5. L’importance de l’exécution contractuelle dans la détection, la prévention et la gestion des risques de fraude et de corruption au Québec

Alors que les phases d’élaboration et d’adjudication des marchés publics font l’objet d’une attention particulière dans nombre de pays membres de l’OCDE, y compris au Canada et au Québec plus particulièrement, l’exposition de la phase d’exécution contractuelle aux risques de corruption a longtemps été négligée.

Pourtant c’est à l’occasion de cette dernière que les effets tangibles de la corruption, quel qu’en soit l’origine, se matérialisent soit par une exécution déficiente ou sous-optimale des prestations attendues, soit par l’octroi de paiements indus. Par ailleurs, certaines études suggèrent que la corruption ou la fraude liée à l’exécution contractuelle est celle qui génère les plus larges montants indûment perçus (Piga, 2011[1]).

En réponse aux cas de corruption dans l’exécution des marchés publics et aux pratiques mises à jour par la Commission Charbonneau, le gouvernement du Québec a développé de nombreux instruments pour mieux isoler les marchés publics des risques de corruption affectant spécialement la phase d’exécution contractuelle.

En premier lieu, le gouvernement québécois a renforcé son arsenal législatif en multipliant les mesures liées à la surveillance de l’exécution des marchés publics et ce afin d’écarter les entreprises coupables de malversations pendant la phase d’exécution contractuelle. Ainsi, la Loi sur les contrats des organismes publics, dernièrement révisée en 2017, vise, parmi d’autres objectifs liés à l’équité, la transparence et l’efficience, à promouvoir les principes fondamentaux suivants :

  • la confiance du public dans les marchés publics en attestant l’intégrité des concurrents

  • la mise en œuvre de systèmes d’assurance de la qualité dont la portée couvre la fourniture de biens, la prestation de services ou les travaux de construction requis par les organismes publics

  • la reddition de comptes fondée sur l’imputabilité des dirigeants d’organismes publics et sur la bonne utilisation des fonds publics.

La phase d’exécution contractuelle tient donc une place prépondérante puisqu’elle participe à renforcer la confiance du public dans les marchés publics, qu’elle doit être l’occasion de mettre en œuvre des systèmes d’assurance qualité et de mécanismes favorisant la reddition de comptes. De fait, l’atteinte de ces objectifs est dépendante du cadre définissant les relations entre les acteurs publics et privés lors de l’exécution des marchés publics.

La responsabilisation des parties prenantes pour des actes avérés de corruption dans la conduite des marchés publics a été largement développée au Québec. Différentes lois ayant pour objectif principal de créer une structure robuste d’analyse et de contrôle des marchés publics (Loi concernant la lutte contre la corruption de 2011, Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics de 2012, et dernièrement la Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics de décembre 2017) ont été sanctionnées et sont applicables à l’ensemble des marchés publics.

Depuis janvier 2012, les dispositions principales de la LCOP liées aux sanctions prononcées à l’encontre d’entreprises reconnues coupables d’infractions lors de l’exécution de marchés publics s’appliquent également au monde municipal. En effet, le RENA et, plus récemment, l’autorisation de contracter sont des instruments utilisés dans le cadre des marchés publics municipaux.

Ces instruments permettent, comme le montre le graphique 5.1 ci-dessous, d’isoler les entreprises qui se sont rendues coupables d’infractions liées à l’exécution de marchés publics ou celles pour lesquelles de sérieux doutes entourent leur capacité à les exécuter de façon intègre et satisfaisante.

Les différentes réformes législatives ont par ailleurs créé des instances indépendantes de contrôle et d’enquête ou élargi les pouvoirs d’entités existantes. Nombre de ces acteurs ont, dans le cadre de leurs missions, un rôle de surveillance de l’exécution contractuelle des marchés publics. La Commission Charbonneau dans le cadre de sa recommandation n°1 relative à la création de l’AMP et à la dotation de pouvoirs étendus sur les marchés publics accorde elle-même une importance particulière à la possibilité d’accompagner les donneurs d’ouvrages publics dans leur gestion contractuelle, en ce compris l’exécution des contrats conclus par les organismes publics. Plus particulièrement, l’Autorité des Marchés Publics, a parmi ses fonctions la possibilité de :

  • examiner, de sa propre initiative, un processus contractuel ou l’exécution d’un contrat et faire des recommandations à l’organisme public concerné

  • enquêter sur la gestion contractuelle d’un organisme public qu’elle aura désigné ou qui aura été désigné par le gouvernement. Dans ce cadre, l’Autorité pourra faire des recommandations, résilier un contrat ou en suspendre l’exécution.

