulement dans le secteur manufacturier lui-même, mais aussi dans le secteur des services dans la mesure où le processus de fabrication est de plus en plus gourmand en services. Sur un échantillon de 40 pays en 2011, on estime à 96.6 millions, ou 4.5 % de la population active, le nombre des personnes occupant un emploi lié aux services qui dépend du secteur manufacturier – soit le double du chiffre enregistré en 1995 (Kizu, Kühn and Viegelahn, 2016[10]).

Les technologies innovantes comme l’analyse de données massives et l’internet des objets peuvent avoir diverses applications pour la santé, l’agriculture, l’énergie, la gestion et la qualité de l’eau, ainsi que pour le suivi des indicateurs de développement en vue d’apprécier les progrès accomplis au regard des objectifs de développement durable. Les avancées dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’impression en 3D transformeront sans doute les processus de production et pourraient fortement diminuer les coûts et accroître la productivité.

En outre, la technologie peut être mise à profit pour accroître l’efficacité du financement du développement durable. Par exemple, dans le secteur financier, les innovations concernant les systèmes de paiement en ligne (comme PayPal), les technologies de paiement par portable (comme M-Pesa) et les systèmes fondés sur une chaîne de blocs (comme les monnaies cryptographiques et l’obligation Bond-I pour le développement) promettent d’abaisser les coûts de transaction et d’offrir des solutions peu gourmandes en puissance de calcul pour sécuriser les apports de fonds. (OCDE, 2016[11]) Cela peut améliorer le rapport coût-efficacité des financements au sein des pays et entre eux, par exemple via les transferts de fonds. De plus, l’administration électronique peut faciliter le recouvrement des impôts, ce qui augmente les capacités de financement intérieur.

Le Programme 2030 reconnaît que la technologie et l’innovation sont deux importants moteurs qui permettent et facilitent la transition vers des économies prospères, inclusives et écologiquement viables. La contribution du progrès technologique et de l’innovation à un développement industriel durable qui profite à tous est explicitement mentionnée dans l’ODD 9 concernant l’infrastructure, l’industrialisation et l’innovation. En outre, l’ODD 17 place la science, la technologie et l’innovation au cœur de la coopération internationale et des partenariats mondiaux pour le développement (CNUCED, 2018[12]). Le Programme d’action d’Addis-Abeba fait de la science, de la technologie et de l’innovation ainsi que du renforcement des capacités un domaine d’intervention à part entière (paragraphe 114).

Parallèlement, des mesures actives doivent être prises pour accompagner les effets déstabilisateurs que le progrès technologique peut avoir sur les sociétés. L’innovation technologique enclenche un processus de destruction créatrice, transformant les économies en augmentant la productivité et en abaissant les coûts de production et les prix. Cela a de profondes répercussions sur les marchés du travail dans les pays développés et dans les pays en développement. Il ressort de travaux de recherche menés pour le compte de l’OCDE (Nedelkoska and Quintini, 2018[13]), qu’environ 14 % des emplois sont fortement menacés par l’automatisation dans les pays de l’OCDE, et les travailleurs peu qualifiés et les jeunes comptent parmi les plus touchés. L’économie numérique, dont l’imposition est un casse-tête au fur et à mesure que les modèles économiques changent, en est un autre exemple. Étant donné que les données et les actifs incorporels deviennent des sources de valeur, d’autres défis se profilent pour faire en sorte que les bénéfices soient constatés, et taxés, là où la création de valeur se produit. Pour relever ces défis, le Groupe de réflexion sur l’économie numérique du Cadre inclusif travaille à l’élaboration d’une solution consensuelle à l’horizon 2020.

Faute d’action des pouvoirs publics pour s’adapter à ces changements, les inégalités entre les pays et en leur sein peuvent compromettre la capacité des sociétés à mettre à profit les progrès technologiques pour promouvoir le développement durable et son financement. Par exemple, l’automatisation du travail dans les pays développés risque d’éroder l’avantage dont les pays en développement disposent traditionnellement en termes de coût, et qui les a aidés à attirer des investissements. Pour atténuer ces effets négatifs, il faut soutenir financièrement les travailleurs qui perdent leur emploi et leur assurer un niveau de vie minimum. Il conviendrait d’explorer de nouvelles pistes d’action, comme la garantie de ressources ou la formation des travailleurs ayant perdu leur emploi, pour éviter les effets négatifs potentiels des progrès technologiques sur le financement du développement durable (Nedelkoska and Quintini, 2018[13]).

L’amplification des migrations a d’importantes retombées

Depuis le début du millénaire, les migrations se sont nettement amplifiées, avec des effets ambigus sur le financement du développement durable. D’après les estimations, en 2017, 258 millions de personnes vivaient ailleurs que dans leur pays natal, ce qui représente une hausse de 49 % par rapport à l’an 2000 (ONU, 2017[14]).

La migration forcée s’accompagne d’une grande souffrance humaine, en particulier pour les personnes extrêmement pauvres et vulnérables. Même la migration volontaire peut avoir des impacts négatifs dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil. Dans les pays d’origine, l’émigration peut se traduire par une fuite des cerveaux, qui affecte l’éventail des qualifications de la main-d’œuvre et provoque des pénuries de main-d’œuvre (par exemple dans le secteur de la santé) tout en réduisant les recettes fiscales. Dans les pays d’accueil, l’immigration peut alourdir le coût du système de protection sociale et détourner des ressources affectées à l’aide au développement.

De nombreux pays d’accueil sont eux-mêmes des pays en développement, et les pressions exercées sur l’infrastructure et les services sociaux sont encore plus graves dans ces cas. Les déplacements forcés, en particulier, affectent principalement les pays en développement, car la plupart des personnes qui sont déplacées en raison d’un conflit ne peuvent fuir au-delà des régions avoisinantes. Fin 2015, les pays en développement accueillaient 99 % de l’ensemble des personnes déplacées à l’intérieur d’un pays et 89 % de l’ensemble des réfugiés (Banque mondiale, 2017[15]).

