Chapitre 4. Réseaux de violence en Afrique du Nord et de l’Ouest

En Afrique du Nord et de l’Ouest, les conflits se caractérisent par leur extrême complexité : des centaines de groupes rebelles et d’organisations extrémistes y sont impliquées dans un maillage fluctuant d’alliances et de rivalités, aussi bien entre eux qu’avec les gouvernements régionaux. Ces relations peuvent se représenter sous la forme d’un réseau, à la fois source d’opportunités et de contraintes pour les organisations violentes. Afin de mieux appréhender cette complexité, ce chapitre modélise l’évolution des réseaux d’opposition et de coopération, à partir de la fin des années 90. Cette approche relationnelle part du principe que l’évolution de la violence politique dans la région dépend autant de l’architecture globale de l’environnement conflictuel que de la position de chaque organisation au sein des réseaux d’opposition et d’alliance.

Ce chapitre montre que les confrontations violentes entre organisations armées ne se produisent pas de manière isolée. Les organisations violentes et leurs membres s’inscrivent plutôt dans un maillage complexe de relations qui, agrégées, forment une communauté de violence plus vaste à l’échelle de la région. La partie gauche du graphique 4.1 illustre cet environnement conflictuel : chaque nœud y représente une organisation impliquée dans un événement à motivation politique entre janvier et juin 2020 en Afrique du Nord et de l’Ouest, tandis que chaque lien entre deux organisations indique qu’elles sont en conflit. Cette architecture limite l’autonomie des organisations violentes et impose des contraintes structurelles quant aux objectifs qu’elles peuvent atteindre. Du fait des interdépendances qui relient les acteurs au sein du réseau de conflit, lorsqu’une organisation est attaquée, sa capacité à riposter militairement est limitée par les dynamiques globales de violence dans la région. Les milices peuvent ainsi se montrer plus promptes à riposter dans un contexte de violence diffuse que lorsque le gouvernement a la capacité de coordonner des opérations militaires contre un nombre limité de groupes rebelles ou extrémistes.

La violence peut aussi s’étendre bien au-delà des liens sociaux immédiats d’une organisation. C’est par exemple le cas lorsque des membres indirectement impliqués ou atteints ripostent collectivement en son nom. Cette riposte peut être dirigée contre le groupe agresseur initial ou contre des tiers pouvant être perçus comme des alliés du groupe agresseur. Une analyse au niveau individuel risquerait par conséquent de passer à côté d’une grande partie de la complexité des dynamiques de violence de la région. Une approche globale de la violence au niveau des organisations, comme celle adoptée ici, permet d’examiner les dynamiques de conflit dans le temps.

Ce chapitre montre que les organisations ont une propension à agir de manière indépendante et à faire des choix qui influent sur leur capacité à vaincre leurs ennemis et à collaborer avec leurs alliés. La partie droite du graphique 4.1 représente le voisinage de conflit de l’une des organisations les plus violentes d’Afrique du Nord et de l’Ouest, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), en conflit avec 38 forces gouvernementales, milices, acteurs civils et autres groupes armés durant le premier semestre 2020. Un premier acte de violence de la part d’une organisation comme l’EIGS peut déclencher une succession d’interactions et alimenter le conflit bien au-delà de ses ennemis immédiats. Pour comprendre la façon dont un conflit se propage, l’un des éléments clés est la structure du « voisinage » de l’organisation, c’est-à-dire tous les ennemis qu’elle combat, ainsi que tous les liens formés par les actes de violence entre eux. Dans la terminologie de la science des réseaux, l’étude du voisinage du conflit relève d’une approche « égocentrée », qui donne un aperçu du contexte dans lequel s’inscrit une organisation (aussi appelée « égo »). Ces voisinages jouent un rôle important, car ils influent sur les informations que les organisations reçoivent, ainsi que sur la façon dont elles perçoivent les autres organisations et réagissent aux actes de violence dirigés contre elles, leurs ennemis ou leurs alliés.

L’approche par réseaux permet de considérer simultanément la structure et la capacité d’action des organisations violentes, ainsi que la façon dont ces deux facteurs évoluent depuis la fin des années 90 (chapitre 3 pour présentation de la méthodologie). D’abord menée à l’échelon régional, avec l’examen de tous les événements à motivation politique survenus dans 21 pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest entre janvier 1997 et juin 2020 (carte 4.1), l’analyse se concentre ensuite sur trois zones particulièrement touchées par les violences depuis le début des années 2010 : le Mali et le Sahel central ; la région du lac Tchad, comprenant le nord du Nigéria et les régions voisines du Cameroun, du Tchad et du Niger ; et la Libye. Entre 2009 et 2020, en Afrique du Nord, 11 691 événements violents sont recensés causant la mort de 35 772 personnes, et en Afrique de l’Ouest, 25 069 événements violents et 119 603 victimes.

Les conflits qui déchirent l’Afrique du Nord et de l’Ouest se caractérisent, entre autres, par le très grand nombre d’acteurs impliqués. Ceci s’explique par l’absence d’objectif politique commun pour de nombreuses organisations violentes, qui ont souvent un ennemi commun sans nécessairement collaborer entre elles. Les organisations violentes peuvent se faire concurrence malgré des principes idéologiques communs (chapitre 2). Durant le premier semestre 2020, pas moins de 562 organisations sont impliquées, en tant que victimes ou auteurs, dans des actes de violence à travers la région, soit un nombre quatre fois supérieur à celui des organisations impliquées formant des alliances. Nourri par de multiples insurrections, rébellions et coups d’État, le nombre d’organisations en conflit double, passant de 604 en 2009 à 1 199 en 2019. Si la situation continue à se dégrader, 2020 sera, de loin, l’année la plus violente enregistrée depuis 1997, avec 1 151 organisations recensées jusqu’en juin (graphique 4.2).

Pour comprendre comment les organisations violentes s’affrontent en Afrique du Nord et de l’Ouest, cette section cartographie le réseau de leurs ennemis et modélise leurs relations conflictuelles dans le temps. Cette cartographie révèle à quel point la violence politique est diffuse, bien que persistante, dans la région. En 2020, le réseau reliant les organisations impliquées dans des événements conflictuels en Afrique du Nord et de l’Ouest présente une structure décentralisée, attribuable au fait que toutes ne se battent pas nécessairement dans la même zone de conflit. Le sous-groupe libyen (graphique 4.3), est indirectement relié aux sous-groupes nigérian et malien par l’intermédiaire de plusieurs organisations jihadistes et forces gouvernementales actives au niveau international.

Une structure lâche et décentralisée, comme celle reliant les organisations en conflit dans la région, est caractéristique d’un réseau « cosmopolite ». Les acteurs s’inscrivant dans ce type de réseau ont peu de liens, forment en général peu de communautés très cohésives et sont éloignés les uns des autres. En conséquence, la densité, le nombre moyen de liens et le coefficient d’agglomération sont faibles dans ce type de structure, tandis que le nombre moyen d’étapes nécessaires pour relier un acteur à tous les autres est élevé (tableau 4.1). L’une des caractéristiques des réseaux cosmopolites est la présence d’intermédiaires clés qui lient des communautés qui, sinon, ne seraient pas connectées. En Afrique de l’Ouest, le réseau commercial du riz, qui relie producteurs, assembleurs, grossistes et détaillants à travers la région, présente par exemple une structure clairement cosmopolite, au sein de laquelle chaque marchand a un nombre limité de partenaires commerciaux de confiance (OCDE/CSAO, 2019[2]).

Les réseaux cosmopolites diffèrent des réseaux dits « provinciaux », en général structurés autour de communautés denses d’acteurs liés par des relations de parenté, d’affaires, d’amitié ou d’alliance. Les réseaux provinciaux présentent ainsi une forte densité, un nombre élevé de liens par acteur, une tendance à former une grande composante unique et un petit nombre d’étapes entre acteurs (tableau 4.1). Ils se caractérisent notamment par la présence de nombreux acteurs qui ont établi des liens denses avec les autres, ou sont stratégiquement reliés à d’autres acteurs bien connectés. Le réseau social d’un chef traditionnel en Afrique de l’Ouest illustre clairement ce type de structure provinciale : presque tout le monde dans le village est lié au chef par des relations de parenté, de clientélisme ou d’amitié. Le réseau social formé par ces liens se fonde sur la confiance, la réciprocité et l’allégeance.