Bien que cet examen accru des marchés publics ne soit pas encore opérationnel, puisque tributaire de la prise de fonction du PDG de l’AMP, et qu’il ne produise donc pas encore d’effets tangibles, ces réformes successives s’attachent toutes à renforcer l’intégrité des marchés publics et créer un environnement plus transparent.

Par ailleurs, certains organismes publics ont également mis en œuvre des procédures pour accroître la surveillance des marchés publics, en ce compris leur exécution. Pour s’assurer que les missions de surveillance de l’application du cadre normatif, de vérification et de contrôle soient aussi efficientes que possible et puissent effectivement prévenir les risques de corruption dans le cadre de l’exécution des marchés publics, ces entités ou unités (AMP, SCT, Vérificateur général, BIG, etc.) devront néanmoins prioriser leurs examens. Ainsi que le montre le tableau 5.1 ci-dessous, en moyenne 34 343 procédures distinctes pour des marchés publics supérieurs à 25 000 CAD sont conduites chaque année.

De ces procédures découlent parfois plusieurs contrats, 10 % des procédures étant des marchés divisés en lots, ou des contrats dont la période d’exécution excède un an. Ces éléments signifient que le nombre de contrats pour lesquelles la transparence et l’intégrité de leur exécution peuvent être surveillées ou contrôlées dépasse largement le nombre de procédures conduites chaque année.

Même un échantillon de 10% mobiliserait un nombre très important de ressources. En conséquence, il est nécessaire qu’un cadre puisse définir les paramètres à prendre en compte pour identifier les contrats devant être examinés. Dans plusieurs pays de l’OCDE, afin de prioriser les activités d’audits, les Institutions Supérieures de Contrôle ont développé une méthodologie basée sur les risques (encadré 5.1).

Comme discuté plus tard, une plus grande harmonisation des principes définissant les relations entre les donneurs d’ouvrages publics et les fournisseurs et la définition d’indicateurs normalisés permettront aux différentes institutions en charge d’activité de surveillance, de contrôle et de vérification d’avoir une meilleure visibilité sur les contrats dans lesquels l’exécution semble présenter des risques. Ainsi une évaluation stratégique des contrats sujet à surveillance, contrôle ou vérification pourrait être réalisée.

Cependant ces réformes et initiatives s’attachent principalement à renforcer la surveillance des marchés publics et peu à la participation active des acteurs directement impliqués dans ceux-ci. Or, ceux-ci, donneurs d’ouvrages publics et fournisseurs, ont un rôle prépondérant dans la définition de procédures et stratégies d’acquisition résilientes aux risques de fraude et de corruption.

La Recommandation du Conseil de l’OCDE sur les marchés publics (OCDE, 2015[4]) accorde une place centrale à l’exécution contractuelle. En effet, la transformation des marchés publics, initialement perçus comme dérivant d’une activité purement administrative, en un outil stratégique de gouvernance publique induit une plus grande attention portée à l’ensemble du cycle des marchés publics. Nombre de réformes entreprises dans les pays de l’OCDE illustrent ce changement significatif dans l’approche des marchés publics, comme en témoigne la schématisation développée par la Nouvelle Zélande (graphique 5.2).

Le renforcement du rôle des acheteurs publics dans la gestion de l’exécution contractuelle a pour objectif premier de s’assurer de la responsabilisation des acteurs directement impliqués dans les marchés publics et de fournir l’assurance que la commande publique produise les résultats initialement escomptés. Cependant, cet objectif se trouve directement menacé par une exposition trop forte aux risques de corruption. Ainsi, une meilleure résilience des marchés publics aux risques de corruption passe par une plus grande responsabilisation des parties prenantes.