Le récent afflux de réfugiés en Europe a déclenché des controverses sur le coût de la prise en charge des réfugiés et sur la façon de comptabiliser ce coût dans l’APD. L’APD consacrée par les pays membres du CAD à l’accueil des réfugiés s’est élevée à 15.4 milliards USD en 2016, soit 27.5 % de plus qu’en 2015 ; en 2017, l’aide des pays donneurs aux réfugiés accueillis au sein de leurs frontières a reculé de 13.6 %, pour redescendre à 14.2 milliards USD, avec la baisse des arrivées de réfugiés, principalement en Europe (OCDE, 2018[16]).

Les migrations peuvent également être bénéfiques pour le pays d’origine et pour le pays d’accueil, en particulier via les envois de fonds. Comme l’explique plus en détail le chapitre 2, les envois de fonds à destination des pays en développement ont considérablement augmenté depuis 2000 et représentaient 466 milliards USD en 2017, chiffre bien supérieur au montant du financement public du développement. Dans les pays d’accueil où la population active décline, les migrants peuvent grossir les rangs de la population d’âge actif et occuper d’importantes niches tant dans les secteurs économiques en expansion rapide que dans les secteurs en déclin.

copy the linklink copied!Les besoins de financement à l’appui du développement durable augmentent

La capacité de mobilisation de financements est soumise à des pressions croissantes alors que les besoins de financement augmentent, ce qui crée un « effet de ciseaux ». La montée des pressions est en partie attribuable à des facteurs qui amplifient les défis de développement dans les pays les plus démunis, comme la croissance démographique rapide.

En outre, les ambitions mondiales en matière de développement ont été rehaussées, ce qui exige davantage de ressources. En particulier, le Programme 2030 a fixé des objectifs de développement durable plus ambitieux en intégrant les dimensions sociales et environnementales du développement. Il est urgent d’agir face à la montée des inégalités de revenu et au changement climatique en cours. Le volume des financements nécessaires pour atteindre les ODD est estimé à plusieurs milliers de milliards (contre plusieurs milliards pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Si la réalisation des ODD incombe avant tout à chaque État, la capacité d’un pays à les atteindre dépend de la performance des autres pays. Le monde est interconnecté et interdépendant, et les résultats individuels dépendent des résultats collectifs. De même, le coût de réalisation des ODD dans un pays dépend des résultats obtenus par les autres pays : moins la croissance à l’étranger est durable et inclusive, plus les externalités négatives sont fortes et plus cela coûte cher au pays de parvenir à une croissance durable et inclusive. Par exemple, l’expérience récente montre que ne pas investir dans des efforts internationaux visant à renforcer la prévention et l’atténuation du changement climatique peut conduire à des catastrophes naturelles (GIEC, 2012[17]). Les ressources consacrées à la concrétisation des ODD via les financements fournis aux pays en développement constituent donc un investissement dans la croissance inclusive et durable des membres de l’OCDE eux-mêmes, qui pourrait réduire le coût de mise en œuvre du Programme 2030 au sein des pays de l’OCDE.

Faute de ressources adéquates pour relever les défis du développement, les pays en développement risquent de connaître des crises économiques, sociales et environnementales qui auront de graves répercussions sur d’autres pays. La communauté internationale peut réagir en cédant à la tentation du protectionnisme, chaque pays se repliant alors sur lui-même. Cela enclenchera un cercle vicieux, de moindres ressources étant disponibles pour le développement durable, et aggravera la situation. Ou bien la communauté internationale peut choisir de renforcer et de repenser le système de financement du développement durable afin de régler les problèmes en renforçant la coordination et l’efficacité.

Un programme de développement plus ambitieux

Le passage des OMD aux ODD s’accompagne de plus hautes ambitions

S’appuyant sur ce qui a été fait dans le cadre des OMD, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les Objectifs de développement durable ont porté plus haut les ambitions.

Les OMD étaient conçus pour répondre aux besoins des pays en développement. Les huit objectifs allaient de l’éradication de l’extrême pauvreté à la lutte contre le VIH/sida en passant par l’accès de tous à l’éducation primaire, et s’accompagnaient de cibles mesurables assorties d’échéances précises pour apprécier les progrès et guider la coopération internationale pour le développement.

Le Programme 2030, avec les ODD, s’inspire de ce cadre d’objectifs aux objectifs quantifiables et le développe, pour définir 17 ODD, 169 cibles et 230 indicateurs. Non seulement le Programme 2030 comprend un plus grand nombre d’objectifs, mais il fixe des cibles plus ambitieuses. C’est le cas notamment en matière de réduction de la faim. Alors que les OMD aspiraient à diviser par deux le nombre des personnes souffrant de la faim dans le monde, le Programme 2030 ambitionne d’éliminer la faim et toutes les formes de malnutrition. (L’annexe du Chapitre 4 donne un autre exemple de la portée plus ambitieuse des ODD.) Un autre exemple de la nouvelle portée des objectifs, celui des ODD qui consiste à réduire l’obésité dans les pays développés (Martens and Obenland, 2017[17]). Il n’est donc guère surprenant que ces ambitions se traduisent par des besoins de financement accrus : ils s’élèveraient, selon les estimations, à 2 500 milliards USD (CNUCED, 2014[18]).

