3. Renforcer la confiance, améliorer la transparence et la communication

Les résultats de l’enquête montrent clairement qu'il est nécessaire de renforcer la confiance entre les administrations fiscales et les entreprises, et les tables rondes ont révélé une volonté des deux parties d'améliorer les relations entre les gros contribuables/leurs conseillers d'une part et les administrations fiscales d'autre part.

La confiance a été au centre de bon nombre des discussions qui ont eu lieu pendant les tables rondes et a été considérée comme faisant partie intégrante d'autres dimensions, dont la transparence et la communication. La « confiance » dans ce contexte désigne la confiance à l’égard des processus et à la bonne foi de toutes les parties. La fiscalité étant une matière complexe, les désaccords sont inévitables, en particulier au sujet des questions de fiscalité internationale. L'amélioration des relations entre contribuables et administrations fiscales devrait limiter les différends mais ne saurait les éliminer totalement. Néanmoins, l'amélioration de la confiance devrait en permettre le règlement, chaque partie reconnaissant que des positions différentes des siennes peuvent être valides et, surtout, acceptant les résultats d’une procédure de règlement des différends, sans que sa volonté d’entretenir de bonnes relations avec l'autre partie en soit affectée.

Établir la confiance n’est ni simple ni rapide, et il n’existe pas de solution unique. De même, la confiance ne peut pas être instaurée par une seule partie. L'établissement de la confiance suppose un engagement et des actes de la part des contribuables comme des administrations fiscales. Même si l’objectif global reste d'améliorer le civisme fiscal des contribuables, il est nécessaire de rechercher les mesures qui peuvent être prises par toutes les parties parce que de nombreux facteurs peuvent influer sur ce civisme. L’intérêt croissant des investisseurs, des médias, des organisations de la société civile et, plus largement, de la population pour la situation fiscale des grandes entreprises est le signe qu'un éventail plus large d'acteurs pourraient jouer un rôle. Les actions concrètes qu'ils pourraient mener n’entrent toutefois pas dans le champ de la présente étude.

Cette section présente des bonnes pratiques et des recommandations qui ont émergé des tables rondes régionales, de même que les domaines dans lesquels d'autres travaux seraient nécessaires. Ces recommandations ont été regroupées et organisées autour de quatre thèmes qui, même s’ils ne s’excluent pas mutuellement (à titre d’exemple, le renforcement des capacités est ou peut être présent dans tous les thèmes), illustrent les différentes dimensions à prendre en compte pour instaurer une relation de confiance entre administrations fiscales et entreprises. Ces thèmes sont les suivants :

  • Discipline fiscale et stratégies de vérification fiscale

  • Comportements attendus et redevabilité

  • Transparence et communication

  • Renforcement des capacités

Les actions proposées englobent à la fois des mesures relativement simples à mettre en œuvre et des réformes plus complètes pouvant nécessiter des ressources importantes. Obtenir un accord en matière d'investissement en temps et en ressources nécessaires peut être difficile, en particulier lorsque les ressources humaines et financières sont limitées, comme c’est le cas dans beaucoup d'administrations fiscales et d’entreprises. L’investissement dans ces mesures peut certes être très rentable, mais certains des investissements nécessaires concernent des aspects peu connus parce qu'ils sont moins axés sur les processus et qualifications techniques que sur des compétences professionnelles de nature à créer un climat de confiance et de compréhension mutuelle.

Ces mesures peuvent obliger les administrations fiscales à mobiliser davantage de ressources dans un premier temps, mais permettre la réalisation d'économies à moyen et long terme. Au fil du temps, l’amélioration de la confiance, de la communication et de la transparence vis-à-vis des contribuables devrait permettre de réaliser des économies. Des relations plus solides permettront de mieux hiérarchiser les ressources par ordre de priorité, en particulier grâce à un meilleur ciblage des vérifications fiscales, qui limitera le temps de traitement des dossiers et les différends.

Du point de vue des entreprises, l'amélioration potentielle de la sécurité juridique en matière fiscale est un avantage évident. De plus, la fiscalité préoccupant de plus en plus les actionnaires, en particulier ceux qui appliquent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), de plus en plus de multinationales devraient être en position de défendre les investissements qui concernent les mesures améliorant la confiance, la communication et la transparence.

Le principal obstacle à la mise en œuvre de mesures visant à renforcer la confiance et à améliorer la communication et la transparence pourrait être l’incertitude autour de la réciprocité des efforts. Ces mesures servant l’intérêt des contribuables comme des administrations fiscales, il y a de bonnes raisons de penser que les efforts seront réciproques. Le changement peut cependant prendre du temps. En conséquence, les nouvelles approches ne doivent pas être envisagées comme des projets à court terme et même s'il peut arriver que des résultats apparaissent rapidement, il ne faut pas partir du principe qu’ils seront immédiats. En outre, communiquer des informations claires au sujet des changements et de ce qui en est attendu est vraisemblablement un moyen de favoriser la réciprocité. De même, solliciter des avis et y réagir permet d'accélérer le processus. Il est donc utile de définir une stratégie de renforcement de la confiance claire, soutenue par l’encadrement de haut niveau. Il peut s'agir d’une stratégie de discipline coopérative en bonne et due forme, mais il est également possible de commencer plus modestement.

Il est important d'instaurer un environnement propice au respect des obligations. Les stratégies bien conçues peuvent renforcer la confiance, tandis que celles qui sont mal conçues et/ou mal appliquées peuvent l’affaiblir et dissuader d’entretenir des relations franches. Les tables rondes ont mis en lumière des stratégies susceptibles de favoriser la confiance et le dialogue.

La « discipline fiscale coopérative » recouvre des approches qui offrent un cadre pour établir avec les contribuables une relation fondée sur la coopération et la confiance (OCDE, 2016[1]). Ce concept est à opposer à une relation fondée sur la coercition ou sur des obligations. En plus de décrire le processus de coopération, il traduit l'idée que la coopération est un objectif qui fait partie intégrante de la stratégie de gestion des risques d'indiscipline adoptée par l'autorité fiscale : il s'agit de permettre le paiement du juste montant au moment voulu. La discipline fiscale coopérative suppose que dans le cadre de leurs relations avec les contribuables, les administrations fiscales fassent preuve d’une compréhension fondée sur la connaissance des réalités commerciales et sur les principes d’impartialité, de proportionnalité, d’ouverture via la communication de renseignements et la transparence, et de réactivité. En contrepartie, les contribuables font preuve de transparence dans leurs relations avec les administrations fiscales et communiquent des renseignements.

Lors de toutes les tables rondes, la discipline fiscale coopérative a été jugée souhaitable, en particulier par les entreprises. Dans certains cas, elle a été évoquée sous la forme d’une amélioration de la relation entre le contribuable et l’administration fiscale. Il a été souligné qu'il était peut-être plus judicieux de la voir comme une finalité que comme un point de départ parce qu'il faut déjà qu'une certaine confiance existe pour pouvoir mettre en place un cadre complet reposant sur la discipline coopérative. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les multinationales ont classé les programmes de discipline fiscale coopérative en bas de la liste des outils susceptibles d'améliorer la sécurité juridique en matière fiscale (entre le 19e et le 21e rang sur 25 mesures possibles, toutes régions confondues).

La discipline fiscale coopérative est susceptible de mobiliser beaucoup de ressources, mais peut se révéler rentable à long terme. La discipline coopérative peut être difficile à mettre en œuvre, du moins dans son intégralité, par les pays en développement dotés de faibles capacités. À titre d’exemple, gérer le dialogue en « temps réel » envisagé dans le cadre de la discipline coopérative peut être difficile compte tenu des capacités existantes. De plus, lorsque la confiance est limitée, il peut être impossible de passer directement à la discipline coopérative, même si les ressources nécessaires sont disponibles : la discipline coopérative peut faire naître la confiance, mais elle suppose dès le départ un minimum de confiance. Il y a donc eu des discussions sur la forme que pourrait prendre une « version allégée » de la discipline fiscale coopérative, discussions qui ont surtout porté sur les points de départ à retenir par les pays et les entreprises.

L'établissement d’un programme de discipline fiscale coopérative suppose un engagement et des actes de la part des contribuables comme des administrations fiscales. En l’absence d’engagement des contribuables et des administrations fiscales, la discipline fiscale coopérative est vouée à l'échec. Ainsi, si les contribuables ne s’engagent pas à appliquer des cadres de contrôle fiscal (Tax Control Frameworks, TCF - voir la partie Cadres de contrôle fiscal ci-après), les administrations fiscales risquent de réaliser de gros investissements pour améliorer les services aux contribuables sans recevoir de ceux-ci le volume d'informations et la coopération de nature à justifier l’investissement.

