Résumé

Il est essentiel de donner un rôle plus central aux systèmes d’innovation pour obtenir une croissance durable de la productivité et améliorer la résilience – principaux leviers grâce auxquels la politique agricole peut résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés les systèmes alimentaires.

Le démarrage de la pandémie de COVID-19 début 2020 a confronté la planète à une crise sanitaire majeure et les mesures de confinement adoptées en conséquence ont entraîné une profonde crise économique qui a touché tous les secteurs, dont l’agriculture et l’alimentation. L’évolution des politiques agricoles tout au long de l’année a surtout découlé des réponses apportées à ce double choc sanitaire et économique. Beaucoup de gouvernements ont rapidement pris des mesures pour s’assurer du fonctionnement des filières de production agricoles, en particulier en désignant le secteur agro-alimentaire comme essentiel. Par conséquent, les politiques ont permis de manière générale de maintenir le bon fonctionnement des chaines d’approvisionnement alimentaires, avec néanmoins en toile de fond des programmes de soutien à l’agriculture dont la structure, globalement, n’a guère changé.

Dans le présent rapport, près de 800 mesures adoptées en réaction à la pandémie sont recensées1. Beaucoup d’entre elles (près de 20 % du total) étaient urgentes, et ont été prises pour contenir la pandémie tout en permettant aux chaînes d’approvisionnement agricoles et alimentaires de fonctionner. Un peu moins de 70 % des dispositions ont pris la forme de mesures de secours temporaires, elles visent à limiter les impacts de la crise sur les acteurs du secteur agro-alimentaire et devraient être supprimées au fil du retour à la normale. Les autres (10 %) sont dans leur majeure partie des mesures « sans regrets » qui sont à même d’améliorer la résilience à long terme du secteur agroalimentaire et qui pourraient être déployées à plus grande échelle. Parallèlement, 11 % des mesures étaient susceptibles de fausser les marchés ou de nuire à l’environnement. En particulier, plusieurs pays ont restreint leurs exportations dans le but d’orienter leur production vers leur marché intérieur.

Des ressources considérables – 157 milliards USD – ont été affectées au soutien au secteur face au COVID-19, dont 75 milliards USD dans les pays de l’OCDE et 82 milliards USD dans les économies émergentes. Les États-Unis sont à l’origine d’une majeure partie des engagements parmi les pays de l’OCDE et c’est l’Inde qui occupe cette place dans le groupe des pays émergents. Les débours effectifs sont pour l’instant nettement plus modestes, ce qui fait en partie écho à la résilience globale de l’agriculture face au choc provoqué par le COVID-19. En effet, le revenu moyen des exploitations a augmenté dans la majorité des pays étudiés dans le présent rapport. Le soutien aux consommateurs a été déployé rapidement dans davantage de cas, pour compenser les pertes de revenus subies en particulier par les ménages pauvres.

Sur la période 2018-20, les politiques de soutien agricole menées dans les 54 pays étudiés dans le présent rapport se sont traduites par des transferts à l’agriculture de 720 milliards USD par an, soit deux fois le niveau observé en 2000-02 en termes nominaux, mais néanmoins moins élevé que le niveau de 2000-02 si il est exprimé en terme relatif à la taille du secteur. Les réformes piétinent dans les pays de l'OCDE depuis dix ans, le niveau et la composition du soutien évoluant peu. Certains pays ont même remis en cause des efforts accomplis lors de précédentes réformes.

  • Plus d’un tiers du soutien total, soit 272 milliards USD, a été financé par les consommateurs sous la forme d’un soutien des prix du marché, et le solde, c’est-à-dire 447 milliards USD, l’a été par les contribuables sous la forme de transferts budgétaires.

  • Environ les trois quarts, autrement dit 540 milliards USD, ont été destinés aux producteurs individuellement, moyennant la majoration des prix ou des paiements directs. Ce soutien a représenté 18 % des recettes agricoles brutes des producteurs dans les pays de l’OCDE et 12 % dans les douze économies émergentes prises en compte.