Contrairement à la Déclaration du millénaire, le Programme 2030 couvre les pays en développement comme les pays développés, et aspire à une transformation universelle conduisant tous les pays à évoluer vers une croissance inclusive et durable. Un pilier fondamental du Programme 2030 est l’engagement de « ne laisser personne de côté » en veillant à ce que le développement durable profite à tous, y compris aux personnes les plus difficiles à atteindre, comme les handicapés, les personnes âgées, les populations autochtones, les réfugiés, les personnes déplacées à l’intérieur d’un pays ou les migrants.

Alors que les OMD étaient largement inspirés par l’idée de développement humain, mettant fortement l’accent sur l’éradication de la pauvreté, le Programme 2030 repose sur une vision du développement durable selon laquelle l’environnement, l’économie et la société sont des systèmes imbriqués et non des piliers séparés. Cette vision transparaît dans l’importance accordée par le Programme 2030 à des thèmes comme l’énergie, l’eau et l’assainissement, les villes et le changement climatique.

Cependant, la grande diversité des objectifs énoncés dans le Programme 2030 peut créer des tensions entre les différents objectifs. Il peut y avoir conflit, par exemple, entre les objectifs environnementaux et l’ODD 8 « Croissance économique durable et travail décent pour tous »). Cela constitue un obstacle à la réalisation des ODD, qui exige des approches transversales, holistiques et bien coordonnées.

Les bons résultats, et les moins bons, obtenus en matière de développement

Succès et échecs des efforts de réduction de la pauvreté et des inégalités dans le monde

Pour apprécier le surcroît de besoins de financement à l’appui du développement durable, il convient tout d’abord de faire le bilan des progrès accomplis et du chemin restant à parcourir. Depuis le début du millénaire, les efforts d’élimination de la pauvreté, qui étaient au cœur des OMD, ont été largement couronnés de succès. Toutefois, au cours de cette même période, les inégalités dans le monde se sont creusées, ce qui confronte la communauté du développement à de nouveaux défis.

Les efforts de réduction de l’extrême pauvreté ont permis des progrès considérables, marquant une avancée significative dans la réalisation de l’OMD 1 Éliminer l’extrême pauvreté et la faim. La proportion de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté a été plus que réduite de moitié, tombant de 25.8 % en 2002 à 10.9 % en 2013, autrement dit d’une personne sur trois à environ une sur dix (Graphique 1.5).

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Graphique 1.5. Le taux de pauvreté dans le monde a fléchi
PPA de 2011, % de la population
Graphique 1.5. Le taux de pauvreté dans le monde a fléchi

Note : Les chiffres sont établis sur la base d’un seuil de pauvreté égal à 1.9 USD par jour.

Source : Banque mondiale (2018[19]), Poverty and Equity Data, http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=poverty-and-equity-databasea

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933974009

Cependant, la pauvreté a été réduite de façon inégale dans le monde. Ainsi, depuis 1980, 850 millions de personnes qui vivaient en dessous du seuil international de pauvreté fixé à 1.90 USD par personne et par jour (en PPA de 2011) sont sorties de la pauvreté en Chine. Cela a contribué à plus de 70 % de la réduction de la pauvreté dans le monde. Sur les 152 pays pour lesquels on dispose d’estimations sur l’extrême pauvreté pour les années 2002 et 2013, 36 pays ont vu leur taux de pauvreté augmenter ou se maintenir. Pour ces mêmes 152 pays, le nombre absolu de pauvres a augmenté ou est resté identique dans 53 pays. Cela signifie que dans 17 pays le nombre absolu des personnes pauvres s’est accru en dépit de la baisse globale des taux de pauvreté, ce qui s’explique par la croissance démographique. Dans 13 pays, situés pour la plupart en Afrique subsaharienne, le nombre des pauvres a augmenté de plus de 1 million (Ferreira, Lakner and Sanchez, 2017[20]).

Les inégalités de revenu entre pays développés et en développement ont diminué, comme le montre le Graphique 1.6. La croissance économique dans les pays en développement a été supérieure à celle des pays développés sur la majeure partie de la période depuis le début des années 80, provoquant une convergence du niveau des revenus nationaux.

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Graphique 1.6. Les inégalités entre les pays ont diminué
Coefficient de Gini
Graphique 1.6. Les inégalités entre les pays ont diminué

Note : Le graphique illustre deux façons de mesurer les inégalités entre pays en utilisant les coefficients de Gini estimés à partir du PIB réel par habitant des pays : le coefficient de Gini non pondéré, dans lequel tous les pays ont le même poids, et le coefficient de Gini pondéré, dans lequel les pays sont pondérés par la taille de la population. L’échantillon comprend 87 pays pour lesquels on dispose de données sur le PIB réel par habitant pour toute la période allant de1960 à 2015.

Source : Banque mondiale (2018[21]), Indicateurs du développement dans le monde (base de données), https://data.worldbank.org/products/wdi

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933974028

Parallèlement, les inégalités de revenu au sein des pays se sont creusées, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Dans la plupart des pays, l’écart entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand depuis trente ans (OCDE, 2015[22]). Les pays à revenu élevé ont généralement les plus faibles niveaux d’inégalités de revenu, mais ces niveaux augmentent. Aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, les 10 % les plus riches ont un revenu 9.6 fois supérieur aux 10 % les plus pauvres. Dans les années 80, ce rapport était de 7 à 1, puis de 8 à 1 dans les années 90 et de 9 à 1 dans les années 2000.

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Graphique 1.7. Les inégalités au sein des pays se creusent dans de nombreuses régions
Coefficient de Gini moyen au sein des pays
Graphique 1.7. Les inégalités au sein des pays se creusent dans de nombreuses régions

Note : Pour les pays pour lesquels il manque moins de dix observations pour le coefficient de Gini, les observations manquantes ont été estimées en supposant que le coefficient de Gini a évolué au même rythme que la moyenne de la région. Les moyennes régionales sont pondérées par la taille de la population.

