Synthèse

De nombreux pays de l'OCDE font face depuis quelques dizaines d’années à une situation de faible croissance de la productivité et de creusement des inégalités de revenus. Dans le même temps, les écarts de performance entre les entreprises se sont accrus, un petit nombre d’acteurs très performants voyant leur productivité croître fortement tandis que les retards s’accumulaient pour les autres. Les entreprises les plus performantes ont également vu leurs recettes et leur rentabilité s’envoler, et la concentration sectorielle s'accroît dans de nombreux pays. La pandémie de COVID-19 pourrait avoir renforcé ces tendances, la numérisation des modèles économiques s’étant accélérée d'une manière qui a favorisé les grandes entreprises à la pointe de la technologie. Cependant, si de plus en plus d’éléments montrent que ces écarts de performance croissants contribuent à la faible progression de la productivité globale, on sait encore peu de choses quant à leurs incidences sur les inégalités salariales et, in fine, sur les inégalités de revenus.

Le présent volume apporte toute une série de nouveaux éléments factuels explicitant les liens entre la performance des entreprises, les pratiques de fixation des salaires et les inégalités salariales, et examine les enseignements à en tirer pour les politiques publiques. L’étude s’appuie sur de nouvelles données appariées employeurs-employés harmonisées couvrant 20 pays de l'OCDE, et représente à ce titre le plus ambitieux effort à ce jour dans ce domaine de recours à des données administratives dans un contexte transnational.

La principale conclusion qui ressort est qu'un tiers des inégalités salariales considérées globalement s’expliquent davantage par les différences qui existent entre les entreprises dans leurs pratiques de fixation des salaires que par des différences de niveau de compétences chez les travailleurs. Pour le pays type couvert par cette étude, les entreprises à hauts salaires rémunèrent environ deux fois plus que les entreprises à bas salaires pour des compétences comparables. Lorsque les travailleurs n’ont pas la possibilité de changer facilement d’employeur, du fait par exemple des coûts associés à la recherche d’un emploi et à un déménagement, les salaires ne sont pas seulement déterminés par les compétences, mais également par les pratiques de fixation des salaires des entreprises.

Dans une certaine mesure, la fixation des salaires est déterminée par la productivité, les entreprises à forte productivité offrant généralement des salaires plus élevés pour attirer la main-d’œuvre nécessaires à la croissance de leurs activités. Des politiques visant à promouvoir la productivité dans les entreprises peu performantes, qui les aideraient par exemple à adopter de nouvelles technologies, des modèles économiques numériques et des pratiques de gestion performantes, présenteraient par conséquent l’intérêt non seulement de stimuler la croissance économique en augmentant la productivité et les salaires, mais aussi de réduire les inégalités salariales.

La faible mobilité professionnelle renforce le lien entre les écarts de productivité entre les entreprises et les écarts de rémunération, étant donné que les travailleurs confrontés à de fortes barrières à la mobilité ne sont pas en mesure de quitter facilement leur emploi faiblement rémunéré pour bénéficier d’un meilleur salaire ailleurs (même lorsque les écarts de rémunération sont importants). À l’inverse, avec une forte mobilité sur le marché du travail, les écarts de productivité se traduisent principalement par des différences dans l'emploi plutôt que sur le plan des salaires, et elle réduit donc de la sorte les inégalités salariales. Le fait de passer du niveau de mobilité professionnelle d’un pays à faible mobilité tel que l’Italie à celui d’un pays à forte mobilité tel que la Suède est associé à une baisse de 15 % des inégalités salariales considérées globalement. Pour mettre cette baisse en perspective, l'augmentation médiane des inégalités salariales dans les pays ressortait sur la période 1995-2015 à environ 10 %. Cette même hausse de la mobilité professionnelle entraînerait également une augmentation des salaires moyens en renforçant la concurrence pour les travailleurs des entreprises à bas salaires et en permettant aux entreprises à hauts salaires d'accroître plus facilement leurs effectifs. Pour améliorer la mobilité professionnelle, il y a lieu pour les pays de renforcer leurs politiques d'apprentissage et d'activation en faveur des adultes, de réformer leur réglementation du marché du travail, et de soutenir davantage la mobilité géographique (notamment par des mesures dans les domaines du transport et du logement).

