2. Une définition stratégique des besoins des acteurs publics au Québec

Au Québec comme ailleurs, les mesures pour accroître la transparence et la reddition de comptes dans la conduite des marchés publics sont concentrées sur la phase de l’organisation et la gestion de l’appel d’offre. Il reste que l’étape de la définition des besoins et de la programmation des marchés publics est également très vulnérable à l’influence indue et à la corruption. L’étape de la définition des besoins est particulièrement vulnérable dans les grands projets d’infrastructure, en raison notamment du degré de pouvoir discrétionnaire des pouvoirs publics à l’égard des décisions d’investissement, de l’importance des montants en jeu, de la complexité technique des projets et de la multiplicité des étapes du cycle d’investissement. Selon le Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale (OCDE, 2014[1]), près de 60 % des affaires de corruption intervenant à l’étranger ont lieu dans des secteurs en lien étroit avec les infrastructures (industries extractives, construction, transports et entreprise, information et communication).

L’influence d’intérêts politiques et particulièrement aux stades de la définition des besoins d’investissements et de la programmation des projets peuvent conduire au gaspillage et à la création d’« éléphants blancs » (c’est-à-dire des infrastructures qui ne répondent pas aux besoins et dont les coûts ne sont pas justifiés par leur utilité). Ainsi, les gouvernements devraient faire en sorte que des contrôles existent dans l’ensemble du cycle des politiques d’investissements publics, et non seulement aux étapes associées à la phase d’appel d’offre (graphique 2.1). Plusieurs pays ont adopté des mesures pour diminuer les risques de politisation dans chacune de ces phases et éviter ainsi que les projets d’infrastructures fassent l’objet d’une captation au bénéfice d’acteurs économiques inefficients ou d’intérêts particuliers.

Ce chapitre portera sur les mesures en place au Québec afin d’améliorer la transparence et la reddition de compte des pouvoirs publics au stade de la définition des besoins et de la programmation des marchés publics. S’attachant en premier lieu à la question des projets d’infrastructure, ce chapitre traite aussi de façon plus générale de la planification de l’ensemble des marchés publics.

En réponse à une recommandation de la Commission Charbonneau, un comité d’experts indépendants (CEI) a été créé par le ministère des transports le 31 mars 2016 afin de donner un avis sur la programmation des marchés publics dont il a la responsabilité. Le CEI est composé de trois experts externes et indépendants dans les domaines du génie, des finances et de la gouvernance.

L’objectif derrière la création du CEI est d’assurer l’objectivité dans le choix des projets d’infrastructure et de dépolitiser l’approbation des projets de conservation et d’amélioration du réseau routier au ministère des transports (CEIC, 2015[3]).

La structure spécifique du CEI va au-delà des pratiques généralement mises en place dans les autres pays de l’OCDE pour dépolitiser la planification des projets d’infrastructure, et à notre connaissance n’apparaît pas avoir d’équivalents. Les bonnes pratiques des pays de l’OCDE pour accroître la reddition de compte du gouvernement dans la définition des besoins et la planification des projets d’infrastructure sont davantage centrées sur des projets spécifiques plutôt que sur les processus pour l’ensemble de la programmation des infrastructures routières (encadré 2.1).

Depuis sa création, le CEI a remis deux rapports, soit pour la programmation routière 2017-19 (CEI, 2017[4]) et la programmation routière 2018-20 (CEI, 2018[5]). Un aspect important du rapport de 2018-20 est qu’il fait état du progrès concernant la mise en œuvre des recommandations du rapport de 2017-19 2019. Les deux rapports sont disponibles sur le site internet du ministère des Transports (MTQ), ce qui favorise la transparence et la responsabilisation du gouvernement concernant la mise en œuvre des recommandations du CEI. Le Ministère a élaboré un plan d’action afin d’assurer la mise en œuvre des recommandations du CEI, et selon l’information partagée, sa réalisation est en cours. Il a constaté que le MTQ assure un suivi interne rigoureux sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des recommandations du CEI et a défini des dates d’échéance raisonnable pour l’ensemble des recommandations.

Jusqu’à maintenant, selon la perspective du MTQ et du Comité public de suivi sur des recommandations de la Commission Charbonneau (Comité de suivi), les travaux du CEI ont été couronnés de succès. Le gouvernement pourrait formaliser son fonctionnement dans une loi ou une directive s’il désire assurer sa pérennité.

