Annexe A. Synthèse des avantages et inconvénients de différentes formes de coopération réglementaire internationale

Les travaux analytiques de l’OCDE ont mis en lumière divers avantages et inconvénients susceptibles de se concrétiser quand les pays appliquent des approches différentes à la CRI. Le rapport (OCDE, 2013[1]), en particulier, a recensé quatre effets favorables potentiels (gains économiques, progrès en matière de gestion des risques et des externalités transfrontalières, efficience administrative, et flux de connaissances) et quatre sortes de coûts ou d’obstacles à la CRI (les coûts de la coopération, la flexibilité nécessaire à la coopération, la perte réelle ou présumée de souveraineté, et les freins à la mise en œuvre). La présente annexe fait la synthèse de ces avantages et de ces enjeux (OCDE, 2013[1]), tout en reconnaissant qu’ils n’interviennent pas systématiquement.

Les publications spécialisées corroborent généralement l’idée selon laquelle la coopération réglementaire se traduit par des gains économiques dérivant de la baisse des coûts de transaction et des économies d’échelle. La convergence réglementaire devrait permettre aux entreprises de « faire appel à des contrats, des documents et des procédures normalisés pour réaliser des économies d’échelle, réduire les coûts de recherche et de transaction, et simplifier les négociations » (Lazer, 2001[2]). Des réglementations identiques devraient favoriser la diminution des coûts de production en permettant aux entreprises d’opérer un procédé de production unique plutôt que plusieurs procédés afin de satisfaire aux divers régimes normatifs (Drezner, 2008[3]). La baisse des coûts marginaux des entreprises résultant du renforcement de la coopération réglementaire entraînera une augmentation du surplus du consommateur et du bien-être social (par un élargissement de la gamme de produits, la baisse des prix, et un accès plus rapide aux nouveaux produits par exemple) (Abbott and Snidal, 2000[4]). De même, l’intensification des échanges d’informations découlant du resserrement de la coopération devrait se solder par une diminution des dépenses nationales consacrées à des études scientifiques et politiques redondantes, libérant ainsi des ressources qui pourraient être allouées à des utilisations plus rentables. La coopération réglementaire peut améliorer l’accès aux marchés et accroître les flux des échanges et de l’investissement. Comme l’a observé (Drezner, 2008[3]), « des structures réglementaires non coordonnées et disparates constituent des obstacles implicites au commerce ».

Lorsque les externalités sont mondiales, les instances de réglementation ne peuvent y remédier sous l’angle purement national. En général, leur aptitude à adopter une réglementation adéquate en matière de pollution industrielle, de commerce de produits chimiques dangereux, de maladies infectieuses, de changement climatique et à gérer efficacement les risques transfrontaliers appellera une coordination avec les pays frontaliers pour assurer l’efficacité des mesures réglementaires, faute de quoi celles-ci risquent d’être mal ciblées, inefficientes et inadaptées. Sans même mentionner la gestion des biens mondiaux, dans le monde global d’aujourd’hui, les politiques adoptées dans un pays risquent fort d’avoir d’importantes répercussions extraterritoriales, si bien qu’il est parfois quasiment impossible de réaliser certains objectifs nationaux sans prendre sérieusement en considération le contexte international. Selon (Esty and Geradin, 2000[5]), si les instances de réglementation ne tiennent pas compte des retombées extérieures à leur territoire, les normes qu’elles fixeront seront systématiquement insatisfaisantes (trop faibles si elles font abstraction des incidences transfrontalières favorables de la réglementation, et trop élevées si elles en négligent les coûts transfrontaliers). Ces considérations peuvent inciter les régulateurs à coopérer en vue d’atteindre des objectifs réglementaires nationaux sur lesquels la libéralisation des mouvements de marchandises, de services et de personnes joue fortement. Par ailleurs, la coopération réglementaire peut améliorer la conformité et réduire le risque de sous-enchérissement, et ainsi amplifier globalement la portée de la réglementation nationale.

Le partage des tâches entre les gouvernements et les autorités publiques, en vertu duquel les pays coopèrent pour remédier à des problèmes similaires, y compris aux niveaux bilatéral, régional et multilatéral, peut induire d’importantes réductions des coûts administratifs qui permettent aux pays de rationaliser le cadre de leurs propres programmes réglementaires et de réaffecter des ressources publiques limitées aux domaines prioritaires. La coopération réglementaire « permet d’exploiter la communauté de problèmes auxquels se heurtent les organes réglementaires à tous les niveaux, de réduire la « courbe d’apprentissage » en ce qui concerne les problèmes nouveaux ou naissants, d’améliorer la rapidité et l’efficacité de l’action réglementaire sur les questions transfrontières et d’utiliser au mieux une information ou des moyens d’analyse limités » (OCDE, 1994[6]). Le renforcement de la transparence peut aussi accroître l’efficience des relations administratives avec d’autres pays, moyennant la simplification et l’harmonisation des procédures par exemple. Les avantages peuvent être concrets et mesurables, ou moins directs, dérivant par exemple d’une meilleure appréhension des interactions complexes entre plusieurs objectifs, ce qui peut favoriser les processus nationaux de décision et de coordination des politiques.

