Chapitre 3. Communiquer pour un gouvernement plus ouvert en Tunisie

Ce chapitre analyse la manière dont la communication publique contribue en Tunisie à une plus grande transparence, à une participation accrue et à une élaboration inclusive des politiques publiques. Il inclut une évaluation de l’usage croissant des réseaux sociaux par le gouvernement et des opportunités créées par ces nouveaux espaces de dialogue, dans l’objectif d’un renforcement de ses interactions avec les citoyens. Il analyse aussi les interactions du gouvernement avec les médias et le rôle décisif que peut jouer à cet égard l’accès à l’information. Ce chapitre formule des recommandations sur la façon dont la communication publique peut promouvoir une élaboration participative des politiques publiques, particulièrement en ce qui concerne les femmes et les jeunes, tout en améliorant la mise en œuvre des politiques et des services.

    

La transparence est un principe fondamental du Gouvernement Ouvert et un pilier de l’accès à l’information. De plus, la transparence est une composante essentielle sans laquelle la participation citoyenne ne peut avoir lieu. En Tunisie, de nombreux efforts ont été déployés afin de renforcer la transparence, tel qu’analysé dans le rapport de l’OCDE sur le Gouvernement Ouvert en Tunisie (2016). Dans ce cadre, la communication publique joue un rôle-clé, que ça soit à travers l’interaction des communicants avec les médias ou la publication sur les sites web et les réseaux sociaux. Ces derniers constituent par ailleurs, selon une enquête de l’OCDE sur le gouvernement ouvert de 2016, l’approche privilégiée des gouvernements pour informer le grand public de l’existence d’initiatives en matière de gouvernement ouvert.

Transparence et communication à travers les TIC

Des progrès réalisés par l’appareil exécutif tunisien sont à noter en matière de mise en ligne d’informations cruciales sur les sites web institutionnels des administrations tunisiennes et d’informations sur les activités des ministères au sein de rubriques dédiées, pour la plupart actualisées à fréquence régulière. De plus, de nombreux sites institutionnels disposent d’informations destinées à faciliter l’accès de l’usager aux services publics, comme les démarches administratives, les droits, les procédures et autres informations pratiques. Quant à la publication de données publiques, elle commence à être mise en œuvre1 mais n’est pas encore systématisée. Par ailleurs, la publication pour consultation des projets de lois et pour soumission des marchés publics, est une pratique qui peut être considérée comme enracinée en Tunisie, même si des axes restent à améliorer dans le domaine. Au-delà de cet aspect global, une analyse de la situation des entités en charge de la communication publique des différentes instances gouvernementales renvoie à certains défis. En effet, il demeure essentiel de s’assurer de l’existence de ressources humaines adéquates afin de garantir l’alimentation en contenu des différents supports numériques, leur actualisation, tout autant que la maintenance technique des sites web institutionnels.

Comme mentionné au préalable, la communication publique a cherché à s’adapter aux TIC et réseaux sociaux qui sont devenus le quotidien d’une majorité des Tunisiens. Cette démarche a permis à l’administration tunisienne de gagner en transparence et a contribué, à travers plus de participation, à combler le fossé entre gouvernants et gouvernés. La plupart des institutions et ministères utilisent désormais les réseaux sociaux afin de publier leurs informations, d’améliorer la qualité des services et d’augmenter l’efficacité des politiques publiques : 86% des répondants à l’enquête affirment être présents et actifs sur Facebook et 50% sur Twitter. En effet, c’est en utilisant des outils proches des citoyens que la communication peut gagner en efficacité. Facebook est le réseau le plus largement utilisé par les citoyens tunisiens et constitue donc un canal efficace pour la communication publique. La plupart des institutions publiques disposent d’une page Facebook avec un nombre de « followers » important. Concernant le type de contenu publié sur les réseaux sociaux, il s’agit principalement d’actualités, d’événements, d’informations relatives aux activités ministérielles, de consultations publiques et autres communiqués.