De l’avis du MTQ et du Comité de suivi, le CEI contribue de façon significative à accroître la transparence dans la programmation des marchés publics et des travaux du ministère des transports. Comme le mandat du CEI était limité à deux ans, celui-ci a été renouvelé pour une autre période de deux ans à la suite d’un processus de nomination de nouveaux membres par le MTQ. Compte tenu des résultats positifs des travaux du CEI et de la volonté du MTQ de reconduire le mandat du CEI sur une base continue, le MTQ pourrait considérer formaliser le rôle et le mandat du CEI, ainsi que le processus de suivi quant aux recommandations du CEI, à l’intérieur d’une loi ou d’une directive du ministre des Transports. À l’heure actuelle, il n’existe aucune autorité législative ou de politique formelle sur la gouvernance du CEI et afin d’accroître la transparence sur la mise en œuvre de ses recommandations.

Toutefois, selon certains des intervenants interrogés, la publication de ces rapports passe relativement inaperçue. Le MTQ pourrait considérer des moyens de partager des mises à jour sur la réalisation des recommandations du CEI. Certains des constats du rapport soulèvent des problématiques d’intérêt public, telle que l’accroissement de la dégradation du réseau routier québécois malgré une hausse des investissements dans son maintien. Une publication plus régulière des actions prévues par le gouvernement afin de répondre aux problématiques identifiées par le CEI renforcerait la transparence et la reddition de compte, et contribueraient à la confiance du public dans le gouvernement.

Le mandat du CEI est limité aux travaux d’infrastructures sous la responsabilité du MTQ, mais d’autres projets majeurs d’infrastructure sont également vulnérables au risque de politisation.

Il y a un nombre limité de marchés publics qui sont susceptibles d’être détournés afin d’acquérir du capital politique au niveau local, mais ce risque n’est pas limité aux seuls projets d’infrastructures routières relevant du mandat du MTQ. En effet, selon l’information recueillie pour les fins de ce rapport, la planification des investissements, soit le plan québécois des infrastructures (PQI), est approuvé par Conseil des ministres, incluant la priorisation des projets majeurs d’infrastructure effectuée par chaque ministre concerné (incluant ceux du MTQ). Les projets de construction ou d’amélioration d’infrastructure immobilière de toute sorte, tels que les hôpitaux, les établissements d’enseignement ou des centres de services régionaux, sont donc également susceptibles d’être instrumentalisés à des fins politiques, ou du moins en avoir l’apparence.

Ainsi, les conclusions de la Commission Charbonneau selon lesquelles il est préférable d’établir une saine distance entre les élus et les projets d’infrastructures sont applicables à la programmation des projets majeurs de tous les organismes publics.

C’est dans cette optique que le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur les infrastructures publiques le 30 octobre 2013. Cette loi établit les règles de gouvernance en matière de planification des investissements publics en infrastructures et de gestion des infrastructures publiques, dans le but d’obtenir une vision à long terme et d’assurer leur qualité et leur durabilité.

À cet égard, le Président du Conseil du trésor, responsable de l’application de la Loi sur les infrastructures publiques, est appuyé par son Sous-secrétariat aux infrastructures publiques pour assumer cette fonction. Ce dernier est responsable :

  • De coordonner le processus d’évaluation et de suivi de l’état du parc d’infrastructures publiques et du suivi de son évolution ;

  • De collecter et d’analyser les besoins en investissements des organismes publics;

  • D’élaborer et mettre en œuvre le Plan québécois des infrastructures (PQI) sur 10 ans ;

  • De préparer un rapport annuel sur le suivi des investissements publics alloués en infrastructures ;

  • De conseiller le Conseil du trésor en matière de planification, d’approbation et de gestion des projets d’infrastructure publique ;

  • D’élaborer et de voir à la mise en œuvre de l’encadrement nécessaire afin d’assurer une gouvernance optimale des grands projets d'infrastructure publique;

  • D’élaborer les politiques, stratégies et directives en ces matières.

