Synthèse : Priorités politiques pour une digitalisation bénéficiant à tous en Afrique

La récession économique entraînée par la pandémie de COVID-19 touche durement les pays d’Afrique. La plupart d’entre eux font face à leur première récession depuis 25 ans : la croissance du produit intérieur brut (PIB) enregistrera vraisemblablement un recul dans 41 des 54 pays en 2020, d’après les prévisions du Fonds monétaire international (octobre 2020). À titre de comparaison, lorsque la crise financière mondiale avait touché le continent en 2009, seuls 11 pays étaient entrés en récession. La crise de COVID-19 a affecté la croissance de l’Afrique par divers canaux externes et internes (tableau 1). Par exemple, la chute des prix du pétrole au cours du premier trimestre 2020 a durement frappé les économies tributaires des produits de base. La paralysie du secteur mondial du tourisme, qui emploie 24.3 millions de personnes dans le continent, a durement touché les pays dépendants du tourisme. La demande intérieure et les échanges régionaux ont pâti des mesures de confinement. Au moins 42 pays ont imposé une interruption partielle ou totale des activités économiques et de la circulation des personnes (CEA, 2020). La crise a également provoqué le report jusqu’en 2021 de la phase de mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine.

La crise mondiale risque de faire sortir l’Afrique de sa trajectoire de développement antérieure au COVID-19. La crise pourrait précipiter quelque 23 millions d’Africains subsahariens dans l’extrême pauvreté au cours de 2020. L’accumulation de capital et la productivité de l’Afrique pourraient rester jusqu’en 2030 à un niveau inférieur à leurs trajectoires d’avant le COVID-19 (Djiofack, Dudu et Zeufack, 2020). Les plus importantes perturbations subies par les économies nationales pourraient prendre la forme d’une baisse de la productivité, d’une moindre utilisation du capital et d’un alourdissement du coût des échanges commerciaux. Il convient d’y ajouter la dégradation des niveaux d’études et de l’état de santé de la population, qui risque de compromettre la capacité de la génération actuelle à mieux gagner sa vie et à accroître son niveau de vie. Ces perturbations ralentiront la transformation productive de l’Afrique et, par conséquent, la réalisation du plan d’action de l’Union africaine intitulé Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons.

Les gouvernements d’Afrique font face à la pandémie de COVID-19 avec de plus faibles ressources financières par habitant que lors de la crise financière mondiale de 2008. Le montant des ressources financières rapporté au nombre d’habitants a diminué au cours de la période 2010-18 tant du point de vue des recettes intérieures que sous l’angle des flux financiers extérieurs, de 18 % et 5 % respectivement (graphique 1). En moyenne, les pays africains disposaient en 2018 de recettes publiques de 384 dollars US (USD) par habitant, contre 2 226 USD pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, 1 314 USD pour les pays en développement d’Asie, et plus de 15 000 USD pour les pays européens et les autres pays à revenu élevé. Le rapport entre les recettes fiscales et le PIB stagnait déjà à 17.2 % depuis 2015 dans 26 pays africains, malgré d’importantes réformes fiscales (OCDE/ATAF/CUA, 2019).

Les recettes publiques continueront de se contracter. Entre 2019 et 2020, le rapport entre les recettes fiscales et le PIB devrait se contracter d’environ 10 % pour au moins 22 pays africains ; l’épargne nationale totale pourrait chuter de 18 %, les transferts des migrants vers l’Afrique de 25 %, et l’investissement direct étranger (IDE) de 40 %. Les bailleurs de fonds se sont engagés à maintenir l’aide publique au développement (APD) aux niveaux d’avant la crise. Les déficits budgétaires risquent, malgré tout, de doubler en 2020. Aussi la dette africaine atteindra-t-elle vraisemblablement environ 70 % du PIB, contre 56.3 % en 2019. Bien que cette moyenne demeure soutenable, le rapport entre la dette et le PIB devrait dépasser les 100 % du PIB dans au moins sept pays. Le moratoire du G20 sur la dette entrée en vigueur en avril 2020 accorde un répit indispensable aux pays africains, mais il demeure insuffisant. Il pourrait être nécessaire de suspendre et, dans certains cas, de restructurer la dette pour libérer des ressources essentielles en vue de réaliser l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Lorsque cela s’avère possible, les créanciers du secteur privé, qui détiennent une part croissante de la dette, devraient être associés aux négociations (voir le chapitre 8). Pour finir, la crise du COVID-19 rend plus que cruciale l’accélération de la transformation productive de l’Afrique et des processus d’intégration continentale.