Cependant, et en dépit de la présence accrue des institutions sur ces réseaux sociaux, seulement 50 % d’entre elles semblent avoir mis en place des processus de validation des informations publiées. Cette situation peut ralentir la mise en ligne d’informations cruciales, dans un monde en besoin constant d’informations instantanées. Par ailleurs, il convient de revenir sur les besoins en ressources financières et humaines afin d’envisager une communication sur ces réseaux efficace et durable. Il serait par ailleurs utile de renforcer les liens entre plateformes en ligne existantes, tels que le site web d’un ministère et sa page Facebook ou d’autres sites connexes.

Selon les entretiens menés, les canaux en ligne semblent parfois avoir partiellement remplacé les communiqués de presse officiels d’autant que ces canaux permettent un partage rapide d’informations. Malgré les nombreux avantages des réseaux sociaux pour améliorer la relation entre les citoyens et le gouvernement, il convient de veiller à ce que la communication publique sur les réseaux sociaux ne se substitue pas à la communication publique officielle. En effet, Facebook ne peut pas à lui seul constituer une source officielle. L’interaction de l’administration avec les médias traditionnels ainsi que la mise en ligne d’informations sur les sites web demeurent des investissements cruciaux, notamment quand il s’agit de la publication d’informations jugées sensibles. Cette double approche nécessite des ressources humaines adéquates et des directives claires de la part du gouvernement.

De l’importance de l’interaction avec les médias

En dehors de la Présidence du gouvernement, du ministère de l’Éducation et du ministère des Femmes par exemple, la plupart des ministères ne semblent pas disposer de porte-parole dédié, si bien que le ministre, dont l’agenda est déjà chargé, est souvent le seul à être autorisé à prendre la parole devant les médias. De plus, la plupart des services de communication des ministères n’ont qu’un seul attaché de presse assumant l’ensemble des responsabilités. Les attachés de presse ont un rôle primordial à jouer pour renforcer la transparence et l’ouverture des gouvernements, de par le rôle de contact principal qu’ils jouent entre le gouvernement et les médias. Compte tenu de l’importance de ce rôle d’intermédiaire, il est essentiel de leur permettre de travailler efficacement et en confiance. Or ces rôles et fonctions ne sont pas toujours clairement définis et sont susceptibles de varier d’un ministère à l’autre. Il serait également important d’opérer un changement des mentalités afin de permettre aux communicants d’interagir avec les médias de manière plus proactive. À ces fins, il s’agirait de les habiliter à prendre la parole en leur offrant un meilleur accès à l’information ainsi qu’à des outils de coordination gouvernementale (messages-clés, statistiques, éléments de langage, etc.), ce qui leur permettrait d’aligner leurs messages. Enfin, il est essentiel de renforcer les efforts en cours qui tendent à faire reposer la communication sur des faits concrets, vérifiables et quantifiables, ce qui redonne de manière objective confiance en la parole publique.

Ces éléments, et plus généralement l’importance de l’interaction des communicants publics avec les médias, sont intégrés au Programme d’appui aux médias en Tunisie (PAMT/MediaUp : 2017-2020) financé par l’Union Européenne, dont un volet est consacré au renforcement des capacités des communicants publics. Au premier semestre 2018, 10 sessions de formation ont ainsi mobilisé près d’une centaine de communicants et attachés de presse sur différentes thématiques : couverture photo et vidéo pour les communicants centraux, communiqué/conférence de presse et stratégie/communication de crise pour les communicants régionaux des Gouvernorats. L’accompagnement du lancement d’une plateforme interactive de la communication gouvernementale est également en cours. Conformément à l’impératif de pérennisation de ce programme, ces formations ont été animées par des binômes d’experts internationaux et tunisiens, issus pour ces derniers des services centraux de communication publique, suite au premier projet de renforcement des capacités des communicants publics financé par le gouvernement allemand depuis 20122.