Beaucoup de pays en développement s’orientent vers une stratégie de discipline fiscale coopérative. Cinquante-trois des 101 pays en développement qui participent à l’Enquête internationale sur les administrations fiscales (ISORA)1 déclarent être dotés d'un programme de discipline fiscale coopérative pour les gros contribuables (des exemples de pays d’Amérique latine sont présentés dans l’Encadré 3.1). Il peut toutefois y avoir des différences d'interprétation quant à ce que recouvre la discipline fiscale coopérative, des études montrant une forte disparité au niveau des exigences et procédures entre des pays qui déclarent être dotés d'un régime de discipline fiscale coopérative (Martini, 2022[2]). Si une variation d’un pays à l’autre n’est pas anormale, notamment en raison de différences juridiques et structurelles, une trop grande diversité des approches estampillées « discipline fiscale coopérative » peut être source de confusion pour les contribuables comme pour les administrations fiscales. Le WU Global Tax Policy Center a, en coopération avec la Chambre de commerce internationale et l’Association des administrateurs fiscaux du Commonwealth, élaboré un guide de la discipline fiscale coopérative qui recense et décrit les principales composantes de programmes de discipline fiscale coopérative efficaces (Owens, 2021[3]). De même, plusieurs bonnes pratiques citées pendant les tables rondes et présentées succinctement dans ce rapport pourraient être intégrées à un cadre de discipline fiscale coopérative.

Les entreprises et les autorités fiscales qui ont participé aux tables rondes ont insisté sur l'intérêt d'adopter des méthodes basées sur les risques pour réaliser les vérifications fiscales et/ou de perfectionner ces méthodes. Elles permettent aux administrations fiscales d'améliorer l’efficience et la rentabilité des vérifications et d'utiliser moins de ressources avec plus d’efficacité, et sont un moyen de réduire le coût du respect des obligations fiscales pour les contribuables à faible risque.

Les stratégies fondées sur les risques peuvent aussi, indirectement, influer sur l'approche des contribuables en matière de discipline fiscale. Lorsque des approches fondées sur les risques sont utilisées, les entreprises sont vraisemblablement plus enclines à adopter un comportement moins risqué et à améliorer leurs procédures de contrôle interne pour réduire le risque. À l'inverse, en l’absence de ce type d'approches, l’appétence pour le risque fiscal augmente, en particulier parce que le contribuable ne peut pas avoir la certitude qu’un risque fiscal moindre serait synonyme de plus grande sécurité juridique en matière fiscale.. Une étude portant sur 15 514 entreprises réparties dans 54 pays a montré que la réalisation de vérifications fiscales en fonction des risques allait de pair avec une évasion fiscale moindre. Le même étude révèle également que cette approche réduit le coût des mesures répressives et améliore les résultats des autorités fiscales. (Eberhartinger, 2021[4])

La réalisation de vérifications fiscales en fonction des risques peut à long terme réduire le coût des mesures répressives, mais elle peut accroître les ressources nécessaires à court terme, ce qui est source de difficultés pour certains pays en développement. Il existe des outils de plus en plus sophistiqués pour analyser les données afin d'évaluer le risque, mais leur conception peut nécessiter beaucoup de ressources. Les administrations fiscales doivent donc concevoir des systèmes d'analyse des risques en fonction de la précision et de la sophistication des ressources (humaines et financières) dont elles disposent, en n’oubliant pas que le but n’est pas de parvenir à une précision absolue, celle-ci étant l’objectif de la vérification elle-même. Cette approche suppose de définir des indicateurs de risque, dont il peut exister différents types (indicateurs du risque fiscal général de différentes catégories de contribuables, indicateurs relatifs aux antécédents du contribuable, indicateurs mesurant les écarts entre la performance actuelle et les normes et les informations provenant de tiers). Le CIAT a publié sous le titre Manual on Non-Compliance Risk Management for Tax Administrations (CIAT, 2020[5]) un manuel pour aider les administrations fiscales à gérer les risques.

La mise au point d'approches fondées sur les risques peut aussi faciliter la résolution d'autres problèmes cités lors des tables rondes, notamment de difficultés liées au volume de renseignements demandé. Si les agents se concentraient sur les principaux risques, en ce qui concerne les informations demandées dans la première déclaration et les demandes de renseignements ultérieures, le volume d’informations exigé serait plus faible et les informations demandées seraient plus ciblées, ce qui allégerait l’analyse des données pour l’administration et le respect des obligations pour le contribuable. À noter toutefois que ces approches engendrent d’autres difficultés. Il faut en effet veiller à ce que les informations utilisées pour l'analyse des risques soient dignes de confiance et ne soient pas biaisées, ce qui peut nécessiter d’investir dans des outils de nettoyage et de tri des données, en particulier en cas d’utilisation d'algorithmes automatiques.

Les approches fondées sur les risques peuvent aider les administrations à utiliser plus efficacement les données, mais elles n’éliminent pas la nécessité d’un dialogue allant au-delà de l’échange de données. Il arrive qu’il y ait des différences d'interprétation entre les administrations fiscales et les contribuables, mais une approche fondée sur les risques peut offrir une structure pour dialoguer et garantir que le dialogue porte sur les aspects les plus pertinents.

Les administrations fiscales qui adoptent ce type d’approches doivent déterminer quel volume d’informations elles sont prêtes à divulguer sur la question.. La transparence peut être un bon moyen de faire évoluer certains aspects du comportement des contribuables et de renforcer la confiance. Toutefois, trop informer risque d’encourager les contribuables à faire en sorte de se situer juste en deçà des seuils. Les administrations fiscales pourraient aussi échanger davantage d'informations entre elles pour faciliter l'évaluation des risques. À titre d’exemple, le CIAT a créé une base de données qui regroupe des dossiers transnationaux dans lesquels il y a érosion de la base d'imposition, afin que ses membres puissent plus facilement échanger des informations sur l'optimisation fiscale abusive.

Les participants aux tables rondes se sont accordés à reconnaître qu’il est plus facile d'établir des relations quand le comportement attendu est clair et plus encore lorsqu'une forme quelconque de redevabilité existe. Il en va ainsi pour les contribuables comme pour les administrations, même si les mécanismes à l’œuvre ne sont pas les mêmes. En outre, la nécessité de faire émerger une forme de redevabilité a également été au centre des discussions concernant la réduction des possibilités de corruption et d'abus.

Les administrations, les contribuables et les conseillers devraient tous s’intéresser à la manière dont les objectifs et les objectifs de résultats chiffrés influent sur les relations. Certaines entreprises ont émis des craintes selon lesquelles faire d’objectifs chiffrés précis en matière de montant de l’impôt la seule ou la principale base d’évaluation des résultats d’un vérificateur fiscal nuise à l'instauration d’un climat de confiance, cette pratique pouvant conduire à des méthodes de vérification agressives de la part de l’administration. De même, les entreprises et leurs conseillers devraient eux aussi se demander si leurs pratiques ne favorisent pas une approche trop agressive. Au cours de la table ronde, il a été proposé que les investisseurs évaluent les performances d'une entreprise d'après ses résultats avant impôt, de telle manière que les entreprises n'aient pas intérêt à recourir à des stratégies d'optimisation fiscale.

À noter également, même si cet aspect n’entre pas dans le champ du présent rapport, que la communication d’informations ESG englobe de plus en plus souvent des informations sur l'impôt. Certaines normes relatives à la communication d’informations ESG, par exemple la Global Reporting Initiative et les indicateurs ESG du Conseil international des affaires du Forum économique mondial, prévoient la divulgation d'informations sur l’impôt. Même si le respect de ces normes est facultatif, on attend de plus en plus des entreprises qu’elles adaptent leurs pratiques fiscales (en particulier l'information du public) en conséquence, et la conformité à ces normes est de plus en plus souvent exigée des entreprises qui souhaitent être présentes dans des portefeuilles ESG.

L’existence de lignes directrices à l'intention des grandes entreprises va de pair avec une plus grande confiance à l’égard des gros contribuables. En présence de ces lignes directrices, l'administration a généralement le sentiment que les contribuables les respectent, ce qui laisse penser qu’elles sont un bon moyen de définir le comportement attendu. De leur côté, les multinationales considèrent ce type d’outil comme un des meilleurs moyens d'accroître la sécurité fiscale (chapitre 2). Lors de la rédaction de nouvelles lignes directrices, il faut veiller à ce qu’elles soient suffisamment détaillées. Certaines entreprises ont en effet signalé que le manque de détails pouvait poser des problèmes parce qu'il risquait d’entraîner un manque de prévisibilité de l’interprétation et une opacité du processus décisionnel.

Il est important de veiller à ce que les lignes directrices soient connues à tous les niveaux. Comme souligné dans le chapitre 2, certains agents des services fiscaux ont l’impression que les lignes directrices en place ne sont jamais utilisées, et il semblerait qu’au sein d’une même administration, tous les agents ne soient pas informés de manière homogène de leur existence. En conséquence, outre informer les contribuables que des lignes directrices sont en place, il faut aussi sensibiliser le personnel en interne.

Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (OCDE, 2011[6]) fournissent des orientations internationalement reconnues aux multinationales de pays qui adhèrent aux Principes directeurs ou qui sont présentes dans ces pays, et instituent un réseau de Points de contact nationaux (PCN) pour le règlement des différends liés à l'application des Principes directeurs. Ces Principes directeurs, le seul code pour une conduite responsable des entreprises qui soit complet et adopté de manière multilatérale et que les pouvoirs publics se soient engagés à promouvoir, contiennent un chapitre sur la fiscalité. Ce chapitre exhorte les multinationales à respecter à la fois la lettre et l’esprit de la législation fiscale des pays où elles ont des activités. Il précise que les conseils d'administration des multinationales doivent adopter des stratégies de gestion des risques fiscaux. Les PCN permettent de disposer d'un mécanisme de règlement des différends non judiciaire grâce auquel toute personne ou organisation ayant un intérêt légitime peut saisir le PCN en cas de non-respect des Principes directeurs par une multinationale du pays du PCN ou exerçant des activités dans ce pays. À la date de rédaction du présent rapport, on dénombrait 18 saisines au titre du chapitre sur la fiscalité.

Les chartes du contribuable clarifient ce que le contribuable peut attendre en termes de service, et l’existence d'un médiateur fiscal facilite la résolution de problèmes procéduraux et administratifs. Beaucoup de pays ont institué des chartes du contribuable, qui constituent un point de repère quant à la qualité des services administratifs que peut attendre le contribuable. Ces chartes définissent les droits et obligations des contribuables et indiquent ce qu'ils peuvent escompter dans le cadre de leurs relations avec l’administration fiscale. Pour plusieurs des entreprises qui ont participé aux tables rondes, elles présentent l'intérêt d'améliorer la formation et la gouvernance interne des administrations fiscales plus qu’elles ne servent de référence dans des situations de non-respect de leur contenu.

Même quand des chartes du contribuable existent, des difficultés en lien avec les actes administratifs des services fiscaux peuvent se présenter. En pareil cas, la possibilité de recourir à un médiateur permet parfois de résoudre les problèmes rapidement et de restaurer la confiance. Le médiateur fiscal est indépendant de l’administration fiscale et, en règle générale, n'accepte d’examiner les recours qu'après épuisement des mécanismes de recours internes à l’administration. Le plus souvent, ses conclusions et/ou instructions s'imposent à l’autorité fiscale, si bien qu’il peut être plus rapide et moins coûteux de s’en remettre au médiateur que de saisir un tribunal. Outre son rôle précieux dans le règlement des litiges individuels, il est à même de repérer des problèmes systémiques ou nouveaux à signaler à l’autorité fiscale. Au cours des tables rondes, il a été souligné que le recours au médiateur était un bon moyen de préserver et de restaurer la confiance entre les autorités fiscales et les contribuables, et certaines caractéristiques indispensables pour qu'il remplisse son rôle efficacement ont été citées (Encadré 3.2).

Le médiateur est compétent en ce qui concerne les fonctions liées à l'administration de l’impôt, mais le contribuable doit aussi savoir à quoi s'attendre en cas de procédures devant les tribunaux. Cet aspect a été peu abordé durant les tables rondes parce qu’il sort du champ de compétence des administrations fiscales, mais il constitue une préoccupation importante. Un traitement imprévisible ou incohérent de la part des tribunaux est la cinquième source d'insécurité fiscale en Asie et la septième dans la région ALC (elle arrive en 11e position en Afrique et en 12e position dans la zone OCDE). Peut-être faudrait-il que les pays trouvent des moyens d'apporter des garanties concernant le traitement des contribuables par l'appareil judiciaire, par exemple de garantir une application objective des règles générales de lutte contre l’évasion fiscale par le biais de mesures telles que le recours à des collèges d’experts et une transparence concernant les affaires.

Les cadres de contrôle fiscal ont évolué parallèlement à la discipline coopérative, et dans beaucoup de pays les contribuables doivent en être dotés pour avoir accès à un programme de discipline fiscale coopérative. Un cadre de contrôle fiscal est la composante du système de contrôle interne qui vérifie que les déclarations de revenu d'une entreprise et les informations qu’elle divulgue sont justes et complètes. Son importance tient au fait qu’il peut garantir de manière vérifiable que les informations et déclarations communiquées par un contribuable sont à la fois exactes et complètes, ce qui va au-delà de l’obligation de soumettre des déclarations de revenu exactes, l’accent étant mis sur la divulgation d'informations et la transparence. Dans ce contexte, la divulgation d'informations renvoie au consentement du contribuable à informer l’administration fiscale des positions fiscales incertaines ou contestables adoptées dans sa déclaration et à aller au-delà des obligations de communication d'informations prévues par la loi. Quant à la transparence, elle renvoie au fait que le contribuable fournit suffisamment d'informations sur son système de contrôle interne pour que l’administration fiscale lui fasse confiance. De ce point de vue, le cadre de contrôle fiscal peut être une composante utile de l’analyse du risque (voir la partie sur les approches fondées sur les risques en matière de vérification fiscale). Bien souvent, il est une composante du système de contrôle général de l’entreprise.

La publication intitulée Co-operative Tax Compliance: Building Better Tax Control Frameworks (OCDE, 2016[1]), parue en 2016, décrit les six caractéristiques essentielles d'un cadre de contrôle fiscal : une stratégie fiscale doit être définie et endossée au plus haut niveau de l’entreprise ; le cadre doit être appliqué de manière exhaustive, c’est-à-dire couvrir toutes les transactions susceptibles d'avoir une incidence sur la position fiscale de l’entreprise ; les responsabilités doivent être attribuées clairement, étant entendu que la responsabilité ultime est assumée par le conseil d'administration, tandis que la division chargée des affaires fiscales est responsable de l’application (et dispose de ressources à cette fin) ; la gouvernance du cadre doit permettre de garantir que toutes les transactions et tous les événements concernés font l’objet d'une vérification, mais aussi qu'il en reste une trace écrite ; le cadre doit faire l’objet d’un suivi et être régulièrement testé. Ensemble, les cinq premières caractéristiques doivent permettre de remplir la sixième obligation, ce qui permet de garantir une bonne maîtrise des risques fiscaux. La configuration exacte et la mise en œuvre du cadre varient d'une entreprise à l’autre et en particulier d'un secteur à l’autre.

De plus en plus de multinationales sont déjà dotées d’un cadre de contrôle fiscal. Dans l’idéal, un cadre de contrôle fiscal couvre les activités de la multinationale dans le monde entier, sans se limiter aux pays qui subordonnent l’accès aux programmes de discipline fiscale coopérative à l’existence d'un cadre de contrôle fiscal. Lorsqu’un tel cadre est en place, il peut constituer un outil utile pour instaurer la confiance. La mise en place d’un cadre de contrôle fiscal peut être un premier pas vers la discipline coopérative et peut encourager l’administration fiscale à adopter cette approche. Les administrations fiscales qui ne connaissent pas bien les cadres de contrôle fiscal peuvent avoir besoin d'aide pour la mise au point de processus permettant de les tester ou de les évaluer. Ce type d'accompagnement et de formation pourrait faire partie intégrante du renforcement des capacités en matière de discipline fiscale coopérative.

Les principes fiscaux d'application volontaire connaissent une évolution relativement récente qui permet aux entreprises de préciser à quoi les autres peuvent s’attendre concernant leur comportement au regard des règles fiscales et qui offre l’occasion d'introduire une dose de redevabilité. Les questions de l’enquête auprès des administrations fiscales sur laquelle repose ce rapport faisaient référence à la Déclaration du BIAC sur les meilleures pratiques fiscales en matière de relations avec les administrations fiscales des pays en développement. La plupart d’entre elles ont été libellées de manière à introduire une redevabilité concernant le respect des principes, mais plusieurs questions avaient pour but de déterminer le degré de connaissance des principes et leur utilité perçue, ainsi que de recueillir des pistes d'amélioration.

Toutes régions confondues, une majorité écrasante d'agents des services fiscaux estiment que la Déclaration du BIAC sur les meilleures pratiques contribue à améliorer leurs relations avec les grandes entreprises. Toutefois, rares sont les agents qui connaissaient ces engagements. Toutes régions confondues, plus de 80 % des agents (92 % dans la région ALC, 87 % en Asie, 85 % dans la zone OCDE et 80 % en Afrique) estiment que la Déclaration sur les meilleures pratiques est utile, mais bon nombre d’entre eux ne l’avaient jamais vue jusqu’alors – seulement 23 % des agents en Afrique, 33 % dans la zone OCDE, 34 % en Asie et 36 % dans la région ALC indiquant qu'ils en connaissaient l’existence avant de répondre à l’enquête. En outre, il existe une corrélation positive entre la connaissance des principes et la perception de leur utilité, ce qui laisse penser qu’informer davantage sur ces bonnes pratiques pourrait être fructueux.