Ainsi, dans le but d’avoir une connaissance globale et approfondie du parc d’infrastructure sous la responsabilité du gouvernement du Québec, les principaux organismes publics, tel que désigné à l’article 3 de la Loi sur les infrastructures publiques, sont tenus de produire un plan annuel de gestion des investissements publics en infrastructure (PAGI) au Président du Conseil du trésor et de suivre l’évolution de l’état et du déficit de maintien d’actifs des infrastructures sous leur responsabilité, incluant l’effet des investissements réalisés en cours d’année. L’information générée par les PAGI permettra au gouvernement du Québec d’avoir une vue d’ensemble sur l’évolution de l’état et du déficit de maintien d’actifs de la majorité du parc d’infrastructures publiques.

De plus, le gouvernement du Québec a créé des principes directeurs afin de prioriser ses investissements en infrastructures publiques, basés sur des objectifs accordant une prépondérance au maintien de l’offre des services au public sur la bonification des services (SCT, 2018). Ainsi, les principes directeurs et les PAGI sont donc pris en compte dans le PQI proposé au gouvernement par le Conseil du trésor.

Ce PQI est accompagné d’un rapport faisant état de l’utilisation des sommes allouées aux infrastructures pendant l’année financière précédente, et d’une prévision de leur utilisation pour l’année financière en cours. Après avoir analysé le PQI proposé par le Conseil du trésor et apporté les changements nécessaires, le cas échéant, le gouvernement joint une version finale du PQI et des PAGI au budget de dépenses déposé à l’Assemblée nationale, afin que les prévisions soient étudiées par la Commission parlementaire compétente dans le cadre des crédits budgétaires. Les projets d’infrastructures de plus de 50 millions USD qui sont à l’étude, en planification ou en cours de réalisation sont rendus publics par le Sous-secrétariat aux infrastructures publiques par l’entremise d’un tableau de bord publié sur le site internet du Secrétariat du Conseil du trésor. Cet outil visant la transparence peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.tresor.gouv.qc.ca/infrastructures-publiques/tableau-de-bord/.

De plus, en matière de planification, d’approbation et de gestion des projets d’infrastructures, le gouvernement a adopté la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique (Directive) qui prévoit un encadrement et des règles de gestion rigoureuses appuyant le processus décisionnel du Conseil des ministres pour la mise à l’étude, la planification, la réalisation de projets majeurs des organismes publics et les modifications significatives qui pourraient y être appliquées.  Ainsi, cette directive prévoit l’élaboration d’une documentation étoffée pour appuyer la définition du besoin, le choix de l’option retenue et la mise en œuvre de la réalisation des projets majeurs (fiche d’avant-projet, dossier d’opportunité et dossier d’affaires ainsi que rapports d’avancement et de clôture).

Finalement, dans le but de renforcer le suivi sur la réalisation des projets d’infrastructures publiques, le SCT a mis en place un comité de gouvernance des projets en infrastructures, lequel est présidé par le secrétaire associé aux infrastructures publiques du SCT et est composé de membres permanents du SCT et de la SQI, ainsi que de répondants des ministères concernés.

Considérés dans leur ensemble, la gouvernance mise en place par le SCT, soit les processus d’élaboration et d’approbation du PQI et des PAGI, la Directive ainsi que le tableau de bord des projets d’infrastructures publiques constituent un moyen innovateur pour accroître la transparence et la reddition de compte dans la programmation et la priorisation des projets d’infrastructures du gouvernement du Québec. Ces processus sont alignés avec les bonnes pratiques au sein des pays de l’OCDE, et peuvent même se comparer avantageusement par rapport à certains de ceux-ci.

Comme le montre le graphique 2.2, de nombreux pays de l’OCDE développent une liste courte des projets d’infrastructure à être réalisés à moyen terme (par exemple dans la durée d’un cycle électoral).

L’existence d’une programmation exhaustive et transparente des projets d’infrastructure permet d’accroître la visibilité et la cohérence de la priorisation des projets, réduisant ainsi les décisions discrétionnaires subjectives.

Considérant le succès obtenu par le CEI en support au MTQ, le fait que le Conseil des ministres ait le pouvoir d’approuver et de modifier le PQI, que la gestion du risque de politisation doit être mise à jour sur une base périodique et qu’une perspective d’experts externes puisse être précieuse pour ce faire, le gouvernement pourrait considérer comment il pourrait intégrer le mandat du CEI à la programmation des marchés publics assujettis à la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique. L’exercice de la compétence du CEI sur l’ensemble des projets majeurs d’infrastructures publiques pourrait atténuer encore davantage l’apparence de vulnérabilité aux influences politiques au détriment de considérations de gouvernance ou techniques, et ainsi accroître la confiance du public dans l’objectivité de la programmation d’infrastructures publiques.