Les réseaux provinciaux et cosmopolites se fondent sur deux types distincts de centralité : l’enracinement et l’intermédiation. L’enracinement est associé à la confiance entre amis, parents, partenaires commerciaux ou alliés politiques ; il réduit les risques liés aux activités sociales, économiques et politiques. Les acteurs fortement enracinés occupent une position très centrale et sont entourés d’autres acteurs avec lesquels ils interagissent fréquemment pour échanger des informations, mobiliser des ressources, transmettre des instructions ou établir des alliances. Les forces militaires qui ont noué des alliances avec des milices ethniques ou communautaires se trouvent dans une position de ce type : en tant que nœud dominant de l’alliance, elles reçoivent de chacun de leurs alliés des renseignements détaillés sur l’ennemi, sans nécessairement devoir les partager avec l’ensemble du réseau. L’intermédiation permet, quant à elle, d’accéder à des ressources ou des informations qui ne sont pas disponibles dans le voisinage immédiat des acteurs. Les intermédiaires parviennent à faire le lien entre leur communauté et le reste du réseau de trois manières : en transférant des ressources entre deux parties déconnectées ; en facilitant la mise en relation de deux acteurs au bénéfice de chacun ; ou en coordonnant les activités de tiers sans créer de lien direct entre eux, renforçant ainsi la dépendance de ces derniers à leur égard (Spiro, Acton et Butts, 2013[4] ; OCDE/CSAO, 2017[5]). Les intermédiaires sont souvent utilisés dans les situations de conflit. Dans le Sahel, ce rôle a été longtemps joué par le régime de Blaise Compaoré (Burkina Faso), servant d’intermédiaire entre les organisations jihadistes et les gouvernements occidentaux pour la négociation du paiement des rançons (Thurston, 2020[6]).

L’analyse du réseau régional d’opposition confirme que les organisations violentes privilégient en général l’intermédiation par rapport à l’enracinement, tendance aisément compréhensible puisqu’il est rarement avantageux d’avoir de nombreux ennemis (tableau 4.2). Ce réseau d’opposition se compose de 562 organisations, reliées par 828 liens négatifs, ce qui signifie que seul 0.5 % des liens possibles dans la région existe effectivement au sein du réseau. La densité du réseau à l’échelle régionale (0.5 %) est bien plus faible que celle observée au Mali et dans le Sahel central (2.5 %), dans la région du lac Tchad (2.3 %) et en Libye (5.8 %). Ce constat n’a rien de surprenant, car la densité d’un réseau diminue généralement à mesure que sa taille augmente, en raison de l’impossibilité de maintenir simultanément un grand nombre de relations conflictuelles (Valente, 2010[7]). La nature des réseaux d’opposition favorise en outre de faibles densités, les organisations violentes ayant tendance à avoir le moins d’ennemis possible.

Une analyse plus approfondie de la structure globale du réseau confirme que les organisations en conflit dans la région du lac Tchad ont une structure bien moins cosmopolite que dans les autres zones de conflit et qu’à l’échelle de l’Afrique du Nord et de l’Ouest (tableau 4.3). En 2020, chaque organisation a, en moyenne, 3 ennemis à l’échelon de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, dans la région du lac Tchad et en Libye, et 3.5 ennemis au Mali et dans le Sahel central. Les réseaux de conflit ont une structure assez compacte, comme en témoignent les valeurs plutôt faibles de leur coefficient d’agglomération – mesure indiquant si les acteurs ont tendance à former de petites communautés fermées, caractérisées par une forte densité de liens. Seule échappe à ce constat la région du lac Tchad, dont le coefficient d’agglomération relativement élevé semble indiquer l’existence d’un réseau plus cohésif. Le nombre moyen d’étapes nécessaires pour relier les organisations en conflit ne dépasse pas 3 dans l’ensemble des conflits régionaux, laissant à penser qu’il est possible d’atteindre facilement la plupart des ennemis. Les organisations violentes sont plus éloignées les unes des autres au sein du réseau régional, où 4.2 étapes sont en moyenne nécessaires pour passer de l’une à l’autre.

Ces résultats ne signifient pas pour autant que le réseau régional de conflit manque de cohésion. Loin d’être fragmenté en une multitude de groupes, il est remarquablement compact, compte tenu de la distance considérable qui sépare certaines des organisations impliquées en Afrique du Nord et de l’Ouest. Les trois quarts des acteurs (74 %) se trouvent dans la composante principale du réseau, qui regroupe une grande partie des organisations impliquées dans les conflits libyen, malien et nigérian. Cette remarquable compacité s’explique par la présence d’importants intermédiaires, c’est-à-dire d’organisations ciblées par plusieurs types d’ennemis. Les populations civiles occupent cette position dans de nombreux pays : les forces gouvernementales et les organisations jihadistes ont en effet toutes deux tendance à les attaquer davantage qu’elles ne s’affrontent entre elles. En d’autres termes, les civils sont le ciment qui assure la cohésion des ennemis, avec des conséquences dramatiques pour eux et la stabilité politique de la région.

Une autre façon de déterminer les modalités d’affrontement entre organisations violentes consiste à examiner la centralisation de leur réseau. Cette mesure indique ainsi si le réseau est plutôt centralisé autour d’un petit nombre de nœuds clés, ou plutôt décentralisé. Il ressort de cette analyse qu’à l’échelon régional et local, les réseaux d’opposition comptent peu d’acteurs à la centralité exceptionnellement élevée. En témoignent les mesures présentées dans le graphique 4.4, qui indiquent le degré d’inégalité au sein du réseau. Ces mesures varient de 0 quand aucun acteur n’est pas plus central qu’un autre, à 1 quand la centralité d’un seul acteur est supérieure à celle de tous les autres, comme lorsqu’un individu occupe le centre d’un réseau en étoile, au sein duquel chacun des autres acteurs est relié à ce nœud central. Si les réseaux d’opposition étaient centralisés, la plupart de leurs scores de centralisation seraient supérieurs à 0.5, et l’espace entre les quatre arêtes du diagramme en radar serait presque plein. Dans l’ensemble, c’est au Mali et dans le Sahel central que le réseau est le moins centralisé, et dans la région du lac Tchad que se trouve le plus grand nombre d’acteurs centraux.

La centralisation de degré inférieure à 0.3 dans l’ensemble des réseaux d’opposition indique que le nombre de relations conflictuelles ne varie pas substantiellement parmi les organisations en conflit. Les faibles scores de centralisation de proximité observés partout signalent quant à eux qu’aucun acteur n’est particulièrement proche du centre du réseau. La centralisation spectrale relativement élevée (> 0.5) à l’échelon régional et dans la zone du lac Tchad suggère que certaines organisations peuvent combattre un nombre disproportionnellement élevé d’ennemis ayant eux-mêmes de nombreux ennemis. Enfin, la faible centralisation d’intermédiarité (< 0.5) dans toutes les zones indique qu’aucun intermédiaire n’est particulièrement central.

Le conflit malien débute en janvier 2012, après le lancement d’une offensive militaire contre l’armée malienne par une alliance provisoire entre les rebelles touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et des groupes affiliés à Al-Qaïda. En quelques semaines, les insurgés prennent le contrôle des grandes villes du nord du Mali, dont Tessalit et Kidal, où l’offensive a commencé, ainsi que Ménaka, Tombouctou et Gao. Rapidement, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Ansar Dine – deux groupes jihadistes – exploitent les griefs des Touareg et commencent à lutter contre leurs anciens alliés. En janvier 2013, une offensive militaire des jihadistes vers Mopti, dans le centre du Mali, convainc le gouvernement provisoire malien de demander l’intervention de l’armée française, qui lance alors l’opération Serval. Celle-ci reprend rapidement le contrôle du nord du Mali, à l’issue d’une opération d’une envergure inégalée depuis la guerre d’Algérie, et ouvre ainsi la voie au déploiement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali).

Bien que l’intervention française ait atteint ses objectifs militaires immédiats, aucune solution politique au conflit malien ne se concrétise (OCDE/CSAO, 2020[8]). En février 2014, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad créent le G5 Sahel afin de coordonner leurs efforts dans la lutte contre les organisations jihadistes. Six mois plus tard, la France remplace l’opération Serval par l’opération Barkhane, effort régional visant à lutter contre le terrorisme et les trafics transnationaux dans le Sahara-Sahel. Huit ans après l’opération Serval, l’insécurité provoquée par les rivalités entre forces gouvernementales, anciens rebelles, extrémistes religieux, milices et forces internationales reste plus forte que jamais. Initialement circonscrites au nord du Mali, les violences s’étendent au centre et à l’est du pays, ainsi qu’au Burkina Faso et au Niger voisins. Malgré quelques victoires ponctuelles contre les terroristes, comme l’assassinat de l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelmalek Droukdel, par les forces françaises en juin 2020, le Mali reste l’épicentre d’un foyer régional de violences, sous la domination d’organisations violentes affiliées à Al-Qaïda et l’État islamique.

La structure décentralisée de ce réseau d’opposition se distingue clairement dans le graphique 4.5, qui représente les organisations en conflit au premier trimestre 2020 au Mali et dans le Sahel central : aucune des 137 organisations individuelles représentées par type n’apparaît particulièrement centrale. Près de 80 % des organisations sont reliées entre elles au sein de la composante principale du réseau. Le nombre relativement faible d’organisations déconnectées du réseau de conflit indique clairement que le Mali et le Sahel central forment un théâtre d’opérations dépassant les frontières nationales.