Source : Solt (2018[23]), Standardized World Income Inequality database, https://fsolt.org/swiid/

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933974047

Dans maints pays développés, les coûteuses conséquences de la montée des inégalités se font sentir et rendent nécessaire l’édification de sociétés plus inclusives. Ce ne sont pas seulement ceux situés au bas de l’échelle des revenus qui souffrent, mais la société tout entière. En empêchant les plus pauvres de concrétiser leur potentiel et d’investir dans l’éducation et les compétences de leurs enfants, les inégalités ont de coûteuses conséquences pour l’innovation et la croissance économique. En outre, l’accentuation des inégalités durant les dernières décennies a érodé la confiance des citoyens dans les institutions publiques dans les pays de l’OCDE.

Les inégalités de revenu dans les pays en développement ont augmenté en moyenne de 11 % entre 1990 et 2010 (PNUD, 2013[24]). Durant cette période, les inégalités de revenu au sein des pays se sont accentuées en moyenne dans toutes les régions du monde en développement, à l’exception de l’Afrique ainsi que de l’Amérique latine et des Caraïbes. Dans ce dernier cas, les inégalités ont reculé de 5 %, en partie sous l’effet de changements dans les politiques redistributives et sur le marché du travail, à la faveur de réformes fiscales, par exemple. Malgré ces évolutions, l’Amérique latine demeure la région la plus inégalitaire au monde, puisqu’elle abrite 10 des 15 pays les plus inégalitaires (Dugarova and Gülasan, 2017[25]).

De plus en plus de défis dépassent le cadre des frontières nationales

En plus des problèmes de développement qui revêtent essentiellement un caractère national, la communauté du développement est de plus en plus confrontée à des défis qui dépassent le cadre des frontières nationales et appellent une action collective internationale. Ces dernières années ont vu l’émergence de risques planétaires comme le changement climatique ou les maladies infectieuses, qui exigent des solutions et des financements à une échelle et d’une portée sans précédent. Or la communauté internationale ne semble pas prête à faire face à ces immenses défis.

Changement climatique : La fréquence et la gravité croissantes des catastrophes climatiques dans diverses parties du globe font apparaître la nécessité de prendre des mesures de toute urgence et de mobiliser des sommes colossales pour stabiliser le climat mondial. De 1997 à 2016, plus de 524 000 personnes sont décédées des suites directes de plus de 11 000 événements météorologiques extrêmes ; et les pertes ont atteint quelque 3 160 milliards USD en parités de pouvoir d’achat (Eckstein, Künzel and Schäfer, 2017[26]).

Le changement climatique affecte les pays en développement et les pays développés. En 2017, les catastrophes climatiques aux États-Unis ont coûté 306 milliards USD, dépassant de loin le précédent chiffre record de 215 milliards USD enregistré en 2005 (NOAA, n.d.[27]). Cependant, les pays en développement sont souvent touchés de façon disproportionnée par le changement climatique. L’indice des risques climatiques de Germanwatch, qui classe les pays en fonction de leurs risques météorologiques extrêmes, montre que les dix pays les plus affectés de 1997 à 2016 étaient tous des pays en développement. Sur ces dix pays, neuf étaient des pays à faible revenu ou des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et un seul était un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (Eckstein, Künzel and Schäfer, 2017[26]).

Les niveaux actuels de financement sont insuffisants. Les pays développés se sont engagés en 2010 à mobiliser collectivement 100 milliards USD de financement climatique par an d’ici 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement. Cet engagement a été renouvelé en 2015 à la 21e session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s’est tenue à Paris1 (OCDE, 2016[28]). Cependant, il faut encore plus de ressources. On estime à 12 100 milliards USD le montant des investissements qui seront nécessaires dans le seul secteur des énergies renouvelables au cours des 25 prochaines années, soit 5 200 milliards USD de plus que les projections fondées sur le statu quo (Zindler and Locklin, 2016[29]).

Le Fonds vert pour le climat est l’un des principaux mécanismes par lesquels seront acheminés les financements climatiques internationaux à l’appui de cet objectif. Créé pour mobiliser des financements climatiques en vue de soutenir les efforts d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci dans les pays en développement, le Fonds vert pour le climat a reçu pour 10.3 milliards USD de promesses de financement.

Pandémies : Ces 30 dernières années, la fréquence et la diversité des épidémies, et les coûts financiers y afférents, n’ont cessé d’augmenter. Avec la mobilité croissante des personnes, produits et denrées alimentaires, l’apparition d’une maladie infectieuse n’est plus circonscrite à un pays ou une région. Les pandémies peuvent toucher plusieurs pays et présentent d’importants risques sanitaires, sociaux et économiques. La pandémie due au virus Ébola en Afrique de l’Ouest de 2013 à 2016 a provoqué le décès de 11 310 personnes dans 9 pays. (OMS, n.d.[30]) On estime à environ 6 milliards USD le coût financier directement associé à cette pandémie et à plus de 15 milliards USD les pertes économiques mondiales (Gostin and Friedman, 2015[31]).

La crise Ébola a en outre montré que la communauté internationale est actuellement mal préparée à faire face à des crises sanitaires transfrontalières. Faute de mécanisme financier pour répondre immédiatement à l’apparition d’une épidémie dans des pays aux ressources limitées et éviter sa propagation, il a fallu des mois pour acheminer des fonds vers les pays touchés. De nombreuses initiatives ont été lancées depuis pour combler ce déficit de financement2. Pourtant, on constate que bien des pays sous-investissent de façon chronique dans des systèmes de santé publics essentiels qui contribuent pourtant à prévenir, identifier, contenir et répondre à l’apparition de maladies infectieuses (Banque mondiale, 2017[32]).