Dans la littérature (Schiele, 2007[7]; Barry et al., 1996[8]), la performance de la planification des achats est depuis longtemps reconnue comme une composante majeure permettant l'évaluation de la maturité stratégique des achats au sein d'une organisation. Outre son impact sur l’efficience des marchés publics, une planification structurée permet de minimiser le recours à des procédures pas ou peu transparentes.

L’un des objectifs principaux de la LCOP identifiés à son article 2 est de mettre en place des « procédures efficaces et efficientes, comportant notamment une évaluation préalable des besoins adéquate et rigoureuse […] ». La première étape d’une évaluation approfondie des besoins est la planification des besoins futurs par les acheteurs publics. En pratique toutefois, cet objectif n’est pas atteint sur une base constante et harmonisée par l’ensemble des organismes publics. En effet, plusieurs parties prenantes rencontrées durant la collecte de données pour les fins de ce rapport ont fait état d’un manque d’expertise nécessaire dans certains organismes publics afin de planifier leurs besoins futurs de façon spécifique et structurée avant l’organisation des appels d’offre. Selon les parties prenantes, le manque d’expertise pour la planification des besoins futurs est encore plus évident dans certaines municipalités, celles-ci étant régies par la Loi sur les cités et villes et le Code municipal.

L’expérience de l’OCDE démontre qu’il y a certaines étapes essentielles avant de débuter la phase de l’identification de fournisseurs potentiels et une analyse de leurs moyens1. D’abord, les besoins internes doivent être parfaitement compris pour s’assurer que l’analyse des marchés, qui sera conduite à une phase ultérieure, cible les produits ou les services appropriés.

La planification des achats est non seulement importante pour assurer des opérations coordonnées et efficaces, mais elle contribue également à réduire le recours injustifié aux exceptions liées à la notion d'urgence et à la conclusion de marché de gré-à-gré. Or, cette pratique, même si le motif exact justifiant le recours à cette procédure ne peut être établi de façon certaine, est relativement présente dans les marchés publics au Québec comme le montre le graphique 2.3.

Au-delà d’être un outil réduisant le risque de recours à une procédure d’exception qui limite la transparence des marchés publics, la planification des achats permet de communiquer une liste initiale des besoins des organismes publics au secteur privé pour qu’ils prennent connaissance d’éventuelles opportunités futures. Le gouvernement du Québec a établi des lignes directrices générales sur la gestion contractuelle qui incluent une section sur la planification des achats. En effet, le guide Processus de référence en gestion contractuelle, élaboré par le CSPQ, fournit des références aux bonnes pratiques afin de promouvoir leur application.

De plus, tel que discuté à la section « Atténuer le risque de politisation de l’ensemble des projets majeurs d’infrastructures publiques », le gouvernement du Québec a mis en place un processus de planification et priorisation élaboré pour les projets d’infrastructures publiques. La Directive requiert notamment la production d’un dossier d’opportunité qui doit démontrer le besoin afin de permettre au Conseil des ministres de statuer sur la pertinence d’un projet d’infrastructure. Le SCT peut également exiger du sous-ministre ou du dirigeant d'un organisme public qu’il désigne une personne chargée de coordonner les travaux d'une équipe assurant une gouvernance centralisée de la gestion du portefeuille des projets d'infrastructure publique. Dans le cadre de ses travaux, l'équipe exerce un rôle-conseil auprès du sous-ministre ou du dirigeant de l'organisme public relativement aux aspects suivants des projets d'infrastructure publique:

  1. 1. l'identification, la sélection et la priorisation des projets;

  2. 2. la coordination et le suivi des projets;

  3. 3. tout autre aspect déterminé par le Conseil du trésor.

Le gouvernement du Québec organise également les vitrines technologiques inversées, qui requièrent un processus structuré de planification des achats en permettant aux organismes publics de communiquer leurs besoins à venir en matière de technologies de l’information. Ces rencontres, publiques et ouvertes à toutes les entreprises, permettent à celles-ci d’obtenir l’information pertinente et d’adapter la conception de leurs solutions aux caractéristiques des projets gouvernementaux à venir.

