2. Coordination pangouvernementale menée par le centre de gouvernement de Haïti

Les dernières décennies ont été marquées par l’émergence de défis complexes et multidimensionnels, tels que la crise du climat, les catastrophes naturelles, l’extrémisme violent, les vagues de migration (Lægreid, P. , Sarapuu, K. , Rykkja, L.H. and Randma-Liiv, 2015[1]). La résolution de ces problèmes est particulièrement ardue dans la mesure où ils découlent de systèmes interdépendants complexes qui dépassent les domaines d'action traditionnels (Lægreid, P. , Sarapuu, K. , Rykkja, L.H. and Randma-Liiv, 2015[1]). Haïti est l'un des pays les plus exposés aux risques naturels, puisque plus de 93 % de sa superficie et plus de 96 % de sa population sont exposés à deux risques ou plus (Banque mondiale, 2018[2]). Entre 1976 et 2012, les évènements naturels catastrophiques ont coûté à l'économie haïtienne près de 2 % de son produit intérieur brut (PIB) par an (Banque mondiale, 2018[2]). Haïti connaît également d’importantes vagues d’émigration, le nombre d’Haïtiens vivant à l’étranger culminant à 1,2 million en 2015. Bien que les envois de fonds représentent environ 25 % du PIB haïtien, l’émigration demeure un facteur de développement insuffisamment analysé (OCDE/INURED, 2017[3]).S’attaquer à cette problématique implique non seulement d'adopter des initiatives spécifiques axées sur la migration et le développement, mais aussi d'inclure la question de la migration dans la conception, la mise en œuvre et l'évaluation de toutes les politiques sectorielles pertinentes (OCDE/INURED, 2017[3])La pandémie de COVID-19 a par ailleurs mis en relief l’importance vitale d’un système efficace de coordination pour la gestion de crise, capable d’élaborer et de mettre en œuvre une réponse cohérente à travers les niveaux et silos de gouvernement (OCDE, 2020[4]).

La résolution de ces problèmes transversaux requiert une approche de gouvernance intégrée et coordonnée qui surmonte les obstacles administratifs traditionnels, de manière à concevoir, mettre en œuvre et évaluer des réponses politiques multidimensionnelles, grâce à une coordination robuste et durable entre les unités administratives permettant de décloisonner les silos politiques (OCDE, 2020[5]). Sans une coordination adéquate entre les différentes unités, les dirigeants peuvent être amenés à prendre des décisions sur la base d'informations erronées, biaisées ou incomplètes. Les politiques et les services qui en résultent risquent alors d'être défaillants car ils n'ont pas été correctement évalués en termes de coûts, d’avantages potentiels et de retombées, de cohérence avec les politiques existantes et de légalité sur le fond et sur la procédure. Les efforts de différentes institutions peuvent aussi être en contradiction ou faire double emploi, ce qui entraîne un gaspillage des ressources publiques. Enfin, un manque de coordination peut être une contrainte supplémentaire pour les citoyens, en dédoublant les procédures et en alourdissant les processus bureaucratiques. Une bonne coordination apparait ainsi comme un moyen de créer de meilleures politiques et de meilleurs services pour les citoyens.

La coordination administrative a toujours représenté un défi pour le secteur public (Seidman, 1997[6]), défi exacerbé par l’accroissement de la taille des gouvernements (World Bank Group, 2018[7]) et l’atomisation des structures administratives (Beuselinck, 2008[8]) (M. Alessandro, M. Lafuente et C. Santiso, 2013[9]) de ces dernières décennies. Ces phénomènes s’accompagnent en effet d’une multiplication des parties prenantes et donc d’intérêts divergents dans le cadre décisionnel (Slack, E., 2007[10]). En parallèle, les responsabilités des gouvernements ne cessent d’augmenter et de se complexifier (OCDE, 2020[5]) (World Bank Group, 2018[7]). Au cours des dernières décennies, la coordination entre différents secteurs et entités institutionnelles visant à assurer une plus grande cohérence des politiques a donc gagné en importance dans de nombreux pays membres et non membres de l'OCDE. Le développement de mécanismes de coordination renforcés est aujourd'hui largement reconnu comme l'un des catalyseurs d'une bonne gouvernance publique (OCDE, 2020[5]).

Une coordination efficace requiert davantage que la simple imposition d’autorité et de contrôle émanant du gouvernement central par un système hiérarchisé ; un ensemble de dispositions fonctionnelles et institutionnelles influent sur la capacité du centre de gouvernement (CdG) de mener à bien les objectifs stratégiques définis dans le Programme de modernisation de l’État 2018-2023 (PME-2023) et le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH).

Sur la base des résultats du questionnaire de l'OCDE administré dans le cadre de ce projet (ci-après « le questionnaire de l’OCDE »), des recherches documentaires et des éléments recueillis au cours de deux missions d'enquête, ce chapitre donne un aperçu de la manière dont les décisionnaires peuvent créer des moyens renforcés de coordination permettant de concevoir, de mettre en œuvre et d'évaluer les objectifs stratégiques du gouvernement avec succès. La première partie de ce chapitre évalue le cadre légal, institutionnel et fonctionnel de la coordination gouvernementale en Haïti. La deuxième partie se penche sur les implications du système d'aide publique au développement sur la coordination et la prise de décision en Haïti. Certaines questions politiques peuvent exiger l'implication de différents acteurs au sein du gouvernement central, mais aussi la participation d’autres niveaux de gouvernement, qui seront traités dans les chapitres ultérieurs. Ainsi, ce chapitre analyse la seule coordination horizontale, tandis que le chapitre 4, consacré à la gouvernance multi-niveaux, étudie la coordination entre les différents paliers de gouvernement à travers l'axe national-local, ainsi que la coordination horizontale entre les différents gouvernements locaux. Le chapitre 6 sur le gouvernement ouvert porte sur l'engagement et la coordination avec les organisations de la société civile et les citoyens.

La capacité du gouvernement haïtien à respecter les engagements définis dans son Plan stratégique de développement d’Haïti et son PME-2023 dépend, en partie, d’une meilleure coordination gouvernementale En effet, face à ces nouveaux défis politiques transversaux et multidimensionnels que sont la crise climatique, la pandémie, les crises économiques, les États membres et non-membres de l’OCDE adoptent de plus en plus des réponses politiques interministérielles (OCDE, 2018[11]). Ces défis requièrent en effet des réponses politiques qui nécessitent une approche intégrée et cohérente, où la mise en œuvre implique la contribution d'une multiplicité d'acteurs, parties prenantes, unités et institutions internes et externes, d'où la nécessité d'une coordination solide et efficace. À cette fin, les pays de l'OCDE ont renforcé progressivement les capacités institutionnelles et financières de leurs centres de gouvernement (CdG).

L'OCDE définit le CdG comme la structure de soutien au plus haut niveau de la branche exécutive du gouvernement (présidence, primature, et les autres institutions stratégiques et transversales et leurs équivalents) (OCDE, 2018[12]). Son principal mandat est de « veiller à la cohérence et à la prudence des décisions gouvernementales et de promouvoir des politiques stratégiques et cohérentes fondées sur des données probantes1 » (OCDE, 2014[13]) (voir Encadré 2.1).