Conflits armés : Les conflits armés se sont multipliés ces dernières années, ce qui a alourdi les coûts économiques mondiaux. En 2016, 402 conflits étaient en cours, contre 278 en 2006. Le nombre des personnes déplacées de force en raison des violences et conflits a également progressé pour atteindre le chiffre sans précédent de 65.6 millions en 2016, contre 39.5 millions en 2006 (OCHA, 2017[33]). Selon les estimations, le coût économique mondial des réponses aux conflits s’élevait à 1 200 milliards USD (en parités de pouvoir d’achat) en 2017 (IEP, 2018[34]).

Le coût économique des conflits est réparti inégalement entre les pays. Les conflits violents sont une cause majeure de l’inversion de croissance économique que de nombreux pays en développement ont connue ces dernières décennies. Par exemple, en raison d’une série de conflits violents, le revenu par habitant de l’Afghanistan stagne depuis 1970, et le revenu par habitant de la Somalie a chuté de plus de 40 % sur cette même période. D’après les estimations, les pays en proie à un conflit violent subissent une réduction de la croissance annuelle du PIB de 2-4 %, pouvant aller jusqu’à 8.4 % en cas de conflit grave (Nations Unies/Banque mondiale, 2018[35]).

Les effets préjudiciables des conflits et de la violence ne connaissent pas de frontières. À divers degrés, les pays voisins et ceux plus éloignés sont également confrontés à leurs conséquences sous la forme d’afflux massifs de réfugiés, d’un climat de défiance et d’insécurité, et d’une érosion de la cohésion sociale. Nombre de ces pays sont eux-mêmes des pays en développement. Les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont fait traverser les frontières à des millions de réfugiés. En 2015, les membres de l’Union européenne ont reçu 1.2 million de demandes d’asile émanant de primo-demandeurs. Outre ces migrations à grande échelle, les attaques liées à des groupes terroristes perpétrées dans la région MENA déchirée par des conflits ont suscité un sentiment croissant d’insécurité et miné la confiance dans le projet européen (Rother et al., 2016[36]).

Transformer un cercle vicieux en un cercle vertueux

Les conséquences de la mise à mal des capacités

Nombre des facteurs de tension qui ont limité la capacité des gouvernements à financer le développement durable ont, parallèlement, provoqué une poussée du nationalisme dans les pays développés et en développement. Dans bien des pays, l’expérience de la crise financière a laissé son empreinte sur les sentiments nationaux. Par exemple, la montée rapide du chômage à long terme3 après la crise a renforcé l’attrait populiste du nationalisme économique. L’enquête Global CEO Outlook, menée en 2018 auprès de 1 300 PDG du monde entier, a révélé que ce retour du nationalisme était évoqué comme la menace la plus grave pour l’expansion de leur entreprise (KPMG, 2018[37]).

La structure des échanges commerciaux et des investissements directs étrangers est particulièrement touchée par la résurgence du nationalisme et d’autres facteurs, ce qui, de la même manière, exacerbe les contraintes s’exerçant sur le financement à l’appui du développement durable. La popularité croissante de la « délocalisation de proximité »4 et de la relocalisation des emplois5 a entraîné une baisse de l’investissement étranger qui s’est répercutée sur les ressources financières dont disposent les pays en développement (Chapitre 2). Le rapport de suivi du commerce de l’OMC montre que davantage de mesures commerciales restrictives ont été mises en place. Conjuguée à l’intensification du discours anti-commerce, cette évolution peut faire craindre une escalade des obstacles aux échanges et des différends commerciaux (OMC, 2018[38]).

Paradoxalement, les mesures instaurées pour éviter aux pays de connaître de nouvelles crises internationales pourraient les exposer à un plus grand nombre de ces crises. L’incertitude créée par cette montée du protectionnisme risque de compromettre la reprise économique. Une escalade des droits de douane pourrait provoquer une diminution de pas moins de 9 % des flux commerciaux, baisse équivalente à celle enregistrée durant la crise financière mondiale (Banque mondiale, 2018[39]). Cela pourrait entraîner une nouvelle contraction de l’économie mondiale, qui créerait un cercle vicieux ayant pour effet d’amenuiser les ressources consacrées au financement du développement durable.

Lier développement et croissance inclusive

Les pays enclins à s’isoler du système international et à réduire leurs contributions aux ODD pourraient porter préjudice à leurs propres programmes nationaux. Les externalités négatives croissantes des conflits armés, des pandémies et des phénomènes météorologiques catastrophiques illustrent la façon dont les retombées internationales peuvent entraver la réalisation des ODD. Un pays ne peut atteindre ses objectifs nationaux si les autres pays ne sont pas engagés sur la même voie et si les externalités négatives ne sont pas réduites au maximum.

De plus, ne pas satisfaire aux engagements en matière de développement durable dans les autres pays va profondément à l’encontre de l’objectif de croissance inclusive, qui figure aux premiers rangs des priorités de nombreux gouvernements des pays développés.

Face aux avancées technologiques et aux évolutions démographiques qui bouleversent déjà leurs économies, de nombreux pays développés cherchent les moyens d’assurer une croissance continue et une répartition équitable de ses bienfaits. Des recommandations préconisant de rendre la croissance plus inclusive ont été formulées par diverses organisations internationales comme le FMI et l’OCDE, et la croissance inclusive était un thème prioritaire du sommet du G7 en 2018 (Présidence du G7, 2018[40]).

La solidarité et la promotion de la croissance inclusive ne peuvent s’arrêter aux frontières nationales, en laissant les autres sociétés exposées au risque de déstabilisation et d’appauvrissement. Les problèmes affectant les pays en développement seront de plus en plus appelés à s’étendre à d’autres pays en développement et aux pays développés, sous la forme de pressions migratoires, de menaces terroristes ou de retombées des crises économiques.