  • Des dépenses de 102 milliards USD ont été consacrées aux services d'intérêt général fournis au secteur (ESSG), dont 76 milliards USD d’investissements publics dans la R-D, la biosécurité et les infrastructures.

  • Les subventions destinées aux consommateurs (résultant par exemple des programmes intérieurs d’aide alimentaire) se sont montées à 78 milliards USD par an, soit 11 % de la totalité des transferts positifs à l’agriculture.

  • Un petit nombre de pays ont jugulé les prix de certains produits ou de la totalité d’entre eux, ce qui s’est traduit par un transfert des producteurs de 104 milliards USD par an.

Dans le monde entier, les systèmes alimentaires sont confrontés à un « triple défi » colossal. Premièrement, ils doivent assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle d’une population mondiale croissante. Deuxièmement, ils sont indispensables pour assurer un revenu et des moyens de subsistance à des centaines de millions de personnes qui ont une activité dans l’agriculture ou dans d’autres segments de la filière alimentaire. Troisièmement, ils doivent parvenir à ces résultats de façon durable, sans épuiser les ressources en sols et en eau ni celles de la biodiversité, et tout en contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans leur ensemble, les politiques agricoles couvertes dans ce rapport– dans les économies développées et émergentes – ne répondent efficacement à aucune de ces trois nécessités.

Sur les 540 milliards USD de soutien accordés chaque année aux producteurs, plus de 60 %, soit 338 milliards USD, passent par les instruments les plus susceptibles de créer le plus de distorsions, à savoir le soutien des prix du marché (272 milliards USD) et les paiements liés à la production ou à l’utilisation d’intrants sans contraintes (66 milliards USD). Les uns comme les autres ne sont pas efficaces en ce qui concerne le transfert de revenu aux agriculteurs, car une grande partie des prestations est capitalisée dans la valeur des terres ou est compensée par une hausse du prix des intrants. De plus, ils sont en général inéquitables, dans la mesure où le soutien qui en découle est directement lié à la production, et ne ciblent pas les producteurs à faibles revenus. Enfin, étant donné qu’ils incitent directement à accroître la production, ils concourent à intensifier les pressions exercées sur les ressources naturelles, notamment du fait d’impacts sur la qualité de l’eau, et peuvent augmenter les émissions de GES. En l’absence de politiques environnementales complémentaires, de moins en moins de pays parviennent à conjuguer croissance de la productivité et diminution des pressions sur les ressources naturelles et des émissions.

Le soutien positif et négatif des prix du marché et le recours à des mesures aux frontières qui l’accompagne ont tous deux des répercussions préjudiciables sur la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, car ils font obstacle à une allocation efficace des ressources internes et empêchent les échanges de faire passer les produits alimentaires des régions excédentaires vers les régions déficitaires et donc de jouer leur rôle compensateur. En limitant les échanges, ils contribuent aussi à aggraver la volatilité des prix sur les marchés alimentaires internationaux.

Le soutien aux producteurs qui est moins couplé aux décisions de production, en l’occurrence 202 milliards USD, engendre moins de distorsions à la marge et a moins d’effets dommageables sur la sécurité alimentaire mondiale. De même, il a moins tendance à concourir à la hausse des pressions exercées sur les ressources et des émissions de GES. S’agissant du transfert de revenu, ces paiements demeurent en général répartis inéquitablement, car ils sont rarement dispensés sur la base d’une évaluation des besoins sociaux ou d’éléments attestant que les exploitations ne seraient pas viables en l’absence de soutien. Par ailleurs, à peine 1.5 milliard USD de ces paiements aux producteurs ont été liés explicitement à la fourniture de biens publics environnementaux.