Une communication axée vers un meilleur accès à l’information

Les communicants publics jouent un rôle-clé pour faciliter l’accès à l’information, un droit fondamental tel que décrit dans le chapitre 4. En effet, il est important, d'une part, que les citoyens et les journalistes connaissent les services qui leur sont destinés (comment y accéder et comment exercer leurs droits), et d'autre part, qu’ils prennent connaissance du rôle de veille qu'ils peuvent avoir sur l’action de l’État. Cependant, selon les entretiens menés par l’OCDE, l’accès à l’information et la fluidité de l’information semblent être les principaux défis à relever dans la relation entre communicants et journalistes et cela malgré la loi sur l’accès à l’information (chapitre 4). Sur la base des différents entretiens menés à Tunis avec des médias et des représentants de la société civile, il ressort que la communication publique gagnerait à renforcer cet aspect.

Des avancées sont notables depuis 2011, notamment la plus grande accessibilité des décideurs politiques dont les ministres eux-mêmes. Pour autant, et selon les entretiens menés, les journalistes semblent parfois devoir user de moyens et canaux informels pour avoir accès à certaines informations. Au cours des entretiens menés à Tunis, des représentants de la société civile ont par ailleurs souligné qu’ils ne recevaient généralement pas de réponses à leurs demandes d’informations, tel que cela est prévu par la loi sur l’accès à l’information, ou que les réponses tardaient à venir.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la loi sur l’accès à l’information, se pose la question de l’interaction entre attachés de presse ou chargé de communication d’un côté, et chargés de l’accès à l’information de l’autre. Il serait ainsi nécessaire de faciliter une étroite collaboration entre communicants et chargés d’accès à l’information afin de gagner en efficacité, tout en veillant à distinguer leurs rôles et éviter une confusion de leurs activités, notamment aux yeux des citoyens (chapitre 4).

La communication publique, vecteur-clé de la participation citoyenne

Réseaux sociaux et participation citoyenne

Avec la multiplication des TIC et l’augmentation de la demande des citoyens à prendre part à la vie publique et à faire prendre en compte leurs voix, un changement de paradigme entre la communication publique traditionnelle et une communication qui permet davantage de participation de diverses parties prenantes devient crucial. Comme mentionné précédemment, les TIC et réseaux sociaux ont joué un rôle de tout premier plan dans la révolution tunisienne et n’ont depuis cessé de se développer. En réponse aux changements opérés au sein de la société tunisienne après 2011, l’administration a donc entrepris de développer l’usage des TIC afin de répondre aux demandes de plus en plus fortes de participation3. Bien que de nombreux efforts aient été accomplis, renforcer les initiatives connexes semble nécessaire et accroître le niveau de conscience sur l’importance de la participation déterminant. En effet, seuls 8% des répondants à l’enquête de l’OCDE ont positionné la participation comme objectif prioritaire de leurs stratégies de communication.

Contrairement aux médias traditionnels (télévision, radio, publicité, affichage, etc.), qui ne révèlent pas de retours de performance, les réseaux sociaux présentent l’avantage de produire une vision claire du nombre de personnes touchées ainsi que leurs opinions. Ces évolutions ont un impact direct sur la communication publique pour laquelle la perception et la participation citoyenne sont devenues des composantes essentielles. De plus, les réseaux sociaux offrent aux pouvoirs publics la possibilité d’aller au-delà de l’étape initiale consistant à uniquement informer les citoyens des politiques les concernant. Les citoyens peuvent aujourd’hui communiquer directement, quel que soit leur lieu de résidence, avec les responsables politiques ou les agents publics en poste dans les capitales, ce qui n’était pas le cas lors des décennies antérieures (OCDE, 2017). Les réseaux sociaux permettent également une réaction en temps réel aux messages de communication publique. Dans les pays de l’OCDE, améliorer la communication et renforcer la participation des citoyens sont les deux objectifs principaux que cherchent à atteindre les gouvernements dans leur utilisation des réseaux sociaux (Graphique 3.1), et de nombreux pays ont mis en place des directives spécifiques pour ce faire (encadré 3.1).

Graphique 3.1. Principaux objectifs des gouvernements concernant l’utilisation des médias sociaux
Graphique 3.1. Principaux objectifs des gouvernements concernant l’utilisation des médias sociaux

Note : Réponses de 12 pays ayant indiqué avoir des objectifs ou attentes spécifiques concernant l’utilisation par le gouvernement des médias sociaux.

