Résumé

Les discriminations dans les institutions sociales, c’est-à-dire dans l’ensemble de lois formelles ou informelles, de normes et de pratiques qui régissent les comportements dans la société, entravent gravement l’autonomisation des femmes et des filles en Côte d’Ivoire, notamment en milieu rural. Il existe des variations importantes entre les 14 districts ivoiriens, les discriminations étant plus prononcées dans le nord et le nord-ouest du pays. La persistance de normes sociales et pratiques discriminatoires spécifiques dans certains domaines doit guider la conception et la mise en œuvre de politiques publiques destinées à lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes, et à favoriser une croissance inclusive.

Les quatre dimensions du SIGI Côte d’Ivoire sont toutes étroitement liées, mais c’est dans la sphère familiale que les femmes et les filles sont confrontées aux niveaux de discrimination les plus élevés. Par conséquent, tant que la société continuera de défendre des normes sociales qui établissent la domination des hommes au sein du ménage et de la famille, il est fort probable que les discriminations à l’égard des filles et des femmes perdurent dans toutes les autres sphères de leur vie. Par exemple, les normes sociales font de l’homme ivoirien le chef du ménage et le principal décisionnaire, notamment en ce qui concerne l’éducation et la santé des enfants, ainsi que les dépenses du ménage, petites et grandes. De même, les rôles traditionnels cantonnent la femme à la sphère domestique et attendent de l’homme qu’il pourvoie au revenu de la famille. Il en résulte que les femmes consacrent en moyenne quatre fois plus de temps que les hommes au travail domestique et de soin non rémunéré.

Depuis 2010, la Côte d’Ivoire a fait des progrès importants, tant en matière d’accès à l’enseignement primaire et secondaire que sur le plan de la promotion de la scolarisation des filles. Pour autant, les résultats des filles et des femmes en matière d’éducation continuent d’accuser un certain retard par rapport à ceux des garçons et des hommes. Leurs taux de scolarisation dans l'enseignement secondaire sont nettement inférieurs et elles obtiennent de moins bons résultats en mathématiques que les garçons, ce qui a de fortes implications sur leur choix de filière au lycée.

Les normes sociales discriminatoires sont au cœur de ces disparités de résultats en matière d’éducation entre filles et garçons. Ainsi, les investissements dans l’éducation sont en grande partie décidés au niveau des ménages, souvent en fonction des préférences et des perceptions des parents. L’idée que les rendements de l’éducation et les avantages économiques futurs seraient plus élevés pour les garçons que pour les filles, implique par exemple que les parents ivoiriens, et en particulier les pères, nourrissent de plus grandes ambitions pour leurs fils que pour leurs filles. En outre, ce sont souvent les pères qui ont le dernier mot dans les décisions concernant l’éducation de leurs enfants. Parallèlement, la répartition des responsabilités et des rôles au sein des ménages fait peser sur les épaules des filles un fardeau plus lourd que les garçons en matière de travail domestique et de soin non rémunéré. À ce titre, de nombreux Ivoiriens estiment que les tâches domestiques font partie intégrante de l’éducation des filles. En outre, les normes de genre confèrent aux garçons des aptitudes innées plus fortes que les filles dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), ce qui a de lourdes répercussions sur l’inscription des filles dans ces filières et influence leurs choix de carrière.

Le mariage et les grossesses précoces constituent d’autres obstacles fondamentaux à l’éducation des filles. Bien que la loi interdise le mariage des filles avant l’âge de 18 ans, leur mariage précoce demeure un phénomène répandu dans de nombreuses régions du pays, ce qui nuit gravement à leur instruction. Ainsi, la conviction qu’il est acceptable pour une fille de se marier avant l’âge de 18 ans est associée à des aspirations parentales moindres quant au niveau d’instruction des filles, tandis que leur mariage précoce augmente la probabilité de leur décrochage scolaire. Les grossesses chez les adolescentes, étroitement liées au mariage précoce des filles, sont également associées au non-achèvement du secondaire, et à une plus forte probabilité de décrochage scolaire au lycée. L’opprobre suscitée par les grossesses chez les adolescentes renforce cette dynamique. Les perceptions qu’entretiennent les parents au sujet de l’école comme lieu qui corrompt les mœurs des filles et accroît le risque d’une grossesse précoce les dissuadent de scolariser leurs filles.

Les discriminations qui entravent l’éducation des filles, ainsi que celles qui restreignent la participation des femmes à la vie active et leur propriété de biens, ont des conséquences durables sur leur autonomisation économique. En effet, par rapport aux hommes, les femmes ivoiriennes continuent de faire face à des obstacles importants pour entrer sur le marché du travail, avec un écart de participation de 19 points de pourcentage. En outre, les femmes travaillent principalement dans des emplois informels et vulnérables, caractérisés par une absence de prestations sociales. Elles sont également majoritaires dans des secteurs à faible valeur ajoutée tels que le commerce de gros et de détail ou les services d’hébergement et de restauration, ce qui conduit à des écarts de revenus importants entre hommes et femmes : en moyenne, le revenu des hommes ivoiriens représente plus du double de celui des femmes ivoiriennes. Les femmes ivoiriennes sont également confrontées à d’importants obstacles pour posséder des biens. Le SIGI Côte d’Ivoire montre que seulement 5 % des femmes possèdent des terres agricoles, contre 25 % des hommes, et seulement 3 % des femmes possèdent une maison. Les différences entre les hommes et les femmes en matière de propriété foncière sont plus marquées là où une part importante de la population est employée dans l’agriculture. Au-delà de la propriété, le contrôle exercé par les femmes sur l’utilisation des terres et leur capacité à prendre des décisions quant à leur administration sont également extrêmement limités.