La mise en œuvre de systèmes d’assurance qualité et les mécanismes favorisant la reddition de comptes tiennent une place centrale parmi les objectifs de la LCOP. Néanmoins les dispositions législatives relatives à la phase d’exécution contractuelle sont sommaires et ne traitent principalement que des modalités de conclusions de modifications contractuelles.

Les Règlements spécifiques à certaines catégories d’achats (Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, chapitre C-65.1, r. 2 ; Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, chapitre C-65.1, r. 4 ; Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, chapitre C-65.1, r. 5) prévoient uniquement les principes généraux applicables au règlement des différends lors de l’exécution de marchés publics mais ne détaillent pas le rôle des parties prenantes.

En fait, chaque donneur d’ouvrage public a la responsabilité d’élaborer des lignes internes qui détaillent le cadre applicable à la gestion des marchés publics, y compris l’exécution des contrats. Une étude du Secrétariat du Conseil trésor1 analysant les lignes directrices des organismes publics met en lumière que si certaines bonnes pratiques ont pu être identifiées dans l’échantillon de donneurs d’ouvrages publics retenu elles ne font pas l’objet d’une application systématique.

Cette hétérogénéité de pratiques se retrouve par exemple sur la description du rôle du Responsable de l’Application des Règles Contractuelles (RARC) qui est une figure centrale de chaque organisme gouvernemental ayant un rôle prépondérant dans l’exécution des marchés publics. Bien que certains organismes gouvernementaux détaillent les missions spécifiques du RARC, l’étude note qu’un certain nombre d’entités se contentent de se référer au cadre législatif applicable.

Ces différences d’opérationnalisation des marchés publics ont pour conséquence d’offrir une plus grande porosité aux risques de corruption et de rendre plus difficile leur détection. Les efforts d’harmonisation entrepris par le Système National de Santé (National Health System, NHS) en Grande-Bretagne fournissent un éclairage intéressant sur la responsabilisation des acteurs et leurs rôles dans la lutte contre la fraude et la corruption (encadré 5.2).

Afin de consolider les initiatives isolées des organismes gouvernementaux et d’assurer une harmonisation des rôles et responsabilités des acteurs directement impliqués dans les marchés publics, le gouvernement du Québec pourrait développer des lignes directrices relatives spécifiquement à l’exécution des marchés publics définissant les rôles et responsabilités des différents intervenants et les éléments clés permettant d’identifier et de prévenir les risques de fraude ou de corruption.

Par ailleurs, dans le cas de certains contrats spécifiques, d’autres intervenants jouent un rôle central dans l’exécution des marchés publics. C’est par exemple le cas du secteur de la construction où un intermédiaire privé, souvent une firme de génie-conseil, est responsable du suivi quotidien du chantier et de la validation de l’avancement des travaux conformément aux engagements contractuels.

En réponse à cette problématique spécifique un guide pratique a été développé par le Secrétariat du conseil du trésor (Secrétariat du conseil du Trésor, 2018[7]). Bien que le traitement de la phase d’exécution contractuelle ne soit que sommairement développé, le guide mentionne l’importance de s’assurer que les prestataires de services professionnels réalisent leur prestation sous un contrôle précis des donneurs d’ouvrages publics. Cependant plusieurs rapports du Vérificateur général du Québec, dont le dernier en date de 2017 (VGQ, 2017[8]), soulignent l’importance du rôle des vérificateurs de chantier dans le domaine des travaux publics et de la problématique posée par la dilution des responsabilités relatives à la vérification de la bonne exécution des contrats.

Les régimes de surveillance en place, comme l’autorisation de contracter qui doit être obtenue pour les contrats de travaux supérieurs à 5 millions USD et les sous-contrats en découlant, ne s’applique pas aux vérificateurs de chantier, ceux-ci ayant un contrat formellement distinct de l’entreprise de construction. Par ailleurs, les seuils applicables aux contrats de services pour être soumis à une procédure d’autorisation de contracter font que les vérificateurs de chantier, bien qu’ayant un lien direct avec les travaux de construction, ne sont pas soumis au même formalisme que l’entreprise de construction.