Source : OECD (2013), « Enquête sur l’usage des médias sociaux par les gouvernements ».

Encadré 3.1. Directives sur l’utilisation des réseaux sociaux en Italie

Certains ministères et autres instances de l’État en Italie ont élaborés des directives sur l’utilisation des réseaux sociaux, tels que le ministère de l’Éducation http://www.miur.gov.it/web/guest/social-network ou le ministère de l’Économie http://www.mef.gov.it/policy/index.html ainsi que la Chambre des députés http://www.camera.it/leg17/69?testostrumenti=10. Ces directives se focalisent notamment autour de l’usage des réseaux sociaux et de la modération des commentaires, etc.

Source : Échanges avec les pairs lors de la mission de revue par les pairs à Tunis en novembre 2017.

En Tunisie, les pages Facebook créées par les administrations incluent des supports interactifs comme des photos et vidéos que chacun peut commenter. La fonction « chat » est également activée de sorte que les citoyens tunisiens peuvent ainsi directement poser leurs questions à l’administration. Par exemple, lors des élections présidentielles de 2014, le Président Béji Caïd Essebsi a ainsi participé à un « Tweet Chat » ayant duré près de deux heures. Ce dernier a totalisé 1 979 tweets de 358 contributeurs4. Par ailleurs, le Chef du gouvernement organise des discours en direct sur Facebook.

Les axes d’amélioration du niveau d’utilisation des réseaux sociaux à des fins d’encouragement de la participation citoyenne restent importants en Tunisie. L’utilisation de fonctionnalités comme les « Live » sur Facebook et Youtube, lors des conférences de presse, des réunions intra-ministérielles, des présentations de lancement de nouveaux projets et autres aspects de l’activité des administrations publiques – au cours desquelles des réactions immédiates peuvent être émises et des feedbacks rendus instantanés – est cruciale et pourrait figurer de manière plus systématique dans l’usage que font les administrations de Facebook et de Youtube.

Comme indiqué dans le Panorama des administrations publiques 2015, « [la] plupart des administrations publiques continuent à ne voir dans les médias sociaux qu’un outil supplémentaire de diffusion de leurs messages traditionnels et rares sont celles qui cherchent véritablement à les mettre au service d’objectifs plus ambitieux, qu’il s’agisse d’ouvrir les processus de l’action publique ou de faire évoluer la prestation des services publics » (OCDE, 2015 ; OCDE, 2017). Un usage stratégique des réseaux sociaux par les administrations demande en effet à relever de nombreux défis. Tout d’abord et comme dans beaucoup de pays de l’OCDE, les réseaux sociaux peuvent poser un problème de ressources et de formation concernant les responsables de la communication institutionnelle. Des clarifications semblent nécessaires à propos des avantages de chaque type de média social, d’une orientation ou de directives sur les mécanismes de validation et de transmission des messages, ou encore à propos du choix de la personne en droit de répondre sur les pages officielles des institutions en ligne ou des réponses à apporter aux citoyens. Ensuite, le fait de ne pas publier régulièrement de nouveaux éléments sur les médias sociaux créés, de ne pas répondre aux questions des citoyens ou de ne pas modérer les discussions, pourrait renvoyer une image négative des institutions. Toute stratégie des pouvoirs publics visant à tirer parti des divers avantages des médias sociaux doit donc prévoir des ressources humaines et des compétences suffisantes afin d’alimenter les différents canaux et mener ainsi un dialogue avec les citoyens.

Encadré 3.2. Aide-mémoire pour un usage stratégique des médias sociaux dans le secteur public

Ci-dessous une liste de questions importantes qui peuvent être posées et résolues.

Objectifs et attentes

  • Quelle est la principale mission de l’institution à laquelle j’appartiens ?

  • Quels sont les principaux services et informations fournis par l’institution à laquelle j’appartiens ?

  • Quelle est l’importance de la communication publique dans l’accomplissement des principales missions de mon institution ?

  • Comment les médias sociaux contribuent-ils aux principales missions de mon institution ? Quels exemples d’institutions homologues existent à l’échelle nationale ou internationale ?