En plus de sensibiliser à l’existence des principes, il serait aussi possible de les améliorer. Environ 50 % des agents (48 % dans la zone OCDE, 50 % dans la région ALC, 55 % en Afrique, 60 % en Asie) ont déclaré que les principes pourraient être améliorés et ont fourni des pistes d'amélioration.

Certaines de ces pistes avaient trait au nombre d’engagements ou à leur contenu. Il a par exemple été suggéré de développer les références aux prix de transfert et aux pratiques d’érosion de la base d'imposition et de transfert de bénéfices (la rédaction des principes étant antérieure au lancement du projet BEPS) ; de clarifier la signification de certains termes (comme « raisonnable et pertinent ») ; d'ajouter des principes, par exemple un engagement à étendre les obligations à toutes les entités d'un groupe (« toutes les sociétés liées, dont les sociétés mères, devraient faciliter la circulation de l’information avec les autres entités du groupe ») ; d’insérer un principe visant à éviter les demandes de reports ou de prolongations qui ne sont pas dûment motivées (et celles formulées dans un but dilatoire) ; de faire expressément référence à la réparation des externalités et dommages à l’environnement, dont l’obligation d’obéir à la législation sur l’écofiscalité et de la soutenir, et à l’engagement d’œuvrer en faveur d’une alliance public-privé dans la lutte contre la corruption. Plus largement, les participants ont encouragé les entreprises à s’engager à divulguer des informations concernant les plus-values, les prix de transfert, les nouveaux types d'opérations et les nouveaux processus opérationnels dans la mesure du possible.

D'autres suggestions portent sur des domaines dans lesquels d'autres principes pourraient être élaborés. Au nombre des priorités citées figurent l’élaboration de principes régionaux et nationaux adaptés au contexte local, l'élaboration de principes sectoriels permettant de tenir compte de caractéristiques sectorielles susceptibles d'influer sur le respect des règles et la mise au point d’orientations spécifiques sur ce que pourraient faire les grandes entreprises pour entretenir des relations responsables avec les autorités fiscales dans les zones économiques spéciales. Les administrations ont proposé de définir des principes similaires pour les agents des services fiscaux (ces principes pourraient compléter les chartes sur les droits des contribuables) et des recommandations pratiques concernant le comportement à adopter par les agents et les procédures à mettre en place par les administrations pour encourager les multinationales à respecter les règles. Dans les diverses régions, plusieurs répondants ont suggéré de publier de bonnes pratiques et des études de cas pour illustrer l’application concrète des principes, par exemple des exemples de bonne coopération avec de gros contribuables et de comportement vertueux des entreprises, de même que de bonnes pratiques concernant la prévention et le traitement des différends fiscaux.

Une dernière série de suggestions portait sur l’application des principes. Certains répondants ont proposé la mise au point d'un mécanisme de sanction quand d'autres ont suggéré d'élaborer un système de reconnaissance à l’intention des entreprises/multinationales jugées respectueuses des principes. Il a également été suggéré d’établir des indicateurs spécifiques pour suivre la mise en œuvre des engagements (au sein des administrations comme des multinationales). Pour ce qui est de la sensibilisation, les répondants ont souligné la nécessité de mettre la Déclaration à disposition dans d’autres langues que l'anglais (en particulier l’espagnol et le français) et de multiplier les formations, y compris en ligne, les séminaires et les campagnes de communication, afin de sensibiliser les contribuables et les agents à l'existence et à l’importance de la Déclaration.

L’enquête et les tables rondes ont mis en lumière d’autres thématiques susceptibles d'avoir leur place dans une version révisée de la Déclaration sur les meilleures pratiques. Au cours des tables rondes, les difficultés rencontrées pour obtenir des informations de l’étranger ont été évoquées et plusieurs multinationales ont souligné que des améliorations devraient être possibles. Il pourrait aussi être utile de se pencher sur les méthodes de recrutement. Les multinationales pourraient par exemple à la fois s’engager à faciliter la formation dans un pays et tenir compte de l’impact du recrutement sur les capacités de l’administration fiscale. Les résultats pourraient en outre fournir des exemples de domaines dans lesquels il serait utile de détailler davantage les bonnes pratiques, par exemple de donner des informations supplémentaires sur ce que signifie la coopération dans la pratique et de préciser certains types d'informations qu'il pourrait être utile d'échanger (y compris des informations qui ne relèvent pas du domaine fiscal proprement dit, comme une description des chaînes de valeur).

D'autres principes d’application volontaire apparus récemment pourraient servir de source d'inspiration pour améliorer les principes. En 2018, la « B Team », qui regroupe des dirigeants, notamment des dirigeants d’entreprises, et qui défend et met en pratique une autre manière de faire des affaires a défini un ensemble de principes fiscaux responsables (The B Team, 2018[7]), qui avaient été adoptés par 24 multinationales à la date de rédaction du présent document2. La B Team publie également une série d'études de cas sur l'application concrète de ces principes dans les multinationales qui les ont adoptés3. Les principes de la B Team fournissent davantage d'informations sur les comportements attendus, et certains d’entre eux portent sur des aspects traités dans le présent rapport. À titre d’exemple, s'agissant des relations avec les autorités, ils contiennent un engagement à fournir les informations détenues dans un autre pays le cas échéant (voir (The B Team, 2018[7]), principe 4B), échange qui est considéré comme problématique par beaucoup d'administrations. La B Team montre une voie qui peut être suivie pour introduire un principe de redevabilité en ce qui concerne l'adhésion à des principes volontaires, même si d'autres travaux sont nécessaires. Pour autant que les principes recoupent les cadres de contrôle fiscal (lorsqu’ils existent), ceux-ci peuvent introduire une redevabilité, en particulier quand les administrations fiscales les évaluent dans le contexte des programmes de discipline fiscale coopérative. Autre possibilité : intégrer les principes dans les lignes directrices/les normes relatives au comportement attendu destinées aux administrations fiscales ou aux contribuables. Fournir davantage d’exemples de respect des principes dans la pratique (comme le fait la B Team à travers ses études de cas) est un moyen de donner confiance aux administrations concernant les situations de non-respect des principes.

Pour renforcer la redevabilité, les pays pourraient faire figurer les bonnes pratiques dans les chartes des contribuables et/ou autres documents décrivant le comportement attendu. Les bonnes pratiques ayant été définies et approuvées par les multinationales elles-mêmes, elles représentent un ensemble de normes directement utilisables comme référence par les autorités fiscales. L'intégration des bonnes pratiques dans les mécanismes de redevabilité nationaux pourrait encourager leur respect, de même que le fait de donner aux autorités fiscales les moyens de détecter les comportements moins vertueux qu’attendu. Une telle approche aurait peut-être aussi pour effet de sensibiliser aux bonnes pratiques les filiales des multinationales, à commencer par celles qui sont dans les pays en développement, et les administrations fiscales.

La redevabilité commence dans les entreprises elles-mêmes. Lorsque les principes vont au-delà des obligations légales en vigueur dans un pays, il est probablement difficile pour l’administration fiscale d’obliger le contribuable à rendre des comptes. Il incombe donc en premier lieu à l’entreprise de mettre sur pied des systèmes et processus garantissant le respect des principes. Dans les grandes multinationales, il peut être difficile de garantir que toutes les filiales auront le même comportement, en particulier quand la distinction entre ce qui relève de la politique de l’organisation et ce qui n’en relève pas comporte une part de subjectivité. Des processus de redevabilité internes peuvent donc contribuer à garantir une cohérence à l’échelle de l’organisation. C’est dans ce but que PricewaterhouseCoopers (PwC) a mis sur pied des comités fiscaux.

D'après l’enquête, il existe dans toutes les régions une corruption perçue, qui est faible mais néanmoins inquiétante. Les contribuables comme les administrations doivent agir avec fermeté pour réduire les possibilités de corruption et les facteurs qui l’encouragent.

L’existence de codes de conduite clairs à l'intention des administrations fiscales et des multinationales réduit le risque de comportement répréhensible. Il peut être utile de faire figurer des exemples dans ces codes (ex. : proscription des cadeaux). Les sciences comportementales montrent que le fait de mettre les individus dans des situations de dilemme moral ou de conflit d’intérêts semblables à celles rencontrées dans la réalité réduit le risque de comportement répréhensible. Les personnes qui ont eu la possibilité de s’interroger sur un dilemme à l’avance sont plus susceptibles d’agir avec intégrité lorsqu’elles y sont réellement confrontées (OCDE, 2018[8]). De même, il pourrait être envisagé que les questions éthiques deviennent partie intégrante des séminaires et formations techniques, au lieu de les considérer comme une thématique à traiter de manière distincte des autres.