Les organisations comptant le plus d’ennemis sont le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), coalition de groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda formée en 2017 (encadré 4.1) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), fondé en 2015. Le JNIM et l’EIGS figurent aussi parmi les principaux intermédiaires de violence de la région, comme en témoignent leurs scores très élevés de centralité d’intermédiarité : ces organisations se situent souvent entre deux acteurs qui ne s’affrontent pas, comme par exemple les forces gouvernementales et leurs milices alliées (graphique 4.6). En termes purement structurels, le fait d’être entouré de nombreux ennemis ou de faire le lien entre différents groupes d’ennemis dans un réseau d’opposition, constitue un handicap pour toute organisation. Dans un réseau au sein duquel les liens entre acteurs représentent des rivalités, les intermédiaires sont susceptibles d’être pris pour cible par différentes parties et de se retrouver ainsi dans une situation précaire. Contrairement aux réseaux de liens positifs, comme ceux reliant des marchands ou des alliés politiques, les réseaux de liens négatifs sont préjudiciables aux organisations qui ont un grand nombre de liens, pour la simple raison que chaque nouveau lien est vecteur de plus de violence.

En 2020, le JNIM a été en conflit, à un moment ou un autre, avec 44 organisations distinctes, soit le plus grand nombre recensé dans la région, l’EIGS comptant, quant à lui, 37 ennemis. La caractéristique la plus frappante de ces organisations est leur capacité à combattre un large éventail d’ennemis. Outre leurs affrontements avec les forces militaires et de police de six pays, le JNIM et l’EIGS se battent ainsi contre des milices ethniques, comme le groupe dogon Dan Na Ambassagou, des milices communautaires créées en réponse à l’insécurité politique, des groupes rebelles, le G5 Sahel, la MINUSMA, des forces de sécurité privées, des organisations non gouvernementales telles que Médecins sans frontières (MSF), et de multiples groupes de civils. La représentation structurelle de ces conflits met en évidence la lutte simultanée des forces gouvernementales contre le JNIM et l’EIGS, et la situation des civils, qui se retrouvent pris en étau (graphique 4.7).

Jusqu’à la fin des années 2010, l’EIGS mène de nombreuses attaques avec des groupes affiliés à Al-Qaïda contre leurs ennemis communs (Le Roux, 2019[11]), en raison des liens interpersonnels étroits entre hauts commandants. Ces dernières années, l’EIGS et le JNIM s’opposent toutefois de plus en plus sur différentes questions d’ordre idéologique et stratégique (Nsaibia et Weiss, 2020[12]). De janvier à juin 2020, l’EIGS affronte le JNIM à 28 reprises, entraînant la mort de 303 personnes. La cartographie de ces attaques met en évidence la coopération de ces deux organisations pour étendre leurs activités au centre du Mali, au nord de la Côte d’Ivoire et dans la plaine du Séno et la région du Gourma, entre le Mali et le Burkina Faso. L’EIGS est en revanche actuellement en concurrence avec le JNIM dans trois zones spécifiques : le delta intérieur du Niger au Mali, la région du Sahel au Burkina Faso, et le long de la frontière orientale du Burkina Faso (carte 4.2).

La région pauvre du lac Tchad est au centre d’une insurrection de grande envergure, lancée contre le gouvernement nigérian en 2009 par l’organisation jihadiste Boko Haram. Ce nom, qui signifie « l’éducation occidentale est interdite [par l’islam] », était un slogan utilisé par le premier leader du groupe, Mohamed Yusuf (1970-2009). Il n’a jamais été le nom officiel du groupe qui, depuis les années 2010, préfère se faire appeler « Jama‘at Ahl al-Sunna li-l-Da‘wa wa-l-Jihad » en arabe, soit la Congrégation des compagnons du Prophète pour la propagation de la tradition sunnite et la guerre sainte.

Les origines du groupe sont controversées (Thurston, 2018[13]). Selon la thèse dominante, il serait apparu au début des années 2000 sous la forme d’un mouvement de prédication radical, mais principalement non violent, centré autour de Yusuf dans la ville de Maiduguri, au nord-est du Nigéria. Selon une autre thèse, il se serait développé dans les années 90 à partir d’une cellule directement encouragée par Al-Qaïda et/ou des militants et jihadistes algériens. Quelle que soit la thèse retenue, le premier soulèvement violent impliquant des éléments de Boko Haram survient en 2003, dans l’État de Yobe au Nigéria. Un soulèvement d’une bien plus grande ampleur a ensuite lieu à l’été 2009 à Maiduguri (Nigéria). Yusuf est tué par la police et Abubakar Shekau, son proche compagnon lui succède.

À l’époque de Yusuf, Boko Haram entretient des liens individuels avec AQMI, qui lui propose davantage de financements et d’entraînements après le soulèvement de 2009. Toutefois, les efforts d’AQMI pour contrôler Shekau échouent. Un groupe de dissidents de Boko Haram, soutenus par AQMI, fait sécession en 2011-12 pour former Jama‘at Ansar al-Muslimin fi Bilad al-Sudan (Avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire), plus connue sous le nom d’Ansaru. Ce groupe est la cible d’assassinats perpétrés par le camp de Shekau, ainsi que de chasses à l’homme menées par les services de sécurité nigérians, et ne parvient pas à se développer, en dehors de quelques opérations sporadiques. En 2015, Boko Haram prête allégeance à l’État islamique et devient sa « province d’Afrique de l’Ouest ». En 2016, la majorité des combattants font sécession, emportant avec eux le soutien de l’État islamique. Les analystes désignent désormais la plus petite faction, dirigée par Shekau, sous le nom de Boko Haram ou Jama‘at Ahl al-Sunna li-l-Da‘wa wa-l-Jihad, et le plus grand groupe dissident, dirigé par Abou Mosab al-Barnaoui, sous le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) (Zenn, 2020[14]).

Depuis 2009, le groupe mène des vagues d’attaques terroristes, principalement dans le nord-est du Nigéria. L’ampleur de l’insurrection de Boko Haram est souvent sous-estimée. Plus de six fois plus de personnes ont ainsi été tuées dans la région du lac Tchad depuis le début des années 2010 que durant la guerre civile malienne, qui a débuté en 2012 (OCDE/CSAO, 2020[8]). Considérées ensemble, les deux factions de Boko Haram sont de loin les groupes d’insurgés les plus meurtriers de la région. ACLED recense pas moins de 4 895 événements violents impliquant Boko Haram ou ISWAP depuis 2009, soit près de 20 % de la totalité des événements recensés en Afrique de l’Ouest. Ciblant initialement les villes, Boko Haram, mise sous pression par les forces gouvernementales et des groupes d’autodéfense comme la Force d’intervention civile conjointe (Civilian Joint Task Force, CJTF), étend ensuite son action aux zones rurales. En 2014-15, sous la direction de Shekau, Boko Haram s’empare de territoires dans les États de Borno, Yobe et Adamawa, où le groupe attaque des marchés (Van Den Hoek, 2017[15]), impose des taxes sur les ressources agricoles, pastorales et halieutiques, et déplace des centaines de milliers de réfugiés.

En réponse, le gouvernement nigérian lance plusieurs offensives militaires de grande envergure et réactive la Force multinationale mixte (MNJTF), effort conjoint visant à sécuriser les frontières de la région. Boko Haram et ses ramifications reprennent ensuite leur campagne de violences dans le nord-est du Nigéria, le sud-est du Niger, le sud-ouest du Tchad et le nord du Cameroun. Si les opérations de la MNJTF permettent de réduire l’intensité de l’insurrection, le niveau de violence dans la région du lac Tchad reste toutefois très élevé et les insurgés, retranchés dans quelques bastions, sont loin d’être vaincus. L’analyse des dynamiques de mobilité semble ainsi indiquer que les deux principales factions de Boko Haram se composent de cellules extrêmement mobiles, capables de se déplacer sur de longues distances de façon répétée. Ces 50 à 60 cellules peuvent se replier dans des lieux reculés, difficiles d’accès pour les troupes gouvernementales, comme les îles du lac Tchad et les monts Mandara à la frontière camerounaise (Prieto Curiel, Walther et O’Clery, 2020[16]).