Parallèlement, le développement durable dans les pays en développement peut créer des externalités positives pour d’autres pays en développement et pour les pays développés. Au cours de la décennie qui a suivi la crise financière, les pays en développement ont généré une grande partie de la croissance mondiale limitée, et leur part dans le commerce mondial a augmenté. Une grande partie des fruits des investissements rentables et des débouchés économiques dans ces pays ont été recueillis par des investisseurs de pays développés.

Réaliser le Programme universel de développement durable à l’horizon 2030 exige d’intégrer le double objectif de développement durable et de croissance inclusive aux niveaux national et mondial. Les pays ne pourront atteindre les niveaux de prospérité et de bien-être souhaités qu’en renforçant, et non en diminuant, la coordination et la collaboration. Le Graphique 1.8 illustre les interrelations entre la croissance inclusive et le développement durable au service du financement du développement durable et de la prospérité.

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Graphique 1.8. Transformer le cercle vicieux en cercle vertueux
Graphique 1.8. Transformer le cercle vicieux en cercle vertueux

Source : Auteurs

copy the linklink copied!Un appel à transformer le système de financement du développement durable

Le Programme d’action d’Addis-Abeba prépare le terrain à la mise en œuvre du Programme 2030 en rassemblant différents acteurs et mécanismes pour contribuer au financement des ODD. Cependant, trois ans après l’adoption du Programme 2030, le potentiel du PAAA n’a pas été pleinement exploité. Le PAAA s’appuie sur le postulat selon lequel remporter la lutte mondiale contre la pauvreté et atteindre les ODD requiert une approche holistique qui mobilise un large éventail d’acteurs – publics et privés, nationaux et étrangers – dans un large éventail de domaines d’action, allant de la fiscalité aux envois de fonds, ou encore de la philanthropie à l’investissement. Opérer cette transformation exige des changements radicaux d’orientation au sein du système de financement du développement durable.

Compte tenu de l’« effet de ciseaux » évoqué plus haut (capacités sous pression et augmentation des besoins financiers pour assurer le développement durable), les efforts actuellement déployés pour mobiliser des ressources additionnelles ne sont pas suffisants. Chaque dollar investi dans le développement durable n’aura pas le même impact sur le développement. Les leviers d’action du Programme d’action d’Addis-Abeba et les interactions entre les acteurs et ressources du financement, nouveaux et existants, doivent être mieux utilisés afin de réorienter plus efficacement les milliers de milliards présents dans l’économie mondiale de sorte qu’ils contribuent au développement.

En quoi le système de financement à l’appui du développement durable a-t-il changé ?

Le Programme d’action d’Addis-Abeba reconnaît que la réalisation des ODD exige un cadre de financement à la fois ambitieux et source de transformations. Il repose sur l’idée selon laquelle remporter la lutte mondiale contre la pauvreté et atteindre les ODD nécessite des moyens financiers supérieurs à ceux dont les apporteurs publics disposent à eux seuls.

Les engagements énoncés dans le PAAA couvrent sept grands domaines d’intervention : les ressources publiques intérieures, l’entreprise privée et les finances intérieures et internationales, la coopération internationale pour le développement, le commerce international en tant que moteur du développement, la dette et la viabilité de la dette, la résolution des problèmes systémiques, et enfin la science, la technologie, l’innovation et le renforcement des capacités. Un trait distinctif est l’accent mis sur le rôle que les ressources intérieures et le secteur privé peuvent jouer pour aider les pays à parvenir à un développement durable. Le « Point de vue » d’Arancha Gonzalez explique l’importance cruciale du commerce international et de l’investissement privé dans la mobilisation d’investissements privés additionnels.

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Encadré 1.2. Point de vue : L’argent public doit-il financer le développement du secteur privé ? par Arancha Gonzalez, Directrice exécutive, Centre du commerce international (CCI)

Pour avancer, le monde a besoin d’une croissance inclusive. Le Programme des Nations Unies à l’horizon 2030 reconnaît que le commerce et le secteur privé peuvent contribuer à faire de cette croissance une réalité. Cependant, il subsiste parfois un décalage entre cette reconnaissance au niveau mondial et les postes d’affectation des ressources à l’appui du développement. L’aide pour l’infrastructure économique s’élevait à 21 milliards USD en 2015. Cela se comprend car de nombreux pays en développement souffrent indéniablement d’un déficit d’infrastructure.

Toutefois, les routes, les ports et les ponts modernes ne sont utiles que s’il existe des produits à commercialiser et un secteur privé national sain pour produire ces biens et services. Veiller à l’investissement dans l’infrastructure immatérielle – le système d’exploitation qui permet au matériel de fonctionner – est extrêmement important.

Le Programme d’action d’Addis-Abeba reconnaît l’importance du secteur privé. Il engage explicitement toutes les entreprises à mettre leur créativité et leur volonté d’innovation au service de la solution des problèmes du développement durable. Quel meilleur moyen d’y parvenir que de libérer l’immense créativité et capacité d’innovation des jeunes femmes et des jeunes hommes du monde en développement ?

Les exemples de capacité entrepreneuriale dans des régions en développement comme l’Afrique abondent. Songez aux services bancaires mobiles, aux chargeurs de téléphone mobile alimentés par bicyclette ou aux toilettes à pédale pour les zones rurales. Le monde en développement ne manque pas d’imagination. Ce qui lui manque souvent, c’est l’expérience requise pour passer de l’idée, via un prototype, à la commercialisation, accéder aux financements permettant d’effectuer les investissements nécessaires et accéder à des marchés suffisamment vastes pour que ces investissements soient financièrement rentables. Les financements destinés à venir à bout de ces goulets d’étranglement constituent donc selon moi le moyen le plus efficace et le plus durable de fournir des fonds à l’appui du développement. Il importe de veiller à ce que les femmes entrepreneurs en bénéficient aussi, car elles éprouvent souvent plus de difficultés que leurs homologues masculins à accéder aux financements via les circuits privés.