Dans un contexte où le système de gouvernance est rythmé par des crises socio-économiques, politiques, environnementales et humanitaires, l’élaboration de politiques stratégiques et la direction politique en Haïti s’avèrent primordiales. De nombreux pays fragilisés par des chocs exogènes et endogènes souffrent de problèmes stratégiques dus à un cadre de planification et de hiérarchisation des priorités inadapté à la coordination interministérielle (Wild et Denney, 2011[14]). Au Libéria par exemple, les guerres civiles ont tué entre 1989 et 2003 plusieurs millions de personnes ; elles ont en outre dévasté l'économie et les infrastructures du pays. Le CdG du Libéria est aujourd’hui encore confronté à de nombreux défis, et notamment : un fonctionnement qui n’est pas optimal et qui répond aux besoins de manière réactive plutôt que proactive, une absence de procédures opérationnelles standardisées, des difficultés de coopération et de coordination intra- et interministérielle, et enfin des problèmes d'élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques résultant de l'absence d'une chaîne de commandement claire et cohérente (Rocha Menocal et Sigrist, 2011[15]). Dans ces pays fragilisés, y compris en Haïti, le rôle du Centre de gouvernement, sa capacité d’orienter et de coordonner l’agenda gouvernemental dans cet environnement, sont donc essentiels.

De plus, les Centres de gouvernement des pays fragilisés par des chocs successifs sont confrontés à des problèmes particuliers, et notamment une polarisation accrue, des risques de violence, une faible capacité de l'État (y compris en termes de ressources humaines), des processus décisionnels opaques ainsi qu’une pluralité d'acteurs et d'institutions impliqués dans les processus d'élaboration des politiques (partenaires techniques et financiers inclus). Ainsi, les centres de gouvernement ne peuvent pas être appréhendés de manière isolée ; il est nécessaire de bien cerner le contexte politique général et les dynamiques de pouvoir dans lesquelles les individus et les institutions opèrent.

Le pouvoir exécutif haïtien est caractérisé par sa nature bicéphale et très dépendant de la branche législative. La Constitution haïtienne de 1987 place le pouvoir exécutif dans les mains du président de la République qui est le chef de l’État, ainsi que d’un gouvernement conduit par un Premier ministre choisi parmi les membres du parti ayant la majorité absolue au Parlement. Le Premier ministre, en accord avec le Président, choisit les membres de son Cabinet, et le président de la République préside le Conseil des ministres. En amont des décisions prises lors du Conseil des ministres, les propositions sont étudiées au sein du Conseil de gouvernement, une instance crée par la tradition et présidée par le Premier ministre2. En séparant les fonctions de chef d’État et chef de gouvernement, la Constitution de 1987 tente de rompre avec les Constitutions antérieures qui permettaient au Président de cumuler les deux fonctions. Il revient en effet au gouvernement, et à lui seul, de conduire la politique de la nation. Ce pouvoir exécutif bicéphale est également soumis à un contrôle renforcé de la branche législative. Soucieuse de limiter les dérives autoritaires, la Constitution de 1987 attribue en effet au Parlement de larges prérogatives sur l’initiative et le vote des lois, et le contrôle du gouvernement. Il revient en particulier au Parlement d’approuver la déclaration de politique générale du gouvernement présentée par le Premier ministre.

Le pouvoir exécutif n’étant pas unitaire en Haïti, la structure d’appui au plus haut niveau de la branche exécutive de l’État est elle-même divisée en plusieurs institutions. Les mandats de celles-ci sont définis par les lois organiques qui leur sont propres, ou par des décrets. Les institutions du centre de gouvernement sont les suivantes en Haïti :

  • La présidence

    • Le Cabinet du président de la République3 : il s’agit d’un organe de conseil chargé d’assister le Président dans ses fonctions. Le Cabinet est formé de conseillers, de consultants et de chargés de mission, auxquels le Président peut faire appel dans tous les domaines dès qu'il le juge utile.

    • Le Secrétariat général de la Présidence4 : il assure la gestion administrative et financière des services de la présidence de la République. Il organise les archives de la présidence de la République pour assurer la continuité de l'État, assure le suivi administratif de toutes décisions, notamment les projets de loi adoptés en Conseil des ministres ainsi que les lois votées par le Parlement, gère les décorations honorifiques de la République, enregistre le dépôt de tout texte à caractère officiel ou légal et s'assure, le cas échéant, de leur publication au Journal officiel de la République quand la responsabilité présidentielle est engagée.

  • La Primature

    • Le Cabinet du Premier ministre5 : il s’agit d’un organe de conseil chargé d'assister le Premier ministre dans la conception, la définition, l'élaboration et la mise en œuvre des principales politiques gouvernementales.

    • Le Secrétariat général de la Primature6 : c’est l’organe chargé d’assurer la coordination des différents services de la Primature. Il participe à la coordination et à l’organisation du travail gouvernemental. Il traite également des rapports avec le Parlement et les institutions.

    • L’Office de management et des ressources humaines (OMRH)7 : il est chargé de veiller à la performance de la fonction publique par des mesures de régulation et d’évaluation. Il élabore des politiques développement des ressources humaines, régule le fonctionnement du système de la fonction publique, assure l’adaptation et l’harmonisation des structures et procédures administratives.

  • Le Secrétariat général du Conseil des ministres8 est l’organe administratif d’appui au Conseil des ministres.

  • Le ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE)9 : il a pour mission de conduire, d’animer et de piloter la planification du développement économique et social du pays, de mobiliser les ressources externes et d’en assurer la coordination à travers les différentes structures sectorielles en appui à l’effort national de développement.

  • Le ministère de l’Économie et des Finances (MEF)10 :  ce ministère a pour mission fondamentale de formuler et de conduire la politique économique, financière et monétaire de l'État haïtien afin de favoriser la croissance ainsi que le développement socio-économique du pays sur une base durable. Il assure donc la gestion stratégique de l'économie nationale. Le MEF gère, entre autres attributions, la trésorerie, le budget national et les biens de l'État.

Les institutions du centre de gouvernement haïtien participent à différents mécanismes formels de coordination visant à harmoniser la politique globale de l’État. En particulier :

  • Le Conseil supérieur de l’administration et de la fonction publique est une entité créée par le décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l’administration centrale de l’État, dont l’organisation et les attributions sont régulées par un arrêté du 9 juin 2017. Il est chargé d’examiner les questions d’ordre général relatives à l’élaboration, à la mise en œuvre et au bilan des actions liées à la modernisation du service public. Le Conseil est présidé par le Premier ministre aux côtés de sept ministres. Son secrétariat est géré par l’OMRH.

  • Le Forum des directeurs généraux, créé par le décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l’administration centrale de l’État, est un organe collégial, présidé par le Secrétaire général de la Primature et réunissant, à l’initiative du Conseil des ministres, les directeurs généraux. Il est défini comme un organe d’information chargé de suivre, d’évaluer et d’harmoniser les politiques sectorielles – entre elles et en regard de la politique générale du gouvernement.

  • Les Comités interministériels créés par le décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l’administration centrale de l’État, dont le Conseil de gouvernement.

Par ailleurs, les institutions du centre de gouvernement animent divers réseaux de coordination au niveau opérationnel. On mentionnera en particulier le réseau des coordonnateurs d’Unité d’études et de programmation dépendant de la Direction des investissements publics au sein du MPCE, et le réseau sous l’égide de l’OMRH, des Comités ministériels de la réforme administrative (CMRA), qui, au sein de chaque ministère, sont composés de trois personnes dont le responsable de l’Unité d’études et de programmation ; un responsable administratif et un responsable des ressources humaines (OMRH, 2013[16]).