La centralité de Boko Haram et de ISWAP apparaît clairement dans le graphique 4.8, qui représente le réseau d’opposition dans la région du lac Tchad. Toutefois, les conflits dans cette région sont loin de se limiter à « Boko Haram » et ses ennemis. Les violences communautaires y sont en effet très répandues, comme en témoigne le grand nombre d’ennemis formés autour des groupes d’autodéfense peul et communautaires, répertoriés dans la catégorie des « milices identitaires » dans la base de données d’ACLED. Moins bien documentés que l’insurrection de Boko Haram, ces conflits autour des ressources agricoles et pastorales, des droits fonciers, de l’accès aux marchés et de désaccords politiques, n’en restent pas moins extrêmement meurtriers. Si l’insurrection de Boko Haram et les violences communautaires diffèrent clairement en termes d’origines et de motivations politiques, toutes deux contribuent néanmoins à accentuer l’intensité de l’environnement conflictuel, en alimentant les violences entre d’autres acteurs du réseau. Depuis que Boko Haram a entamé sa campagne de violences, à la fin des années 2000, la région connaît une augmentation des conflits entre acteurs armés ne combattant pas Boko Haram ou ISWAP (Dorff, Gallop et Minhas, 2020[17]). Ce constat semble indiquer que l’apparition d’un opposant majeur de l’État, tel que « Boko Haram », peut indirectement augmenter la probabilité de combats entre tout belligérant du conflit du nord-est du Nigéria.

ISWAP est l’organisation présentant la plus forte centralité de degré dans la région. Ensemble, Boko Haram et ISWAP ont des relations d’opposition avec 44 ennemis dans la région, soit un nombre bien plus élevé que toute autre organisation violente dans le nord du Nigéria et les pays voisins, et identique à celui du JNIM au Mali (graphique 4.9).

Les civils sont le deuxième acteur le plus central du réseau, triste position résultant du fait qu’ils sont pris pour cible à la fois par les forces gouvernementales, Boko Haram et ISWAP. Si le nombre de morts parmi les civils est en forte baisse depuis son pic au milieu des années 2010, ils sont néanmoins plus de 16 000 à avoir été tués lors d’affrontements avec Boko Haram et ISWAP depuis le début de l’insurrection.

Comme au Mali et dans le Sahel central, des groupes armés non identifiés sont responsables d’un grand nombre d’attaques dans la région du lac Tchad. Leur centralité de degré et d’intermédiarité n’est surpassée que par ISWAP et les forces nigérianes. Ces groupes restent non identifiés parce que les attaquants quittent les lieux sans être reconnus, ne revendiquent pas leur attaque, tuent tous les témoins ou sont eux-mêmes tués. Ces groupes non identifiés pourraient-ils s’avérer être en fait Boko Haram ou ISWAP ? Les modalités d’attaque observées en 2020 ne semblent pas aller dans ce sens : ces groupes armés non identifiés n’ont que 14 ennemis sur 69 en commun avec Boko Haram ou ISWAP. Par conséquent, les événements attribués à des groupes armés non identifiés sont perpétrés par de nombreuses autres organisations opérant aussi dans le nord du Nigéria. Certains de ces incidents sont d’une nature plus criminelle que politique, comme lorsque des hommes armés non identifiés attaquent des marchands ou volent du bétail. Cependant, un nombre alarmant de ces incidents concernent l’enlèvement ou l’assassinat de politiciens locaux par des attaquants non identifiés dans des zones de gouvernement local au Nigéria.

La première guerre civile libyenne débute en février 2011, après la répression violente, par les forces de sécurité, du mouvement de protestations contre le régime d’oppression de Mouammar Kadhafi. Le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) autorise alors une intervention militaire afin d’empêcher les attaques contre les civils en Libye. Le 23 mars, l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) lance l’opération Unified Protector, visant à intercepter les armes acheminées vers la Libye par voie maritime, et entame rapidement une campagne de bombardements afin de détruire les forces gouvernementales et de faire respecter la zone d’exclusion aérienne décrétée par les Nations Unies. Kadhafi est tué le 20 octobre et l’opération Unified Protector s’achève 11 jours plus tard.

L’intervention de l’OTAN ne permet toutefois pas de mettre fin au conflit. Des affrontements éclatent entre différentes factions de la rébellion peu après l’annonce, par le Conseil national de transition (CNT), de la « libération » de la Libye, en octobre 2011. En mai 2014, les rivalités entre le gouvernement se réclamant de la Chambre des représentants et celui se réclamant du Congrès général national marquent le début de la deuxième guerre civile libyenne, conflit qui, à ce jour, continue de dévaster le pays.

Depuis la mort de Kadhafi, fin 2011, le conflit libyen est une guerre civile sur fond d’effondrement de l’État, plutôt qu’une insurrection anti-étatique, comme au Mali, au Burkina Faso ou dans le nord du Nigéria. La guerre fait également apparaître un clivage politique et militaire net entre l’est et l’ouest de la Libye, avec d’un côté, le Gouvernement d’accord national (GNA), basé à Tripoli et mis en place en 2015 dans le cadre de l’Accord politique libyen négocié sous l’égide des Nations Unies, et de l’autre, l’Armée nationale libyenne (LNA) à Benghazi, aussi connue sous le nom de « Forces armées arabes libyennes », affiliée à la Chambre des représentants à Tobrouk. La LNA, sous le commandement du Maréchal Khalifa Haftar, est accusée de multiples violations des droits humains. D’innombrables autres milices et tribus sont impliquées dans ce conflit, qu’elles se battent pour un camp ou pour l’autre, ainsi que de petites poches de groupes terroristes, comme l’État islamique et Al-Qaïda, qui rendent cette guerre civile encore plus complexe.

Sur le plan militaire, le conflit libyen est dominé par le GNA et la LNA, qui présentent une centralité de degré et d’intermédiarité bien plus élevée que toute autre organisation dans le pays (graphique 4.10). Parmi les autres organisations prééminentes figurent l’État islamique, ainsi que la Brigade Nawasi et les Forces spéciales Rada, deux milices qui ont fait office de forces de police et de combat contre la LNA à Tripoli. La LNA et le GNA ayant tous deux initialement fait partie d’une force unifiée, ACLED les désigne respectivement sous l’appellation « Forces militaires de Libye – Faction de Haftar » et « Forces militaires de Libye – Gouvernement d’accord national ». Le conflit libyen se caractérise en outre par la forte implication militaire de forces de sécurité privées et de forces militaires étrangères (chapitre 5).

Ces spécificités se reflètent bien dans la structure du réseau d’opposition en 2020 (graphique 4.11). En plus de s’affronter entre eux, le GNA et la LNA sont en conflit avec une multitude de milices, forces de sécurité privées et civils. Les forces du GNA et de la LNA constituent les principaux nœuds de ce réseau, et sont en conflit avec des organisations qui ont moins d’ennemis qu’elles ; ce qui aboutit à un réseau plus centralisé et moins fragmenté qu’au Mali ou dans la région du lac Tchad.

En avril 2019, après des années d’offensives et de contre-offensives entre forces du GNA et de la LNA, ainsi que de multiples tentatives de paix de la part des acteurs internationaux, les forces de Haftar lancent un assaut contre Tripoli (Lacher, 2019[18]). Quelques gouvernements étrangers soutiennent ouvertement cette initiative, notamment les Émirats arabes unis (EAU), la Russie et l’Égypte, qui fournissent du matériel militaire et des soldats tandis que des États comme l’Arabie saoudite et la France offrent financements, armes et renseignements. L’une des principales raisons alors avancée par ces États pour justifier leur implication est l’hostilité qu’affiche Haftar contre l’islam politique, enjeu majeur pour des États comme l’Arabie saoudite, les EAU et l’Égypte, fermement opposés à l’islam politique des Frères musulmans sur leur territoire et à l’étranger.

L’une des caractéristiques de ce conflit est par ailleurs la fourniture régulière d’armes en provenance de l’étranger. Ces livraisons constituent une violation de l’embargo sur les armes mis en place par le Conseil de sécurité des Nations Unies contre la Libye depuis 2011, et un problème omniprésent difficile à résoudre. Le 29 juillet 2019, Ghassan Salamé, ancien Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), présente au Conseil de sécurité un plan pour la paix en Libye, dans lequel il propose notamment : 1) une trêve pendant l’Aïd al-Adha, fête islamique de premier plan ; 2) une conférence internationale de haut niveau avec tous les pays concernés pour œuvrer à un cessez-le-feu et appliquer l’embargo sur les armes ; et 3) une réunion des dirigeants libyens pour convenir de la voie à suivre, sous la direction de la Libye. La trêve de l’Aïd al-Adha fait rapidement consensus et commence alors la planification de la deuxième initiative de Salamé. Durant cette période, entre septembre et novembre 2019, 200 mercenaires du Groupe Wagner, aux mains d’un homme d’affaires lié au Kremlin, sont déployés en Libye en soutien aux forces de Haftar, leur permettant ainsi de gagner encore du terrain à Tripoli.

Confronté aux avancées de la LNA, le GNA se tourne vers l’un de ses principaux soutiens internationaux, la Turquie. Le 27 novembre, il signe avec celle-ci différents accords scellant leur partenariat contre la LNA et permettant l’envoi de renforts turcs en Libye. La Turquie fournit ainsi des armes, un appui en matière de défense aérienne, des conseillers, des drones et des milliers de combattants soutenus par la Syrie et la Turquie qui commencent à repousser la LNA hors de Tripoli début 2020 (Blanchard, 2020[19]). Depuis avril 2019, les forces de la LNA de Haftar et celles du GNA se sont affrontées 1 215 fois, faisant 2 260 victimes, selon ACLED (carte 4.3).