Dans la même veine, les pratiques de planification des achats sont mises en place de façon structurée et permanente dans nombre de pays de l’OCDE, ainsi que le démontre le Chapitre 4, et servent également à accroître les niveaux de concurrence dans les marchés publics, ce qui indirectement limite leur exposition aux risques de corruption. Ceci étant, la nature des informations publiées doit être soigneusement évaluée pour éviter qu’une transparence accrue sur les besoins futurs du secteur public ne fasse apparaître un autre type de risque de fraude : la collusion (OCDE, 2012[10]).

Au-delà de l’élaboration de lignes directrices, le gouvernement du Québec est conscient des difficultés des fonctionnaires à établir et suivre des processus rigoureux pour l’identification des besoins avant la phase d’élaboration et de soumission des appels d’offres. Deux pôles d’expertise sont en cours de développement. Un de ces pôles portera sur les marchés publics dans le secteur de la construction et sera dirigé par la Société québécoise des infrastructures (SQI). L’autre pôle portera sur l’achat de technologies de l’information et sera dirigé par le Centre de services partagés du Québec (CSPQ). Considérant qu’il est prévu que ces pôles d’expertise couvrent l’ensemble du cycle de gestion contractuelle, la SQI et le CSPQ pourraient porter une attention particulière à l’encadrement des organismes publics à l’étape de la définition des besoins.

Un troisième pôle d’expertise a été créé, cette fois portant sur la gestion contractuelle au niveau municipal. Il a été développé par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) en collaboration avec la Fédération québécoise des municipalités (FQM) et l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Ce pôle d’expertise comprend trois groupes de travail qui se partagent cinq priorités, à savoir : (1) la définition du besoin ; (2) le mode d’octroi ; (3) l’appel d’offre public ; (4) l’octroi du contrat ; et (5) le suivi des contrats. Selon le MAMH, la définition des besoins a été identifiée comme une priorité compte tenu du fait que le manque de connaissances rend parfois difficile l’identification du projet optimal, alors que cette étape est essentielle avant de passer à l’élaboration des documents d’appel d’offres. De plus, trop peu d’attention est accordée à la définition du besoin, ce qui multiplie la publication d’addendas et de changements dans les directives, ce qui peut grandement entacher la crédibilité d’un projet. Un manque de connaissances et d’intérêt à un processus de définition rigoureux peut également rendre un projet plus vulnérable à l’influence indue de la part de tiers.

Bien que le gouvernement du Québec ait mis en œuvre des mesures concrètes afin de renforcer le processus de planification des besoins, leur application est limitée à certains types de marchés publics, tels que ceux dans le secteur des infrastructures et des technologies de l’information. Ainsi, le gouvernement pourrait considérer renforcer davantage son encadrement à l’étape de l’identification et la définition des besoins des organismes publics. Par exemple, pour complémenter les lignes directrices sur la planification des achats, le SCT pourrait prévoir des ressources techniques qui seraient responsables d’appuyer l’ensemble des organismes publics pour l’application des bonnes pratiques et des exigences applicables à des contextes précis. Les bénéfices associés à la consolidation de l’expertise technique sont également discutés à la section « Offrir un support aux municipalités et aux fonctionnaires municipaux en matière d’intégrité et de contrats publics » dans le chapitre 1.

De plus, le gouvernement du Québec pourrait établir des standards précis concernant la documentation au support des décisions en matière de définition des besoins des organismes publics et municipaux. Pour sa part, le MAMH accompagne le milieu municipal de manière à l’aider dans l’établissement de ses propres standards. Bien que des exigences existent concernant la documentation au support des décisions du Conseil des ministres dans le secteur des infrastructures (voir la section « Une planification des projets de travaux et d’infrastructure objective, transparente et indépendante de considérations politiques »), et que ces exigences peuvent également être appliquées aux organismes municipaux, elles ne visent pas de façon constante à l’ensemble des marchés publics des organismes publics et municipaux. En effet, selon les discussions avec les parties prenantes pour les fins de ce rapport, des résultats d’audit du Vérificateur Général du Québec ont révélé que certains des processus de planification des marchés publics dans des secteurs autres que les infrastructures étaient peu ou pas documentés, notamment par rapport à l’estimation des coûts des marchés publics. L’exemple de la Nouvelle-Zélande et de la Croatie ci-dessous permet de comprendre certains bénéfices retirés d’une publication formelle des plans d’achat, notamment en matière d’audits (encadré 2.2).

