5. Implications pour l'action publique

La crise du COVID-19 a révélé les nombreuses inégalités qui caractérisent les sociétés de l’OCDE (OCDE, 2020[1]). En effet, les chocs qu’elle a provoqués sur le marché du travail ont eu des répercussions largement asymétriques entre les différents niveaux de revenu. Les premiers éléments d’information indiquent que, sans l’intervention rapide et exceptionnelle des pouvoirs publics, les chocs auraient gravement creusé les disparités existantes (Brewer et Gardiner, 2020[2] ; Chetty et al., 2020[3] ; Almeida et al., 2020[4] ; Clark, D’Ambrosio et Lepinteur, 2020[5] ; Commission européenne, 2020[6] ; Carta et De Philippis, 2021[7]).

Les plans de relance envisagés offrent une occasion unique d’introduire des réformes qui visent à réduire les inégalités structurelles et le manque de perspectives largement répandu (Boone et al., 2020[8] ; OCDE, 2020[1] ; OCDE, 2020[9]). Mais ces réformes ont besoin d’être suffisamment soutenues par l'opinion publique pour garantir leur durabilité et parvenir à atteindre leurs objectifs à long terme. Toutefois, et souvent à la surprise des décideurs politiques, l'adhésion des citoyens aux interventions des pouvoirs publics en faveur de la redistribution n’a pas beaucoup progressé ces trois dernières décennies (partie 3.4). Pourtant, les disparités de revenu et de salaire ont fortement augmenté, notamment entre les années 1990 et le début des années 2000 (OCDE, 2011[10]), et le niveau actuel des inégalités et de la mobilité intergénérationnelle reste élevé (OCDE, 2018[11]).

Une des raisons fréquemment avancées pour expliquer cet accroissement limité de la demande de redistribution ces dernières décennies est que les individus n’ont pas « conscience » du niveau réel des inégalités autour d’eux ou sont incapables de le déduire à partir des données de la recherche ou des médias. Les données du présent rapport ne vont pas dans le sens de cette affirmation. Dans la zone OCDE, la plupart des individus font part de préoccupations fortes au sujet de l'ampleur des inégalités de revenu. En effet, les niveaux moyens des préoccupations ont augmenté au fil du temps, notamment là où les indicateurs traditionnels des inégalités, comme l’indice de Gini, ont eux aussi augmenté (partie 2.1). Les disparités de salaires perçues ont également fortement augmenté au fil du temps (partie 2.2). Des données récentes de l’enquête Des risques qui comptent font apparaître que les individus perçoivent des inégalités de revenu élevées et une mobilité sociale limitée, en particulier s’ils ont connu des difficultés pendant la crise du COVID-19.

L’ensemble de ces éléments ne cadre pas avec l’idée d’une méconnaissance généralisée. Au contraire, ces données indiquent que les individus ont intégré dans leurs préoccupations et leurs perceptions la hausse des inégalités et la baisse de la mobilité sociale. Et la plupart des citoyens, dans la plupart des pays, demandent instamment une plus grande égalité en matière de résultats économiques et de perspectives.

Mesurer et interpréter les perceptions et les préoccupations des citoyens relatives aux inégalités est essentiel si les responsables de l'action publique veulent concevoir des réformes durables. Les disparités perçues et les préoccupations vis-à-vis des inégalités constituent des facteurs déterminants de la demande de mesures redistributives qui, dans certains cas, dissimulent l’importance du rôle que jouent les caractéristiques socio-économiques, comme le revenu personnel (partie 3.1). L'augmentation des inégalités constatées – tel qu’elles sont mesurées par les indicateurs traditionnels – entraîne une hausse des préférences en faveur de la redistribution uniquement si les préoccupations des individus augmentent dans les mêmes proportions (partie 3.2). Il est donc essentiel de recueillir des informations au sujet des perceptions et des préoccupations afin de concevoir et mettre en œuvre des réformes pour lutter contre les inégalités.