Le 19 janvier 2020, la deuxième initiative du plan de Ghassan Salamé se concrétise avec la Conférence de Berlin, suite à l’échec de la tentative de négociation d’un cessez-le-feu par la Turquie et la Russie plus tôt ce même mois. De nombreux États concernés par la situation en Libye, dont l’EAU, l’Égypte, la France, la Russie et la Turquie, y participent, s’engageant à mettre fin à l’ingérence étrangère et aux livraisons d’armes. Ils approuvent par ailleurs la création d’une Commission militaire mixte (CMM), composée de responsables militaires libyens des deux camps, pour œuvrer en faveur d’un cessez-le-feu durable. Peu après, les conclusions de la Conférence de Berlin sont approuvées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 2510. Le premier cycle de pourparlers de la CMM libyenne 5+5 débute le 3 février, et les progrès réalisés conduisent à une deuxième réunion fin février, lors de laquelle les responsables travaillent à un accord de cessez-le-feu qui permettrait à certains civils de rentrer chez eux. Une recrudescence des violences en mars bloque toutefois les pourparlers, tandis que les livraisons d’armes se poursuivent à destination des deux camps et que les forces du GNA repoussent la LNA hors de Tripoli.

En mai, le GNA repousse les forces de Haftar jusqu’à Syrte, ville considérée comme la porte d’entrée de la région orientale, riche en pétrole. Le 6 juin, lors d’une réunion avec le Maréchal Haftar et Aguila Salah Issa, Président de la Chambre des représentants, le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi demande, entre autres, qu’un cessez-le-feu soit instauré à partir du 8 juin, que toutes les troupes et mercenaires étrangers quittent le pays, et que toutes les armées et milices remettent leurs armes à la LNA. Cette Déclaration du Caire est largement ignorée par le GNA, qui y voit une proposition unilatérale et réaffirme sa volonté de poursuivre son avancée vers Syrte (Melcangi et Dentice, 2020[20]).

Plus tard ce même mois, le Président al-Sissi déclare que la présence des forces du GNA à Syrte constitue « une ligne rouge » pour l’Égypte et qu’en cas de persistance du GNA, une intervention directe serait justifiée au titre de la légitime défense. Trois jours plus tard, la Russie appelle à des négociations de cessez-le-feu. Des appels similaires suivent de la part de la France, de l’Allemagne, des États-Unis, de l’Italie et de la Ligue arabe. Cependant, même si un cessez-le-feu était instauré, les violences perpétrées depuis le printemps, avec le soutien de multiples acteurs internationaux poursuivant leurs propres intérêts, ont déjà coûté la vie à des milliers de personnes, entraîné le déplacement de plus de 425 000 Libyens à l’intérieur du pays, et mis en danger quelque 650 000 autres réfugiés africains en Libye (Baldwin-Edwards et Lutterbeck, 2019[21]).

D’après les dynamiques observées de 2009 à 2020, une tendance générale à l’augmentation des conflits se dessine en Afrique du Nord et de l’Ouest, mais aussi une centralisation croissante des réseaux d’opposition autour de quelques acteurs clés. Chacune des zones de conflit à l’échelon infrarégional présente, à l’évidence, des niveaux de conflit plus élevés que la région considérée dans son ensemble. La structure du réseau d’opposition apparaît cependant très instable en Libye, tandis qu’elle demeure plus constante dans le temps dans la région du lac Tchad. Les réseaux d’opposition au Mali et dans le Sahel central changent quant à eux rapidement depuis 2017, après plusieurs années de relative stabilité.

Ces constats se basent sur deux mesures clés des réseaux – la densité et la centralisation –, étudiées ici à la fois à l’échelle de l’Afrique du Nord et de l’Ouest et de chacune des trois zones de conflit infrarégionales (Mali et Sahel central ; lac Tchad ; et Libye). Les notions de densité et de centralisation font référence à différents aspects de la « compacité » globale d’un réseau. La densité rend ainsi compte du niveau général de cohésion au sein d’un réseau. Elle mesure la proportion globale de relations effectivement présentes au sein du réseau par rapport au nombre maximum de relations possibles ; ses scores vont de 0 au minimum à 1 au maximum. La centralisation indique dans quelle mesure cette cohésion se structure autour d’organisations spécifiques ; ses scores vont de 0 (forte décentralisation) à 1 (forte centralisation).

La densité et la centralisation constituent donc des mesures complémentaires importantes de la structure globale d’un réseau. Comme évoqué précédemment, il existe différentes façons de conceptualiser la centralité au sein d’un réseau. La présente analyse utilise la centralisation de degré, qui met en évidence la différence structurelle entre un réseau fortement centralisé (en étoile), au sein duquel une organisation est reliée à toutes les autres, et un réseau fortement décentralisé (entièrement connecté), au sein duquel toutes les organisations sont reliées entre elles (graphique 4.12).

Le rapport procède à une observation quotidienne de chacune de ces mesures clés pour les relations d’opposition et d’alliance au cours du temps. Ces mesures de densité et de centralisation sont ensuite analysées comme une série chronologique classique, composée des éléments suivants : tendance globale, composante saisonnière et fluctuation aléatoire. Pour simplifier la présentation d’une série chronologique aussi complexe et dynamique, seule la tendance globale de chaque mesure est ici présentée. Ces tendances sont examinées pour les réseaux d’opposition ; celles des réseaux d’alliances seront abordées plus loin dans le chapitre.

La densité du réseau d’opposition de la région est demeurée faible au fil du temps (graphique 4.13). En dépit de cette faible densité globale, il y a une hausse progressive et notable des scores de densité depuis 2009, en grande partie due à l’impact des zones de conflit du Mali et Sahel central, de la région du lac Tchad et de la Libye. Cette densité croissante est un signe inquiétant pour la région, car elle traduit l’augmentation du nombre de relations conflictuelles entre organisations depuis la fin des années 2000. Elle est en outre d’autant plus préoccupante qu’elle s’observe alors même que le nombre d’organisations est aussi en hausse, ce qui devrait théoriquement réduire la densité du réseau. Chacune des trois zones de conflit présente systématiquement une densité plus forte que le réseau régional, mais une forte instabilité prévaut.

Si la tendance globale est à l’augmentation de la densité, celle-ci enregistre néanmoins des épisodes de chute spectaculaire avant de retrouver, par la suite, des niveaux plus élevés. C’est en Libye que ce constat est le plus évident : le pays présente ainsi la plus forte densité entre 2009 et 2016, puis la plus faible entre 2017 et 2019, avant de retrouver le niveau le plus élevé au premier semestre 2020, marqué par l’échec de l’offensive des forces de Haftar contre Tripoli. Les zones de conflit du Sahel central et du lac Tchad présentent des résultats plus constants au fil du temps, tout en affichant une tendance progressive à la hausse qui caractérise la région dans son ensemble. L’évolution de la densité correspond en grande partie aux dynamiques d’escalade et de désescalade au sein de chacune des zones de conflit. L’intensification et l’extension du conflit sahélien du Mali au Burkina Faso depuis 2017 ont aussi entraîné une augmentation significative de la densité.

Contrairement à la faiblesse de leurs scores de densité, les réseaux d’opposition sont devenus relativement plus centralisés au fil du temps (graphique 4.14). En d’autres termes, les relations régionales évoluent selon une structure en étoile, caractérisée par de nombreux conflits et un petit nombre d’organisations clés (graphique 4.12). Cela souligne l’importance des États comme acteurs clés de ces conflits, les forces étatiques attirant et réprimant en général les violences des organisations non étatiques concurrentes au sein de leur territoire. À cela s’ajoute la pression de quelques groupes non étatiques violents, comme le JNIM, l’EIGS, Boko Haram et ISWAP, qui font pression sur les conflits sur chaque théâtre d’opérations. À l’instar des États, ces types d’organisations sont également impliqués dans un nombre bien plus élevé de relations d’opposition qu’un groupe ordinaire du réseau.

Alors que la tendance régionale est à une centralisation plus forte des réseaux d’opposition, la Libye est plus instable que les zones de conflit du Sahel central et du lac Tchad, avec de fortes fluctuations de son niveau de centralisation. Ces variations reflètent la tendance du réseau libyen à se décentraliser durant les cessez-le-feu et les pourparlers de paix, et à se recentraliser autour des deux principaux opposants, le GNA et la LNA, lorsque ces processus échouent. La centralisation de la zone de conflit du lac Tchad est en revanche plus constante dans le temps, avec peu de périodes visibles de décentralisation depuis 2012. Le conflit a connu une intensification progressive et une multiplication du nombre d’acteurs ciblés à la fois par les forces gouvernementales et les militants jihadistes, sans période de cessez-le-feu ni de négociations. Le réseau d’opposition au Mali et dans le Sahel central est différent : sa centralisation s’est accélérée depuis 2017, après la fusion de plusieurs organisations jihadistes sous la bannière du JNIM et leur expansion à l’intérieur du Mali et au Burkina Faso voisin.