Les normes sociales discriminatoires liées au rôle traditionnel des femmes et à leurs aptitudes sont à l’origine de leur marginalisation économique. Les normes sociales en Côte d'Ivoire attendent des femmes qu'elles travaillent et contribuent au revenu du ménage, mais à la condition d’en avoir reçu la permission de leur mari. Ce faisant, la charge disproportionnée de travail domestique et de soin non rémunéré que les femmes assument tend à les inciter à rechercher des modalités de travail plus flexibles, parfois à temps partiel ou plus proches de leur domicile, et qui, toutes, contribuent à leur surreprésentation dans le secteur informel et dans des emplois de statut inférieur. De même, les stéréotypes concernant les aptitudes sociales et cognitives innées des femmes et des hommes ont non seulement une influence sur les résultats scolaires des filles, mais également sur leurs choix professionnels. Ces opinions renforcent la division entre métiers dits « masculins » et ceux dits « féminins ». Par exemple, des professions telles que sage-femme, employée de maison ou secrétaire sont considérées comme plus appropriées pour les femmes, du fait de leur association avec le soin et l’attention portés aux autres.

Émanant des traditions et coutumes, les pratiques successorales sont souvent discriminatoires à l’égard des veuves et des filles, ce qui entrave la propriété des biens par les femmes. L’acquisition de terres en Côte d’Ivoire s’effectue principalement par l’héritage. Bien que la loi sanctuarise une partie de l’héritage au profit des conjoints et enfants survivants, les pratiques coutumières continuent de prévaloir et d’empêcher les veuves et les filles d'hériter à parts égales. La tradition veut que ce soient les hommes qui possèdent les biens, notamment la terre, ce qui limite considérablement la capacité des femmes ivoiriennes à posséder et à contrôler des biens productifs.

Il est primordial d’éliminer les normes et pratiques sociales discriminatoires auxquelles les femmes et les filles ivoiriennes sont confrontées, faute de quoi il ne se produira aucun progrès réel et durable en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes, ni d’avancées vers une croissance économique réellement forte, inclusive et durable.

Les actions et programmes à mener devraient tout d’abord viser à éliminer les obstacles profondément enracinés qui entravent les perspectives d’éducation des femmes et des filles. Les décideurs publics ivoiriens, en coordination avec toutes les parties prenantes locales et tous les partenaires de développement, y compris les fondations, devraient mobiliser les communautés et les écoles afin de changer les perceptions sur les aptitudes innées des garçons et des filles. Les initiatives doivent également cibler les parents afin de faire évoluer leurs perceptions sur l’importance de scolariser les filles et d’encourager les ménages à investir dans leur éducation. Enfin, des incitations financières ciblées encourageant la scolarisation des filles demeurent essentielles, car les choix favorisant la scolarisation des garçons plutôt que celle des filles surviennent souvent dans des contextes où les ressources sont limitées.

Ces efforts destinés à améliorer l’éducation des femmes et des filles doivent s’accompagner de politiques publiques et d’initiatives visant à améliorer l’accès des femmes au marché du travail et aux ressources productives, telles que les terres agricoles ou les services financiers. Des mesures visant à libérer le potentiel socio-économique des femmes, à renforcer leur autonomisation économique et à accroître leur capacité d'agir se traduiraient par une croissance économique plus forte, plus inclusive et plus durable pour l'ensemble du pays. Il est impératif que les décideurs publics, en coordination avec le secteur privé, les entreprises locales, les experts en éducation et les partenaires de développement, conçoivent des interventions qui permettent de mieux aligner le système éducatif avec les besoins du marché du travail, d’orienter les filles vers des carrières et des filières prometteuses, et de soutenir les femmes entrepreneurs à travers des mesures spécifiques leur donnant accès au capital et les aidant à couvrir leurs besoins de financement. Les politiques publiques et les programmes doivent également s’attaquer aux stéréotypes et aux préjugés qui cantonnent les femmes à certains secteurs ; ils doivent garantir aux femmes le droit d’hériter de biens fonciers et chercher à répartir de manière plus équitable entre les hommes et les femmes le travail domestique et de soin non rémunéré.

Au-delà des recommandations axées sur les deux thèmes principaux du rapport Institutions sociales et égalité femmes-hommes en Côte d’Ivoire, les décideurs publics en coordination avec les communautés locales, la société civile, les chefs traditionnels et religieux ainsi que le secteur privé, doivent s'attaquer aux institutions sociales discriminatoires dans leur globalité. Dans le but d’aider la Côte d’Ivoire à concrétiser ses ambitions en matière d’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que ses objectifs de développement durable, ces actions, initiatives et programmes sont présentés plus en profondeur dans le chapitre 1 et organisés autour de quatre axes principaux :

  • Amender les lois existantes en vue d’éliminer toute discrimination de genre et garantir leur application.

  • Transformer les normes sociales et pratiques discriminatoires identifiées comme obstacles fondamentaux à l’éducation des filles et à l’autonomisation économique des femmes. Plus précisément, concentrer les efforts sur les normes sociales discriminatoires identifiées comme les plus répandues et les plus problématiques, à savoir : le pouvoir décisionnel limité des femmes au sein du ménage, la part disproportionnée de travail domestique et de soin non rémunéré assurée par les femmes, les stéréotypes sur les aptitudes cognitives, scolaires et professionnelles innées des filles et des femmes, les normes propices au mariage précoce des filles, l’acceptation sociale de la violence à l’égard des femmes, et les attitudes qui légitiment des pratiques discriminatoires en matière de succession.

  • Renforcer la qualité et la portée du système éducatif comme moyen en soi de transformer les normes sociales.

  • Continuer à investir dans la collecte de données ventilées par sexe pour mieux comprendre et suivre les évolutions relatives à l’accès des filles à l’éducation et à l’autonomisation économique des femmes.

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