Analyser le centre de gouvernement sous le prisme d’un ensemble formel d’institutions de décision peut toutefois masquer une partie du centre de pouvoir et de gouvernance (Wild et Denney, 2011[14]). En effet, la gouvernance publique est l’ensemble des accords formels et informels qui déterminent la façon dont les décisions sont prises et les actions de l’État mises en œuvre (OCDE, 2011[17]). Pour localiser aujourd’hui le pouvoir et la gouvernance en Haïti, il est ainsi essentiel de ne pas faire abstraction des canaux informels de gouvernance, ni des pratiques réelles des acteurs politiques. La coexistence de modes de gouvernance formels et informels n’est pas propre à Haïti, et existe dans tous les pays membres ou non membres de l’OCDE :

  • En Estonie par exemple, il existe une tradition de réunions informelles entre secrétaires généraux. Ces réunions ont été mises en place car les réunions hebdomadaires formelles du Cabinet ne semblaient pas suffire à la discussion de questions transversales ou à l’établissement de liens de coopération durables. Traditionnellement organisées sur une base mensuelle, ces réunions informelles sont considérées comme un atout clé car elles permettent d'échanger des informations, de renforcer la coopération et de mieux comprendre les responsabilités des autres ministères grâce à des discussions ouvertes (OCDE, 2015[18]).

  • Au niveau régional, l’Eurogroupe est un autre exemple : le cercle informel des ministres des Finances de l’Union européenne influence et mène la gouvernance économique européenne en approuvant au préalable les décisions essentielles prises par le Conseil, fixant ainsi l'orientation générale de la gouvernance économique dans la zone euro (Røiseland, 2011[19]).

Le gouvernement haïtien dispose d'institutions légalement mandatées pour remplir les fonctions clés du centre de gouvernement. Cependant la construction juridique de ce dernier est régie par un cadre légal anachronique, menant à des lacunes et des chevauchements de mandats. En outre, le CdG est fragmenté du fait d’une collaboration institutionnelle insuffisante et des faiblesses intrinsèques du système de planification. Ces failles limitent la capacité du gouvernement à relever des défis multidimensionnels et à atteindre ses objectifs stratégiques.

Le cadre légal régissant l’action publique en Haïti ne reflète pas la réalité du cadre décisionnel. En effet, le PME-2023 note que le système administratif haïtien se caractérise notamment par « le fonctionnement des institutions administratives à l’encontre des missions fondamentales fixées dans le cadre légal et règlementaire en vigueur » (Office de Management et des Ressources Humaines, 2018[20]). Les stratégies précédentes de réforme administrative ont également souligné ce problème et tenté d’y remédier. Le Programme cadre de réforme de l’État I (2007-2012) ainsi que le Programme cadre de réforme de l’État II (2012-2017) avaient notamment pour objectifs de « rénover le cadre légal et harmoniser les missions des ministères et autres organismes gouvernementaux ».

La faiblesse du cadre légal se traduit de trois manières principales :

  • Les lois organiques des ministères concernés sont souvent considérées comme désuètes ou inadaptées. Les entretiens réalisés pour ce projet ont mis l’accent sur cette dimension, certains participants soulignant que lorsque le décret de 2005 a été adopté, les parties prenantes pensaient que les autres textes organiques seraient révisés. C’est pourquoi, l’Union européenne a mené en 2015 un audit organisationnel des lois organiques de six ministères: le Ministère de la Planification et Coopération externe, le ministère de l’Économie et des Finances, le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, le ministère de la Justice et de la Sécurité, le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle et le ministère des Affaires étrangères. Cet audit, dont les résultats n’ont pas été communiqués à l’OCDE dans le cadre de cet Examen, n’a cependant toujours pas débouché sur de nouveaux textes mais pourrait constituer une base pour de futurs changements.

  • La pratique courante de création des institutions par décrets, plutôt que par des lois organiques, fait obstacle à leur bon fonctionnement, car les attributions ne sont pas clairement définies. Par exemple, l’OMRH créé par décret, et dont l’organisation et le fonctionnement sont définis par l’arrêté de mai 200911, ne fait pas l’objet d’un texte organique précisant ses attributions. En l’absence d’une telle loi, les attributions de l’OMRH se limitent à l’élaboration des normes et au contrôle de conformité des décisions relatives aux mouvements de personnel dans la fonction publique, avec peu de responsabilités s’agissant de l’administration publique. De plus, les missions des cadres supérieurs (de type coordonnateur général) sont généralement définies par des lettres de mission ou des feuilles de route qui peuvent manquer de pertinence ou de clarté, par exemple en contredisant des mandats institutionnels définis par décret.

  • Certaines structures transversales de coordination existent sur le papier, mais ne se réunissent pas ou très peu, comme le Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique (CSAFP), Forum des directeurs généraux, le Forum des directeurs des ressources humaines et des Directeurs Administratifs et Financiers12. Ces initiatives ont été largement plébiscitées lors des missions d’enquête tenues dans le cadre de ce projet et mériteraient d’être encouragées.

Cette dissonance entre le cadre légal et la pratique réelle du pouvoir se trouve également au-delà du CdG. En effet, à l’heure actuelle, la branche exécutive gouverne par décret sans le concours ni le contrôle du Parlement depuis le 13 janvier 2020 (Biassiette, 2020[21]). Sans Parlement fonctionnel, la dynamique et le mandat de l’exécutif se trouvent déformés, et toute révision du cadre légal et institutionnel est empêchée.

Afin de promouvoir un cadre légal adapté aux défis auxquels Haïti fait face, le gouvernement doit examiner les décrets et lois selon trois critères essentiels : (i) déterminer les décrets qui ne sont plus pertinents (décrets rendus caducs ou sans objet) ; (ii) identifier et résoudre les contradictions entre les décrets et les lois, ou entre les décrets ; et (iii) identifier et combler toutes les carences légales. Cet exercice d’inventaire serait utile à la révision des mandats et fonctionnalités des unités du CdG et pourrait s’appuyer sur les audits menés par l’UE.

Le contexte de fragilité du cadre juridique est source de duplication et de chevauchements de mandats, alimentés par la concurrence entre les institutions pour les ressources. La coordination des politiques requiert la participation de multiples parties prenantes et donc un cadre institutionnel solide, qui clarifie les attributions et fonctions des acteurs. En premier lieu, la clarification des attributions des ministères et institutions gouvernementales peut contribuer à promouvoir les synergies et éviter les doubles emplois (voir Encadré 2.2). En deuxième lieu, un mandat formel en matière de coordination au sein du centre de gouvernement rendrait possible une certitude et une légitimité plus grandes, lesquelles peuvent inciter les autres parties prenantes à collaborer avec l'organe de coordination. Enfin, la formalisation d’un mandat en termes de coordination de l’agenda gouvernemental peut rehausser le profil politique de cette fonction et signaler une volonté politique forte de favoriser l’élaboration des politiques publiques dans un environnement de coopération et de collaboration. Une répartition des rôles de coordination et de suivi au niveau du centre de gouvernement se doit également de prendre en compte la capacité ou la légitimité de l’instance qui s’en occupe. La question est de savoir quelle instance au niveau du centre de gouvernement doit s’occuper de la coordination de l’action des institutions et du respect des standards.

Les chevauchements de mandats des ministères sectoriels constituent un handicap majeur à la cohésion et cohérence de l’action publique pour plusieurs dossiers clés du gouvernement :

  • Les questions de migration par exemple, sont traitées par la Direction de l’immigration et de l’émigration du ministère de l’Intérieur, l’Office national de la migration du ministère des Affaires sociales, ou encore la police nationale. Mais aucun de ces acteurs n’a la responsabilité d’élaborer une politique globale de migration. Les actions publiques dans ce domaine se trouvent donc fragmentées, sans données centralisées sur lesquelles s’appuyer sinon un document élémentaire produit par l’Organisation internationale des migrations et la Primature (OCDE/INURED, 2017[3])

  • Malgré sa position au cœur du Plan stratégique de développement d’Haïti et du PME-2023, la question de l’aménagement du territoire fait également l’objet d’importants chevauchements de mandats entre le ministère de la Planification et de la Coopération externe, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, le ministère des Travaux publics, des Transports et des communications et le Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), présidé par le Premier ministre (OCDE, 2011[22]) (Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, 2015[23]) (Voir le chapitre 4). En effet, bien que le CIAT ait été créé en 2009 afin de pallier l’absence d’organisme de coordination dans ce domaine, le secrétariat technique a vu ses fonctions évoluer. Son mandat, initialement centré sur la coordination, est aujourd’hui dédié à la rationalisation des actions ministérielles. En effet, la capacité du secrétariat technique de mobiliser des expertises de haut niveau et des ressources des bailleurs de fonds, combinée à la pérennité de ses équipes, en font une structure privilégiée pour diriger et mettre en œuvre les actions du gouvernement dans le domaine de l’aménagement du territoire.