Les administrations ont déclaré que des protocoles de communication clairs, dans le cadre desquels les vérificateurs présentent à leurs collègues les échanges qu’ils ont avec le contribuable atténuent le risque de comportement fautif. L'introduction d’une procédure type pour examiner les conclusions des vérifications fiscales visant les gros contribuables, éventuellement accompagnée de la réalisation d’une analyse statistique du recouvrement d'impôts de nature à faciliter le repérage d'incohérences, pourrait aussi avoir une utilité. L’augmentation du nombre de vérificateurs participant aux vérifications et, au minimum, le fait d'éviter les rencontres en face à face entre un contribuable et un agent de l’administration fiscale ont également été cités parmi les mesures qui empêchent les comportements répréhensibles.

Les pouvoirs publics devraient veiller à ce que des règles législatives, des cadres d'action et des cadres administratifs viennent à l'appui des efforts déployés pour lutter contre la corruption. La Recommandation de l'OCDE sur l'intégrité publique est un instrument complet en ce sens qu’elle vise à favoriser l’intégrité en conjuguant des mesures répressives et dissuasives et la promotion d’une culture de l’intégrité. Le Manuel de l’OCDE sur l’intégrité publique (OCDE, 2020[9]) propose des conseils pratiques pour la mise en œuvre de la Recommandation.

Les pouvoirs publics peuvent s'appuyer sur la législation pour favoriser l’intégrité publique dans les entreprises. À titre d’exemple, dans beaucoup de pays une loi exige que les entreprises se dotent d'un programme de conformité anticorruption, comprenant des politiques définies par l’entreprise en matière de lutte contre la corruption, des mesures de renforcement des capacités, des circuits de signalement et des fonctions de gestion des risques et de contrôle interne (OCDE, 2020[9]).

Pour lutter contre la corruption active, les pays peuvent devenir partie à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales4. Cet instrument fait de la corruption d'agents publics étrangers une infraction pénale et rend la corruption moins tentante parce qu’elle oblige les pays signataires à refuser expressément la déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers. Les signataires de cette convention s’engagent à faire de la corruption d'agents publics étrangers une infraction pénale en droit interne. Une législation interne ayant une portée extraterritoriale peut être un bon moyen d'améliorer la culture au sein des entreprises. Au Royaume-Uni, la loi de 2011 contre la corruption et son article 7 ont introduit une nouvelle infraction – le fait de ne pas empêcher la corruption. D'après des études, cette loi a fait évoluer sensiblement les politiques et pratiques aussi bien au niveau des multinationales, visées par la loi qu’au niveau de leurs fournisseurs (voir par exemple (Goldstraw-White et Gill, 2016[10]) et (LeBaron, 2017[11])).

Transparence et communication sont étroitement liées. Les participants aux tables rondes ont souligné qu’une mauvaise communication nuisait à la volonté de transparence à l’égard de l’administration fiscale. Plusieurs recommandations et bonnes pratiques ont été formulées. Elles ne concernent pas seulement la communication directe entre contribuables et administrations, portant sur un champ plus large, par exemple la nécessité d'accroître la transparence des processus qui encadrent la relation entre gros contribuables et administrations fiscales afin de renforcer la confiance du public en général. L’enquête ayant révélé que les agents sont plus nombreux à percevoir une volonté de coopération qu'à avoir l’impression que les entreprises se montrent transparentes et franches concernant les renseignements qu’elles fournissent, dans beaucoup de pays, l’enjeu est sans doute davantage d'améliorer le dialogue et son contenu que d’accroître la participation aux procédures formelles.

Les tables rondes ont montré que les multinationales et les administrations fiscales étaient disposées à favoriser un dialogue plus franc et plus régulier entre les contribuables et les autorités fiscales, non seulement lors des vérifications fiscales ou du calcul de l’impôt, mais aussi de manière régulière. Différentes stratégies sont déployées pour multiplier les circuits de communication entre contribuables et administrations et pour améliorer les circuits existants. Ces stratégies vont de l’établissement d'un dialogue au stade de l’élaboration des politiques à l’amélioration des demandes d'informations formulées au cours des vérifications. Les deux parties ont intérêt à une communication plus efficace et à une diminution du nombre de différends. Même si les participants aux tables rondes se sont en général montrés favorables à l’idée d’intensifier le dialogue informel pour empêcher la survenue de différends avérés, il reste nécessaire que des politiques et procédures claires soient en place pour éviter d'ouvrir la porte à la corruption ou à d’autres comportements répréhensibles.

Plusieurs entreprises connaissant le Programme international pour le respect des obligations fiscales (ICAP) ont souligné qu'il favorisait un dialogue multilatéral ouvert et coopératif entre multinationales et administrations fiscales. Même s'il a été admis que l’ICAP était peut-être inadapté à beaucoup de pays en développement, nombre de participants aux tables rondes ont fait observer qu'il fallait trouver une solution pour que s’instaure un dialogue multilatéral plus souple et à plus haut niveau entre les multinationales et les administrations fiscales.

Offrir une solution pour faciliter l’établissement d’un dialogue multilatéral entre multinationales et administrations fiscales en dehors de l’ICAP pourrait être positif pour les deux parties. Beaucoup de multinationales ayant déploré une méconnaissance de leurs structures et de leurs chaînes de valeur par les administrations fiscales, il pourrait être profitable de présenter ces aspects dans le cadre d'échanges impliquant simultanément plusieurs pays. En engageant avec leurs pairs un dialogue avec les multinationales, les administrations fiscales, en particulier celles qui ont des capacités limitées, pourraient renforcer leurs compétences et parvenir à une meilleure compréhension. Quant aux multinationales, elles pourraient fournir volontairement des informations supplémentaires, par exemple dans le cadre de déclarations pays par pays, auxquelles les administrations fiscales des pays en développement n'auraient en d'autres circonstances pas accès.

D'autres travaux sont nécessaires pour évaluer la viabilité d’un mécanisme de dialogue multilatéral d'application volontaire, pour apprécier la demande des multinationales et des administrations fiscales et, à supposer que cette demande existe, pour définir les caractéristiques du programme. L’OCDE va s’efforcer d'établir une coopération avec d'autres acteurs, dont la division chargée du renforcement des capacités au sein de l’administration fiscale du Royaume-Uni, pour définir les grandes lignes d'un programme et l’expérimenter à titre pilote s'il est viable.

Plusieurs administrations ont créé des espaces au sein desquels différents acteurs, dont des représentants des administrations fiscales et des multinationales, se retrouvent régulièrement pour discuter et proposer des conseils sur des questions et procédures fiscales. Les administrations fiscales peuvent utiliser ces espaces pour annoncer des modifications de la réglementation ou des procédures ou encore pour recueillir des avis sur la manière dont les procédures administratives pourraient être simplifiées. Les entreprises comme les administrations fiscales ont souligné l’intérêt de ces forums, qui offrent la possibilité de repérer des problèmes communs à un grand nombre de contribuables. Ils peuvent aussi faciliter l’apprentissage mutuel, y compris entre contribuables, et le respect des obligations.

Certaines entreprises ont signalé que ces espaces pouvaient améliorer l’image de l'administration fiscale en lui offrant l’occasion de montrer qu’elle est disposée à avoir un dialogue constructif avec les contribuables et à faire preuve d'équité et de transparence à leur égard. À l’évidence, ces effets positifs ne se matérialisent que si les forums sont conçus pour être ouverts et transparents et attirent une large participation. Il doit aussi être démontré qu’ils ont un impact en ce sens que les discussions qui ont lieu en leur sein sont suivies d’effets.

Il faut accorder de l’importance à la manière d'associer les parties prenantes et à la nécessité de préférer, dans certains cas, des forums spécialisés dans certains sujets. Lorsque des problèmes sont communs à de nombreux contribuables, il peut être intéressant que les forums soient largement ouverts. Lorsque les problèmes sont plus spécifiques, il peut être nécessaire que les forums soient eux aussi plus spécialisés pour pouvoir réellement jouer un rôle. De même, les contributions communes de contribuables ou associations de contribuables peuvent être utiles dans le cadre de certaines thématiques, mais dans d'autres cas, elles obligent à apporter des réponses générales pour garantir un consensus entre tous les signataires de la contribution, ce qui peut réduire l’intérêt des contributions pour l’administration. En 2015, l’administration fiscale du Kenya (Kenya Revenue Authority, KRA) a créé un cadre pour gérer les relations avec les parties prenantes. Ce Cadre pour le dialogue avec les parties prenantes prévoit plusieurs modalités de dialogue avec les contribuables et au sein de l’administration. L’Encadré 3.4 décrit la manière dont il a fonctionné lors de l’introduction d'une nouvelle formule de calcul des remboursements de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Les multinationales et les administrations fiscales ont souligné qu'il était bénéfique d'associer les contribuables à l'élaboration des projets de réglementation. Associer les contribuables (et leurs conseillers) à l'élaboration des projets de réglementation peut renforcer l’efficacité de l’administration mais aussi garantir que les contribuables sont informés des normes et convaincus de leur bien-fondé parce qu’ils ont en quelque sorte le sentiment qu’elles sont les leurs.