Ces dynamiques témoignent non seulement de la fluidité des conflits, mais aussi de la constance de la centralisation de l’architecture des réseaux d’opposition. Comme chaque zone de conflit se constitue d’un ensemble d’organisations non étatiques cherchant à défier les forces étatiques ou à s’y substituer (Sahel central et lac Tchad), ou encore à occuper le vide laissé par l’effondrement de l’État (Libye), il est probable que les réseaux d’opposition restent centralisés même s’ils continuent à s’étendre en termes de nombre de participants.

Le nombre d’alliances est en hausse en Afrique du Nord et de l’Ouest depuis le début des années 2010. En 2009, 87 organisations impliquées dans des relations de coopération sont recensées, contre 306 dix ans plus tard (graphique 4.15). Cette évolution reflète en premier lieu l’augmentation globale du nombre d’acteurs violents dans la région : de moins de 200 organisations recensées au début des années 2000, elles sont passées à 704 en 2019. La région reste néanmoins le théâtre de bien moins d’alliances que de conflits. En 2019, seules 127 organisations mènent des coopérations, contre 562 impliquées dans des conflits. De même, les événements dans le cadre desquels deux organisations ou plus établissent un partenariat contre un ennemi commun représentent moins de 20 % de l’ensemble des événements recensés de 1997 à 2020.

L’augmentation du nombre d’alliances peut être mise en relation avec l’établissement de nouveaux partenariats militaires parmi les forces étatiques, qui sont les plus susceptibles de nouer des relations de coopération avec d’autres organisations (graphique 4.16). En 2020, les forces étatiques représentent 60 % des organisations entretenant des liens de coopération à l’échelon régional, proportion à peu près similaire à celle observée au Mali et dans le Sahel central. Dans la région du lac Tchad, où aucune alliance n’implique de groupes rebelles, les forces étatiques représentent 70 % des organisations entretenant des liens de coopération. Les forces extérieures et autres sont particulièrement bien représentées en Libye, où la LNA est soutenue par l’Égypte, la France, les EAU et des mercenaires russes, tandis que le GNA reçoit une aide militaire de la Turquie, de l’Italie et du Qatar.

Les alliances parmi les rebelles ou les organisations jihadistes restent fragiles et opportunistes. Au Mali, par exemple, l’alliance délicate entre les rebelles laïques du MNLA et les jihadistes d’Ansar Dine contre l’armée malienne en 2012 est de courte durée. Les alliances se nouent par ailleurs davantage au gré des circonstances que sur la base d’une idéologie ou d’objectifs communs. L’alliance Libya Dawn, formée par les islamistes de Tripoli et les milices de Misrata, et l’alliance Dignity organisée autour de la Faction de Haftar de la LNA, se sont révélées incapables d’empêcher la fragmentation croissante du paysage politique en 2014 (Lacher, 2020[22]). Dans la région du lac Tchad, Boko Haram et ISWAP n’ont que peu ou pas d’alliés, ce qui contribue également à expliquer la prédominance des alliances autour des acteurs étatiques.

Ces derniers sont en outre ceux dont le nombre d’alliances augmente le plus rapidement : en 2007, les forces étatiques sont moins de 40 à entretenir des liens de coopération, contre près de 150 dix ans plus tard (graphique 4.17). Ce besoin d’alliances peut s’interpréter comme une réponse face à la multiplication et à la propagation des conflits dans la région. Celles-ci prennent diverses formes : réactivation de forces conjointes comme la MNJTF autour du lac Tchad ; coopération avec des troupes étrangères au Mali ; ou recours accru aux milices ethniques, comme Dan Na Ambassagou ou le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) au Mali, ainsi qu’aux groupes d’autodéfense, comme la CJTF dans le nord du Nigéria ou les Koglweogo au Burkina Faso. La forte augmentation du nombre d’alliances parmi les États se reflète, avec un léger temps de décalage, dans l’essor des milices politiques et identitaires depuis le début des années 2010. Si ces milices ont parfois prouvé leur efficacité dans la lutte contre les rebelles ou les militants religieux en cas de déficience du pouvoir étatique, ces organisations sont toutefois de plus en plus utilisées au service d’intérêts politiques ou privés. Dans un cadre conflictuel de violence généralisée, elles contribuent aux graves violations des droits humains et davantage encore à l’intensification des violences dans la région, en particulier contre les civils.

Dans la région, les organisations violentes coopèrent bien moins qu’elles ne s’affrontent. En 2020, le réseau reliant les organisations impliquées dans des événements de coopération en Afrique du Nord et de l’Ouest, ne compte ainsi que 129 nœuds contre 562 dans le réseau d’opposition. Des disparités similaires s’observent dans chacune des zones de conflit : en 2020, 55 alliances au Mali et dans le Sahel central, 34 autour du lac Tchad et 28 en Libye sont ainsi recensées (tableau 4.4).

La rareté des alliances reflète la difficulté de former des coalitions durables entre des organisations aux programmes politiques souvent divergents. Ce constat ne signifie pas pour autant que la densité du réseau de coopération soit faible. Malgré le petit nombre d’organisations impliquées, les réseaux de coopération sont au contraire plus denses que ceux d’opposition, ce qui semble indiquer que les quelques organisations violentes qui coopèrent ont en moyenne plus d’alliés que d’ennemis. C’est à l’échelon régional que la densité des liens est la plus faible (moins de 2 %), en raison de la distance considérable entre les acteurs, et en Libye et autour du lac Tchad qu’elle est la plus élevée, avec environ 10 % des liens possibles qui s’avèrent effectivement présents au sein du réseau.

La caractéristique la plus frappante des réseaux de coopération n’est toutefois pas leur densité bien plus forte que celle des réseaux d’opposition, qui est somme toute assez logique, puisque les belligérants tendent à avoir le plus d’alliés et le moins d’ennemis possible. La véritable singularité des réseaux de coopération réside plutôt dans la quasi-similitude de leur architecture globale avec celle des réseaux d’opposition. Malgré leur nature très différente, ces deux types de réseaux affichent ainsi en général une structure cosmopolite, caractérisée par la présence d’une multitude d’intermédiaires aux liens peu structurés. Ce type de configuration diffère d’une structure provinciale, dans laquelle les organisations sont regroupées autour de quelques acteurs centraux. Dans les cas à l’étude ici, les deux types de réseaux sont à l’inverse plutôt clairsemés et décentralisés. Ce constat vaut particulièrement pour le réseau à l’échelon régional, au sein duquel la densité, le nombre moyen de liens (degré) et le coefficient d’agglomération sont faibles, et les organisations sont séparées par un nombre moyen d’étapes assez élevé (tableau 4.5). La structure des réseaux maliens et libyens correspond aussi en grande partie à ce modèle. La région du lac Tchad est le seul cas où la configuration structurelle des acteurs présente des caractéristiques relevant à la fois des réseaux provinciaux et cosmopolites.

Les réseaux de coopération comprennent peu d’organisations particulièrement bien connectées, comme en attestent les faibles niveaux de centralisation (graphique 4.18). Chacune des mesures de centralisation va de 0, lorsque le réseau est complètement décentralisé, à 1, lorsqu’il est parfaitement centralisé autour d’un seul acteur. À l’échelle régionale, le réseau présente clairement une structure décentralisée, au sein de laquelle très peu d’acteurs sont bien connectés (degré) ou capables de jouer un rôle d’intermédiaire (intermédiarité). Une structure similaire s’observe au Mali et dans le Sahel central : aucune des quatre mesures de centralisation considérées ici n’y dépasse 0.3, signe que la plupart des organisations tendent à y former des groupes aux liens peu structurés. Les réseaux de coopération sont en revanche plus centralisés dans les autres zones de conflit. Dans la région du lac Tchad comme en Libye, ils comprennent ainsi des organisations ayant noué de nombreuses alliances et/ou reliées à des alliés bien connectés, comme en témoignent les scores relativement élevés sur le plan de la centralisation de degré et spectrale. Le réseau libyen comprend aussi un nombre important d’intermédiaires clés qui établissent des alliances entre les milices locales.