Les ressources et l’expertise technique nécessaires pour le suivi de chantiers parfois extrêmement complexes est une problématique commune à beaucoup de donneurs d’ouvrages publics dans le monde y compris dans les pays de l’OCDE, et souvent ces fonctions sont externalisées en tout ou en partie. Par ailleurs, plus les entités publiques ont des ressources limitées plus cette problématique est prégnante. Afin d’assurer un encadrement plus strict de ces activités, la ville de Charleston aux États-Unis a développé un programme spécifique d’habilitation des inspecteurs externes dans le domaine de la construction (encadré 5.3).

Compte tenu du rôle central des firmes de génie-conseil dans le suivi et l’exécution des travaux de construction, le gouvernement du Québec et plus particulièrement le MAMH pourrait évaluer les différentes possibilités offertes pour encadrer les activités des vérificateurs de chantier et s’assurer qu’ils participent à la conduite intègre et transparente des marchés publics. Parmi ces options, le gouvernement québécois pourrait considérer élargir le champ d’application de l’autorisation de contracter, ou d’une procédure allégée, à tous les contrats liés directement ou indirectement à ceux dépassant les seuils établis.

Au-delà de la mise en évidence de pratiques frauduleuses avérées qui toutes soulignent l’exposition des marchés publics, aucune estimation communément admise ne peut être avancée quant à la proportion des actes de corruption qui n’ont pas été mis à jour. Néanmoins, le principe même de la corruption ou de la fraude étant d’être indécelable, la définition de mesures et moyens permettant de renforcer la résilience de l’ensemble du cycle des marchés publics aux risques potentiels de corruption prend toute son importance.

Les marchés publics sont particulièrement exposés aux risques de corruption et certains secteurs dans lesquels l’acheteur public évolue, tels que la construction ou la santé, sont également parmi les plus exposés aux risques posés à l’intégrité des affaires. Ces faits qui ont été mis en lumière par l’enquête de la Commission Charbonneau ne sont pas propres au Québec et un rapport sur la corruption transnationale met en évidence que cette problématique est commune dans le secteur de la construction au sein des pays de l’OCDE (OCDE, 2014[10]).

L’évolution de la relation entre le secteur public et le secteur privé dans les marchés publics est un facteur déterminant dont la prise en compte permet de souligner l’importance de l’implémentation de procédures normalisées pour la gestion de l’exécution contractuelle. En effet, de nombreuses études empiriques (Aminian, Kirkham and Fenn, 2012[11]), (Lonsdale et al., 2010[12]) et (Bovaird, 2006[13]) démontrent que l’influence des acteurs publics diminue au fur et à mesure de l’avancée de l’exécution des prestations et de l’augmentation des dépenses qui y sont liées. Cette perte d’influence augmente au fur et à mesure de l’accroissement de la complexité des marchés publics comme le mettent en évidence les récents examens de marchés de travaux et de technologies de l’information réalisés par le Vérificateur Général du Québec (VGQ, 2017[14]).

Or, la perméabilité aux risques de corruption s’appuie également sur la vulnérabilité de l’environnement dans lequel les parties prenantes évoluent. En effet, de nombreuses analyses montrent que la qualité institutionnelle est une variable importante de l’exposition aux risques de corruption (OCDE, 2013[16]). Dans le cadre de l’exécution des marchés publics cette robustesse institutionnelle dépend en partie des règles et principes applicables aux relations contractuelles. Or, compte tenu du caractère sommaire des dispositions législatives et réglementaires au Québec traitant de la phase d’exécution contractuelle, ces principes sont laissés à la discrétion des organismes publics et du monde municipal.

En ce sens le développement d’un cadre exhaustif définissant les interactions entre les acteurs publics et les fournisseurs contribuerait à s’assurer d’une résilience accrue aux risques de corruption affectant les marchés publics. En effet, une étude australienne souligne les bénéfices atteints par un alignement stratégique des valeurs en termes d’efficience des mesures prises pour lutter contre la corruption (Australian Commission for Law Enforcement Integrity, n.d.[17]).