La digitalisation – l’utilisation des technologies, des données et de l’interconnexion numériques pour transformer les activités existantes ou en créer de nouvelles − est en bonne voie dans les cinq régions africaines. Le continent a enregistré plusieurs réussites retentissantes et dispose d’écosystèmes dynamiques. La révolution des services de paiement mobile en est un exemple bien connu : avec 300 millions de comptes – chiffre le plus élevé au monde –, les services de paiement mobile ont commencé à transformer les marchés de l’emploi africains, à élargir l’accès aux services financiers aux populations non bancarisées et à ouvrir l’accès à des modèles commerciaux innovants aux petites et moyennes entreprises (PME) locales. Le secteur africain des télécommunications, qui est au cœur de la transformation digitale, a affiché une croissance robuste en termes de nombre d’abonnés, de chiffre d’affaires et de dépenses d’investissement. Actuellement, plus de 500 entreprises africaines proposent des innovations technologiques dans le domaine des services financiers (fintech). Johannesbourg et Le Cap en Afrique du Sud, Nairobi au Kenya et Lagos au Nigeria se classent parmi les 100 premières villes au monde du point de vue des écosystèmes de fintech. Un nombre croissant de startups (jeunes entreprises novatrices) et de jeunes Africains férus de technologies numériques tirent parti de ces technologies et des besoins spécifiques de l’Afrique pour déployer des modèles d’activités à forte croissance. La valeur de certaines startups africaines est actuellement estimée à plus de 1 milliard USD (chapitre 1). Plus de 640 technopoles et incubateurs sont actifs au sein du continent, contre 314 en 2016. Néanmoins, pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 et assurer une création massive d’emplois pour les jeunes, la transformation digitale doit se diffuser au-delà de ces îlots de réussite.

Les infrastructures de communication se sont régulièrement développées, et les perspectives de mise en œuvre de nouveaux projets demeurent robustes. En 2018, le financement des infrastructures numériques s’est élevé à 7 milliards USD, dont 80 % avaient pour origine des investisseurs privés (ICA, 2018). La capacité totale de la bande passante entrante internationale au sein du continent a été multipliée par plus de 50 en seulement dix ans pour atteindre 15.1 téraoctets par seconde (To/s) en décembre 2019, contre seulement 0.3 To/s en 2009 (Hamilton Research, 2020). Le réseau de fibre optique opérationnel est passé de 278 056 kilomètres (km) en 2009 à 1.02 million de km en juin 2019. Le nombre d’abonnements de téléphonie mobile a plus que doublé en une décennie et 88 personnes sur 100 en possédaient un en 2018. Environ 58 % de la population vit désormais dans une zone couverte par des réseaux 4G (graphique 2). À travers les programmes phares de l’Agenda 2063, l’Union africaine met en œuvre 114 projets d’infrastructures des TIC qui visent à améliorer les principaux points d’échange Internet, à construire de nouvelles infrastructures de fibres optiques à haut débit et à moderniser les dorsales optiques terrestres existantes (AUDA-NEPAD, 2020).

La jeunesse et le degré de qualifications de plus en plus élevé de la population africaine sont un autre facteur d’accélération de la transformation digitale du continent. Le nombre d’Africains âgés de 15 à 29 ans ayant atteint un niveau d’études correspondant au deuxième cycle du secondaire ou à l’enseignement supérieur est passé de 47 millions en 2010 à 77 millions en 2020. Cette progression est particulièrement notable en Afrique du Nord, où 47 % des jeunes ont au moins atteint un niveau d’études correspondant au deuxième cycle du secondaire (graphique 3). Dans les scénarios de maintien du statu quo, ce chiffre s’élèvera à 165 millions dès 2040. En termes relatifs, le pourcentage de jeunes Africains menant à bien des études de deuxième cycle du secondaire ou d’enseignement supérieur pourrait atteindre 34 % d’ici 2040, se rapprochant ainsi du pourcentage observé en Asie, contre 23 % aujourd’hui. Ce chiffre pourrait même atteindre 73 % (233 millions) à l’horizon 2040 si les pays africains parviennent à reproduire la stratégie d’éducation accélérée mise en œuvre par la Corée.