La structure décentralisée du réseau de coopération régional apparaît clairement lorsque chaque organisation est représentée sous forme de nœud, ainsi que les liens avec ses alliés (graphique 4.19). Pour mettre en évidence le rôle des acteurs clés, la taille du nœud est proportionnelle à sa centralité d’intermédiarité, c’est-à-dire le nombre de fois où le nœud se situe entre deux alliés. Dans ce type de représentation, les organisations jouant un rôle d’intermédiaire sont donc de plus grande taille que les autres. Trois sous-groupes dans la région se distinguent structurés autour d’une organisation militaire : les forces militaires du Maréchal Haftar en Libye ; les forces militaires du Nigéria autour du lac Tchad ; et les forces militaires du Niger dans le Sahel central. Les acteurs gouvernementaux dominent clairement chaque zone de conflit et sont densément connectés aux organisations civiles, milices politiques et milices identitaires. À l’inverse, les organisations extrémistes violentes, comme l’EIGS, occupent la périphérie du réseau régional, du fait de leur capacité limitée à établir des alliances à grande échelle.

Au Mali et dans le Sahel central, la composante principale du réseau se structure autour des forces militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, et des forces de police de chaque pays (graphique 4.20). Les forces maliennes sont alliées à de nombreuses milices communautaires et ethniques, comme Dan Na Ambassagou, groupe fondé en 2016 pour défendre les communautés dogon contre les attaques de jihadistes et de groupes dominés par les Peul. En mars 2019, Dan Na Ambassagou massacre 160 Peul près de Bankass, à plus de 1 000 km de Bamako. Condamné par la communauté internationale, cet incident conduit le Président malien à limoger deux généraux et à dissoudre le groupe soupçonné d’être à l’origine de cette attaque. Dans un contexte de pression croissante sur l’insécurité dans le pays, cet événement contribue en outre à la démission du gouvernement malien le 18 avril. Malgré la dissolution officielle de Dan Na Ambassagou en 2019, 48 événements attribués à ce groupe, et ayant entraîné la mort de 300 personnes, sont recensés par ACLED au cours du premier semestre 2020. Le plus meurtrier d’entre eux survient le 18 mars 2020, lors de l’affrontement de militants décrits comme des combattants du JNIM ou des miliciens d’autodéfense peul avec Dan Na Ambassagou au nord du plateau de Bandiagara, qui fait 109 victimes.

Ces événements contribuent à intensifier les conflits dans le pays dogon et la plaine du Séno-Gondo qui s’étend vers le Burkina Faso. Si le développement de l’extrémisme religieux dans le centre du Mali alimente certes ces attaques, les rivalités entre communautés locales ont néanmoins des racines bien plus profondes, prêtes à refaire surface lorsqu’elles ne sont pas prises en compte par les autorités. Dans la plaine du Séno-Gondo, l’expansion des Peul au XIXe siècle contraint les paysans dogon à quitter leurs villages de la plaine pour se retrancher sur la falaise de Bandiagara. Au XXe siècle, les descendants de ces paysans migrent vers l’est pour occuper un front agricole sur les terres quittées par les Peul, qu’ils considèrent comme leur fief d’origine (encadré 4.2).

Les forces étatiques occupent le centre du réseau de coopération au Mali et dans le Sahel central. Les forces militaires et de police ont, sans conteste, plus d’alliés que tout autre type d’organisations : 6 d’entre elles figurent ainsi parmi les 10 organisations comptant le plus grand nombre d’alliés (centralité de degré). Les forces étatiques du Mali, du Niger et du Burkina Faso jouent, en outre, un rôle important d’intermédiaire entre d’un côté, les milices et groupes d’autodéfense communautaires qui, par définition, ont un champ d’action restreint et local, et de l’autre, des coalitions militaires de plus grande envergure, comme le G5 Sahel, au mandat régional. Les Koglweogo sont l’un des groupes d’autodéfense les plus centraux du réseau de coopération. Ceux que l’on appelle les « gardiens de la brousse » en langue mooré prolifèrent ainsi dans les zones rurales du Burkina Faso depuis la chute de Blaise Compaoré (Hagberg, 2018[24]). Bien qu’initialement soutenus par le gouvernement burkinabé face aux attaques du JNIM et d’Ansarul Islam (encadré 4.3) dans le nord et l’est du pays, ils sont critiqués pour avoir sapé le monopole étatique de la violence légitime et pris part à des violations des droits humains (Leclercq et Matagne, 2020[25]).

Le réseau de coopération dans la région du lac Tchad se structure autour des forces militaires du Nigéria (graphique 4.22), organisation présentant le plus grand nombre d’alliés et la plus grande capacité à relier des acteurs déconnectés. En 2020, les forces militaires du Nigéria sont alliées à 15 autres organisations, dont 4 forces militaires étrangères et 7 milices communautaires. La prédominance incontestable de l’armée nigériane au sein du réseau d’alliances local contraste avec la quasi-absence d’organisations jihadistes. Ni Boko Haram, ni ISWAP ne sont connus pour collaborer de manière particulièrement étroite avec des alliés. Les spéculations qui voudraient que Boko Haram et ses ramifications bénéficient de soutiens clandestins parmi les élites locales ou nationales semblent infondées. Depuis 2009, seuls 17 événements de coopération sont ainsi recensés entre une faction de Boko Haram et une autre organisation de la région, dont un enlèvement avec Ansaru en 2013, des attaques sporadiques avec des groupes armés non identifiés et des milices peul, et des revendications officielles au nom de l’EIGS. À l’exception de l’enlèvement commis par Ansaru, aucun de ces événements ne dénote une réelle coopération. Ces alliances ne représentent que 0.3 % des événements qui ont impliqué l’une des factions de Boko Haram au cours des 11 dernières années.

L’armée nigériane est responsable au premier chef de la lutte contre Boko Haram et ISWAP au sein du pays, tandis que des droits de poursuite sont négociés bilatéralement avec le Cameroun, le Niger et le Tchad (Albert, 2017[29]). En conséquence, la centralité de l’armée nigériane au sein du réseau d’alliés est très importante (graphique 4.23). Elle est l’organisation qui compte le plus grand nombre d’alliés (degré) et joue le plus grand rôle d’intermédiaire dans la région (intermédiarité). Les troupes nigérianes constituent le noyau de la MNJTF, formation militaire mise en place par le Nigéria en 1994 pour lutter contre les problèmes de sécurité transfrontaliers dans la région du lac Tchad, sous l’égide d’une structure de commandement conjointe. Réactivée en 2012 par l’Union africaine pour faire face à l’insurrection de Boko Haram, cette force multinationale comprend désormais le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad (Institute for Security Studies, 2016[30]). Le Nigéria et ses voisins ont mené de nombreuses opérations d’envergure contre Boko Haram et ISWAP depuis 2015 (OCDE/CSAO, 2020[8]). La moitié des décès et près des trois quarts des événements liés à ces opérations multinationales se sont produits dans l’État de Borno, ce qui laisse à penser que le Nigéria conçoit la MNJTF comme un instrument militaire destiné à sécuriser ses frontières du nord-est.

En 2020, le réseau de coopération libyen est dominé par deux organisations bien connectées, le GNA et la LNA du Maréchal Haftar, chacune entourée de nombreux alliés qui ne collaborent pas nécessairement entre eux (graphique 4.24). Les forces de sécurité privées russes peuvent par exemple soutenir la LNA sans avoir à collaborer avec d’autres milices affiliées aux forces de Haftar. Cette particularité offre des opportunités structurelles aux acteurs dominants du réseau d’alliances, qui peuvent théoriquement coordonner des actions militaires de façon relativement indépendante, sans avoir à craindre que leurs alliés ne s’unissent contre eux.

Par conséquent, la centralité globale du GNA et de la LNA est, en 2020, nettement supérieure à celle de toute autre organisation (graphique 4.25). La réalité sur le terrain est toutefois plus complexe, le GNA comme la LNA luttant pour maintenir des alliances fondées sur des partenaires instables et opportunistes. L’alliance formée par Haftar avec la milice Kaniyat de Tarhounah, la Brigade Tariq ibn Ziyad et d’autres communautés loyalistes ou marginalisées de l’ouest et du sud du pays, reposait par exemple sur l’hypothèse d’une prise rapide de Tripoli en 2019. Comme le démontre Lacher (2020[22]), la centralisation du commandement de forces irrégulières s’avère impossible en Libye depuis la chute de Kadhafi. Du fait de la fluctuation constante des alliances, les responsables politiques et les chefs militaires sont dans l’incapacité d’exploiter de façon durable les avantages d’une collaboration.

Les dynamiques de coopération entre les organisations mettent en évidence une légère tendance générale à la hausse depuis 2009, même si les alliances demeurent plus l’exception que la règle. Chacune des zones de conflit présente toutefois davantage de relations de coopération que la région considérée dans son ensemble. Ces alliances sont par ailleurs extrêmement instables dans le temps, en particulier en Libye et au Mali, deux pays qui connaissent des périodes où les niveaux de coopération sont faibles, ponctuées d’intervalles où ils sont bien plus élevés.