Les bénéfices retirés d’un alignement stratégique des valeurs entre acheteurs publics et fournisseurs ont depuis longtemps été documentés et notamment l’impact de l’alignement sur l’efficience organisationnelle (Barratt, 2004[18]). Néanmoins, s’assurer de cet alignement requiert que les contours régissant les futures relations contractuelles soient identifiés dès la définition des stratégies d’acquisition.

Des pôles d’expertises en construction et en technologies de l’information sont actuellement en préparation afin d’accompagner les organismes publics dans ces domaines. La création de ces pôles pourrait constituer une opportunité de développer un cadre de gestion contractuelle adapté aux particularismes de ces domaines.

Le point central de la définition des relations contractuelles entre les acheteurs publics et le secteur privé est l’établissement d’un cadre s’appliquant à l’évaluation de la performance de l’exécution contractuelle. Dans nombre de pays de l’OCDE cette évaluation ne se limite pas à juger l’atteinte ou non des objectifs définis dans le contrat mais aussi plus largement les relations des contractants avec le secteur public, en ce compris, son éthique et son intégrité dans les affaires.

L’Office de la Politique des Marchés Publics Fédéraux aux États-Unis (Office of Federal Procurement Policy, OFPP) a par exemple établi des lignes directrices à l’attention de tous les acheteurs publics fédéraux pour évaluer et reporter la performance et l’intégrité des prestataires dans les marchés publics. (Office of Federal Procurement Policy, 2013[19]).

Tous les Règlements prévoient l’obligation pour l’organisme public de consigner dans un rapport l’évaluation d’un fournisseur dont le rendement est considéré insatisfaisant. Cette évaluation négative permet à l’organisme public d’écarter le prestataire dans le cadre d’une nouvelle procédure d’appel d’offres. La seule exception notable est l’évaluation de la performance des fournisseurs dans les marchés publics liés aux technologies de l’information où une évaluation exhaustive des prestations est requise. En outre, depuis le 1er juin 2016, le Règlement sur les contrats des organismes publics en matière de technologies de l’information (RCTI) obligent les organismes publics à consigner dans un rapport l’évaluation du prestataire de services, lorsque le montant total payé pour un contrat en matière de technologies de l’information est égal ou supérieur à 100 000 USD.

Cependant, qu’elles soient uniquement négatives ou plus exhaustives, ne sont, pour l’instant, pas partagées avec les autres organismes publics, ce qui a pour conséquence directe qu’un autre organisme public ne pourra utiliser l’expérience acquise lors de l’exécution de contrats précédents pour identifier les prestataires admissibles dans le cadre de ses propres procédures de mise en concurrence. Cette situation devrait changer dans un futur proche puisque la LCOP prévoit cette centralisation auprès de l’AMP. Néanmoins, il est nécessaire qu’un décret d’application soit pris pour que cette disposition soit effective.

Compte tenu de l’importance d’identifier des contractants intègres et efficients pour l’exécution des marchés publics, le gouvernement du Québec pourrait s’assurer de l’entrée en vigueur la plus rapide possible de cette nouvelle disposition afin que les évaluations de rendements insatisfaisants puissent être diffusées à l’ensemble des organismes publics et municipaux et que la performance passée soit prise en compte dans l’attribution des marchés publics.

Néanmoins, pour éviter une trop grande discrétion dans l’exclusion d’un prestataire des marchés publics, il conviendra de définir les conditions minimales pour qu’une évaluation de performance puisse être utilisée dans le cadre de procédures futures.

Le gouvernement du Québec peut s’inspirer des pratiques mises en œuvre en Europe, où la Directive de l’Union Européenne de 2014 prévoit que la performance passée d’un prestataire peut être prise en compte pour exclure un soumissionnaire d’une procédure d’appel d’offres pour autant que cette mauvaise performance ait été significative ou persistante. Ce dernier point implique que la performance déficiente doit avoir été mise en évidence dans plus d’un marché public.