Malgré les progrès mentionnés ci-dessus, les personnes qui bénéficient des perspectives d’emploi créées par la transformation digitale de l’Afrique sont trop peu nombreuses. Les entreprises de télécommunications et les 20 startups africaines à plus forte croissance emploient environ 300 000 personnes. À lui seul, le secteur numérique ne parviendra manifestement pas à offrir une formation et des emplois aux 29 millions de jeunes par an qui fêteront leur 16e anniversaire d’ici 2030.

Les fortes inégalités sur les marchés du travail limitent la probabilité que la transformation digitale crée des emplois de qualité. Les inégalités du point de vue de l’accès au numérique et des capacités dans ce domaine se manifestent selon trois dimensions interdépendantes, spatiale, sociale et relative à la compétitivité :

  • La concentration de l’économie numérique dans les plus grandes villes du continent accentue l’inadéquation spatiale entre les opportunités d’emplois et la population. Bien qu’aux alentours de 70 % des jeunes Africains (soit 1.4 milliard d’entre eux) résident dans les zones rurales, seulement 25.6 % des habitants des zones rurales africaines disposent d’un accès Internet, contre 35.2 % en Asie et 40.1 % en Amérique latine (Gallup, 2019).

  • Pour la grande majorité de la population en âge de travailler d’Afrique, le secteur informel reste le principal moyen d’entrer sur le marché du travail. Il en est ainsi pour 75 % des diplômés de 15 à 29 ans et pour 88 % des femmes. Les travailleurs informels n’ont que peu recours aux technologies numériques : seulement 16 % des travailleurs indépendants utilisent régulièrement Internet, contre 58 % des salariés.

  • Le continent compte certes un grand nombre d’entrepreneurs en phase initiale, mais l’écosystème de financement demeure fragile. Les entrepreneurs à fort potentiel doivent s’accommoder d’un environnement réglementaire insuffisant pour développer leurs activités et innover. Cela compromet la compétitivité du secteur privé, surtout parmi les micro-, petites et moyennes entreprises.

Les perspectives de création d’emploi reposent en majorité sur la diffusion des innovations digitales à d’autres secteurs, plutôt que de prendre la forme d’emplois directs dans les secteurs numériques. Les possibilités réelles de création d’emplois à grande échelle résident dans la diffusion des innovations numériques des entreprises de pointe dans le reste de l’économie. Le rôle des gouvernements consiste à créer un environnement qui permette aux nombreux acteurs du secteur privé de tirer parti de la digitalisation. La diffusion des innovations numériques dans l’ensemble de l’économie permettra au secteur privé de créer davantage d’emplois.

Bien que de nombreux pays africains aient élaboré des stratégies de digitalisation, celles-ci sont en règle générale exclusivement axées sur le secteur numérique. La plupart des stratégies visent à étendre la couverture des réseaux d’infrastructures de communication, à promouvoir les technopoles et les parcs technologiques, et à mettre en œuvre des réformes réglementaires pour attirer les grandes entreprises. Elles ne ciblent que certains secteurs et tendent à négliger les possibilités de se servir de la digitalisation pour transformer les secteurs non numériques.

De nouvelles stratégies de digitalisation peuvent remédier aux inégalités spatiales, sociales et sur le plan de la compétitivité observées sur le marché du travail et fournir des solutions numériques à l’économie non numérique (graphique 4). Pour remédier à ces inégalités, le présent rapport recommande que les décideurs politiques accordent une attention toute particulière à trois grands axes d’action : i) assurer la diffusion des innovations numériques au-delà des grandes villes, ii) aider les travailleurs informels à accroître leur productivité et iii) donner aux entreprises les moyens de soutenir la concurrence numérique. Les chapitres 1 à 7 du rapport examinent un large éventail de politiques susceptibles de remédier aux lacunes des stratégies actuelles de manière à créer des emplois de qualité dans les cinq régions africaines.