L’étude présente l’évolution de la coopération entre organisations de 2009 à 2020 à l’échelle régionale et dans chacune des trois zones de conflit infrarégionales. Deux mesures sont présentées : la densité et la centralisation de degré des réseaux. Elles sont observées quotidiennement de 1997 à 2020. La densité mesure la proportion globale de relations effectivement présentes au sein du réseau par rapport au nombre maximum de relations possibles ; ses scores vont de 0, au minimum, à 1, au maximum. Les scores de centralisation vont, quant à eux, de 0 (forte décentralisation) à 1 (forte centralisation). Ces mesures quotidiennes de densité et de centralisation sont ensuite analysées comme une série chronologique classique, composée des éléments suivants : tendance globale, composante saisonnière et fluctuation aléatoire. Pour simplifier la présentation d’une série chronologique aussi complexe et dynamique, l’analyse qui suit ne présente que la tendance globale de chaque mesure.

La coopération à l’échelon global de la région affiche une légère tendance à la hausse depuis 2014, clairement visible dans le graphique 4.26, qui présente l’évolution quotidienne globale de la densité du réseau d’alliances. Malgré cela, le niveau de référence de ce type de coopération dans la région était, et reste, assez faible. Par conséquent, lorsque des organisations choisissent d’y mener des opérations, elles le font en grande partie seules. Ce constat vaut particulièrement pour les acteurs non étatiques, car les États peuvent être plus enclins à coopérer, entre eux ou avec des groupes agissant pour leur compte.

La légère tendance globale à la hausse de la coopération est en grande partie due à l’augmentation du niveau d’alliances au sein de chacune des trois zones de conflit. La Libye, le Mali et le Sahel central, ainsi que la région du lac Tchad, affichent ainsi chacun des niveaux de coopération systématiquement plus élevés que l’ensemble de l’Afrique du Nord et de l’Ouest depuis 2010. En outre, les niveaux de coopération sont de nouveau en hausse en Libye et au Mali depuis 2017. Dans ces pays, les alliances y connaissent des épisodes de fluctuation, ce qui montre bien que la plupart des coopérations y sont opportunistes, de courte durée et peu susceptibles d’aboutir à des partenariats pérennes dans le temps. La nature éphémère de ce type de relation laisse par ailleurs la possibilité de les mettre à mal par l’action d’autres groupes, gouvernements régionaux ou acteurs internationaux (chapitre 5).

La hausse et la baisse périodiques du niveau d’alliances en Libye et au Mali peuvent être représentées comme autant de vagues de coopération. Un premier pic est visible en Libye entre la fin de l’année 2010 et 2012, lorsque les groupes opposés au régime de Kadhafi collaborent pendant la phase initiale de la guerre civile et l’intervention de l’OTAN. Avec le début de la deuxième phase de la guerre civile, à la mi-2014, une nouvelle vague de coopération s’amorce, les organisations du même bord s’unissant à nouveau contre leurs ennemis communs. À partir de 2017, le niveau de coopération entre organisations repart à la hausse et, à la mi-2020, il dépasse en Libye son précédent pic de 2011. Cette évolution récente s’explique par l’offensive militaire lancée par le Maréchal Haftar en avril 2019 contre le GNA à Tripoli, qui amène les milices à s’allier pour défendre la capitale. Une tendance similaire, bien que moins marquée, s’observe au Mali entre 2014 et 2016. Comme en Libye, le niveau de coopération s’y intensifie aussi à partir de 2018, période marquée par une coordination croissante entre les organisations jihadistes, comme l’illustre le cas du JNIM, dirigé par Iyad ag Ghali (encadré 4.4).

En revanche, la zone de conflit du lac Tchad apparaît moins instable que les autres. Depuis le début de l’insurrection de Boko Haram, à la mi-2009, le niveau de coopération y est systématiquement supérieur à celui observé à l’échelon régional, sans toutefois présenter les fortes hausses ou baisses qui caractérisent les autres zones de conflit. Boko Haram et ISWAP font peut-être preuve de résistance, mais s’avèrent largement incapables d’établir des alliances politiques.

La faible densité du réseau d’alliances régional semble indiquer que la plupart des organisations agissent en général seules en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ce constat laisse présager d’une structure de réseau fortement décentralisée, au sein de laquelle les alliances sont moins susceptibles d’être centrées autour de quelques acteurs clés. Cependant, certaines périodes voient une relative intensification du niveau de coopération au sein de chacune des zones de conflit. Durant ces épisodes, la structure du réseau se modifie, devenant moins fragmentée et davantage centrée sur quelques groupes importants. De ce fait, plus la densité des alliances augmente (graphique 4.26), plus leur centralisation augmente aussi (graphique 4.27).

Pour les alliances, cela signifie que le réseau régional connaît, au fil du temps, une légère évolution vers une structure en étoile, au sein de laquelle quelques acteurs centraux présentent un nombre bien plus élevé de liens de coopération avec d’autres organisations. Cette tendance est toutefois, là encore, principalement imputable aux dynamiques observées dans chacune des trois zones de conflit, notamment en Libye. C’est en effet dans ce pays que s’observent les niveaux les plus élevés de centralisation, durant les épisodes de bipolarisation nette du conflit. Entre 2011 et 2012, les groupes s’organisent par exemple d’un côté autour de la défense du régime de Kadhafi, et de l’autre, de ses opposants, principalement le CNT soutenu par l’OTAN. Depuis 2014, cette centralisation prend la forme d’un alignement autour des principaux acteurs en concurrence pour le contrôle de l’État, la LNA, la coalition Libya Dawn et les différentes branches de l’État islamique. La Libye présente donc les réseaux d’alliances les plus centralisés au fil du temps, mais aussi la plus grande instabilité entre les périodes de hausse et de baisse du niveau de centralisation. Les trois zones de conflit tendent vers plus de centralisation depuis 2016.

Ce chapitre illustre la structure des réseaux d’opposition et de coopération en Afrique du Nord et de l’Ouest, ainsi que dans trois régions particulièrement touchées par l’instabilité politique depuis la fin des années 2000. S’appuyant sur le cadre conceptuel de l’analyse des réseaux sociaux, l’étude met en évidence des similitudes surprenantes entre réseaux de coopération et d’opposition : tous deux sont ainsi plutôt décentralisés et structurés autour de quelques organisations clés. Cette structure, qualifiée de « cosmopolite », souligne l’absence de communautés très cohésives et indique que les organisations violentes tendent à reproduire les mêmes dynamiques, indépendamment de la nature des relations qui les lient. Il s’agit là d’un constat déroutant. Nouer des alliances ou combattre un ennemi étant, en termes conceptuels, tout à fait différent, il était attendu que la structure des réseaux d’opposition et de coopération soit très distincte. Le fait qu’il n’en soit rien laisse à penser qu’il faudrait concevoir l’opposition et la coopération comme deux alternatives possibles, plutôt qu’exclusives, pour les belligérants. Ces résultats mettent ainsi en évidence la nature fondamentalement adaptable et opportuniste des relations liant les organisations violentes dans la région. Loin des oppositions viscérales ou des accords formels, rivalités et alliances sont à envisager ici comme deux possibilités mobilisables en fonction de ce que dictent les circonstances.

Ce chapitre montre également que les réseaux d’opposition et de coopération ont tendance à se densifier et à se centraliser au fil du temps. Cette évolution préoccupante indique que les organisations ont un nombre croissant d’ennemis, signe indéniable que les conflits s’intensifient dans la région et que chacune des zones de conflit est de plus en plus centralisée autour d’un nombre limité de belligérants clés. Cette polarisation de l’environnement conflictuel a des conséquences dramatiques pour les populations civiles qui sont souvent prises pour cible à la fois par les organisations extrémistes violentes et les forces gouvernementales. La densité et la centralisation croissantes des réseaux d’alliances parmi les forces militaires sont une conséquence de l’augmentation des conflits dans la région. Alors que les conditions de sécurité continuent de se dégrader, les forces gouvernementales multiplient leurs collaborations, en quête d’un cadre de sécurité plus adapté.

Le fait que ces tendances se combinent avec l’augmentation constante du nombre de belligérants depuis 2009 est particulièrement alarmant. Le nombre croissant de belligérants, la densification des relations conflictuelles et la polarisation autour d’organisations puissantes, capables de mener des opérations militaires de grande envergure, compliquent et menacent une résolution pacifique des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ces conditions prévalent en outre à des degrés variables dans les trois principales zones de conflit de la région. Plus de dix ans après le début de l’insurrection de Boko Haram dans le nord du Nigéria, les violences politiques se sont muées en une multitude de foyers de conflit infranationaux qui ont résisté à toutes les tentatives de résolution à ce jour. Au vu des tendances mises au jour, il est difficile d’imaginer que ce processus puisse trouver une issue dans un avenir proche, et plus réaliste de s’attendre à ce que les conflits s’étendent, s’intensifient et se centralisent.

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