Alternativement, le gouvernement du Québec peut s’inspirer des pratiques en vigueur aux États-Unis où la performance passée d’un fournisseur n’est pas un motif d’exclusion mais un élément d’évaluation des offres. Cette approche a pour principal effet d’inciter les soumissionnaires à améliorer leurs pratiques dans le cadre de l’exécution contractuelle, y compris leur intégrité, celles-ci étant prises en compte dans les évaluations futures. Par ailleurs, cette approche présente l’avantage de ne pas limiter la concurrence puisqu’elle n’exclut pas de facto un prestataire.

S’appuyant sur un cadre structuré et harmonisé, la détection et la prévention effectives de la corruption dans les marchés publics n’est possible que si des données sur l’exécution contractuelle sont collectées, stockées de façon structurée et accessibles aux fins d’analyse (PwC, Ecorys, 2013[21]).

La conclusion d’avenants aux marchés publics est une pratique inhérente à tout système de marchés publics. Bien que la conclusion d’avenants ne fournisse pas en tant que tel un indice sur l’existence d’actes de corruption elle peut se révéler symptomatique de situations à risques et notamment de corruption (Racca and Perin, 2013[22]). La matérialisation des actes de corruption prend en effet souvent la forme d’une dépense supplémentaire, d’un allongement du délai de réalisation des prestations ou d’une réduction du périmètre des prestations non prévue au contrat d’origine.

L’article 17 de la LCOP, tout comme l’article 573.3.0.4 de la Loi sur les cités et des villes, stipule qu’une modification peut être apportée à un contrat pour autant que cette modification en constitue l’accessoire et n’en change pas la nature. En revanche, une modification ne requiert pas d’autorisation lorsqu’elle résulte d’une variation du montant sur lequel doit s’appliquer un pourcentage déjà établi ou d’une variation d’une quantité pour laquelle un prix unitaire a été convenu.

Les modifications apportées aux contrats publics obéissent des plus à des obligations de publication sur le SEAO dès lors qu’ils impliquent une dépense supplémentaire supérieure à 10% du montant original. Cet élément permet donc d’obtenir des données sur cette catégorie de modifications. Une étude menée en 2013 sur la gestion contractuelle de certains organismes publics québécois entre 2010 et 2013 (KPMG and SECOR, 2013[23]) a démontré par exemple que le secteur de la construction au Québec a vu une augmentation de la conclusion d’avenants entraînant des dépenses supplémentaires. L’étude établit l’importance de l’analyse des dépenses supplémentaires dans l’identification de situations exposées aux risques de corruption.

Néanmoins, comme discuté dans le chapitre 2 de ce rapport, les modifications aux marchés publics qui pourraient révéler un risque de corruption ne portent pas uniquement sur une augmentation du prix payé au prestataire.

En effet, dans le cadre d’une analyse de risque, la fréquence de ces modifications, ainsi que la nature et l’identité des parties prenantes peuvent fournir des indications complémentaires précieuses sur l’existence de ce risque. Par ailleurs, ces éléments fournissent des éléments objectifs de comparaison qui viendront compléter les indicateurs plus traditionnels basés sur la perception (Fazekas and Kocsis, 2017[24]).

Outre les modifications de marchés publics à prix et périmètres définis, les dépenses effectuées sur les contrats ouverts, tels que les contrats à exécution sur demande ou les contrats à commande, peuvent fournir des indications supplémentaires pour des risques de fraude.

Ces contrats, dont les montants représentent presque 25% du montant total des marchés publics pour les organismes gouvernementaux, ne sont pas suivis de façon systématique et centralisée. Or, ce type de contrat, de par sa typologie et ses caractéristiques principales, présente des risques spécifiques de collusion ou de corruption (Albano and Nicholas, 2016[25]).

En effet, ces contrats offrent aux donneurs d’ouvrages publics la flexibilité de passer des commandes ponctuelles auprès de fournisseurs identifiés. Dès lors l’absence de suivi des montants réellement dépensés empêche la détection d’éventuels stratagèmes frauduleux. Par exemple, l’analyse des dépenses effectuées sur certaines catégories de médicaments par les entités décentralisées de l’Institut de Sécurité Sociale du Mexique (Instituto Mexicano de Seguro Social, IMSS), le plus grand organisme de santé de l’Amérique Latine, a mis à jour un vaste système de collusion (OCDE, 2013[26]).