Une politique d’un bon rapport efficacité-coût consiste à réduire les inégalités spatiales pour agir sur les diverses dimensions interdépendantes de la fracture numérique en Afrique, y compris les inégalités d’accès aux outils numériques selon le genre et le statut socioéconomique. Le graphique 5 compare les inégalités du point de vue de l’accès aux téléphones portables et de l’utilisation d’Internet. D’une part, les groupes vulnérables ont un bien moindre accès aux opportunités numériques dans les zones rurales et les petites villes que dans les grandes métropoles. Par exemple, seulement 17 % des travailleurs indépendants qui vivent en milieu rural utilisent Internet, contre 44 % de ceux qui habitent dans les zones urbaines (Afrobarometer, 2019). D’autre part, l’innovation numérique se diffuse trop peu : cinq villes africaines accueillent à elles seules près de la moitié des jeunes startups les plus dynamiques : Le Cap (12.5 %), Lagos (10.3 %), Johannesbourg (10.1 %), Nairobi (8.8 %) et Le Caire (6.9 %) (CUA/OCDE, 2019). De surcroît, 85 % des fonds de capital-risque dont ont bénéficié les startups africaines se sont concentrés sur seulement quatre pays, bien que leur montant ait été multiplié par sept entre 2015 et 2019.

L’extension des technologies numériques aux zones reculées pourrait offrir un bon rapport efficacité-coût. L’amélioration des services de vulgarisation agricole et la connexion des chaînes d’approvisionnement rurales et urbaines peuvent permettre d’emporter de grandes victoires dans la lutte contre la pauvreté et contre le travail informel dans les zones rurales. Une étude faisant le point sur les technologies agricoles innovantes (agritech) en Afrique a mis en évidence que leur principal objectif est d’assurer l’accroissement de la productivité agricole (32 %), l’amélioration des relations commerciales (26 %) et, dans une moindre mesure, l’analyse des données (23 %) et l’inclusion financière (15 %) (Kim et al., 2020). Plus de 83 % de ces solutions de technologie agricole innovantes ne nécessitent pas une connectivité élevée et peuvent fonctionner avec une connectivité intermédiaire.

Le développement des infrastructures à haut débit dans les villes intermédiaires peut être d’un grand intérêt, puisque 73 % des Africains continueront de vivre dans les villes intermédiaires et dans les zones rurales d’ici 2040. En Afrique centrale, seulement 5 % des villes intermédiaires se trouvent dans un rayon de dix kilomètres du réseau de fibre optique terrestre à haut débit, alors qu’en Afrique de l’Ouest elles sont 20 % dans ce cas. Les villes intermédiaires peuvent faire office de centres de transmission desservant l’arrière-pays rural, renforcer les liens entre les zones rurales et urbaines, et favoriser la transformation rurale. Des politiques territorialisées s’avèrent nécessaires pour répartir efficacement le coût des innovations numériques et pour accroître la compétitivité régionale au-delà des grandes villes. Dans l’ensemble des cinq régions d’Afrique, les politiques territorialisées peuvent articuler les politiques sectorielles à l’échelle locale pour tirer parti du potentiel sous-exploité.

L’accès universel aux technologies digitales et aux services Internet est en partie subordonné à l’application de prix abordables. En Afrique, seulement 17 % de la population dispose de suffisamment de moyens pour se procurer un gigaoctet de données, contre 37 % en Amérique latine et Caraïbes et 47 % en Asie. Les coûts les plus faibles sont observés en Afrique du Nord et les plus élevés en Afrique centrale.