Toutefois, les données présentées dans les chapitres précédents indiquent également qu’une forte demande en faveur de l'égalité ne se traduit pas toujours par l’adhésion de l’ensemble du pays à des mesures de redistribution (partie 3.4). Il est donc indispensable de comprendre pourquoi pour que la conception de l’action publique prenne en compte les préoccupations des individus au sujet des inégalités. Dans ce contexte, quatre points stratégiques apparaissent :

  • L’interconnectivité entre les inégalités de revenu et la persistance intergénérationnelle.

  • Comment concevoir des mesures qui tiennent compte de la nature hétérogène des perceptions des inégalités et de la demande de redistribution.

  • Dans quelle mesure l’efficacité des mesures adoptées a de l’importance pour l’ensemble des citoyens.

  • Comment une opinion publique divisée complique l'action gouvernementale et comment l’information peut y remédier.

Les mesures à long terme adoptées pour lutter contre les inégalités reposent souvent sur le principe selon lequel il existe un simple compromis à trouver entre inégalités de ressources et persistance intergénérationnelle, ainsi une meilleure égalité des chances à la naissance rendrait les inégalités actuelles plus acceptables. Une précédente analyse de données et de mesures adoptées avance qu’un tel compromis n’est pas si évident. En effet, puisque les inégalités d'aujourd’hui en matière de résultats économiques et sociaux déterminent l’accès aux opportunités éducatives et professionnelles, elles créent injustement des situations avantageuses pour certains et défavorables pour d'autres qui sont transmises à la génération suivante (OCDE, 2015[12] ; Atkinson, 2015[13]).

Les éléments de ce rapport soulignent également que, pour les individus, le compromis n’est pas simple. Ils considèrent la persistance intergénérationnelle et les inégalités de revenu comme étant étroitement liées, percevant l’une lorsqu'ils perçoivent l'autre (partie 2.2). De plus, les inégalités de revenu perçues entraînent une hausse de la demande de redistribution même lorsque la persistance intergénérationnelle est perçue comme étant faible, et inversement (partie 3.1). Bien que l’importance accordée aux inégalités de revenu et à la persistance intergénérationnelle diffère d’une société à l’autre, les décideurs politiques ont besoin de prendre en compte le fait que les citoyens appellent à des actions en faveur de la réduction des inégalités qui portent à la fois sur les résultats et les perspectives.

Si les individus se soucient des inégalités en matière de résultats et de perspectives, les préoccupations et les perceptions vis-à-vis des inégalités économiques sont très hétérogènes et touchent à différents aspects. Il existe de grandes différences entre les pays et les individus au sujet du côté de l’échelle de répartition des revenus qui pose le plus problème (si les bas revenus sont trop bas ou si les hauts revenus sont trop hauts), des obstacles à la mobilité intergénérationnelle (par ex. l’instruction ou le patrimoine des parents) les plus difficiles à contrer (chapitres 2 et 4), et de l’origine des disparités (par ex. l’importance de travailler dur pour réussir dans la vie). Les perceptions des inégalités de revenu et de la persistance intergénérationnelle peuvent s'associer différemment, générant ainsi des demandes d’ensemble de mesures différentes, qui peuvent donner plus de poids aux mesures directement ciblées sur les résultats, comme les allocations de chômage, ou à celles qui favorisent l’égalité des chances, comme les mesures en faveur de l’éducation (partie 3.4). Les individus dans différents pays associent également la redistribution à différents types d’intervention, qui vont de la fiscalité progressive à l’aide au revenu, en passant par l’aide au logement et à la santé. Ignorer la diversité de ces facteurs lors de la conception des trains de réformes pourrait conduire à une situation déroutante dans laquelle, malgré une forte demande d'égalité croissante, les réformes ne parviennent pas à rassembler un soutien suffisant de l’opinion publique.