Le développement du secteur privé contribue à renforcer le rôle des entreprises locales dans la résolution des problèmes de développement de leur pays. Toutefois, l’effet de l’essor de l’entrepreneuriat ne se limite pas aux entrepreneurs eux-mêmes. Les salariés des entreprises concernées en bénéficient également. Les entreprises non concurrentielles et à faible productivité versent des salaires bas à leurs salariés. Les entreprises prospères et en expansion ont au contraire les moyens d’offrir des emplois décents à leurs salariés. Le financement du développement du secteur privé agit donc dans deux directions : il aide de nouvelles générations d’acteurs et de leaders, tout en aidant également les ménages qui dépendent de la réussite de ces leaders.

L’assistance technique au développement du secteur privé est plus efficace lorsqu’elle porte sur des activités pour lesquelles il existe une demande sur le marché. C’est le principe appliqué par les initiatives qui mettent en relation les apporteurs des pays en développement et les acteurs des chaînes de valeur déjà en place. Parmi ces initiatives on peut citer la Better Work Initiative (IOT et SFI) et l’Ethical Fashion Initiative (CCI). La participation directe ou indirecte d’acheteurs garantit l’existence d’un marché pour les produits et services générés en bénéficiant de l’assistance technique. À terme, le succès de ces initiatives peut se mesurer à leur viabilité sur la durée, car dans l’idéal, le financement public doit jouer un rôle de catalyseur en attirant des contributions financières et des investissements nationaux et internationaux.

Le potentiel entrepreneurial des pays en développement est bien réel, mais leurs entreprises peuvent être fortement bridées dans leur essor si elles ne répondent qu’à la demande locale sans chercher à prendre également pied sur les marchés étrangers. L’accès aux marchés régionaux, voire mondiaux, augmente la probabilité que les investissements dans le développement du secteur privé soient rentables. Il augmente également les chances d’associer des acteurs des chaînes mondiales de valeur aux initiatives en matière d’assistance technique. D’où l’importance de l’ouverture des frontières pour le développement, point souligné dans le Programme d’action d’Addis-Abeba et, auparavant, dans le Consensus de Monterrey. Les efforts actuels en faveur de l’intégration régionale dans le monde en développement – la signature récente de l’accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine en est un exemple – sont un signe encourageant dans la bonne direction.

Pour conclure, j’aimerais attirer l’attention sur le sigle du Programme d’action d’Addis-Abeba, le quadruple A de l’Addis Ababa Action Agenda (AAAA en anglais). Ce sigle est non seulement facile à retenir, mais il évoque en outre une terminologie utilisée par les agences de notation et courante au sein de la communauté financière du secteur privé. Le développement du secteur privé est la composante naturelle d’un programme de développement qui ambitionne de faire participer à la réalisation des objectifs de développement durable un secteur privé soucieux d’obtenir un retour sur investissement. C’est aussi un moyen fondamental de concrétiser la possibilité réelle et grandissante pour les pays en développement d’être les architectes de leur destin en matière de développement.

Avec cette approche, le Programme d’action d’Addis-Abeba imprime une nouvelle orientation à la coopération internationale pour le développement, en la recentrant de l’objectif relativement étroit de l’aide internationale vers le financement public du développement, puis vers le financement à l’appui du développement durable. L’aide et le financement du développement sont tous deux des ressources fournies par des acteurs publics internationaux dans l’objectif de favoriser le développement d’un pays. La différence entre les deux est que l’aide (l’APD) est proposée à des conditions libérales, c’est-à-dire à des conditions plus favorables que celles offertes par les marchés financiers internationaux, alors que le financement public du développement (FPD = APD + AASP) englobe un plus large éventail de ressources investies dans le développement durable, comprenant notamment, mais pas seulement, l’aide, qui peuvent être assorties ou non de conditions libérales. Le concept de financement à l’appui du développement durable élargit en outre l’univers des acteurs, ressources et moyens pouvant être activement sollicités pour assurer un développement durable.

L’approche holistique du Programme d’action d’Addis-Abeba se reflète dans les propositions des principaux apporteurs publics. Reconnaissant que les ressources nécessaires au développement durable sont d’un ordre de grandeur différent, les principaux apporteurs institutionnels de financements à l’appui du développement ont impulsé une dynamique visant à mobiliser des ressources additionnelles au service du développement. Par exemple, en amont de la conférence qui s’est tenue à Addis-Abeba, le Comité de développement de la Banque mondiale a présenté le rapport intitulé From Billions to Trillions: Transforming Development Finance6, qui engageait les grandes institutions financières multilatérales « à promouvoir et stimuler l’investissement privé, remédier aux risques et à l’incertitude, aider à mobiliser et accroître les ressources et coinvestissements émanant des investisseurs publics et privés traditionnels, institutionnels et autres ». En 2016, le Groupe de la Banque mondiale a présenté l’approche dite en cascade, sa nouvelle stratégie pour maximiser le financement à l’appui du développement en mobilisant le secteur privé et en optimisant l’emploi des maigres ressources publiques (Groupe de la Banque mondiale, 2016[41]). De même, les institutions bilatérales de financement du développement7 sont invitées à jouer un rôle central dans les efforts déployés en vue d’attirer et de faciliter l’investissement privé dans les pays en développement. Une large place est accordée aux solutions financières innovantes pour amplifier l’impact des différentes ressources sur le développement, et en particulier pour faciliter la collaboration avec le secteur privé.

Que reste-t-il à faire ?

À 12 années de l’échéance fixée, la réalisation des programmes mondiaux n’est pas à la hauteur des attentes, et l’approche holistique préconisée par ces programmes induit elle-même des difficultés.