Ces concertations doivent impérativement être ouvertes et transparentes pour inspirer confiance et pour qu’une concertation légitime ne soit pas perçue comme une pression abusive (ou ne se transforme pas en une pression abusive) (voir Pressions et transparence publique).

Les administrations des pays non anglophones ont évoqué à plusieurs reprises les problèmes d’ordre linguistique rencontrés dans leurs relations avec les multinationales et lorsqu'elles demandent des informations à d'autres administrations fiscales. Si les multinationales ont l’habitude d’utiliser l’anglais comme langue véhiculaire, tel n’est pas le cas de beaucoup d'administrations fiscales. Dans beaucoup de pays en développement multilingues, en particulier ceux dans lesquels la langue de l'ancien colonisateur est une langue officielle, les agents des services fiscaux doivent être prêts à travailler dans une deuxième langue. Quant aux multinationales, elles peuvent éprouver des difficultés à travailler directement dans la langue nationale, les équipes de direction pouvant être dans l’impossibilité d'approuver des documents si elles ne parlent pas couramment la langue concernée.

Les contribuables doivent respecter l’obligation d'utiliser la langue nationale lorsqu’ils présentent des documents et fournir une traduction de très bonne qualité. Il faut faire preuve d'une grande prudence lorsqu’il existe un risque qu’un terme particulier soit interprété différemment, ce qui signifie que toutes les parties doivent s'assurer qu’elles mettent les mêmes choses sous les termes utilisés. Lorsque le personnel de l’administration fiscale dispose de compétences linguistiques, l'administration peut envisager d'adopter l'anglais si ce choix permet d’obtenir plus vite des réponses ou améliore le dialogue avec la hiérarchie de l’entreprise. Dans le cas où des documents doivent être traduits, il faut accorder le délai nécessaire pour que la traduction soit de qualité. Demander un juste volume d’informations plutôt que de grandes quantités de données (voir Informations et données) permet aux contribuables de fournir plus facilement les informations traduites rapidement, tout comme le fait de faire preuve de souplesse concernant le format des données (lorsque c’est possible).

La nécessité d'accéder à des informations utiles plutôt qu’à de simples données a été abordée dans toutes les tables rondes. Il ressort de l’enquête comme des tables rondes que les administrations fiscales se plaignent d'une réactivité insuffisante à leurs demandes de renseignements, que ce soit de la part des contribuables ou, lorsqu’elles utilisent les mécanismes d’échange d'informations, de la part d'autres administrations. Parallèlement, les entreprises se plaignent du manque de clarté des demandes de renseignements, du format inhabituel dans lequel les informations doivent parfois être fournies et du fait que certaines demandes portent sur un gros volume de données plutôt que sur des informations précises. Formuler des demandes plus précises au lieu d’exiger de grandes quantité de données est bénéfique aux administrations fiscales comme aux contribuables. Les contribuables peuvent se conformer plus facilement aux exigences de l’administration, tandis que l’administration est certainement plus efficiente si les agents n’ont pas à se perdre dans d’énormes volumes de données. La confiance s’en trouve vraisemblablement durablement améliorée, les contribuables étant au fil du temps plus enclins à répondre à des demandes de renseignements plus ciblées et plus compréhensibles.

Améliorer le recueil d'informations dans le cadre de la déclaration de revenu initiale et pouvoir accéder aux données détenues par d'autres services de l’administration et aux données de tiers sont aussi des moyens de limiter la nécessité de demander d'autres informations par la suite. Dans certains pays, les renseignements demandés dans les déclarations de revenu ne sont pas suffisants, si bien que de nombreuses informations supplémentaires doivent être réclamées ensuite. Pour améliorer le recueil de données, il faut donc commencer par veiller à ce que les déclarations de revenu demandent suffisamment d'informations (sans pour autant demander des informations superflues). La possibilité de consulter des données détenues par d'autres services de l’administration (les douanes par exemple) ou par des tiers, peut aider l'administration fiscale à analyser les risques et à réduire et cibler les demandes de renseignements ultérieures. L'accès à des données externes, de même que l’adoption de politiques et procédures permettant l’utilisation de ces données, demeurent un problème pour beaucoup de pays en développement. L'élimination des restrictions internes à l'administration concernant l’échange de données et l'accès aux données détenues par des tiers seraient donc de bons points de départ pour améliorer le recueil d'informations dans son ensemble. Il faut cependant qu’en parallèle, des réformes permettent une réelle utilisation de ces données.

Plusieurs recommandations et bonnes pratiques de nature à améliorer le recueil d'informations par les administrations fiscales ont été évoquées, notamment :

  • Utiliser des processus automatiques pour recueillir et analyser les informations. Il s'agit là d'un moyen de rendre le respect des exigences de l’administration moins coûteux et de mieux cibler les demandes de renseignements ultérieures. Il peut y avoir des difficultés lorsque les interfaces de l’administration fiscale ne sont pas les mêmes que celles du contribuable, ce qui peut compliquer la réponse à la demande ou poser des problèmes liés à l'asymétrie des données.

  • Offrir des possibilités de discussion au sujet des objectifs de la demande de renseignements, pour apprécier s’il y a un moyen plus simple d'y répondre. Durant les tables rondes, des exemples dans lesquels des discussions ont permis de cerner les questions en jeu et d'affiner en conséquence les demandes de renseignements ont été cités. Dans certains cas, la quantité de renseignements demandée ne représentait plus que 20 % de la demande initiale. Ces discussions ont également porté sur le format dans lequel les informations doivent être transmises. Une souplesse de l’administration sur ce point peut lui permettre d'obtenir les renseignements tout en réduisant sensiblement le temps nécessaire au contribuable pour répondre à la demande. Plus ces dialogues ont lieu tôt, plus ils sont de nature à accroître la qualité et la rapidité des réponses.

  • Tirer des enseignements de l’expérience. Améliorer le recueil d’informations une année, mais recommencer comme avant les années suivantes est à la fois laborieux et contre-productif. La stabilité du personnel est un moyen évident de limiter ce risque, en particulier lorsque des connaissances propres à un secteur ont été acquises. Il pourrait aussi être envisagé que les vérifications fiscales soient suivies d'un échange grâce auquel l’administration et le contribuable analyseraient la vérification et repèreraient des possibilités de compromis/de solutions pour les années suivantes. Ces discussions peuvent donner lieu à l’établissement de procès-verbaux (et, dans certains pays, aboutir à des engagements contraignants sur certains aspects), si bien qu’en cas de changement de personnel, il existe une trace écrite de la solution envisageable face à un problème donné.

Le délai accordé au contribuable pour répondre aux demandes de renseignements ne doit pas être laissé au hasard. Les contribuables peuvent avoir des difficultés à respecter des délais courts lorsqu’un gros volume de données est demandé, qui plus est dans un format inhabituel. L'administration fiscale doit donc fixer des délais réalistes.

Dans toutes les tables rondes, la difficulté à obtenir des données détenues dans d'autres pays a été évoquée, les administrations fiscales faisant part de problèmes pour obtenir des réponses de la part des multinationales comme des administrations fiscales étrangères. Si les administrations fiscales peuvent vraisemblablement améliorer la situation en agissant sur la nature et le format des informations demandées, il faut qu’en parallèle les multinationales consentent à fournir des données qui se trouvent ailleurs lorsque la demande leur en est faite et que les administrations fiscales étrangères acceptent de répondre aux demandes d'informations, ce qui suppose qu’elles aient conscience que les administrations de pays en développement membres des réseaux d'échange d'informations depuis peu manquent parfois d’expérience en matière de demande de renseignements.

Les contribuables exigent des garanties concernant la sécurité des informations. Les contribuables tiennent à ce que la confidentialité de leurs informations soit garantie, et cette condition doit être remplie pour qu'ils fournissent des renseignements complémentaires, en particulier des informations sensibles. Les administrations fiscales peuvent donc avoir à les rassurer concernant les politiques en place pour garantir la sécurité de l’information (et, si nécessaire, à améliorer ces politiques) afin d'établir une relation de confiance.