Le transfert des bonne pratique réglementaires est un avantage majeur de la CRI. Celle-ci facilite l’échange d’informations entre les pays dont les pratiques réglementaires diffèrent et l’accès aux bonne pratique, ce qui en fait un outil de renforcement des capacités. Cette constatation correspond aux conclusions des études spécialisées. (Meuwese, 2009[7]) observe par exemple que l’intensification des échanges entre la Commission européenne et l’Office de la gestion et du budget des États-Unis a favorisé une convergence des critères régissant l’établissement de normes et l’analyse d’impact de la réglementation. Ce dialogue horizontal comporte un volet d’apprentissage (échange de bonne pratique) et un volet de facilitation (réduction des obstacles au commerce et amélioration de la réglementation sectorielle). De même, selon (Raustiala, 2002[8]), les réseaux transgouvernementaux facilitent, par des « effets de réseau », « l’exportation réglementaire », à savoir l’exportation de règles et pratiques qui favorisent la convergence réglementaire entre États, ce qui peut renforcer la capacité administrative des États faibles et, par là même, améliorer la réglementation nationale et servir la coopération réglementaire.

Les coûts comprennent les coûts directs de l’infrastructure de coordination, c’est-à-dire de l’organisation intergouvernementale, du secrétariat chargé de gérer les traités, de l’institution responsable de la gestion du réseau, et de l’action coordonnée. Il existe en outre divers coûts directs et indirects liés au développement de la coopération et aux modifications au système national que la coopération avec d’autres territoires exige parfois. Pour les pouvoirs publics, ces coûts se rapportent au temps et aux moyens qui doivent être investis dans le capital politique nécessaire pour mener des réformes juridiques et administratives, mobiliser les acteurs administratifs, mener campagne auprès des législateurs et apaiser les groupes d’intérêt. Les coûts indirects concernent les intervenants privés qui doivent reconfigurer leurs opérations pour respecter les nouvelles règlementations.

Les différences entre les procédures réglementaires et (ou) les systèmes ou traditions juridiques des pays peuvent sensiblement entraver les efforts visant à aplanir les divergences réglementaires. Dans certains cas, les pratiques réglementaires sont déjà solidement ancrées, ce qui rend tout rapprochement difficile. Le manque de souplesse réglementaire, s’il n’est pas insurmontable, peut constituer un obstacle appréciable à la CRI. Il peut revêtir plusieurs formes – depuis des approches distinctes aux concepts et problèmes réglementaires fondamentaux jusqu’à des différences dans les structures institutionnelles qui donnent lieu à des relations déséquilibrées. Les obstacles juridiques à l’échange de renseignements sont présentés comme des écueils récurrents à la coopération. La confidentialité des informations commerciales, qui leur est étroitement liée, demeure un frein important, les entreprises étant souvent réticentes à l’idée que les gouvernements échangent des informations sur leurs produits au stade de l’examen préalable à la mise sur le marché.

D’importantes difficultés surviennent souvent lorsque la coopération réglementaire est vue comme une atteinte au principe de souveraineté réglementaire ou jugée insuffisamment adaptée aux besoins d’un État ou d’une région donnés. Même l’application de procédures habituellement incontestées peut s’avérer délicate si elles sont interprétées comme une atteinte à des valeurs ou intérêts nationaux fondamentaux. Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’incidence de la délégation des pouvoirs réglementaires sur la responsabilisation. (Howse, 2012[9]), par exemple, met en évidence les problèmes de déficit démocratique qui sont intrinsèquement liés à une délégation des pouvoirs, laquelle intervient lorsque les institutions représentatives constitutionnelles autorisent des activités de réglementation concertées. Un renforcement de la transparence en matière de coopération réglementaire permettrait de résoudre ce dilemme, mais peut-être au prix de l’efficacité car l’avantage dérivant habituellement d’échanges informels dans un climat de confiance serait limité. Dans la pratique, le débat relatif aux préférences nationales et au maintien de la souveraineté est parfois animé. En même temps, il ressort de plusieurs expériences de CRI qu’un certain degré de perte de souveraineté et (ou) de mise en commun des compétences est jugé compensé par un affermissement de la position internationale, comme dans le cas de la Coopération nordique, de celle entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et de l’Union du Benelux.