  • Les médias sociaux permettent-ils à des acteurs extérieurs de favoriser certaines activités de mon institution, comme par exemple des intermédiaires ou des individus pour lesquels mon institution peut représenter une plateforme de collaboration ?

Modes de gouvernance et orientations

  • Existe-t-il un organe central de suivi des médias sociaux transversal au gouvernement ou l’innovation non centralement régulée est-elle privilégiée ?

  • Comment les diverses unités opérationnelles de mon institution tirent-elles profit des médias sociaux, par exemple les directions chargées des relations publiques, des technologies de l’information, des décisions politiques ou de la fourniture de services ?

  • Serait-il utile de rédiger des orientations pour les fonctionnaires en ce qui concerne les médias sociaux, y compris pour leur usage personnel ?

  • Serait-il utile de rédiger des orientations en ce qui concerne les profils des institutions dans les médias sociaux, à l’instar d’un profil Facebook d’un ministère ?

  • Qui fixe, le cas échéant, les orientations en ce qui concerne l’usage des médias sociaux par les hommes politiques ou les hauts fonctionnaires représentant une institution ?

Application de la législation

  • Quelles dispositions légales et réglementaires sont susceptibles d’influencer la manière dont les institutions utilisent les médias sociaux ?

  • Les médias sociaux sont-ils intégrés ou non aux archives légales ?

  • Quelles clauses de non-responsabilité peuvent être associées aux médias sociaux ?

  • Quelle information peut réutiliser mon institution en regard de la protection de la vie privée ou du respect des lois sur la propriété intellectuelle ?

  • Comment faire en sorte que l’utilisation par mon institution des médias sociaux réponde aux exigences d’accessibilité de l’information et des services ?

Compétences et ressources

  • Quelles ressources humaines sont disponibles ou peuvent être mobilisées pour assurer un impact durable ?

  • Les compétences en matière de médias sociaux sont-elles prévues par les stratégies (numériques) plus larges de mon institution ou du gouvernement ?

  • Comment les dépenses en matière de médias sociaux sont-elles prises en charge ? Peuvent-elles être isolées des dépenses plus générales de communication afin d’en calculer les coûts spécifiques ?

Collaboration et construction de groupes de pairs

  • Des groupes de pairs existent-ils au sein du gouvernement qui permettent d’échanger au sujet des expériences en matière de médias sociaux ?

  • Quels mécanismes de coordination ou de collaboration aideraient mon institution à comprendre et tirer profit de l’impact des médias sociaux ?

  • Gestion des risques associés à l’utilisation des médias sociaux

  • Quelles conséquences auraient pour mon institution des risques pesant sur sa réputation ?

  • Mon institution doit-elle craindre des fuites non intentionnelles d’informations ?

  • Quelle proportion des fonctionnaires utilise les médias sociaux à titre personnel ?

  • Les risques liés aux médias sociaux sont-ils pris en compte par des stratégies globales de gestion des risques au sein de mon institution ou du gouvernement ?

Suivi et mesure des effets des médias sociaux

  • Les indicateurs en matière de médias sociaux sont-ils bien définis ? Que mesurent-ils : la présence, la popularité, la pénétration, les perceptions ou les objectifs ?

  • Mon institution utilise-t-elle des indicateurs évaluant la contribution aux principaux objectifs fixés ?

  • Quel serait l’ensemble d’indicateurs le plus adapté à l’utilisation des médias sociaux par mon institution ?

  • Quelles sources d’information puis-je utiliser pour établir les indicateurs spécifiques les plus adéquats ?

Source : Mickoleit, A. (2014), “Social Media Use by Governments: A Policy Primer to Discuss Trends, Identify Policy Opportunities and Guide Decision Makers”, OECD Working Papers on Public Governance, No. 26, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/5jxrcmghmk0s-en.

Quel apport de la communication publique à des politiques publiques plus efficaces et inclusives?