Les écarts dans les pratiques salariales des entreprises reflètent également les disparités qui existent sur le plan de leur pouvoir de fixation des salaires, lequel est en partie déterminé par le degré de concentration de l'emploi dans un petit nombre de grandes entreprises. 20 % environ de la main-d'œuvre est employée sur des marchés à forte concentration d'emplois et le phénomène de concentration est particulièrement marqué pour les travailleurs peu qualifiés du secteur manufacturier et les zones rurales. Selon les estimations, les travailleurs des marchés à forte concentration subissent une pénalité salariale de l’ordre de 6 à 7 %. La concentration des marchés du travail a eu tendance à reculer au cours des deux dernières décennies dans les pays de l'OCDE couverts par le présent volume. Mais les effets négatifs de cette concentration sur les salaires se sont accrus, ce qui pourrait traduire un affaiblissement de la position de négociation des travailleurs dû à l'érosion progressive des mécanismes de fixation des salaires, tels que les salaires minimums et la négociation collective dans certains pays, ou une exposition accrue à l'externalisation nationale et internationale. Pour remédier aux excès de concentration sur des segments spécifiques du marché du travail et pour des groupes spécifiques de travailleurs, il convient pour les pays de renforcer la concurrence entre les employeurs, notamment en invitant les autorités chargées de la concurrence à mieux prendre en compte les implications des fusions sur le marché du travail et en luttant contre le recours excessif aux accords de non-concurrence et de non-débauchage. La promotion de la représentation des travailleurs sur le lieu de travail et de la négociation collective pourrait également contribuer à contrer le pouvoir disproportionné de certains employeurs en matière de fixation des salaires.

Les pratiques de fixation des salaires des entreprises jouent également un rôle important dans la détermination de l'écart de rémunération entre les sexes. L’écart de rémunération entre les sexes à niveau de qualification similaire s’explique à hauteur des trois quarts environ (77 %) par les différences de rémunération pratiquées au sein des entreprises, avec une part de 67 points de pourcentage imputable aux différences dans les tâches et responsabilités et une part de 10 points de pourcentage imputable aux différences de rémunération pour un travail de valeur égale (à savoir, une pratique discriminatoire). Un quart (23 %) de l'écart de rémunération femmes-hommes s'explique par les différences de rémunération interentreprises dues aux proportions plus importantes de femmes dans les entreprises à bas salaires. L'écart de rémunération entre les sexes a tendance à se creuser tout au long de la vie, et plus particulièrement lors de la phase initiale de la carrière professionnelle des femmes, en raison du rôle de la maternité. Ceci reflète dans une large mesure les différences de mobilité interentreprises et intraentreprise entre les sexes et l'effet des interruptions de carrière à la naissance des enfants sur la progression de carrière des femmes. Par conséquent, pour réduire les écarts de rémunération femmes-hommes, il convient pour les pays d’agir pour rendre les emplois de qualité plus accessibles aux femmes (en prenant par exemple des mesures appropriées sur les sujets de la garde d'enfants, de la flexibilité du temps de travail et du congé parental), tout en veillant à ce que les femmes soient rémunérées à la même hauteur que les hommes pour un travail de valeur égale (via des lois anti-discrimination, des mesures de transparence des salaires et un renforcement du dialogue social).

Du fait de la crise du COVID-19, les mesures recommandées dans le présent ouvrage revêtent désormais un caractère éminemment urgent. La crise a particulièrement touché les travailleurs peu qualifiés, ceux-ci étant souvent concentrés dans les secteurs qui ont été les plus affectés par les restrictions induites par la distanciation sociale et moins susceptibles de pouvoir travailler à domicile, avec possiblement des conséquences négatives sur leurs salaires sur le long terme. En exacerbant la fracture numérique entre les entreprises et la dynamique du « tout au gagnant », la crise risque par ailleurs d’aggraver les écarts de performance entre les entreprises. Dans ce contexte, bon nombre des mesures examinées dans ce volume contribueraient non seulement à réduire les inégalités salariales, mais également à affermir la reprise économique en soutenant la création d'emplois et la croissance de la productivité.

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