Des dépenses de 102 milliards USD ont été consacrées aux services d'intérêt général fournis au secteur (ESSG), dont 76 milliards USD d’investissements publics dans la R-D, la biosécurité et les infrastructures. Ces trois composantes représentent tout juste 6 %, 2 % et 9 % du soutien budgétaire à l’agriculture, respectivement, alors qu’il est établi que la R-D est très profitable et que chacune des trois catégories est à même de favoriser une croissance durable de la productivité et une amélioration de la résilience – leviers essentiels pour assurer la sécurité alimentaire, des moyens de subsistance viables et une utilisation durable des ressources.

(i) Supprimer progressivement les interventions visant les prix et le soutien aux producteurs faussant les marchés. Il est possible que l’élimination du soutien positif des prix du marché et de la protection commerciale qui s’y rapporte doive être compensée par une assistance transitoire et par une extension des régimes de protection sociale [voir (ii)]. Inversement, la suppression des mesures qui minorent les prix intérieurs risque de limiter l’accès des ménages pauvres à l’alimentation, ce qui appelle des transferts de revenus ciblés.

(ii) Orienter le soutien au revenu vers les ménages agricoles qui en ont le plus besoin et, lorsque c’est possible, l’intégrer à la protection sociale et aux filets de sécurité visant l’ensemble de l’économie. Cela nécessiterait de disposer de meilleures informations sur les revenus et les actifs des ménages agricoles, avec un rôle spécifique pour les politiques agricoles qui comprendrait la prise en charge des aspects de la gestion des risques agricoles qui ne peuvent pas l’être par les agriculteurs eux-mêmes ou par les marchés des risques.

(iii) Réorienter la dépense publique vers les investissements dans les biens publics – en particulier les systèmes d’innovation. L’investissement dans les systèmes d’innovation, couvrant à la fois la génération des connaissances et leur transmission aux acteurs du secteur devrait être placé au centre des politiques de soutien agricole. La part des paiements bénéficiant aux biens publics essentiels, y compris les services écosystémiques, pourrait être quasiment doublée moyennant une réorientation des paiements qui faussent les marchés, et même hissée à un niveau encore plus élevé grâce à une réattribution du soutien des revenus dont bénéficient les agriculteurs qui percevraient des revenus agricoles et non agricoles supérieurs à la moyenne en l’absence de soutien.

L’agriculture parvient encore à nourrir une population mondiale en augmentation. Néanmoins, les systèmes alimentaires se caractérisent dans leur ensemble par une hausse des émissions de GES ; un déclin de la biodiversité ; une persistance de la faim qui coexiste avec une incidence élevée de l’obésité ; des pressions sur les ressources en sols et en eau ; et une incapacité à fournir des moyens de subsistance durables à beaucoup d’agriculteurs pauvres. La réforme des politiques agricoles ne peut pas résoudre tous ces problèmes à elle seule, mais les stratégies davantage axées sur la durabilité et l’innovation ont un grand rôle à jouer. Plus généralement, une approche orientée vers les systèmes alimentaires nécessite que les décideurs publics de l’agriculture adoptent une vue d’ensemble de la performance des politiques par rapport à leurs objectifs multiples, et qu’ils se coordonnent afin d’en assurer la cohérence. Trois événements majeurs programmés en 2021 peuvent aider à mobiliser la communauté internationale autour d’un changement et accélérer la marche vers les Objectifs de développement durable : la 26e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ; la 15e conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique ; et le sommet de l’ONU sur les systèmes alimentaires. Les pays devraient saisir l’occasion de traduire la prise de conscience internationale en actions nationales précises.

Note

← 1. Le présent rapport est consacré aux évolutions récentes de l’action publique et aux estimations du soutien dans l’ensemble des 37 pays membres de l’OCDE, l’Union européenne et douze économies émergentes ou en développement. Le Costa Rica est devenu le 38e membre de l’OCDE en mai 2021. Dans les données agrégées utilisées dans ce rapport, le pays est néanmoins inclus comme l’un des 12 économies émergentes.

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