Parmi les pouvoirs attribués à l’AMP, sur la base des recommandations de la Commission Charbonneau, figure la création d’une équipe d’experts. L’Autorité a pour fonction d’effectuer une veille des contrats publics lui permettant d’analyser l’évolution des marchés et les pratiques contractuelles des organismes publics et d’identifier les situations problématiques affectant la concurrence. Si, au cours de cette veille ou dans le cadre de ses travaux de vérification ou d’enquête, l’Autorité repère des indices de malversation ou la présence de cartels, elle est tenue par la l’AMP de transmettre ces informations au Commissaire à la lutte contre la corruption, chargé de mener les enquêtes criminelles en la matière.

L’autorité pourrait donc profiter de la constitution de cette équipe pour définir les indicateurs pertinents afin d’identifier les contrats pour lesquels leur exécution présente des risques de fraude ou de corruption. Comme discuté avant, ces indicateurs pourraient, en complément des augmentations de dépenses, capturer des informations liées à la fréquence des modifications contractuelles, à leur nature ou encore à l’identité des parties prenantes. Ils pourraient également analyser de façon générale les montants effectivement dépensés dans les différents types de contrats et évaluer ces montants en fonction des estimations de besoins initialement établies par les organismes publics et le monde municipal.

Un élément inhérent à la conclusion des marchés publics et qui peut avoir un effet indirect sur l’exposition plus ou moins accrue de certains marchés aux risques de fraude et de corruption est la question des délais de paiement. Ce fait saillant a été particulièrement relevé par la Commission Charbonneau. Lors de leur témoignage devant la Commission, plusieurs entrepreneurs ont fait état de la problématique des délais de paiement des factures soumises aux donneurs d’ouvrage publics. En général, le paiement des comptes clients est exigible 30 jours après la date de facturation, mais les délais de paiement dans l’industrie de la construction seraient maintenant de 3 à 6 mois, selon ces derniers.

Cette situation, au-delà de son impact sur la concurrence dans les marchés publics, comporte deux problématiques spécifiques qui peuvent avoir une incidence sur l’exposition des contrats publics aux risques de fraude et de corruption. Premièrement, elle confère un pouvoir important aux surveillants de chantier, puisque ces derniers doivent notamment approuver les paiements progressifs. Selon la vitesse d’approbation de ceux-ci, ces professionnels peuvent intimider ou favoriser des entrepreneurs en construction, contribuant de cette manière aux stratagèmes de corruption privée.

Deuxièmement, une telle situation favorise l’infiltration du crime organisé dans l’industrie de la construction. En effet, une PME confrontée à des difficultés financières découlant de comptes clients trop importants pourrait être tentée de recourir à des sources de financement non légitimes. D’après la Commission, le financement illégitime ou non traditionnel est utilisé par une proportion notable d’entreprises de construction en raison des retards de paiement. Différents pays de l’OCDE ont implémenté des stratégies spécifiques visant à accélérer les délais de paiement dans le cadre de leurs marchés publics et en dirigeant ces stratégies sur certains secteurs spécifiques ou sur certains types de fournisseurs comme les PME (encadré 5.5).

En réponse à cette problématique, la récente loi sur l’AMP prévoit spécifiquement que le président du Conseil du trésor peut, par arrêté, autoriser la mise en œuvre de projets pilotes visant à expérimenter diverses mesures destinées à faciliter le paiement aux entreprises parties aux contrats publics que détermine le Conseil du trésor ainsi qu’aux sous-contrats publics qui y sont liés et à définir des normes applicables en cette matière.

Compte tenu de l’impact des retards de paiement sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, Québec pourrait adopter une réponse plus systématique à la question des délais de paiements afin de minimiser son influence. Cette réponse pourrait résider en une généralisation de délais de paiement réduits applicables à l’ensemble des marchés publics ou prendre la forme d’un programme progressif se concentrant en premier lieu sur les PME, qui est la catégorie de fournisseurs les plus impactés par les retards de paiement.