Les gouvernements peuvent faire en sorte que les prix soient abordables à l’aide de politiques visant à i) créer de nouvelles alliances public-privé pour promouvoir la connectivité rurale, ii) améliorer l’utilisation des Fonds pour l’accès et le service universels (FASU) et iii) assurer une concurrence loyale entre les opérateurs de télécommunications. En Algérie, au Ghana, au Kenya et au Nigeria, le secteur public a conclu un accord de partenariat avec les entreprises de télécommunications mobiles et avec les fournisseurs d’équipements de télécommunication pour offrir des services mobiles à haut débit d’un bon rapport efficacité-coût à leurs populations rurales. Afin de renforcer les réseaux ruraux à haut débit, le Malawi et quatre autres pays d’Afrique australe ont tenté avec succès de réattribuer à la transmission Internet sur de longues distances les bandes de fréquences vacantes préalablement utilisées par les télédiffuseurs (voir le chapitre 3). Bien que 37 pays africains aient créé des FASU, une étude récente a constaté que 408 millions USD, soit 46 % des fonds mobilisés, n’avaient toujours pas été dépensés fin 2016 (Thakur et Potter, 2018). Le Bénin, le Ghana et le Rwanda ont fait bon usage de leurs FASU en les concentrant sur des programmes d’acquisition de compétences destinés aux femmes entrepreneurs.

Les gouvernements doivent identifier et soutenir les innovations numériques les plus prometteuses pour le développement rural. Les startups spécialisées dans l’agritech et celles dont l’activité est liée à l’exploitation des données sont en plein essor dans tout le continent (tableau 2), et les gouvernements peuvent collaborer avec les entreprises technologiques pour diffuser les meilleures pratiques agricoles. Les nouvelles technologies telles que les contrats intelligents, les solutions de paiement en temps réel et les technologies de registre distribué (également connues sous le nom de blockchain) peuvent profondément transformer le secteur agricole et aider à faire face aux problèmes spécifiques auxquels sont confrontés les petits agriculteurs. Parmi les autres innovations prometteuses pour le développement de l’agriculture figurent notamment les modèles économiques partagés et les outils numériques au service des droits fonciers.

A l’horizon 2040, les travailleurs indépendants et les travailleurs familiaux représenteront 65 % de l’emploi en Afrique si les tendances actuelles se confirment. Leur nombre pourrait s’accroître de 163 % pour atteindre 529 millions de personnes en 2040, contre 325 millions en 2020 d’après les estimations. Même dans le scénario le plus optimiste, où les secteurs manufacturiers et numériques connaissent un essor notable, le travail indépendant demeurera vraisemblablement la principale forme d’emploi pour la majorité des jeunes Africains. Une part non négligeable des jeunes d’âge actif du continent ne suivent plus d’études ni de formation et se trouvent sans emploi ou travaillent dans le secteur informel. Les politiques mises en œuvre doivent les aider à s’engager dans la transformation digitale et leur assurer une protection sociale.

Pour que la digitalisation soit profitable pour lestravailleurs informels et les indépendants, il est nécessaire d’offrir des possibilités d’apprentissage et de développement des compétences tout au long de la vie. Au Maroc, la Fédération des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring s’attache à favoriser l’employabilité dans le secteur des technologies de l’information en mettant en place des formations et des certificats de qualification professionnelle en partenariat avec l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences. En mai 2018, Facebook a lancé NG_HUB à Lagos en collaboration avec Co-creation Hub pour fournir à 50 000 jeunes Nigérians des compétences leur permettant de créer leur propre entreprise et pour constituer une solide communauté d’entrepreneurs basée sur l’apprentissage mutuel (Oludimu, 2018). D’autres initiatives intéressantes sont axées sur l’enseignement et la formation techniques et professionnels à destination des femmes. Tel est le cas des initiatives Women and Digital Skills (Ghana), W.TEC (Nigeria) et WeCode (Rwanda). Les chapitres régionaux de ce rapport apportent des précisions sur d’autres initiatives. Par exemple, en Afrique du Nord, les politiques de collaboration tripartite entre les gouvernements, les universités et le secteur privé facilitent actuellement la création de technopoles et de centres d’incubation en vue du développement des compétences (voir le chapitre 6).