Les participants aux tables rondes ont évoqué l’utilité de bonnes relations interpersonnelles entre les contribuables et l'administration fiscale, tout en reconnaissant la nécessité de se prémunir contre le risque que ces relations soient utilisées à mauvais escient. Beaucoup de participants ont souligné que la stabilité du personnel est une bonne chose, les contribuables comme les administrations préconisant de limiter le plus possible le changement de composition des équipes, en particulier les changements touchant des interlocuteurs directs. L’économie comportementale a mis en évidence l'incidence que l’effet du messager (importance de l'image de la personne qui délivre le message) peut avoir sur les relations, même si ce phénomène n'a pour l’heure pas été étudié en profondeur dans le contexte des relations entre contribuables et administrations fiscales.

D'autres travaux sont nécessaires pour comprendre ce qui fait qu’une relation fructueuse se noue entre les multinationales et les administrations fiscales. C’est particulièrement vrai dans le cas des pays en développement, où de multiples facteurs – le pouvoir, la culture, les questions raciales, et la maîtrise de l’anglais, par exemple – pourraient influer sur les relations interpersonnelles. L’OCDE entend rechercher des partenaires pour étudier plus avant ces questions.

Les capacités/compétences du personnel pourraient jouer un rôle dans l'établissement d'un dialogue constructif entre contribuables et administrations fiscales. Les agents formés aux aspects complexes liés à la fiscalité internationale étant peu nombreux dans beaucoup de pays en développement, il peut être difficile d’établir un dialogue plus ouvert avec les multinationales. De même, lorsqu’une multinationale a peu de personnel chargé des fonctions fiscales dans sa filiale locale, il est possible qu’aucun employé ne puisse s’engager dans un dialogue plus ouvert. Le renforcement des capacités peut certes y remédier à long terme, mais à brève échéance, il faut mettre en place des procédures garantissant une utilisation efficiente de ressources limitées. Il est par exemple envisageable de définir quel personnel sera nécessaire pour assurer ce dialogue et à quelle étape du dialogue il devra être mobilisé.

Des structures de gouvernance et des procédures de dialogue bien définies peuvent clarifier la situation pour les contribuables et les administrations fiscales. D'après les administrations fiscales, les multinationales pourraient concevoir leurs mécanismes de gouvernance interne de manière à pouvoir coopérer avec les administrations fiscales (ex. : délégations de pouvoir, politiques de communication), ce qui faciliterait le dialogue et la coopération. Il est aussi important de clarifier le rôle des conseillers. Les conseillers peuvent certes jouer un rôle de médiation entre l’administration fiscale et le contribuable, mais lorsque leur fonction est floue, ils peuvent être source de confusion supplémentaire – par exemple lorsque l'administration leur demande de fournir des informations auxquelles le contribuable ne lui donne pas accès. La clarté des structures de gouvernance est importante aussi au sein de l'administration fiscale. Au cours des tables rondes, plusieurs représentants d’entreprises ont fait part de difficultés liées au manque de clarté des fonctions et ont souligné qu’il était important que l’administration soit transparente au sujet de l’utilisation faite des renseignements communiqués et garantisse un traitement impartial des différends.

La numérisation et l’automatisation offrent des outils supplémentaires pour la gestion des relations entre contribuables et administrations. Plusieurs participants aux tables rondes ont estimé que les services fiscaux en ligne avaient renforcé la coopération des multinationales en leur permettant de remplir plus facilement leurs obligations fiscales à distance, en accélérant les paiements (favorisant le respect des délais), en facilitant l’exécution des paiements pour les multinationales qui ont besoin de l'autorisation de divisions situées à l’étranger et en donnant la possibilité aux sociétés mères d'assurer un suivi des déclarations fiscales et paiements effectués par leurs filiales. Il a été souligné qu’il fallait tester et expérimenter à titre pilote tout nouveau service en ligne pour s'assurer qu'il était facile à utiliser et tenir compte des retours d’informations des contribuables pendant la phase de conception.

Dans certains pays, l'établissement d'un dialogue après la vérification fiscale permet au vérificateur et au contribuable de « tirer des enseignements » de la vérification. Ce dialogue permet aux deux parties de repérer ensemble les aspects à améliorer dans la perspective de vérifications ultérieures, qui sont ainsi facilitées. Dans certains cas, il conduit à des accords formels sur le traitement futur de certains aspects complexes.

L’exercice de pressions a été relativement peu abordé durant les tables rondes, sans doute parce que les participants ne se considéraient pas comme directement concernés. Pour les participants, l’exercice de pressions est une activité qui se déroule en réalité ailleurs, souvent dans le cadre de relations impliquant la classe politique ou des agents occupant un niveau plus élevé dans la hiérarchie que ceux présents aux tables rondes. Ainsi, alors que les agents des services fiscaux ont répondu aux autres questions de l’enquête d'après leur propre expérience des relations avec les contribuables, dans ce domaine, leurs perceptions reposent davantage sur ce qui, selon eux, se déroule ailleurs.

L'idée que la transparence des relations entre contribuables et agents/responsables politiques peut améliorer la situation a fait l’unanimité. Beaucoup de pays font appel à des registres de déclarations des intérêts et publient les procès-verbaux des réunions de ministres et responsables de haut niveau. De même, les entreprises peuvent mettre les procès-verbaux de réunions à la disposition du public.

Des procédures de gouvernance claires limitent le risque de pression abusive. Veiller à ce que les incitations fiscales soient prévues dans le code des impôts et à ce qu’aucun avantage ne puisse être consenti de manière arbitraire non seulement par le ministre des Finances mais aussi par d'autres ministres limite le risque qu’une pression soit exercée en vue de l’obtention d’un avantage spécifique à une entreprise. L’organisation de consultations ouvertes et transparentes et l’existence d'instances de dialogue au sujet de projets législatifs et réglementaires sont des moyens de convaincre qu’une loi n’est pas le fruit d’une pression abusive. S’agissant des dossiers individuels, bon nombre des mesures citées dans le cadre de la lutte contre la corruption sont également pertinentes.

La tension autour de cette question est appelée à perdurer en raison d'un inévitable biais de perception : ce qu'une personne perçoit comme une inquiétude légitime quant aux conséquences d’une nouvelle loi sur l'activité des entreprises est perçue par une autre comme une pression indue. Pour réduire cette différence de perception, il faut renforcer la confiance et la transparence du processus d’élaboration des politiques et des contacts entre l’administration et le secteur privé/les groupes de pression. Les principes de transparence et d’intégrité des activités de lobbying énoncés par l’OCDE (OCDE, 2014[12]) fournissent des orientations et indications utiles aux décideurs qui entendent améliorer l’intégrité et la transparence.

Les agents de régions où les multinationales sont davantage perçues comme disposées à expliquer leurs positions et décisions fiscales au public sont plus nombreux à juger dignes de confiance les renseignements communiqués par les multinationales, ce qui laisse penser que les multinationales pourraient avoir intérêt à se montrer plus transparentes à l’égard du public. Même si cette corrélation doit être traitée avec prudence parce que seule une partie des personnes interrogées a répondu à la question de savoir si les multinationales sont prêtes à expliquer leurs positions fiscales, elle laisse penser que le consentement à exposer sa situation fiscale publiquement améliore également la communication et les relations de confiance avec les administrations fiscales. Pour les multinationales, il est peut-être plus facile de faire preuve d'ouverture dans le pays où se trouve le siège et où les équipes de direction peuvent parler avec la presse/le parlement et avec l'administration fiscale. Il faudrait peut-être conduire une réflexion supplémentaire sur la manière de favoriser un dialogue plus ouvert dans les pays où se trouvent les filiales.

Bon nombre des moyens de renforcer la confiance cités dans ce rapport nécessitant un personnel formé, les programmes de renforcement des capacités jouent un rôle important dans les administrations fiscales comme dans les entreprises/cabinets de conseil. Le renforcement des capacités en fiscalité internationale, en particulier concernant les questions relatives aux prix de transfert, est un axe prioritaire du renforcement des capacités dans les administrations fiscales. Les entreprises reconnaissent elles aussi la nécessité de renforcer ces capacités, le manque d’expertise de l’administration fiscale concernant certains aspects de la fiscalité internationale étant considéré comme l’une des dix premières causes d’insécurité fiscale (sur 21) par les multinationales présentes en Afrique (6e), en Asie (9e) et dans la région ALC (10e).

Si les compétences techniques sont à l’évidence importantes, il est aussi nécessaire de renforcer les capacités dans certains domaines autres que la fiscalité à proprement parler, en particulier en communication. Ces compétences sont rarement incluses dans les programmes de renforcement des capacités existants. D'autres travaux sont donc nécessaires pour déterminer comment renforcer toutes les compétences nécessaires à l’instauration d’un dialogue constructif entre contribuables et autorités fiscales.