Des citoyens informés sont mieux équipés pour bénéficier des opportunités que propose l’État et pour accéder aux services qu’il fournit. Toutefois la communication publique ne vise pas simplement à informer les fonctionnaires ou le grand public des efforts entrepris ou prévus par l’administration. Elle a également pour rôle de convaincre, de rallier et de permettre des changements de comportement essentiels à la réussite des réformes et des politiques publiques. Les analyses montrent que le succès d’une réforme dépend largement de parties prenantes clés et de leurs changements d’attitudes, d’opinions ou de comportements. Ces analyses montrent également que la communication permet de pallier aux principaux défis auxquels font face les réformateurs dans le cadre de leurs efforts : une faible volonté politique ou un soutien limité ou de courte durée (par exemple, de la part des parlementaires) ; une résistance de la part des directeurs qui seraient en charge d’implémenter les réformes ; une opinion publique défavorable ou un manque de soutien public (qui est parfois dû à une incompréhension des réformes ou à une mauvaise gestion des attentes). Une communication réussie constitue donc un des éléments qui permet de dépasser ses défis. Quelle que soit l’excellence du travail de technocrate effectué, s’il n’est pas complété par une communication d’influence qui permet un changement d’opinion et de comportements à travers l’engagement, le partage de l’information, la discussion et la délibération, il est peu probable que ces efforts aboutissent ou qu’ils s’inscrivent dans le temps.

Par ailleurs, les statistiques sur les pays de l’OCDE montrent que la confiance dans le gouvernement reste faible malgré les réformes entreprises : elle est en moyenne de 43%. Il est ainsi primordial pour les gouvernements de mieux communiquer sur leurs efforts, d’être plus réactifs par rapport aux besoins des citoyens et de mieux répondre à leurs attentes afin de regagner leur confiance. En rendant le processus d’élaboration des politiques publiques plus inclusif, la communication institutionnelle, notamment sur les réseaux sociaux, permet de pallier à ce manque de confiance (OCDE, 2014a). En effet, les réseaux sociaux permettent d’effectuer un « crowd-source » d’idées et de suggestions de la part des citoyens. Par ailleurs et à mesure qu’ils deviennent omniprésents, les réseaux sociaux permettent aux gouvernements d’utiliser de nouvelles sources d'information afin de mieux comprendre les besoins et les comportements des citoyens et ainsi ajuster les politiques publiques. Les gouvernements peuvent ainsi exploiter les réseaux sociaux pour aider les citoyens à obtenir une meilleure qualité des services dans tous les domaines, d’autant que le nombre de réponses gouvernementales aux demandes postées par des utilisateurs individuels sur des plateformes telles que Facebook, Twitter et Google ne cesse de croître. Cette démarche ne peut se concrétiser sans des stratégies et structures adaptées et sans ressources humaines et financières suffisantes.

La société tunisienne est une société jeune de plus en plus en demande de transparence et de moyens de participer activement à la vie publique. Les jeunes représentent près de 30% de la population en Tunisie, et ils ont largement mené la Révolution de 2011 (OCDE, 2018). De nombreux jeunes femmes et hommes ont par ailleurs grandi en tant que « natifs numériques ». La Tunisie est entrée dans une phase délicate de sa transition où l’enthousiasme révolutionnaire qui a suivi l’adoption de la Constitution a parfois laissé la place à une forme de désenchantement. Les jeunes, notamment, sont impatients de voir des changements concrets se réaliser et les conditions économiques et sociales s’améliorer. Par ailleurs, les derniers scrutins législatif et présidentiel ont été marqués par une très forte abstention, en particulier de la jeunesse, qui a ainsi exprimé sa déception.