Compte tenu des carences identifiées à cette étape des marchés publics, le gouvernement pourrait sensibiliser les corps de vérification interne et externes, dans le respect de leur autonomie, à inclure le processus de définition des besoins et de planification des marchés publics dans la programmation de leurs audits sur une base régulière. Un rôle accru des vérificateurs sur cette phase permettrait de mettre en œuvre un mécanisme de surveillance pour s’assurer de l’exécution effective des projets conformément à la programmation des organismes publics. Cela pourrait permettre de renforcer l’intégrité du processus de programmation en renforçant la reddition de compte.

Finalement, le Québec pourrait s’inspirer des expériences de nombreux pays de l’OCDE où il y a une coordination des projets à la fois au niveau national et régional (Australie, Corée, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède, Turquie) afin de mieux coordonner la conduite des marchés publics des différents paliers de gouvernement. (encadré 2.3).

Les processus de programmation des marchés publics ne sont pas harmonisés ou coordonnés d’un organisme public à l’autre. Ceci peut avoir un impact négatif sur la reddition de comptes et sur les coûts engendrés par les marchés publics.

Dans l’ensemble des donneurs d’ouvrage public (DOP) interrogés, la programmation des marchés publics se fait généralement de manière décentralisée par les unités opérationnelles, ou par les directions générales territoriales. Il existe néanmoins certaines variations d’un organisme à l’autre. Par exemple, le principal organisateur de marchés publics à la RAMQ, à savoir la direction des technologies de l’information, soumet une planification annuelle à la direction des contrats publics. Mais pour les autres directions, les intentions d’organiser les marchés publics sont acheminées de manière ad hoc. Il n’y a pas non plus de coordination entre les organismes publics et municipaux qui voudraient lancer des appels d’offre simultanément dans un marché donné.

En premier lieu, un manque de coordination de la programmation au niveau central peut affecter la transparence et la reddition de compte dans l’organisation des marchés publics d’une organisation. Par exemple, les directions générales territoriales (DGT) préparent leur programmation proposée sur la base de stratégies d’intervention et d’orientations dans le choix de projets à prioriser établies par l’administration centrale. Dans un souci d’efficience et de transparence, le CEI a récemment recommandé au MTQ d’examiner la possibilité de préparer une programmation « suggérée » pour l’ensemble de la province au niveau central, qui pourrait ensuite être envoyée aux DGT pour validation (CEI, 2017[4]). Les DGT pourraient ensuite apporter des modifications à la programmation selon les caractéristiques à leur région. L’objectif derrière cette recommandation est de « faciliter la transparence et la documentation des changements, retraits, modifications ou ajouts introduits pour répondre aux particularités régionales » (CEI, 2017[4]). Dans son rapport de 2018, le CEI propose également que l’organisation centrale du MTQ fasse un suivi auprès des DGT sur la préparation des projets en amont de l’exercice de programmation, ce qui pourrait servir à identifier plus tôt les écarts observables entre les projets en développement et les priorités ministérielles, et ainsi apporter des correctifs plus promptement. L’article 17 de la Loi sur les infrastructures publiques permet au SCT d’exiger du sous-ministre ou du dirigeant d’un organisme public qu’il désigne une équipe responsable de coordonner la gestion centralisée des projets d’infrastructure publique, notamment concernant (1) l’identification, la sélection et la priorisation des projets; (2) la coordination et le suivi des projets; et (3) tout autre aspect déterminé par le SCT.

Tel que mentionné précédemment, un manque de coordination et de planification des différents marchés publics peut nécessiter un recours indu aux exceptions aux processus d’appel d’offres, ce qui peut causer une augmentation des coûts et camoufler des irrégularités. Les entreprises qui soumissionnent couramment sur des appels d’offre rapportent qu’il n’y a pas d’analyse de faite au niveau du gouvernement ou des municipalités sur la capacité des différents marchés à répondre à la demande issue d’un ou de plusieurs appels d’offre simultanés dans une région donnée (voir également la discussion sur l’analyse des marchés dans le chapitre 3). Une trop grande demande en fonction de la capacité du marché à y répondre peut faire augmenter les prix de façon significative, et nécessiter le recours à des propositions de moins bonne qualité. Une planification des besoins des organismes publics mieux intégrée ferait en sorte qu’il y aurait moins d’appels d’offre lancés en concurrence à l’intérieur d’un même marché pour une période donnée, ce qui pourrait avoir un impact positif sur le prix et la qualité.