Les programmes mis en place dans le cadre de l'initiative Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF) proposent un soutien concret entre pairs dans des situations réelles. Les experts qui fournissent une assistance peuvent ainsi repérer certains problèmes et définir les solutions envisageables avec l’autorité fiscale. Bien que l’IISF mette principalement en avant les recettes fiscales recouvrées grâce à l'intervention dans des dossiers (1.6 milliard USD fin 2021), de plus en plus de données ponctuelles montrent que ses programmes permettent aussi d'améliorer la discipline fiscale.

Parce qu’ils consistent à accompagner une administration fiscale pendant une période relativement longue dans le cadre de situations réelles, les programmes IISF permettent de renforcer les capacités dans des domaines techniques, mais aussi concernant les procédures à l’œuvre pendant une vérification fiscale visant une multinationale et les compétences spécialisées associées. Comme souligné dans l’Encadré 3.5, ces programmes renforcent les capacités dans plusieurs des domaines abordés dans ce rapport, en particulier l’analyse de risque et la communication. Les administrations de pays qui ont fait appel à ces programmes sont de plus en plus nombreuses à faire part de retombées autres que l’accroissement des recettes fiscales recouvrées auprès des entreprises visées par une vérification : elles estiment que les multinationales sont plus respectueuses de leurs obligations, notamment qu’elles sont plus nombreuses à déposer leur déclaration de revenu en temps voulu et à se montrer réactives.

L’IISF tente de plus en plus d'évaluer les répercussions de son action au-delà de la hausse des recettes fiscales, reconnaissant que les retombées à long terme sur la discipline fiscale peuvent être également, voire plus importantes que le recouvrement de recettes fiscales supplémentaires dans un dossier donné. Le Graphique 3.1 présente les retombées des programmes IISF sur les compétences des vérificateurs. Il est nettement plus difficile d'apprécier les effets autres que la hausse des recettes fiscales et de déterminer s'il y a un lien de cause à effet. Ce problème est fréquent lorsque l’on cherche à évaluer l’impact du renforcement des capacités dans des domaines relativement abstraits, si bien que l’on peut être tenté de se concentrer sur des domaines où la mesure est plus facile. Comme le montre ce rapport, pour réaliser les progrès durables souhaités, il faut se concentrer non seulement sur des initiatives visant à accroître les compétences techniques, mais aussi sur des aspects plus abstraits, comme la confiance.

Les multinationales ont régulièrement souligné qu’une méconnaissance des chaînes de valeur et des structures des entreprises engendrait défiance et confusion. Ce problème est évident depuis un certain temps, mais les solutions le sont moins. Étant donné que l’expertise se trouve principalement dans les entreprises, l’exploiter est la voie privilégiée pour la formation. Bien que les possibilités de renforcement des capacités proposées par l’OCDE avec la participation des entreprises aient été extrêmement bien accueillies, il a été difficile de trouver des représentants d’entreprises pour y participer, raison pour laquelle ces formations ont eu une portée limitée.

La formation virtuelle peut faciliter l’utilisation de l’expertise des entreprises pour sensibiliser aux chaînes de valeur. La formation virtuelle est beaucoup plus courante depuis les restrictions imposées par la pandémie de COVID-19. Une solution serait de mettre au point des programmes de formation à distance dans le cadre d'une coopération entre l’OCDE, le BIAC et les organisations fiscales régionales.

Bien que les efforts de renforcement des capacités visent principalement les administrations fiscales, les entreprises pourraient aussi en avoir besoin. Ce serait un moyen d'améliorer l’efficacité du dialogue mutuel et d'établir un climat de confiance réciproque.

Les entreprises présentes dans des pays relativement éloignés sont peut-être confrontées à des difficultés particulières, notamment lorsque le personnel local fait défaut et que les contacts avec les équipes dirigeantes sont rares. Ce problème se pose peut-être avec une acuité particulière dans les pays où les entreprises ont une activité relativement limitée et n’ont pas d'équipe chargée de la fonction fiscale, ce qui signifie que cette fonction est assumée par la division des finances. En pareil cas, des politiques/processus clairs doivent être en place pour garantir que le personnel connaît ses attributions et pour que le personnel local soit effectivement supervisé par la division fiscale compétente. Il est aussi important que le dialogue entre le personnel local et le personnel situé à un niveau hiérarchique plus élevé fonctionne dans les deux sens et que le personnel d’encadrement connaisse les spécificités et difficultés qui existent dans le contexte d'un pays en développement pour éclairer la formulation de la stratégie locale et mondiale en matière fiscale.

Lorsque les entreprises se sont volontairement engagées à respecter certains principes de conduite sur le plan fiscal, ces principes doivent être présentés à l’ensemble du personnel concerné. Dans certaines entreprises, le personnel est tenu de suivre une formation sur ces principes. Des difficultés supplémentaires peuvent se poser lorsque les fonctions sont confiées à des cabinets de conseil locaux, qui n'ont pas toujours les capacités suffisantes et ne savent parfois pas comment interpréter les principes d'application volontaire de l’entreprise cliente (voir l’Encadré 3.6, qui explique comment l’entreprise Anglo American forme ses fournisseurs de services fiscaux à ses principes). En outre, les entreprises peuvent avoir à réfléchir à la manière de garantir le respect de leurs principes dans des pays différents. Des pays qui ont des capacités relativement limitées ou une législation peu développée peuvent offrir davantage de possibilités d'optimisation fiscale non prévues par les autorités. En pareil cas, il faut examiner de plus près les stratégies d’optimisation pour vérifier qu’elles ne sont pas contraires aux principes.

Bibliographie

[5] CIAT (2020), Manual sobre Gestión de Riesgos de Incumplimiento para Administraciones Tributarias, https://www.ciat.org/Biblioteca/DocumentosTecnicos/Espanol/2020_Manual-gestion-riesgos_CIAT-SII-FMI.pdf.

[4] Eberhartinger, E. (2021), Are Risk-based Tax Audit Strategies Rewarded? An Analysis of Corporate Tax Avoidance, https://doi.org/10.2139/ssrn.3911228.

[10] Goldstraw-White, J. et M. Gill (2016), « Tackling bribery and corruption in the Middle East: perspectives from the front line », Journal of Financial Crime, vol. vol. 23/n° 4, pp. pp. 843-854, https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JFC-08-2015-0040/full/html.

[11] LeBaron, G. (2017), « Steering CSR Through Home State Regulation: A Comparison of the Impact of the UK Bribery Act and Modern Slavery Act on Global Supply Chain Governance », Global Policy, vol. vol. 8/53, pp. pp. 15-28, https://doi.org/10.1111/1758-5899.12398.

[2] Martini, M. (2022), « A review of Brazil approaches to cooperative compliance in light of International Tax Practice and the OECD concept », Intertax, vol. vol. 50/n° 2, pp. pp. 177-195, https://kluwerlawonline.com/journalarticle/Intertax/50.2/TAXI2022016.

[9] OCDE (2020), Manuel de l’OCDE sur l’intégrité publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/84581cb5-fr.

[8] OCDE (2018), Behavioural Insights for Public Integrity: Harnessing the Human Factor to Counter Corruption, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264297067-en.

[1] OCDE (2016), Co-operative Tax Compliance: Building Better Tax Control Frameworks, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264253384-en.

[12] OCDE (2014), Lobbyists, Governments and Public Trust, Volume 3: Implementing the OECD Principles for Transparency and Integrity in Lobbying, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264214224-en.

[6] OCDE (2011), Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, Édition 2011, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264115439-fr.

[3] Owens, J. (dir. pub.) (2021), Cooperative Compliance: A Multi-Stakeholder And Sustainable Approach To Taxation, Wolters Kluwer, https://law-store.wolterskluwer.com/s/product/cooperative-compliance/01t4R00000OVRsq.

[7] The B Team (2018), A New Bar for Responsible Tax: The B Team Responsible Tax Principles, https://bteam.org/assets/reports/A-New-Bar-for-Responsible-Tax.pdf.

Notes

← 1. International Survey on Revenue Administration – cette enquête est le fruit d’une collaboration entre le Centre interaméricain des administrations fiscales (CIAT), le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation intra-européenne des administrations fiscales (IOTA) et l’OCDE, qui, ensemble, administrent une enquête auprès de 156 administrations fiscales.

← 2. https://bteam.org/our-thinking/news/responsible-tax.

← 3. https://bteam.org/our-thinking/news/the-b-team-responsible-tax-principles-in-action-shells-dedication-to-building-trust-among-all-stakeholders.

← 4. ohttps://www.oecd.org/fr/corruption/conventionsurlaluttecontrelacorruptiondagentspublicsetrangersdanslestransactionscommercialesinternationales.htm.

← 5. ohttps://www.angloamerican.com/~/media/Files/A/Anglo American-Group/PLC/investors/annual-reporting/2021/tax-strategy-december-2021.Pdf.

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