  • Le Programme d’action d’Addis-Abeba appelle un nombre fortement accru d’acteurs à jouer un rôle dans le développement durable, d’où une diversité et une complexité croissantes. Selon une estimation, il existe plus de 1 000 mécanismes de financement dans le paysage mondial du financement du développement. (Hammad and Morton, 2009[42]) Si les différents acteurs et leurs rôles ne sont pas clairement répertoriés, le risque d’une dilution des responsabilités est réel. Le système de financement du développement durable peut devenir un lieu où tout le monde est responsable, et par conséquent personne. L’éventail des instruments de financement dont les acteurs disposent s’est lui aussi élargi, et l’innovation semble être le moteur du système de financement du développement durable, de nouveaux instruments étant constamment créés. Cependant, le rôle de ces acteurs sera toujours dépendant du contexte, et les acteurs ne sont pas toujours en mesure de s’y retrouver dans ce dédale d’options d’une complexité croissante.

  • Une action concertée massive s’impose pour que tous ces acteurs œuvrent conjointement et efficacement au service de l’objectif commun qu’est le développement durable. Des progrès ont été accomplis dans certains domaines, mais des cloisonnements subsistent entre les acteurs et entre certains domaines d’action. Les synergies et les interdépendances (par exemple, ce que l’on appelle l’effet catalytique) entre les acteurs et les ressources n’ont pas encore été suffisamment explorées, et les risques associés à l’évolution des rôles des acteurs anciens et nouveaux ne sont pas traités, dans une large mesure. Il est souvent difficile de faire en sorte que les nouvelles opportunités soient suffisamment exploitées.

  • Alors que des mesures sont prises pour mobiliser davantage de ressources pour les pays en développement, la qualité – c’est-à-dire l’impact de ces ressources sur le développement – est souvent négligée. Le Programme d’action d’Addis-Abeba prône explicitement l’alignement de tous les flux de ressources et de toutes les mesures sur les priorités économiques, sociales et environnementales. Or tous les différents acteurs conservent leurs propres logiques, rôles, ressources, instruments, de même que leurs propres motivations et objectifs intermédiaires. Le terme « durable » dans l’expression « financement à l’appui du développement durable » reste donc à l’état de vœu à bien des égards.

Il existe une marge de manœuvre qui ne doit pas être négligée. Si l’on additionne toutes les ressources des différents acteurs mentionnés dans le Programme d’action d’Addis-Abeba, les milliers de milliards nécessaires au développement durable sont déjà là. Cependant, il est actuellement impossible de faire en sorte que toutes les ressources financières pour le développement soient alignées sur les ODD et sur l’objectif consistant à réaliser le développement durable dans toutes ses dimensions. Par exemple, l’aide publique au développement n’est pas intégralement compatible avec l’Accord de Paris, et des mesures s’imposent pour que les financements répondent effectivement aux objectifs de développement. De même, l’« enrôlement » des entreprises privées comme apporteurs de financement à l’appui des ODD ne nous renseigne guère sur la mesure dans laquelle leurs activités doivent être comptabilisées dans le financement du développement durable. L’alignement des incitations et des chiffres passe donc par une injection massive de ressources dans le système de financement du développement durable.

Compte tenu des tensions qui s’exercent sur les ressources publiques et privées dans le contexte actuel, mettre l’accent sur la mobilisation de ressources additionnelles suscite naturellement une résistance. Cependant, il est tout à fait possible de se concentrer davantage sur ce qu’il convient de faire des milliers de milliards qui existent déjà. La communauté internationale peut répondre à l’effet de ciseaux en « réorientant les milliers de milliards ». Les maigres ressources publiques devraient être utilisées de la manière la plus efficace et la plus efficiente possible et être déployées de façon à catalyser d’autres formes de financements. Les ressources privées doivent être réorientées de manière à avoir un impact plus important sur le développement durable et à servir les ODD.

Références

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Notes

← 1. L’Accord de Paris a aussi débouché sur un cadre pour l’action climatique après 2020, qui engage les parties à limiter le réchauffement planétaire à 2 degrés Celsius au-dessus des niveaux préindustriels et à poursuivre les efforts visant à limiter la hausse de la température à 1.5 C.

← 2. La Banque mondiale a créé le Pandemic Emergency Financing Facility (PEF), mécanisme d’assurance doté de 500 millions USD conçu pour aider les pays en développement exposés au risque d’une pandémie. La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI) est une initiative associant les secteurs public et privé qui est financée par le Wellcome Trust, la Fondation Bill et Melinda Gates, le Forum économique mondial et un certain nombre de gouvernements des pays donneurs, et qui a pour mission de financer la mise au point de nouveaux vaccins contre les infections susceptibles de provoquer des épidémies.

← 3. Seulement environ 50 % des personnes ayant perdu un emploi à temps plein entre 2007 et 2009 étaient employés en janvier 2010 et seulement environ 75 % d’entre elles avaient retrouvé un emploi à temps plein (Farber, 2015[43]).

← 4. Il y a délocalisation de proximité lorsqu’une entreprise transfère des activités vers un pays voisin, de préférence à un pays plus éloigné, notamment.

← 5. Il y a relocalisation lorsqu’une entreprise rapatrie dans le pays d’origine des activités qu’elle exerçait dans des unités situées à l’étranger.

← 6. Le rapport est consultable à l’adresse : http://siteresources.worldbank.org/DEVCOMMINT/ Documentation/23659446/DC2015-0002(E)FinancingforDevelopment.pdf.

← 7. Les institutions de financement du développement (IFD) sont des institutions publiques ou quasi- publiques qui fournissent un soutien financier à des projets du secteur privé dans les pays en développement.

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Chapitre 1. Le financement du développement durable dans un contexte en rapide évolution