De nombreux efforts ont vu le jour pour renforcer l’engagement des jeunes dans la vie publique à travers la communication, notamment par le biais des réseaux sociaux. Des efforts ont été menés dans ce sens, à travers la création par le ministère des Affaires de la jeunesse et des sports du Pôle d’information pour jeunes à Radès, avec pour objectif d’étendre ce mécanisme au reste du territoire (sept pôles). Ce centre dispose d’un studio d’enregistrement pour une radio-web et une WebTV qui laissent aux jeunes la liberté d’en définir la ligne éditoriale. De plus le ministère propose des formations en audio-visuel, au sein de l’Académie de formation des jeunes en audiovisuel, à destination des jeunes désireux de développer leurs talents et aptitudes. De même, certaines maisons des jeunes disposent d’unité d’information et de relation avec les médias. Ces unités agissent en tant qu’intermédiaire entre maisons des jeunes, médias et grand public en fournissant des informations sur le contenu des activités (OCDE, 2018). Par ailleurs, une expérience pilote est en cours de mise en œuvre au Centre de Rades. Un Centre d’information et d’orientation pour les jeunes est en train d’être mis en place dont l’objet est de faciliter l’accès à l’information aux jeunes sur les services qui leur sont destinés. Si l'information demandée par le jeune est disponible, elle lui est communiquée par un opérateur (22 opérateurs dans ce centre). Sinon le jeune est rappelé ultérieurement afin qu’une réponse finale lui soit apportée, ou il sera réorienté vers les services du ministère concerné (OCDE, 2018). Par ailleurs et dans le cadre du plan d’action du Gouvernement Ouvert 2016-2018, la création d’une Plateforme électronique intégrée facilitant la communication avec les jeunes est prévue.

Sur le plan du contenu, il est essentiel que la communication publique s’efforce d’adapter ses messages aux audiences cibles (femmes et jeunes par exemple). Simplifier le langage officiel est d’ailleurs d’autant plus important que ces deux catégories de population associent souvent le jargon technique ou trop politisé à la langue de bois. La France donne un exemple de bonnes pratiques en la matière (encadré 3.3).

Encadré 3.3. Vers une accessibilité technologique et linguistique de la communication

En France, le site gouvernement.fr affiche de nombreux contenus utiles pour un jeune public, qui permettent la compréhension du fonctionnement des institutions de l’État (composition du gouvernement et du cabinet du Premier ministre, fiches pratiques, lexique, etc.) et une meilleure appropriation de nouvelles mesures et réformes. Il existe également des contenus pédagogiques souvent ludiques avec un ton adapté en fonction de l’âge de la cible.

Source : Présentation du Service d’information du gouvernement (2018).

Quant à la forme, il est certain que les opportunités offertes par les TIC constituent certainement le moyen le plus efficace pour que les femmes et les jeunes s’engagent et pour développer un nouveau dynamisme démocratique. L’Islande se montre à cet égard exemplaire. Elle est le premier pays à avoir fait appel aux internautes et aux réseaux sociaux pour élaborer sa Loi fondamentale (entre avril 2011 et l’automne 2012). Les citoyens ont ainsi pu suivre les réunions publiques retransmises en direct sur la chaîne Youtube du Conseil et ont été invités à commenter, poser des questions, proposer des amendements sur le site du Comité constitutionnel, sur la page Facebook et le compte Twitter des Sages. Des procédures similaires pourraient être envisagées en Tunisie afin d’améliorer l’engagement des jeunes. Elles pourraient facilement être mises en œuvre sans recourir à une infrastructure complexe et coûteuse comme c’est le cas pour les campagnes d’affichage publicitaire. Par ailleurs, la communication publique peut jouer un rôle primordial dans la mise en lumière des sujets particulièrement importants pour les femmes.

Recommandations

  • renforcer les canaux de communication officiels (mise à jour des sites web, augmentation de la fréquence des communiqués, identification des porte-paroles et des chargés de communication au sein de chaque ministère, etc.) afin de multiplier les sources fiables de transmission d’informations.

  • s’assurer des ressources financières et humaines nécessaires pour une communication efficace et durable via les sites web et les réseaux sociaux.

  • mettre en place des directives claires concernant les pratiques des communicants publics sur les réseaux sociaux.

  • renforcer l’organisation des conférences de presse et des rencontres avec les journalistes et veiller à ce qu’elles incluent des informations utiles aux journalistes et médias.

  • s’assurer de l’intégration de la communication dans le cycle de développement des politiques publiques et dans les initiatives de participation des parties prenantes.