Ainsi, le gouvernement du Québec pourrait considérer l’harmonisation des processus de programmation des achats afin qu’ils soient cohérents d’un organisme public à l’autre. Le MAMH pourrait considérer faire de même pour les organismes municipaux. Ces processus harmonisés requièrent une meilleure planification des unités décentralisées au sein de chaque organisme public, dans le but d’avoir une programmation centrale mieux intégrée au niveau des organismes publics. Les exigences de planification du gouvernement du Québec pourraient s’inspirer des bonnes pratiques en la matière mises en place par certains pays de l’OCDE, tels que la Nouvelle-Zélande et l’Italie (encadré 2.4). En effet, après plusieurs cas d’irrégularités dans les marchés publics exposés dans les médias, l’Italie a fusionné son autorité des marchés publics à son agence anticorruption (ANAC) et a élargi les pouvoirs applicables en matière de surveillance et d’intervention. Ainsi, Consip dispose actuellement de procédures robustes et détaillées en matière de planification des achats et d’analyse des marchés.

Le lancement d’un marché public hors planification pourrait rester possible au Québec avec des justifications suffisantes, de sorte que ces procédures deviennent l’exception plutôt que la règle dans l’ensemble des organismes publics. Bénéficiant ainsi d’une information consolidée sur les besoins futurs du secteur public, le gouvernement du Québec pourrait également mettre en place une approche stratégique et un processus pour coordonner la passation des marchés publics par différents organismes publics et municipaux, afin de pouvoir évaluer la capacité des marchés à répondre à la demande.

Références

[8] Barry, J. et al. (1996), “A Development Model for Effective MRO Procurement”, International Journal of Purchasing and Materials Management, Vol. 32/2, pp. 35-44, https://doi.org/10.1111/j.1745-493X.1996.tb00284.x.

[5] CEI (2018), Avis du Comité d’experts indépendants, CEI, https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/projets-infrastructures/investissements/investissements-routiers/investissements-routiers-2018-2020/Documents/avis-programmation.pdf.

[4] CEI (2017), Avis du Comité d’experts indépendants, CEI, https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/projets-infrastructures/investissements/investissements-routiers/investissements-routiers-2017-2019/Documents/comite_experts_final.pdf.

[3] CEIC (2015), Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, https://www.ceic.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/fichiers/Rapport_final/Rapport_final_CEIC_Integral_c.pdf.

[11] Commission européenne (s.d.), Increasing the quality of public procurement: Publish annual procurement plans, http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/good_practices/GP_fiche_12.pdf.

[12] Gouvernement de la Nouvelle-Zélande (2015), Government Rules of Sourcing: Rules for planning your procurement, approaching the market and contracting, Government of New Zealand, Public procurement, https://www.procurement.govt.nz/assets/procurement-property/documents/government-rules-of-sourcing-procurement.pdf.

[2] OCDE (2017), Cadre d’intégrité pour l’investissement public, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264263543-fr.

[6] OCDE (2017), Getting Infrastructure Right: A framework for better governance, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264272453-en.

[1] OCDE (2014), Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale: Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264226623-fr.

[10] OCDE (2012), Recommandation du Conseil de l’OCDE sur la lutte contre les soumissions concertées dans les marchés publics, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/daf/competition/RecommendationOnFightingBidRigging2012FR.pdf.

[7] Schiele, H. (2007), “Supply-management maturity, cost savings and purchasing absorptive capacity: Testing the procurement-performance link”, Journal of Purchasing & Supply Management, Vol. 13, pp. 274-293, https://doi.org/10.1016/j.pursup.2007.10.002.

[9] Secrétariat du Conseil du trésor (2017), “Statistiques sur les contrats des organismes publics 2016-2017”, https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/statistiques/1617.pdf (accessed on 18 July 2018).

Note

← 1. Présentations faites durant un atelier de l’OCDE portant sur l’amélioration des pratiques en matière de marchés publics de l’Institut pour la sécurité sociale et les services des travailleurs de l’état (ISSSTE), 2 au 4 septembre 2014, Mexico, par des experts du Chili, du Danemark, du Portugal et du Royaume Uni.

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