Les données tirées d’observations et d’expériences (partie 3.4) montrent que le soutien des individus en faveur des politiques redistributives dépend de l’efficacité qu’ils entrevoient. La demande est moindre si les individus pensent, à juste titre ou non, que les mesures n’ont qu'un impact limité sur la situation économique des personnes – parce que, par exemple, la plupart des aides ne sont pas dirigées vers ceux qui en ont réellement besoin. Les campagnes d’information au sujet des mesures conçues pour lutter contre les inégalités permettent de susciter une plus forte adhésion citoyenne et peuvent renforcer le lien entre les inégalités perçues et les préférences en matière de redistribution. Il est donc essentiel de concevoir des mesures efficaces, non seulement pour les économistes et les responsables et conseillers de l'action publique, mais aussi pour le soutien de l’opinion publique. Les citoyens ne demandent pas simplement l’adoption de mesures en faveur de la redistribution, ils veulent les voir réellement à l'œuvre et réduire les inégalités et améliorer les perspectives d’avenir.

Les responsables publics doivent également relever le défi de l’évaluation et de la communication de l’action publique. Les gouvernements ont besoin de collecter des données sur les résultats de l’action publique et de les analyser en toute transparence, conformément aux recommandations du Conseil de l’OCDE sur le gouvernement ouvert (OECD/LEGAL/0438). Toutefois, compte tenu de leur indépendance vis-à-vis des décideurs politiques, les chercheurs ont un rôle crucial à jouer dans l’observation minutieuse des données pour éviter que des résultats peu rigoureux n'ébranlent la confiance en des données approuvées par les experts.

Les pouvoirs publics devraient également communiquer des données robustes au sujet des répercussions des mesures. Pour ce faire, il est nécessaire de gagner la confiance des citoyens et de savoir transmettre des messages à un public non spécialiste. L'analyse, proposée dans ce rapport, de la façon dont les personnes façonnent leurs perceptions peut servir de guide pratique pour savoir comment s'adresser aux citoyens.

Si les individus sont généralement en demande d'une plus grande égalité, l’opinion publique est fortement divisée dans les pays de l’OCDE, comme le prouve la forte dispersion des perceptions des inégalités dans la plupart des pays, ce qui alimente des désaccords entre citoyens d’un même pays. Une telle dispersion constitue une difficulté supplémentaire pour la réforme, car toutes les propositions, même si elles sont soutenues par la majorité, sont susceptibles de se heurter à la forte opposition de certains groupes.

La dispersion des préoccupations est liée en partie à la grande hétérogénéité des préférences des individus en matière d'égalité (chapitre 4). Toutefois, elle est également en grande partie liée aux différences de perception du niveau réel des inégalités et de la persistance intergénérationnelle. Des données expérimentales montrent que communiquer aux individus des informations factuelles sur les inégalités modifie leurs perceptions à ce sujet (partie 2.2), bien que cela n’ait qu’un effet limité sur leurs préférences en matière de redistribution (partie 3.4). Favoriser la communication et le débat autour d'éléments tangibles sur l’inégalité pourrait contribuer à mettre en place des bases communes pour le débat public, même si cela n’atténue pas nécessairement les différences d’opinions au sujet de l’action publique. Une première étape importante serait de dissiper la confusion entre le désaccord au sujet du niveau réel des inégalités – des données avec lesquelles tous les individus doivent pouvoir être d'accord – et le désaccord au sujet du niveau d’inégalités qui serait acceptable – en lien avec les préférences et les principes de chacun.