L’apparition de nouvelles formes de travail indépendant à travers l’utilisation de plateformes électroniques et d’applications numériques appelle au renforcement des cadres réglementaires et des régimes de protection sociale pour éviter des conditions de travail précaires. En Afrique du Sud, par exemple, le nombre de travailleurs à la demande augmente de plus de 10 % par an et pourrait s’élever à plusieurs millions dans les prochaines décennies. Les données disponibles à l’échelle mondiale portant sur 75 pays entre 2015 et 2017 portent à croire que les travailleurs à la demande sont souvent confrontés à des conditions de travail précaires, et notamment à des revenus peu élevés et imprévisibles et à une médiocre protection sociale. Les politiques mises en œuvre devraient soutenir les actions collectives pour aider à mieux réglementer le travail à travers des plateformes. Un exemple de ces actions nous est offert par le Kenya, où un groupe de travailleurs en ligne s’est réuni pour former une association en 2019. La mise en place de normes internationales et la promotion de la certification pour encourager un comportement commercial responsable de la part des principales plateformes pourraient également contribuer à éliminer les pratiques déloyales et à tenir ces plateformes pour responsables sans pour autant compromettre ce moyen de subsistance des travailleurs locaux.

Les entreprises africaines éprouvent des difficultés à se développer et à innover à l’ère du numérique. Actuellement, seulement 17 % des entrepreneurs dans la phase initiale de leur activité espèrent créer au moins six emplois, ce qui constitue le plus faible pourcentage au monde. Et ce bien que la population africaine s’enorgueillisse de posséder le plus fort pourcentage d’entrepreneurs au monde, ceux-ci représentant environ 22 % de la population active (BAfD/OCDE/PNUD, 2017). Même lorsqu’ils ont des idées d’entreprise prometteuses, un grand nombre d’entrepreneurs dans la phase initiale de leur activité éprouvent des difficultés à obtenir des prêts auprès des systèmes bancaires locaux. Seulement 5.4 % de l’ensemble des fonds disponibles sont alloués à des startups ayant moins de cinq ans d’existence. Les startups dirigées par des femmes ne bénéficient que de 2 % des moyens de financement, bien que les femmes entrepreneurs soient plus nombreuses en Afrique que dans les autres régions du monde1.

Les gouvernements peuvent aider les entreprises dynamiques à tirer parti des possibilités commerciales ouvertes par le numérique, faciliter l’enregistrement de la propriété intellectuelle et renforcer l’accès des jeunes startups aux moyens de financement. Les principaux domaines dans lesquels ils peuvent leur apporter un soutien sont les suivants :

  • Une plus grande adoption du numérique renforcera la croissance et la résilience des entreprises, en particulier si les politiques encouragent également la diffusion de l’innovation numérique parmi les PME (graphique 6). Les gouvernements doivent par exemple s’attaquer aux goulets d’étranglement dans le domaine du commerce électronique transfrontalier en favorisant les paiements électroniques internationaux, ainsi que les livraisons, les normes et la certification transfrontières. Les entreprises peuvent accroître leur compétitivité en renforçant leur présence en ligne et leurs services après-vente. Les entrepreneurs africains peuvent s’appuyer sur la connectivité numérique pour pénétrer de nouveaux créneaux. Un exemple en est la rapide croissance en ligne du Nollywood nigérian, un secteur cinématographique qui emploie environ 1 million de personnes.

  • Les gouvernements peuvent encourager les entrepreneurs à enregistrer leur propriété intellectuelle en simplifiant les procédures de demande, en réduisant le coût d’enregistrement et en adaptant les mécanismes de lutte contre les infractions à la législation en la matière. Par exemple, les droits d’enregistrement des brevets sont au Kenya de 13.3 fois supérieurs au PIB par habitant du pays (le ratio est de 10.2 au Sénégal et de 7.9 en Éthiopie), alors que le rapport entre ces deux valeurs n’est que de 0.4 dans le cas de la Malaisie.