Références

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[15] Dale, E. (2016), Collaboration in the supply chain.

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[23] KPMG and SECOR (2013), Revue indépendante de la gestion contractuelle des dépenses supplémentaires associées à des contrats de construction et de services de certains organismes publics Québécois, https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/Nouvelles/RapportKPMG_SECOR.pdf (accessed on 24 June 2018).

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[27] Ministère de l’Economie, France (2013), “Les délais de paiement dans les contrats de la commande publique”, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/textes/autres-textes/fiche-decret-delais-paiement.pdf (accessed on 30 July 2018).

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[28] National Small Business Association (2017), Feds Prompt Payment Policy Expiring, http://nsba.biz/feds-prompt-payment-policy-expiring/ (accessed on 30 July 2018).

[6] NHS Counter Fraud Authority (2018), Invoice fraud guidance for prevention and detection, https://cfa.nhs.uk/resources/downloads/guidance/NHSCFA%20Invoice%20fraud%20guidance%20-%20v1.0%20July%202018.pdf (accessed on 24 July 2018).

[3] OCDE (2017), Brazil’s Federal Court of Accounts: Insight and Foresight for Better Governance, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264279247-en.

[4] OCDE (2015), Recommandation du Conseil de l’OCDE sur les marchés publics, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/gouvernance/ethique/Recommandation-OCDE-sur-les-marches-publics.pdf.

[10] OCDE (2014), Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale: Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264226623-fr.

[16] OCDE (2013), “Issues paper on corruption and economic growth”, https://star.worldbank.org/sites/star/files/oecd_issues_paper_on_corruption_and_economic_growth_2013.pdf (accessed on 25 July 2018).

[26] OCDE (2013), Public Procurement Review of the Mexican Institute of Social Security: Enhancing Efficiency and Integrity for Better Health Care, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264197480-en.

[19] Office of Federal Procurement Policy (2013), Improving the collection and use of information about contractor performance and integrity, https://www.acq.osd.mil/dpap/policy/policyvault/USA001513-13-DPAP.pdf (accessed on 20 July 2018).

[1] Piga, G. (2011), “A fighting chance against corruption in public procurement?”, International Handbook on the Economics of Corruption, Vol. Two, http://www.gustavopiga.it/wordpress/wp-content/uploads/2012/01/Ch5.pdf (accessed on 24 June 2018).

[21] PwC, Ecorys (2013), Identifying and Reducing Corruption in Public Procurement in the EU, https://ec.europa.eu/anti-fraud/sites/antifraud/files/docs/body/identifying_reducing_corruption_in_public_procurement_en.pdf (accessed on 23 July 2018).

[22] Racca, G. and R. Perin (2013), “Material Amendments of Public Contracts during their Terms: From Violations of Competition to Symptoms of Corruption”, European Procurement and Public Private Partnership, Vol. 8/4, http://papers.ssrn.com/sol3/pa- (accessed on 20 July 2018).

[2] Secrétariat du Conseil du trésor (2018), Entreprises inscrites au RENA, https://rena.tresor.gouv.qc.ca/rena/rechercher.aspx?type=lettre&lettre=a-z (accessed on 27 July 2018).

[7] Secrétariat du conseil du Trésor (2018), Balises à l’égard des exigences et des critères contractuels en services profesionnels liés à la construction, https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/Balise_construction_services_professionnels.pdf (accessed on 24 July 2018).

[8] VGQ (2017), “Audit particulier (partie 2). Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports : gestion contractuelle”, in Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2017-2018, http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_audit-particulier-enquete/fr_Rapport2017-2018-MTMDET-partie-2/fr_Rapport2017-2018-MTMDET.pdf.

[14] VGQ (2017), “Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2016-2017”, http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2016-2017-Hiver/fr_Rapport2016-2017-HIVER-Chap05.pdf (accessed on 22 June 2018).

[9] Ville de Charleston (2016), “Third Party Inspection Program Policy”, http://www.charleston-sc.gov/DocumentCenter/View/12847 (accessed on 24 July 2018).

Note

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