Il existe également divers chevauchements et duplications entre les institutions du centre de gouvernement, notamment entre la Primature et le MPCE. Les responsabilités et rôles respectifs des deux institutions en matière de coordination de l’action gouvernementale se confondent, et se chevauchent par endroit. Des efforts ont déjà été faits afin de clarifier les attributions de chaque institution. En particulier, trois des organes stratégiques créés à la Primature par le décret du 17 mai 2005 regroupant des fonctions clés du MPCE, le Conseil de développement économique et social (CDES), la Cellule de coordination et de suivi des politiques publiques (CCSPP) et la Cellule des affaires budgétaires (CAB), ont été dissouts en 2016. D’un point de vue légal, le MPCE détient le mandat pour la coordination des processus de préparation de tous les plans annuels ou à moyen terme au niveau local et national (Décret du 2 février 2016, article 2). Le MPCE est également mandaté pour assurer la cohérence des plans sectoriels avec les orientations globales du gouvernement (Décret du 2 février 2016, article 2). Il ressort néanmoins des réponses au questionnaire de l’OCDE, et des entretiens conduits avec les acteurs de la planification stratégique en Haïti, que la Primature est également considérée comme étant responsable de l’élaboration du programme stratégique. La Primature est jugée responsable du « cadrage » de l’élaboration du plan, tandis que le MPCE est chargé du niveau technique du processus de planification.

Enfin, il est ressorti des entretiens tenus dans le cadre de ce projet, qu’il existe également des duplications de fonctions entre le Secrétaire général et le directeur de cabinet de la Primature dans les missions de coordination de l’action gouvernementale. Les dossiers traités par les cabinets des Premiers ministres ne passent pas toujours par le Secrétaire général, qui a donc du mal à retracer certains dossiers stratégiques.

L'absence de mandats clairs et formalisés peut nuire à la coordination de diverses manières. Cet état de fait peut entraîner une concurrence pour les ressources, une duplication des efforts humains et financiers, et une confusion au niveau des ministères sectoriels qui peinent à identifier le principal interlocuteur au centre de gouvernement. En effet, en l'absence d'un mandat clair, la capacité des instances de coordination de remplir leur fonction dépend surtout des relations personnelles.

Un déficit en termes de collaboration institutionnelle limite la capacité du gouvernement de respecter les engagements pris auprès de la population. Les réponses au questionnaire de l’OCDE mettent en effet en exergue l’absence de passerelles stables entre certaines institutions clés du CdG (notamment le MEF et l’OMRH), ou des dysfonctionnements importants lorsque de telles passerelles sont établies.

Les réponses au questionnaire de l’OCDE mettent notamment en évidence des lacunes en termes de partage de l’information. Les entretiens menés dans le cadre de ce projet ont permis d’identifier des pistes potentielles pouvant expliquer ce phénomène. En premier lieu, le gouvernement a des difficultés à collecter les principales informations de suivi des projets en cours menés par l’ensemble du gouvernement, et ce malgré l’existence de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI). Deuxièmement, l’infrastructure du système d’information ne permet pas un partage facile et optimal des informations entre institutions. Certains participants ont également fait état de l’existence d’une mentalité de « fiefs » au sein des institutions, qui entrave les échanges.

Par ailleurs, la collaboration institutionnelle en Haïti est marquée par la prépondérance des réseaux personnels, qui peuvent servir de catalyseur ou de frein. Malgré les efforts de l’OMRH pour promouvoir une culture de la méritocratie, le clientélisme et la perception du niveau de corruption en Haïti sont jugés « sévères », selon l’édition 2020 de la série « États de fragilité » de l’OCDE (OCDE, 2020[24]). Ces deux phénomènes distincts peuvent distordre les mécanismes de collaboration inter- et intra-institutionnels. Lors des entretiens réalisés dans le cadre de ce projet, les directeurs des ressources humaines ont notamment indiqué ne pas être en mesure de contrôler les processus de recrutement. De plus, la législation haïtienne fait des ministres, secrétaires d’État et directeurs généraux, les seuls décisionnaires dans la sphère publique. Le pouvoir formel étant concentré dans un nombre restreint d’individus, les points d'entrée pour une collaboration efficace sont peu nombreux. Par ailleurs, une trop forte dépendance à l'égard d'un nombre restreint de personnes, associée à des niveaux élevés de rotation du personnel, rend la mémoire institutionnelle lacunaire.

Enfin, le système national de planification est caractérisé par un manque de cohérence des documents stratégiques sectoriels et des stratégies centrales nationales, qui fragilise la coordination de l’action gouvernementale (voir le chapitre 3). Il existe en Haïti trois documents de référence auxquels s’ajoutent un grand nombre de documents stratégiques sectoriels :

  • Le Plan stratégique de développement d’Haïti (2012-2030), porté par le MPCE et construit autour de quatre chantiers, dépeint la vision stratégique du pays sur le long terme. Ce document oriente la programmation pluriannuelle (trois ans) et s’accompagne d’un Cadre triennal de développement, associé à un Plan triennal d’investissement. Toutes les déclarations de politique générale des Premiers ministres qui sollicitent le vote au second degré du Parlement haïtien s’y réfèrent désormais. Le PSDH n’a pas été actualisé depuis 2012, mais le processus de révision mené par le MPCE en vue de d’assurer de meilleures conditions de mise en œuvre est entamé. En fait et surtout, la déclinaison du PSDH en stratégies sectorielles et leurs articulations en programmation budgétaire pluriannuelle.

  • Le Programme de modernisation de l’État (2018-2023) : la phase opérationnelle du PME-2023 permettra de développer un cadre de mesure de rendement qui définira des indicateurs de performance en accord avec le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH).

  • La Stratégie de réforme des finances publiques et de gouvernance économique.

Malgré cette pluralité de documents, ces stratégies ne sont pas à l’heure actuelle standardisées ou formellement alignées sur le PSDH ou le budget de l’État (GPDEC, 2019[25]). La commission de réforme du système national de planification et de gestion du développement, mise en place en 2018 au MPCE, a bien conçu des documents méthodologiques comme les guides de planification globale, sectorielle et spatiale, mais ceux-ci ne sont pas encore validés, dans la mesure où la phase de concertation interinstitutionnelle n’a pas abouti (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]). Le MPCE a également signalé la création, révision et actualisation d’autres outils méthodologiques tels que des manuels, des cadres de suivi de résultats, de mesures de performance pour renforcer la coordination On notera cependant qu’en 2016 le MPCE a préparé et diffusé un Manuel de procédure de mise en œuvre de la chaîne de planification, de programmation, de budgétisation et de suivi et évaluation (PPBSE) adressé aux ministères sectoriels, aux collectivités territoriales et aux organismes autonomes (Flecher, 2016[27]). Ce manuel a pour objectif d’établir des normes et de standardiser les actions des ministères, de la phase prospective à la phase de suivi et d’évaluation, notamment pour l’inscription des projets d’investissements dans le Programme triennal d’investissement de l’État. Le MPCE dispose également d’un réseau de coordonnateurs d’Unité d’études et de programmation implantées dans chaque ministère sectoriel, qui doit mettre en cohérence les stratégies et programmes sectoriels avec les priorités du gouvernement.