  • L’amélioration des méthodes d’évaluation des risques, des programmes d’accélération destinés aux entrepreneurs, des marchés publics et des mécanismes de garantie publique peut accroître dans tous les pays les moyens de financement disponibles pour les jeunes startups locales. Les pays qui disposent d’un fonds souverain devraient envisager de mettre en place de petits fonds de capital-risque au sein de leurs structures d’investissement afin de soutenir le développement des écosystèmes de startups et de PME. Le FSDEA (Fundo Soberano de Angola) en Angola, le fonds Okoumé Capital au Gabon et le fonds Teranga Capital au Sénégal en sont des exemples.

Sans une plus grande coordination régionale et continentale, les stratégies nationales ne parviendront pas à assurer la transformation digitale. L’essor des technologies numériques pose de nouveaux problèmes complexes aux organismes de réglementation au niveau national, dont la fiscalité à l’ère du numérique, la sécurité numérique, le respect de la vie privée, la protection des données personnelles et les flux de données transfrontières. L’évolution rapide des technologies, leur dimension mondiale et leur nature transfrontière − auxquelles les gouvernements doivent répondre avec des cadres réglementaires et des mécanismes d’application « adaptés à l’objectif recherché » − amplifient ces problèmes (OCDE, 2019). La plupart des stratégies nationales visent à transformer un pays en « centre numérique régional », mais elles ne font pas une priorité de la coopération régionale et continentale. Les organismes de réglementation nationaux ne peuvent pas gérer isolément les problèmes liés à la technologie. S’ils ne résolvent pas les problèmes au niveau régional et continental, les gouvernements risquent de ne pas être en mesure de tirer tous les avantages potentiels offerts par la transformation digitale, pour les entreprises africaines comme sous l’angle de la création d’emplois. À ce jour, seulement 28 pays d’Afrique ont mis en place une législation de protection des données personnelles, et ils sont 11 à avoir adopté des lois substantielles sur la cybercriminalité. Serianu (2017) estime que le coût de la cybercriminalité en Afrique s’est élevé à environ 3.5 milliards USD en 2017.

L’enquête auprès d’experts conjointement réalisée en 2020 par la CUA et l’OCDE pour les besoins du présent rapport a identifié trois axes de coopération régionale et continentale susceptibles d’aider à créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité (graphique 7) :

  • assurer des services d’itinérance intra-africaine à un prix abordable

  • harmoniser les cadres de réglementation des données

  • améliorer la coopération continentale dans le domaine de la sécurité numérique.

S’ils s’attaquent à ces problèmes au niveau régional et continental, les gouvernements africains seront en mesure de tirer les avantages plus larges de leurs stratégies de digitalisation. À titre d’exemple, le développement des infrastructures physiques devrait s’accompagner de politiques réglementaires promouvant l’accès à la bande passante pour un prix abordable. L’accélération de la coopération dans le domaine des services d’itinérance, de la réglementation des données et de la sécurité numérique accroîtra les échanges intra-africains et l’intégration productive du continent. Les progrès dans ces trois domaines ouvriront la voie à la constitution d’ici 2030 d’un marché unique numérique panafricain et à la mise en œuvre de la Stratégie de transformation digitale pour l’Afrique 2020-2030 de la Commission de l’Union africaine. Cette stratégie prévoit « une société et une économie numériques intégrées et inclusives en Afrique qui améliorent la qualité de vie des citoyens africains, renforcent le secteur économique existant, en permettent la diversification et le développement, et garantissent au continent la maîtrise de son destin, l’Afrique assumant un rôle de producteur et pas uniquement de consommateur au sein de l’économie mondiale ».

Références

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Wittgenstein Centre for Demography and Global Human Capital (2018), Wittgenstein Centre Data Explorer Version 2.0(Beta) (base de données), www.wittgensteincentre.org/dataexplorer (consulté le 13 octobre 2020).

Note

← 1. 1.À l’échelle mondiale, les plus forts taux globaux d’activité entrepreneuriale des femmes sont observés en Afrique subsaharienne (de 21.8 % à 25.0 %) et dans la région Amérique latine et Caraïbes (17.3 %), tandis que le taux moyen mondial est de 10.2 %. Au Nigeria, environ quatre femmes d’âge actif sur dix sont engagées dans des activités entrepreneuriales à un stade initial (40.7 %).

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