Plusieurs initiatives cherchent à informer les citoyens au sujet de la répartition des revenus et du manque d'égalité des chances afin d'établir des bases communes pour le débat public. Par exemple, l’outil de l’OCDE Comparez votre revenu permet aux citoyens des pays membres de l’OCDE d'évaluer leur position sur l’échelle de répartition de revenus de leur pays, en fonction des meilleures estimations tirées de la Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus (IDD). Les personnes peuvent également s’en servir pour comparer leurs perceptions quant au seuil de pauvreté avec une estimation statistique de l’IDD. L’Opportunity Atlas, réalisé par le Bureau du recensement américain en collaboration avec Raj Chetty, Nathan Hendren et John Friedman, cartographie les résultats économiques des enfants nés dans différentes régions des États-Unis. Toutefois, l’apport d’informations n’induit pas nécessairement une convergence des points de vue. En effet, révéler le profond clivage entre riches et pauvres pourrait exacerber les différences d’opinions le long de l'échelle de répartition des revenus. En outre, compte tenu des multiples raisons à l’origine des divergences entre les perceptions des individus et les mesures objectives (partie 2.2), les pouvoirs publics devraient faire preuve de transparence et de clarté lorsqu’ils communiquent des données empiriques afin d'éviter tout conflit entre leur point de vue expert et celui des citoyens. Placer les données en contexte permet d'éviter ces conflits et aide les individus à assimiler les informations pour, éventuellement, mettre à jour leurs perceptions.

L’examen des évaluations subjectives des inégalités économiques commence souvent par analyser dans quelle mesure les perceptions correspondent à des visions déformées de la réalité. Ce rapport adopte une approche différente. Au lieu d'observer si les estimations des individus correspondent parfaitement aux estimations traditionnelles, il cherche à comprendre quels enseignements tirer de la façon dont les personnes façonnent leurs perceptions et leurs préoccupations, et en quoi cela oriente leur demande en faveur de mesures redistributives.

Le rapport constate que les perceptions que les individus ont des inégalités ne sont pas le résultat d'une réflexion artificielle. Bien qu’elles peuvent ne pas correspondre aux estimations statistiques, les différences internationales des perceptions coïncident parfaitement avec les différences internationales des indicateurs traditionnels (partie 2.2), ce qui sous-entend que les individus assimilent dans leurs points de vue personnels, des éléments de preuve des inégalités économiques. Cependant, ces perceptions varient d’une personne à l’autre et d’un pays à l'autre, quelles que soient les différences entre les mesures réelles, dessinant un tableau complexe. Ces perceptions jouent un rôle dans la demande de redistribution (partie 3.1) et transmettent des informations essentielles au sujet de ce qui compte pour les individus, il est donc nécessaire que les mesures les prennent en considération.

Les préoccupations des citoyens relatives aux inégalités ne devraient pas être considérées comme étant leur description personnelle de la réalité. Comme le montre le chapitre 2, les préoccupations correspondent à une évaluation normative que les individus réalisent à partir non seulement de leurs perceptions du niveau actuel des inégalités, mais aussi à partir de leurs préférences. Même si tous les membres d'une société percevaient le même niveau d'inégalités de revenu, les préoccupations seraient variées parce que différents individus ont différents points de vue quant au niveau d’inégalités considéré comme acceptable.1 Par conséquent, les préoccupations des individus ne peuvent être classées comme étant « bonnes » ou « mauvaises » puisqu’elles sont le reflet de leurs préférences. Il est donc essentiel de séparer les deux composantes – perceptions et préférences – pour comprendre comment les préoccupations relatives aux inégalités changent au fil du temps et d’un pays à l’autre.

Le rapport souligne que le niveau des inégalités (de salaire) préféré a augmenté au fil du temps, mais moins que les disparités perçues (partie 2.3). Il est également pertinent de faire la distinction entre les préférences et les perceptions dans tout débat politique qui cherche à inciter différents groupes et individus à soutenir une réforme, puisqu'il est clairement vain de croire qu’un partage optimal d'informations conduirait à une entente parfaite.