Un cadre de suivi et d’évaluation solide des instruments de planification stratégique pourrait permettre une meilleure coordination de l’action gouvernementale. En effet, les objectifs et indicateurs de performance doivent être composites, ce qui implique qu'ils se réfèrent à un ensemble de volets politiques ayant des objectifs similaires à d’autres plans stratégiques, et ce dans un temps limité. Ils peuvent ainsi servir à harmoniser les horizons de planification et les instruments de planification stratégique dans le temps. Un cadre de suivi et d'évaluation solide peut en effet favoriser une plus grande cohérence des instruments de planification dans le temps.

Le poids de l’appui au développement (APD) en Haïti signifie que les institutions du CdG (y compris le MPCE) doivent se coordonner pour partager les informations, s'assurer que les projets font progresser les priorités stratégiques nationales, que le financement est aligné sur les plans nationaux, que les cadres de suivi et d’évaluation peuvent relier directement l'APD à l'impact/aux résultats stratégiques nationaux. La coopération en Haïti n’est pas seulement axée sur le développement, mais intervient également dans le secteur judiciaire, policier et sécuritaire. Tout cela nécessite un cadre solide de coordination, raison pour laquelle ce sujet est exploré dans ce chapitre. Il convient également de noter la prépondérance de la coopération décentralisée, qui doit aussi être suivie au niveau national pour être harmonisée.

L’APD est une source de financement essentielle dans les pays fragiles (voir Encadré 2.3) en raison de son volume et de sa résilience, notamment en comparaison avec d'autres types de flux financiers (investissements directs étrangers (IDE), fonds en provenance de l’étranger, etc.) (OCDE, 2020[24]). En effet, les pays et territoires affectés par la violence et la fragilité institutionnelle possèdent souvent des caractéristiques défavorables aux investissements externes: ils sont sensibles à l'inflation et à la dépréciation de leur monnaie, leur cadre réglementaire est limité, les droits de propriété y sont peu protégés, et les infrastructures essentielles manquent (Poole, 2018[28]). La mobilisation des recettes intérieures est également confrontée à des contraintes qui augmentent la dépendance des pays et territoires fragiles à l’APD. De nombreux États fragiles à faible revenu ont des économies peu diversifiées et donc une assiette fiscale étroite, associée à des capacités limitées de collecte des recettes (Poole, 2018[28]). Par conséquent, ces territoires sont souvent plus vulnérables aux chocs macroéconomiques et, dans certains cas comme Haïti, sont également exposés à des risques naturels et climatiques, qui entraînent périodiquement des chocs économiques importants.

Haïti est l’un des treize territoires considérés comme « extrêmement fragiles » selon l’édition 2020 de la série « États de fragilité » de l’OCDE (OCDE, 2020[24]). Sa fragilité, pour les cinq dimensions évaluées, va de modérée à grave :

  • Fragilité économique élevée (on note en particulier la fragilité en termes de qualité réglementaire considérée comme sévère)

  • Fragilité environnementale grave

  • Fragilité politique élevée

  • Fragilité sécuritaire modérée

  • Fragilité sociétale élevée

Cette forte fragilité limite la capacité du pays à attirer les investissements de l’étranger, à mobiliser des recettes internes (voir les chapitres 2 et 3), et le rend plus vulnérable aux chocs macroéconomiques. L’APD est sur ce plan une source de financement importante tant en termes de volume que par sa résilience aux chocs (voir Graphique 2.1).

Le volume de l’APD bilatérale envers les pays considérés comme « fragiles » est en augmentation depuis 2014, atteignant près de 81,2 milliards USD en 2019. Après les envois de fonds provenant de l’étranger, l’APD constitue en 2019 le deuxième flux de financement extérieur vers les pays et territoires fragiles – 2,56 fois le volume des IDE (31, 7 milliards USD) et 67 % de la valeur totale des envois de fonds (121 milliards USD) (OCDE, 2020[29]). Dans les pays et territoires extrêmement fragiles, son poids relatif est encore plus important : en 2018, l'APD totale représentait 11,5 fois les IDE (2,2 milliards USD) et 2,5 fois le volume des transferts de fonds provenant de l’étranger (13,2 milliards USD) (OCDE, 2020[24]).

Haïti se différencie des autres pays et territoires extrêmement fragiles, les fonds provenant de l’étranger représentant en moyenne 2,34 fois l’APD entre 2002 et 2019, avec un creux de 0,37 en 2010 dû au séisme (voir Graphique 2.2). Haïti est donc un des rares territoires extrêmement fragiles où les fonds provenant de l’étranger sont supérieurs à l’APD. Le poids relatif de celle-ci est néanmoins susceptible d’augmenter dans l’ensemble des pays fragiles, puisque la pandémie de COVID-19 devrait entraîner une baisse significative des IDE et des transferts de fonds, rendant les pays fragiles encore plus dépendants de l'aide (OCDE, 2020[24]).

De nombreux pays et territoires fragiles sont dépendants de l'aide, une évaluation de cette dépendance peut être basée sur le ratio de l'ensemble de l'APD perçu par rapport au revenu national brut (RNB), avec un ratio moyen des 57 contextes fragiles de 8,5 % en 2018 (Desai, 2020[30]). Cependant, ce ratio ne rend pas compte des variations importantes entre pays, notamment entre pays fragiles et extrêmement fragiles. Par exemple, le ratio moyen APD/RNB dans les pays et territoires extrêmement fragile est de 19 % (Desai, 2020[30]). En Haïti, le ratio APD/RNB était de 10,3% en 2018 et 8,6% en 2019, en-deçà de la moyenne des autres territoires extrêmement fragiles (Tableau 2.1). Néanmoins, selon l’édition 2020 de la série « États de fragilité » de l’OCDE, la dépendance à l’aide est jugée « sévère » en Haïti. De plus, le volume de l’APD en Haïti est en baisse depuis les dernières années, ce qui confirme la nécessité de sortir de la dépendance à l'égard de l'aide (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]).

Le rapport de l’OCDE « États de fragilité 2018 » met en évidence la double complexité du système mondialisé d’APD, en regard des failles au niveau local, d’une part, et des vulnérabilités du réseau externe d’aide, d’autre part. Bien que l’accent soit souvent mis sur les sources endogènes de fragilité, le réseau externe d’aide peut également être perturbé par des chocs externes comme des crises économiques ou sanitaires, à l’image de la crise du COVID-19, qui fragilisent davantage les pays bénéficiaires.

Les défis historiques liés à l’aide internationale au développement en Haïti, et en particulier après le séisme de 2010, ont fait l’objet d’une analyse et réflexion approfondie de la part d’un grand nombre d’universitaires et de journalistes (Katz, 2013[31]) (O’Connor, Brisson-Boivin et Ilcan, 2014[32]) (Schuller, 2012[33]). Comme dans bon nombre de contextes fragiles, l’obtention de résultats y est souvent plus difficile, et les scandales plus nombreux (OCDE, 2018[34]). Les méthodes de travail des organismes d’aide (aussi bien multilatéraux que bilatéraux) donnent peu de résultats en raison des difficultés à se rendre sur place, des déplacements limités, ou encore de l’accès réduit au gouvernement partenaire et aux parties prenantes non-étatiques (OCDE, 2018[34]). Ces environnements dynamiques sont, en outre, généralement caractérisés par une forte rotation du personnel (OCDE, 2018[34]), qui peut gêner les transferts de l’information, lesquels s’ajoutent aux problèmes de continuité rencontrés par le gouvernement bénéficiaire.