  • renforcer les efforts pour un meilleur ciblage de la communication publique, notamment à travers une meilleure connaissance des besoins des différents segments de la population (enquêtes, consultations etc).

  • intégrer davantage au sein des stratégies et plans de communication des priorités et actions liées aux jeunes et aux femmes et organiser des activités connexes (en ligne ou hors ligne) tout en expérimentant de nouveaux instruments tels que les chatbots ou les messageries chat.

Références

Belaid N. (2015), Quand nos Présidents optent pour une communication politique interactive, https://www.huffpostmaghreb.com/nouha-belaid/quand-nos-presidents-arab_b_7467652.html.

Graham, M. (2014) Government communication in the digital age: Social media’s effect on local government public relations. Public Relations Inquiry Journal, volume 3 Issue 3, September 2014. https://doi.org/10.1177/2046147X14545371.

MedMedia (2018) Addressing hate speech and racism in the media in the Southern Mediterranean: A Review of Formal and Informal Regulatory Approaches. Consulté ici : http://www.med-media.eu/wp-content/uploads/2018/05/MEDMEDIA_ENGLISH_SCREEN.pdf.

OCDE (2018) Document de travail sur l’engagement des jeunes tunisiens dans la vie publique, Pour un meilleur engagement de la jeunesse dans la vie publique en Tunisie, https://www.oecd.org/mena/governance/Tunisia-discussion-paper-Feb18-web.pdf.

OCDE (2017), Gouvernement ouvert : Contexte mondial et perspectives, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264280984-fr.

OCDE (2016), Le gouvernement ouvert en Tunisie, Examens de l'OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264227170-fr.

OCDE (2015), Data-Driven Innovation: Big Data for Growth and Well-Being, Éditions OCDE, Paris.

OCDE (2014a), Social Media Use by Governments: a Policy Primer to Discuss Trends, Identify Policy Opportunities and Guide Decision Makers.

OCDE (2014b) Women in Public Life, Gender, Law and Policy in the Middle East and North Africa, Éditions OCDE, Paris, www.oecd.org/fr/publications/women-in-public-life-9789264224636-en.htm.

Narjess B (2015) Attentat de Sousse: Pourquoi la communication du gouvernement était-elle défaillante?, https://www.huffpostmaghreb.com/narjess-babay/attentat-de-sousse-pourqu_b_7734164.html.

Salem B. & Maryam (2013) Formes traditionnelles, formes nouvelles de l'engagement politique des jeunes femmes en contexte de transition : le cas de la Tunisie, https://idl-bnc-idrc.dspacedirect.org/handle/10625/52312.

Salem (2017), The Arab Social Media Report 2017: Social Media and the Internet of Things: Towards Data-Driven Policymaking in the Arab World (Vol. 7), MBR School of Government.

Tahar, A. (2013), Le gouvernement et l'effet boomerang, https://www.huffpostmaghreb.com/tahar-abdessalem/le-gouvernement-et-leffet_b_3854935.html.

Wardle C. & Derakshan H. (2017), Information Disorder: Towards an interdisciplinary framework for research and policy making, Council of Europe report, DGI (2017)09.

WPP & The Government and Public Sector Practice (2016), The Leaders' Report: The future of government communication, https://sites.wpp.com/govtpractice/leaders-report/.

Notes

← 1. Par exemple, le site open data de l’Industrie qui publie des contrats en ligne ou les sites suivants : Présidence du gouvernement : http://data.gov.tn/ , ministère de l’Énergie : http://data.industrie.gov.tn/ , ministère de l’Intérieur : http://opendata.interieur.gov.tn/ , Institut national de statistiques : http://dataportal.ins.tn /, ministère des Finances : http://www.mizaniatouna.gov.tn/ ministère des Affaires culturelles : http://www.openculture.gov.tn/.

← 2. Selon le CAPJC.

← 3. Selon la Recommandation de l’OCDE pour un Gouvernement Ouvert, la participation inclut trois niveaux : l’information, la consultation et l’engagement.

← 4. https://www.huffpostmaghreb.com/nouha-belaid/quand-nos-presidents-arab_b_7467652.html.

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