Pour interpréter les données disponibles au sujet des opinions subjectives sur les inégalités, il convient d'adopter une méthodologie minutieuse. Le rapport fournit plusieurs éclairages sur la définition et la mesure des différents aspects qui forment ces points de vue subjectifs. Toutefois, leur ambiguïté nécessite une analyse méthodologique approfondie, compte tenu de la nature pluridisciplinaire de la recherche sur les points de vue subjectifs des inégalités, qui associe des analyses économiques, de sciences politiques, psychologiques et sociologiques. Il est nécessaire de formuler des lignes directrices précises pour toute collecte systématique de données sur les perceptions et les préoccupations relatives aux inégalités économiques. Le Groupe d’experts de l’OCDE sur les nouveaux indicateurs de l'acceptabilité des réformes auprès du public a pour objectif de contribuer à cet effort. Les points soulevés dans les chapitres précédents font apparaître quatre domaines de recherche importants :

  • l’augmentation du volume de données granulaires sur l’ensemble de la répartition des perceptions et des préoccupations ;

  • les préférences en matière de solutions politiques concrètes ;

  • les perceptions de l’efficacité et du fonctionnement des mesures en faveur de la redistribution ;

  • l'évolution des perceptions et des préoccupations au fil du temps.

Il est important d’analyser l’ensemble de la distribution des perceptions et des préoccupations et de collecter des données qui permettent de procéder à une analyse plus granulaire. Aller au-delà du niveau moyen des préoccupations et du soutien en faveur de l’action publique aide à comprendre comment le débat politique peut se diviser et se polariser. Il s'agit donc de prédire les désaccords et les tensions liés à l’introduction de réformes redistributives. Comme le montre le chapitre 4, la dispersion des perceptions et des préoccupations s’est accrue dans la plupart des pays de l’OCDE. Les différences d’ordre socio-économique, comme celles liées au revenu et à l’éducation, n’expliquent qu’une petite partie de la dispersion totale des perceptions et des préoccupations, et une infirme partie de la hausse de la dispersion au fil du temps. Il peut s'avérer utile de mesurer et analyser la distribution des perceptions et des préoccupations parmi les individus d’un pays pour comprendre de nouvelles formes de conflit social.

Les connaissances sont également limitées au sujet de la variabilité des perceptions à un niveau plus granulaire. Bien que les perceptions globales des différents groupes socio-économiques ne soient pas très différentes, leurs opinions au sujet de points précis et leurs perceptions de certaines formes d'inégalité sont peu connues. Par exemple, à partir d’un ensemble conséquent de données, Hviedberg, Kreiner et Stantcheva (2020[14]) constatent que les Danois considèrent les disparités de revenu au sein de leur propre groupe de référence éducatif ou professionnel comme étant les moins justes.2 De plus, les enquêtes les plus courantes ne sont pas représentatives au niveau infranational et ne permettent donc pas d'analyser efficacement les différences de perceptions et de préoccupations à l’échelle locale. Une analyse plus détaillée nécessiterait le déploiement d’efforts considérables pour collecter des données sur les perceptions - par le biais de grandes enquêtes représentatives, par exemple.

Les éléments d’information sont limités quant aux préférences des citoyens en matière de solutions politiques concrètes et à leurs opinions au sujet du rôle d'autres acteurs, comme les syndicats et les entreprises. Les données présentées dans les chapitres précédents indiquent que les individus ont des préférences différentes pour différents assortiments de mesures (partie 3.4), en partie parce que leurs perceptions et leurs préoccupations varient fortement selon les formes d’inégalités, comme les inégalités de revenu au sommet ou au bas de l'échelle de répartition et la persistance intergénérationnelle. Cependant, la relation entre les perceptions et la demande de mesures spécifiques est méconnue.

Les données sont également rares au sujet des préférences en matière de mesures prédistributives qui portent sur les disparités du revenu marchand, comme le salaire minimum et les quotas pour promouvoir la parité hommes/femmes. Certaines enquêtes nationales, souvent menées dans le cadre d’expériences informatives (Kuziemko et al., 2015[15] ; Stantcheva, 2020[16]), portent sur l’intérêt de l’analyse de solutions politiques concrètes - qui comportent des actions de prédistribution – à la fois parce que les individus peuvent adhérer davantage à des assortiments de mesures spécifiques et parce que les désaccords peuvent survenir lorsqu'il s’agit d’envisager des solutions concrètes. Toutefois, dans la plupart des enquêtes internationales, les questions portent sur les préférences en matière de redistribution en général, à l’exception de l’enquête menée récemment sur les inégalités et l'action publique par Pontusson et al. (2020[17]). Des éléments de comparaison supplémentaires peuvent aider à apporter un éclairage sur ce qui détermine les préférences pour des mesures spécifiques, y compris pour des mesures de régulation et prédistributives, et sur les conditions dans lesquelles les différents trains de mesures ont le plus de chance d’être soutenus par le plus grand nombre. L’enquête de l’OCDE Des risques qui comptent, et la nouvelle vague de Comparez votre revenu, sont autant de pas concrets faits dans cette direction puisque ces initiatives recueillent les préoccupations des individus au sujet d'un large éventail de différentes mesures sociales et fiscales – sur les taux d’imposition détaillés ou des avantages sociaux spécifiques.