Sur le plan stratégique, les approches traditionnelles de l’APD reposent sur un partenariat entre les organismes d’aides et des États souverains (OCDE, 2018[34]). En Haïti, ce partenariat est entravé par les faibles capacités de l’État et les tendances historiques de prédation des ressources. De plus, les parties prenantes non-étatiques comme les organisations non gouvernementales ont une place importante dans des domaines généralement relevant de la compétence de l’État, ce qui complexifie l’environnement dans lequel les organismes d’aide doivent opérer. Cette dynamique a même valu à Haïti d'être surnommée « la République des ONG » (Kristoff et Panarelli, 2010[35]). L’impact stratégique de l’APD dépend également d’instruments de l’aide – cycles de financement, cadres logiques, suivi et évaluation des projets – nécessitant un certain degré de stabilité et de prévisibilité qui fait souvent défaut en Haïti (OCDE, 2018[34]). Ce sentiment a été relayé lors d’une rencontre avec les partenaires techniques et financiers (PTF) organisée dans le cadre de cet Examen, citant des délais de plusieurs années pour des projets phares.

En 2019, près de 48 pays et organisations multilatérales ont déboursé environ 747 millions USD (versements bruts) en Haïti, s’élevant à 8,6% du RNB (OCDE, 2021[36]). Face au poids relatif et absolu de l’APD, l’efficacité de ces apports externes dépend des modalités, principes et de gestion et coordination permettant d’optimiser les flux des partenaires techniques et financiers (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]). Depuis plusieurs décennies, le gouvernement d’Haïti a tenté de cadrer et formaliser ses relations bilatérales et multilatérales par le biais d’une succession de stratégies, documents-cadres et cadres institutionnels.

Depuis 2004, la coopération oscille entre consolidation des institutions publiques, bonne gouvernance et projets excluant l’État au profit de la société civile ou des priorités des PTF. De plus, la pluralité et l’hétérogénéité des acteurs agissant sur le terrain posent des défis uniques en termes de coordination. Cette ambivalence et discordance sont le produit de l’instabilité locale et de courants de pensées externes émanant des acteurs internationaux (Muggah, 2009[37]).

La fin des années 1990 et le début des années 2000 se caractérisent par des actions sporadiques et peu coordonnées des bailleurs bilatéraux en faveur du renforcement des pouvoirs publics (en particulier dans le secteur de la justice et des finances publiques), et des suspensions de prêts de la Banque mondiale, justifiées par l’instabilité politique et la corruption (Muggah, 2009[37]). En 2004, dans un effort de coordination accrue, le Cadre de coopération intérimaire (CCI) est établi en tant qu’outil centralisé de planification et de collecte de fonds. Ce mécanisme novateur en Haïti regroupait un système d’identification conjointe des besoins, et de mise en œuvre des financements pour la période de transition (2004-2006) (Cadre de Coopération Intérimaire, 2004[38]).

Bien que le CCI mette l’accent sur la gouvernance et le développement institutionnel, face aux contraintes à l’échelle locale, certains acteurs tels que l’Institut de la Banque mondiale préfèrent « investir dans le renforcement du rôle des acteurs non gouvernementaux et la promotion des actions collectives » (Muggah, 2009[37]). Malgré l’instauration de mécanismes de coordination au niveau stratégique (comité conjoint de coordination de la mise en œuvre et de suivi du CCI, cellule de coordination stratégique de la primature), au niveau opérationnel (comité interministériel du CCI), et au niveau de l’exécution (tables sectorielles de coordination) (Cadre de Coopération Intérimaire, 2004[38]), le CCI a souffert d’un manque d’appropriation du côté haïtien, limité aux consultations publiques périodiques tenues à Port-au-Prince (Muggah, 2009[37]). Vouloir instaurer cohérence et harmonie entre les PTF était ambitieux, compte tenu du nombre d’acteurs au sein du CCI. Celui-ci en effet a été établi en moins de deux mois au cours de l’année 2004, par 26 partenaires réunis lors d’une conférence accueillie conjointement par les Nations Unies, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement et l’Union européenne (Faubert, 2006[39]). Un groupe de coordination au niveau des agences, sous la présidence de la Banque mondiale, et un groupe de coordination au niveau du terrain présidé par le coordonnateur résident des Nations Unies, n’ont cependant pas suffi à harmoniser les actions des PTF (Cadre de Coopération Intérimaire, 2004[38]) (Muggah, 2009[37]).

En 2006, le gouvernement haïtien a présenté le Document de stratégie intérimaire pour la réduction de la pauvreté (DSRP-I), produit d’un accord entre le gouvernement et le FMI pour soutenir les initiatives du Service pour la croissance et la lutte contre la pauvreté (SCLP). En 2007, les orientations du document de stratégie pour Haïti du FMI sont intégrées au Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), de manière à solliciter l’aide destinée aux pays pauvres très endettés.

Dans le cadre du Rapport de suivi des principes d’engagement international dans les États fragiles et les situations précaires, l’OCDE a organisé une consultation multi-acteurs en mai 2009 à Port-au-Prince (OCDE, 2010[40]). Concernant l’utilisation des systèmes étatiques, le recours aux Unités techniques d’exécution (UTE) y est décrit par l’exécutif comme un système d’unités parallèles qui risquent d’amoindrir la redevabilité des autorités et d’affaiblir le secteur public. Les données de l’enquête de suivi de la Déclaration de Paris montrent cependant que l’utilisation des systèmes de gestion des finances publiques était supérieure à la moyenne des États fragiles. Ces chiffres ont toutefois été contestés lors de la consultation nationale (OCDE, 2011[22]). Le rapport souligne également le besoin d’une clarification des priorités au sein du DSNCRP afin d’accélérer l’alignement des actions des PTF sur les priorités nationales, qui est décrit comme trop « lent » par l’exécutif haïtien. Malgré l’existence de mécanismes de coordination stratégique (groupe restreint, comité exécutif des partenaires techniques et financiers) et opérationnelle (22 groupes sectoriels) entre bailleurs, l’hétérogénéité des acteurs, leur insertion disparate dans les mécanismes de coordination, et le nombre important des groupes sectoriels affectent l’harmonisation des actions.

Le séisme de 2010 marque un tournant dans la coopération entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers. Face à l’afflux des dons, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) a été créée pour gérer les fonds d’urgence recueillis, et placée sous la direction du Premier ministre haïtien et de Bill Clinton en qualité d’envoyé spécial des Nations Unies. Le gouvernement a également adopté le Plan d'action pour le relèvement et le développement d'Haïti (PARDH), le 31 mars 2010.

Comme ce fut le cas au cours des années précédentes, l’OCDE a tenté de déterminer si les objectifs de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide ont été atteints dans le cadre du Rapport de suivi des principes d’engagement international dans les États fragiles 2011 (OCDE, 2011[22]). Une fois encore, les participants ont souligné les risques de substitution des acteurs externes à l’État, le manque d’alignement sur les priorités nationales et un déficit de coordination entre bailleurs. Les participants à cet exercice ont notamment signalé le nombre important d’UTE et le fort effet de distorsion du marché du travail dû à cette intervention internationale, susceptible d’affaiblir le secteur public. L’alignement international sur les priorités du PARDH a été jugé insuffisant, en particulier en ce qui concerne les modalités d’exécution souvent définies unilatéralement par les bailleurs. Ces derniers indiquent néanmoins que 82 % de leur coopération technique étaient coordonnés avec les programmes du pays, un chiffre en amélioration par rapport à 2007 (OCDE, 2011[22]). L’afflux massif de personnel et d’APD à la suite du séisme a par ailleurs eu pour conséquence un affaiblissement des systèmes de coordination existants et une perte de mémoire institutionnelle en faveur d’un système complexe organisé en grappes. La chute du pourcentage de missions coordonnées entre bailleurs à 18% est symptomatique de cette dynamique (OCDE, 2011[22]).