L’économie politique de la coopération réglementaire, comme tout accord de coopération entre des États et d’autres parties prenantes, est complexe. Divers facteurs interviennent. Selon (Lazer, 2001[2]), l’harmonisation entre États peut ne pas se concrétiser pour les raisons suivantes : i) ils sont en désaccord sur les avantages de l’harmonisation ; ii) l’opération concrète consistant à parvenir à un compromis est complexe ; iii) les élites tirent des avantages politiques de la non-harmonisation. Dans certains cas, la coopération échoue parce qu’elle est jugée détournée par des intérêts particuliers et qu’elle perd sa crédibilité. Elle ne sera pas viable si elle n’est pas perçue comme bénéfique à tous les pays participants. Cela dit, les coûts et les avantages de la CRI ne sont pas toujours également répartis entre les pays, ce qui fait que les incitations à coopérer varient selon les partenaires. Les pays peuvent aussi éprouver des difficultés à tirer parti de ces avantages ; de plus, si la CRI peut s’avérer globalement profitable, les pays ne prennent pas forcément en compte le bien commun. En outre, quand les pays travaillent de concert, un phénomène d’opportunisme est toujours possible ; autrement dit, certains tirent des avantages de la coopération sans en assumer le coût. Ce phénomène est généralement observable dans le domaine environnemental, changement climatique compris, où cette tentation est forte et où le fardeau de l’action n’est pas équitablement réparti, d’où la réflexion sur les mécanismes de compensation.

Au-delà de la signature d’accords et de l’engagement à haut niveau en faveur de la coopération réglementaire, la mise en œuvre concrète de la CRI est semée d’embûches. Dans ce domaine, les études de cas offrent un moyen utile de cerner les problèmes concrets que cette mise en œuvre peut soulever. Ces problèmes peuvent avoir trait à l’application difficile de l’accord de CRI ou à l’incapacité de l’accord à réaliser ses objectifs. D’après (Levy, 2016[10]), l’efficacité des accords de coopération dépend elle-même de deux facteurs : d’une part, l’exhaustivité du champ couvert ; de l’autre, la crédibilité des réglementations. Cette crédibilité tient elle-même à plusieurs éléments : i) la légitimité du processus réglementaire ; ii) la qualité du suivi ; iii) la qualité de l’application de la réglementation ; iv) la légitimité du suivi et de l’application.

Outre les avantages et inconvénients généraux de la CRI soulignés dans les études spécialisées et recensés plus haut, chacune des différentes approches à la CRI présente des points forts et des points faibles (Tableau A A.1).

Références

[4] Abbott, K. and D. Snidal (2000), “Hard and soft law in international governance”, International Organization, Vol. 54/3, pp. 421-456, https://doi.org/10.1162/002081800551280.

[3] Drezner, D. (2008), All Politics Is Global, Princeton University Press , New Jersey, https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691096421/all-politics-is-global (accessed on 3 June 2021).

[5] Esty, D. and D. Geradin (2000), “Regulatory co-opetition”, Journal of International Economic Law, Vol. 3/2, pp. 235-255, https://doi.org/10.1093/jiel/3.2.235.

[9] Howse, R. (2012), “Transatlantic regulatory cooperation and the problem of democracy”, in Bermann, G., M. Herdegen and P. Lindseth (eds.), Transatlantic Regulatory Cooperation: Legal Problems and Political Prospects, Oxford University Press, https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780198298922.003.0027.

[2] Lazer, D. (2001), “Regulatory interdependence and international governance”, Journal of European Public Policy, Vol. 8/3, pp. 474-492, https://doi.org/10.1080/13501760110056077.

[10] Levy, B. (2016), “Innovations in Globalized Regulation: Opportunities and Challenges”, No. 5841, World Bank Policy Research Working Papers, https://ssrn.com/abstract=1953804 (accessed on 3 June 2021).

[7] Meuwese, A. (2009), EU-U.S. Horizontal Regulatory Cooperation Two global regulatory powers converging on how to assess regulatory impacts?, Paper for the California-EU Regulatory Cooperation Project Leuven, Brussels, https://ghum.kuleuven.be/ggs/research/biosafety_biodiversity/publications/meuwese_final.pdf.

[1] OCDE (2013), International Regulatory Co-operation: Addressing Global Challenges, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264200463-en.

[6] OCDE (1994), Regulatory Co-operation for an Interdependent World, Études sur la gestion publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264062436-en.

[8] Raustiala, K. (2002), “The Architecture of International Cooperation: Transgovernmental Networks and the Future of International Law”, Virginia Journal of International Law Association, Vol. 43/1, https://doi.org/10.2139/ssrn.333381.

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