Dans la même veine que les publications sur les préférences en matière de redistribution, ce rapport s’est concentré sur le point de vue des individus au sujet du rôle des pouvoirs publics dans la lutte contre les inégalités de revenu. Toutefois, les préoccupations relatives aux inégalités peuvent également engendrer une hausse de la demande en faveur de l’intervention d'autres acteurs, comme les syndicats, les entreprises et la société civile. Il peut être intéressant de recueillir l’opinion des citoyens au sujet d’un large éventail d’autres interventions pour comprendre dans quels cas les préoccupations relatives aux inégalités de revenu ne se traduisent pas par une demande de redistribution.

Il existe peu de données sur ce que les individus comprennent des mesures redistributives. Les éléments abordés au chapitre 3 indiquent que l’opinion des personnes à l’égard du fonctionnement et de l’efficacité des mesures contribuent de façon cruciale à façonner le soutien en faveur de la redistribution considérée comme une réponse à la hausse des inégalités.

Les travaux récents de Stantcheva (2020[16]) sur les États-Unis, s'appuient sur un ensemble d’études et de méthodes expérimentales afin d’étudier les opinions très variées des individus au sujet des pouvoirs publics et de l’effet des mesures fiscales en matière de redistribution. Appliquer une approche similaire dans un cadre comparatif pourrait s'avérer utile à la fois pour comprendre les différences entre les pays et pour orienter les réformes au sein de chaque pays.

Le chapitre 2 met en évidence qu’un suivi de l’évolution des perceptions et des préoccupations au fil du temps offre un éclairage fondamental sur la façon dont les individus se forgent leurs opinions et s'adaptent à l’évolution des inégalités. Pourtant, peu d’enquêtes nationales réalisent ce suivi en interrogeant les mêmes répondants à l’occasion de vagues différentes.3 Par conséquent, il existe peu d'analyses sur la façon dont les perceptions et les préférences évoluent ou restent inchangées au fil du temps.

Fong, Kauppinen et Poutvaara (2021[18]) font exception puisqu’ils utilisent les données de l’étude allemande de panel socio-économique pour indiquer que le point de vue des individus évolue au sujet de l’augmentation des transferts au profit des pauvres et de l’imposition des riches. Afin de combler ces lacunes, il serait possible d’inclure une question sur les facteurs subjectifs des inégalités dans les enquêtes de panel longitudinales existantes menées auprès de ménages, éventuellement de façon coordonnée afin que les mêmes questions soient posées dans les différents pays.

Bibliographie

[4] Almeida, V. et al. (2020), « Households´ income and the cushioning effect of fiscal policy measures during the Great Lockdown », JRC Working Papers on Taxation and Structural Reforms, n° 06/2020, Commission européenne, Centre commun de recherche, Séville, https://ec.europa.eu/jrc/sites/default/files/jrc121598.pdf.

[13] Atkinson, A. (2015), Inequality: What can be done?, Harvard University Press, Cambridge, MA, https://www.tony-atkinson.com/new-book-inequality-what-can-be-done (consulté le 2021 October).

[8] Boone, L. et al. (2020), Building back better: enhancing equal access to opportunities for all, https://oecdecoscope.blog/2020/07/21/building-back-better-enhancing-equal-access-to-opportunities-for-all/.