En 2012, le gouvernement haïtien, a inauguré le Cadre de coordination de l’aide externe au développement (CAED) comme mécanisme conjoint de gouvernance de l’aide externe, remplaçant la CIRH. Le CAED se veut davantage inscrit dans la volonté politique haïtienne, et est placé sous l’égide du Cabinet du Premier ministre et du MPCE. Cette structure est constituée d’un comité stratégique connue sous le nom de Comité d’efficacité de l’aide (CEA), d’un secrétariat technique et de tables thématiques et sectorielles, incluant les tables départementales. Parallèlement, le module de gestion de l’aide externe (MGAE) a été établi afin de rendre les flux d’aide plus transparents, sur la base du projet d’efficacité de l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le MGAE est la cellule d’information du CAED, avec pour objectif de promouvoir la transparence et l’harmonisation des flux de coopération. Au sein de cette base de données, les informations compilées, traitées et diffusées en temps réel, comprennent l’aide publique au développement et l’aide humanitaire. Le module procède notamment par un cycle de collecte de données (sur une base trimestrielle, incluant les prévisions de financement) aligné sur le budget de la République d’Haïti.

Le CAED et le MGAE se démarquent de leurs prédécesseurs par leur ancrage dans la structure étatique haïtienne. Cependant, les pratiques actuelles des acteurs externes continuent de privilégier des structures extra-étatiques. Le MGAE par exemple, bien que conçu pour une saisie directe des données par les PTF, est actuellement alimenté par les informations fournies via un canevas de collecte préparé à cet effet (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]). Le MPCE souligne également que ce type de données est plus facilement collecté à travers la plateforme du Development assistance committee (DAC) et non du MGAE, car certains acteurs peinent à envoyer leurs données à jour dans les temps requis par le ministère. Des initiatives visant à réformer le processus de collecte de données du MGAE pour inciter les PTF à y contribuer pleinement seraient donc bénéfiques, et pourraient éventuellement permettre une analyse périodique de la coopération internationale en Haïti (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]).

Haïti a participé au cycle de suivi 2018 du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, qui est un exercice de suivi biannuel mis en place par l’Accord de partenariat de Busan. Ce suivi recense notamment l’utilisation des systèmes nationaux de gestion des finances publiques par les partenaires du développement à l’appui de la coopération, évaluée à seulement 19% en 2018 (GPDEC, 2019[25]). Ce taux est inférieur à la moyenne de 28% indiquée par les petits États insulaires en développement (PIED), l’écart étant plus important au regard de l’exécution du budget (GPDEC, 2019[25]).

Le versement de fonds aux ONG en Haïti demeure une caractéristique controversée du système de coopération internationale. Bien que les ONG forment un groupe à travers lequel transite une grande partie de l’aide externe, il n’y a pas de version actualisée de la loi qui régule les activités des ONG qui opèrent en Haïti. Le seul outil juridique en ce sens date de 1982 (une Loi actualisée par la suite par décret présidentiel en 1989). Des mécanismes ont été conçus ces dernières années afin de permettre à l’État de mieux superviser et appréhender les actions des ONG, mais il rencontre des difficultés à les appliquer. À cette date, seulement 651 ONG ont été légalement reconnues (et donc encadrées), dont treize ont obtenu la reconnaissance légale au cours des exercices fiscaux 2017-2018 et 2018-2019 (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]).

Haïti n’a pas encore de politique officielle de coopération internationale. Marc Anglade, coordinateur national du CAED a indiqué que le gouvernement préparait une politique publique de coopération internationale et de gestion de l’aide externe pour l’année 2021 (Anglade, 2020[41]). Une place particulière sera donnée aux relations Sud-Sud y sera indiquée, ainsi qu’un accent sur la redynamisation du CAED pour s’attaquer à la gestion en silo de l’aide internationale. Le besoin d’une coordination accrue est d’autant plus net qu’il existe une fragmentation des interlocuteurs du côté haïtien selon les PTF concernés. Le MPCE est l’interlocuteur privilégié d’une partie des bailleurs (ONU, Canada, États-Unis), le MEF celui de la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement, et le Bureau de l’ordonnateur national celui de l’Union européenne13.Par ailleurs, le Ministère des Affaires Étrangères est responsables des relations internationales, telles que les accords et conventions. Une interface moins fragmentée entre les acteurs de la coopération internationale et le gouvernement pourrait permettre une plus grande cohérence entre les programmes et les priorités nationales (voir Encadré 2.4).

Gérer efficacement l’aide externe revient au premier chef à mettre en place les lignes directrices de la Coopération pour le développement, à définir clairement les objectifs politiques du développement et le rôle de chaque acteur dans la mise en œuvre de ces objectifs. Malgré un mandat légal en ce sens, le MPCE, responsable de la mobilisation de ressources externes pour le développement, n’a pas une vue d’ensemble des programmes et projets impliquant des secteurs ayant chacun leur propre conception de la coopération. Cet état de fait engendre un problème de synchronisation, mais aussi d’évaluation et de suivi de l’APD.

Il est ressorti des entretiens réalisés avec les parties prenantes dans le cadre de ce projet que les failles intrinsèques du système de planification font obstacle à un alignement optimal des actions des PTF sur les priorités nationales. En effet, l’exercice de suivi de 2018 note que la qualité de la planification nationale est « faible » (57%), en particulier au regard de la cohérence de la planification nationale par rapport aux Objectifs du développement durable, et du lien entre la stratégie et le budget (GPDEC, 2019[25]). L’exercice de suivi conclut cependant que l’alignement des partenaires du développement sur les priorités du pays est « moyen » (60%), à hauteur de 74% pour les objectifs. L’harmonisation des priorités a été jugée plus faible lors des entretiens réalisés, tant du côté des bailleurs que des parties prenantes en Haïti. En particulier, les interlocuteurs haïtiens perçoivent une volonté de plus en plus faible d’harmonisation ou d’alignement des PTF avec les priorités nationales.

Les tables sectorielles et thématiques (TST) sont également censées servir de mécanismes de concertation et de facilitation entre les ministères et institutions concernés et les PTF. Malheureusement, les TST ont très peu fonctionné au cours des deux dernières années fiscales en raison de l’insécurité croissante et de la pandémie mondiale (Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, 2020[26]). Par ailleurs, les TST sont très nombreuses et tendent donc à compliquer l’harmonisation des politiques. Une redynamisation de ce mécanisme de concertation serait donc utile pour ancrer les actions de la coopération internationale dans les priorités gouvernementales sectorielles.

Selon les entretiens réalisés dans le cadre de ce projet avec les PTF actifs dans le domaine de la gouvernance publique, les groupes de travail, organisés de façon thématique sont le mécanisme principal de coordination entre bailleurs. Les réunions n’ont pas lieu à fréquence fixe ; la pandémie et l’insécurité croissante à Port-au-Prince les ont raréfiées. Il n’existe pas, selon les participants, de mécanismes formels permettant d’éviter la duplication des activités entre bailleurs. Dans le contexte haïtien, cela pose deux problèmes supplémentaires. En premier lieu, la fragmentation des interlocuteurs du côté haïtien amène certaines institutions à faire des demandes de soutien technique à plusieurs PTF, afin de maximiser leurs chances. En l’absence d’outils formels de coordination entre bailleurs, il existe donc un risque non-négligeable de duplication des efforts. Deuxièmement, la nature informelle et en silos de la coopération entre bailleurs, dans un contexte de rotation élevée du personnel, rend difficile la conservation d’une mémoire institutionnelle de la coopération et des actions.

Les outils de suivi et d’évaluation des activités des PTF sont propres à chaque institution, notamment en ce qui concerne les objectifs, indicateurs et perspectives temporelles. Le partage de ces rapports de suivi et d’évaluation avec d’autres acteurs ou avec le gouvernement est fait de façon ponctuelle. Une coordination accrue dans ce domaine pourrait permettre une meilleure harmonisation des activités entre PTF. Les indicateurs clés de performance des différents cadres de suivi et d'évaluation des grands plans stratégiques nationaux (PSDH, PME-2023, etc.) pourraient inclure les indicateurs de performance conçus pour les investissements de l'APD, comme l'exigent les donateurs internationaux. Ceci ne peut pas se faire du jour au lendemain, puisqu’impliquant une coordination solide. Ce point est également évoqué au chapitre 3, mais il est important de signaler qu’il requiert une coordination institutionnalisée et soutenue.

Ce chapitre a fait valoir que les centres de gouvernement sont la clef de voûte des systèmes de gouvernance publique et proposé une revue des capacités institutionnelles de coordination du centre de gouvernement haïtien, notamment pour la définition et la mise en œuvre de politiques multidimensionnelles, la planification stratégique et la prise de décision. Dans un contexte de gouvernance rythmé par des crises socio-économiques, politiques, environnementales et humanitaires, l’élaboration de politiques stratégiques et le leadership politique en Haïti sont primordiaux. En ce sens, une meilleure coordination des politiques et actions gouvernementales est d’une importance capitale afin de permettre à Haïti de réaliser ses objectifs. Ce chapitre porte en premier lieu sur le pouvoir exécutif et ses unités dans le centre de gouvernement, ainsi les institutions étatiques en dehors de l’exécutif nous pas fait l’objet d’une étude approfondi lors de l’analyse de la coordination menée par le centre de gouvernement. Le besoin de coordination entre les institutions du centre de gouvernement et des agences autonomes en dehors du pouvoir exécutif pourrait néanmoins être examiné au cours d'une phase de mise en œuvre des recommandations de l’Examen.

Le gouvernement haïtien dispose d’institutions légalement mandatées pour remplir les fonctions clés du centre du gouvernement, notamment en termes de coordination. Néanmoins, la construction juridique du centre de gouvernement est régie par un cadre légal anachronique, menant à des lacunes et des chevauchements de mandats qui entravent la conception, la coordination et la mise en œuvre de politiques gouvernementales transversales. Ces divers chevauchements, et lacunes sont visibles entre les institutions du Cdg et au sein même de certaines institutions telles que la primature. Clarifier le mandat du Centre du gouvernement haïtien et de ses différents acteurs permettrait de pallier cette fragmentation pour mieux appréhender les défis multidimensionnels

En outre, la coordination en Haïti est entravée par de faibles niveaux de collaboration institutionnelle et les faiblesses intrinsèques du système de planification. En particulier, certains conseils ou forums ne se réunissent pas ou très peu, et des réseaux divers de fonctionnaires pourtant utiles aux participants ont été abandonnés. Par ailleurs les passerelles entre certaines institutions clés tels que l’OMRH et le Ministère des Finances sont inexistantes. En contraste avec ces lacunes, le nombre important de Tables Sectorielles et Thématiques tendent à complexifier la coordination et la prise de décision. Enfin, le système national de planification est caractérisé par un manque de cohérence des documents stratégiques sectoriels et des stratégies centrales nationales, qui fragilise la coordination de l’action gouvernementale (voir le chapitre 3).

Le CdG haïtien doit faire face à un facteur de complication supplémentaire dans le cadre décisionnel. Le poids de l’appui au développement nécessite un niveau de coordination accru pour partager les informations, s'assurer que les projets font progresser les priorités stratégiques nationales, que le financement est aligné sur les plans nationaux, que les cadres de suivi et d’évaluation peuvent relier directement l'APD à l'impact et aux résultats stratégiques nationaux.

Références

[44] Alexandre, D. (2020), Rapport non-publié de contexte interne.

[41] Anglade, M. (2020), Comment combattre l’inefficacité de l’aide dans un État fragile?, https://www.effectivecooperation.org/system/files/2020-12/FR%20Haiti%20Story%20of%20Progress.pdf.

[19] Badie, B. (dir. pub.) (2011), Informal Governance, Sage, https://www.researchgate.net/publication/260042216_Informal_Governance.

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[38] Cadre de Coopération Intérimaire (2004), Mécanisme de Coordination de l’Assistance Au Développement en Haïti, http://www.bme.gouv.ht/tse/tseinfo.pdf.

[30] Desai, H. (2020), States of fragility and official development assistance, OECD Publishing.

[39] Faubert, C. (2006), « Case study Haiti - Evaluation of UNDP assistance to conflict-affected countries », https://www.oecd.org/countries/haiti/44826404.pdf.

[23] Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge (2015), Impact des obstacles réglementaires à la fourniture d’abris d’urgence et de transition après une catastrophe, https://www.ifrc.org/PageFiles/198142/Haiti%20Shelter%20Report%20FR%20v3.pdf.

[27] Flecher, J. (2016), PPBSE, pour une gestion axée sur les résultats, https://lenouvelliste.com/article/165641/ppbse-pour-une-gestion-axee-sur-les-resultats.

[25] GPDEC (2019), Country and territory monitoring profiles: Haiti, https://www.effectivecooperation.org/system/files/2020-06/Haiti-online2018.pdf.

[42] Haïti Libre (2015), Politique : Vers la refonte de la loi organique de 6 ministères régaliens, https://www.haitilibre.com/article-14828-haiti-politique-vers-la-refonte-de-la-loi-organique-de-6-ministeres-regaliens.html.

[31] Katz, J. (2013), The big truck that went by: How the world came to save Haiti and left behind a disaster, St. Martin’s Press.

[35] Kristoff, M. et L. Panarelli (2010), Haiti: A republic of NGOs?, https://www.usip.org/publications/2010/04/haiti-republic-ngos.

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[9] M. Alessandro, M. Lafuente et C. Santiso (2013), « The Role of the Center of Government - A Literature Review », Institutions for Development, Technical Note, Inter-American Development Bank, Washington DC, https://publications.iadb.org/handle/11319/5988.

[26] Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (2020), Rapport de Mise en Oeuvre du Programme d’Investissement Public et des Résultats de Développement.

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Notes

← 1. Traduction de l’auteur.

← 2. Rapport de contexte interne de D. Alexandre.

← 3. Décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l'administration centrale de l'État.

← 4. Décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l'administration centrale de l'État.

← 5. Décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l'administration centrale de l'État.

← 6. Décret du 1 février 2016 amendant le décret sur l’organisation de l'administration centrale de l'État.

← 7. Décret du 1 février 2016 amendant le décret de l’organisation de l'administration centrale de l'État.

← 8. Décret du 17 mai 2005 portant sur l’organisation de l’administration centrale de l’État.

← 9. Décret du 1er février 2016 amendant le décret de l’organisation de l’administration centrale de l'État.

← 10. Décret du 13 mars 1987 modifiant celui du 31 octobre 1983 et portant sur la réorganisation du ministère de l’Économie et des Finances.

← 11. Arrêté du 25 mai 2009 portant organisation et fonctionnement de l'Office de management et des ressources humaines désigné sous le sigle OMRH.

← 12. Rapport de contexte interne de D. Alexandre.

← 13. Propos recueillis lors des entretiens tenus dans le cadre de ce projet.

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