[2] Brewer, M. et L. Gardiner (2020), « The initial impact of COVID-19 and policy responses on household incomes », Oxford Review of Economic Policy, vol. 36/Supplement_1, pp. S187-S199, https://doi.org/10.1093/oxrep/graa024.

[7] Carta, F. et M. De Philippis (2021), « The impact of the COVID-19 shock on labour income inequality: Evidence from Italy », Occasional Papers (Questioni di Economia e Finanza), n° 606, Bank of Italy, https://www.bancaditalia.it/pubblicazioni/qef/2021-0606/QEF_606_21.pdf?language_id=1.

[3] Chetty, R. et al. (2020), The Economic Impacts of COVID-19: Evidence from a New Public Database Built Using Private Sector Data, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w27431.

[5] Clark, A., C. D’Ambrosio et A. Lepinteur (2020), « The Fall in Income Inequality during COVID-19 in Five European Countries », ECINEQ Working Papers Series, n° 565, Society for the Study of Economic Inequality, http://www.ecineq.org/milano/WP/ECINEQ2020-565.pdf.

[6] Commission européenne (2020), Employment and Social Developments in Europe 2020, Luxembourg: Publications Office of the European Union, https://doi.org/10.2767/478772.

[18] Fong, C., I. Kauppinen et P. Poutvaara (2021), « Economic Experiences, Target-specific Beliefs and Demands for Redistribution », mimeo.

[14] Hvidberg, K., C. Kreiner et S. Stantcheva (2020), Social Position and Fairness Views, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w28099.

[20] Kolm, S. (1976), « Unequal inequalities. I », Journal of Economic Theory, vol. 12/3, pp. 416-442, https://doi.org/10.1016/0022-0531(76)90037-5.

[15] Kuziemko, I. et al. (2015), « How Elastic Are Preferences for Redistribution? Evidence from Randomized Survey Experiments », American Economic Review, vol. 105/4, pp. 1478-1508, https://www.jstor.org/stable/43495425.

[1] OCDE (2020), Enhancing equal access to opportunities for all in G20 countries, Éditions OCDE, http://www.oecd.org/economy/enhancing-equal-access-to-opportunities-G20/.

[9] OCDE (2020), « Reconstruire en mieux : Pour une reprise durable et résiliente après le COVID-19 », Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/583cf0b8-fr.

[11] OCDE (2018), L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/bc38f798-fr.

[12] OCDE (2015), Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264235519-fr.

[10] OCDE (2011), Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264119550-fr.

[17] Pontusson, J. et al. (2020), Introducing the Inequality and Politics Survey: Preliminary Findings, https://archive-ouverte.unige.ch/unige:135683.

[19] Rueda, D. et D. Stegmueller (2019), Who Wants What?, Cambridge University Press, https://doi.org/10.1017/9781108681339.

[16] Stantcheva, S. (2020), Understanding Tax Policy: How Do People Reason?, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w27699.

Notes

← 1. Il en va d'ailleurs de même pour l’opinion des spécialistes. Comme l’explique Kolm (1976, p. 416[20]) : « Je peux prendre (...) deux pays au hasard et prouver que les inégalités sont plus élevées dans l’un ou dans l'autre en m'appuyant sur différentes mesures des inégalités. » Afin d’en tenir compte, l’indice Atkinson incorpore explicitement un paramètre qui mesure l’aversion à l’égard des inégalités, et sa valeur évolue en fonction du niveau d’aversion.

← 2. Les auteurs utilisent un échantillon de 9 415 répondants âgés de 45 à 49 ans. La taille de l’échantillon est plus de 9 fois celle des échantillons habituellement utilisés dans les enquêtes telles que le PIES ou Des risques qui comptent.

← 3. L'étude allemande de panel socio-économique et l'étude britannique de panel sur les ménages recueillent les préférences des individus au sujet de certaines mesures redistributives (voir Rueda et Stegmueller (2019[19]) pour un débat à ce sujet).

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