Éditorial : Un exercice d’équilibre

L’économie mondiale continue de se redresser, tout comme les échanges, l’emploi et les revenus. Mais cette reprise est pleine de déséquilibres : entre les pays, entre les entreprises et entre les populations, confrontés à des réalités économiques très différentes. Les récentes améliorations masquent également des changements structurels, où certains secteurs, métiers, technologies et comportements ne seront plus jamais les mêmes qu’avant la pandémie. Dans cette situation extraordinaire, nos perspectives économiques sont prudemment optimistes. Elles mettent l’accent sur les politiques requises pour contrebalancer les incertitudes actuelles et l’apparition inhabituelle de tensions inflationnistes au tout premier stade de la reprise. La situation sanitaire, les contraintes d’offre, l’inflation et le risque de faux pas des acteurs de politiques publiques sont autant de sujets de préoccupation majeurs.

Notre scénario central prévoit une poursuite de la reprise mondiale, avec un monde mieux armé face à la pandémie et des politiques monétaire et budgétaire généralement en soutien tout au long de l’année 2022. Après un rebond de 5.6 % en 2021, la croissance mondiale devrait progresser au rythme soutenu de 4.5 % en 2022, avant de ralentir pour s’établir à 3.2 % en 2023.

Mais des déséquilibres inquiétants ont vu le jour. Premièrement, la reprise est très variable d’un pays à l’autre, reflet des différences de situation sanitaire, de politiques publiques et de composition sectorielle. Deuxièmement, des pénuries aiguës de main-d’œuvre sont apparues dans certains secteurs, alors même que l’emploi et le nombre d’heures travaillées n’ont pas encore pleinement retrouvé leur niveau pré-pandémie. Troisièmement, l’écart persistant entre l’offre et la demande de certains biens, conjugué à l’envolée des coûts des produits alimentaires et de l’énergie, a provoqué des hausses de prix plus fortes et plus durables que prévu.

Ces disparités sont sources d’incertitude et suscitent plus de risques à la baisse qu’à la hausse. Notre première source d’inquiétude est un état sanitaire du monde polarisé entre le nombre de cas, les capacités hospitalières et le taux de vaccination. Dans le scénario le plus pessimiste, les poches de couverture vaccinale insuffisantes risquent d’offrir un terreau propice à l’émergence de nouveaux variants plus meurtriers qui, en se propageant, détruiront des vies humaines et détérioreront des conditions de vie. Même dans des scénarios moins sombres, de nouvelles flambées pandémiques pourraient limiter la circulation des biens et des personnes dans certaines régions ou empêcher le passage des frontières. Il en résulterait des conséquences durables sur les marchés du travail et les capacités de production, tout comme sur les prix.

L’inflation est dans tous les esprits et une grande incertitude entoure les réactions des banques centrales. Les tensions sur l’offre devraient reculer à la faveur de l’amélioration de la situation sanitaire, de la stabilisation de la demande et du retour au travail d’un nombre croissant de personnes. L’inflation devrait atteindre un pic fin 2021-début 2022 avant de refluer progressivement pour s’établir à 3 % environ dans la zone OCDE en 2023. Dans ce contexte, le mieux que les banques centrales puissent faire est d’attendre que les tensions sur l’offre reculent et de signaler qu’elles sont prêtes à intervenir si nécessaire. Si les contraintes de l’offre devaient persister, alors que le PIB et l’emploi continuent de croître rapidement et alimentent une hausse générale des prix, l’intensification des tensions inflationnistes pourrait durer plus longtemps, avec pour effet un désancrage des anticipations des particuliers. Les banques centrales devraient alors intervenir.

L’autre source d’inquiétude majeure est le risque que les gouvernements ne tirent pas les leçons de la crise. Les pouvoirs publics ont appliqué des mesures sans précédent pour soutenir l’économie lorsque la crise a éclaté. Sans cette réponse rapide, la situation actuelle serait bien pire qu’elle ne l’est. Mais, maintenant que la reprise est engagée, les pouvoirs publics ont un difficile exercice de ré-équilibrage à mener.

La reprise est l’opportunité de réformer les finances publiques — ne pas la saisir serait une erreur lourde de conséquences pour le futur. Nous sommes inquiets de constater l’absence de débats sur ce sujet crucial. L’utilisation qui est faite de la dette nous préoccupe bien plus que son niveau : l’accroissement de la dette durant la pandémie était nécessaire pour protéger les économies au plus fort de la crise. Mais l’heure est venue de préparer une réallocation du soutien budgétaire vers les investissements qui accroîtront la croissance de moyen-terme, notamment par l’éducation et les infrastructures. L’absence de plans de moyen-terme détaillant l’évolution de l’utilisation des finances publiques nous inquiète, ce travail doit commencer rapidement. Des cadres budgétaires clairs, solides et responsables renforceraient la confiance dans une croissance plus forte et rapide, et réduiraient les déséquilibres et les risques.

Nous sommes également inquiets que l’ambition croissante sur le changement climatique se traduise en aussi peu d’actes. Les pays doivent aujourd’hui définir les mesures qu’ils prendront demain pour honorer leurs engagements climatiques. L’action publique pèche par manque de lisibilité sur la marche à suivre afin d’atteindre la neutralité carbone, ce qui bride l’investissement dans les énergies propres et les infrastructures. Plus les pouvoirs publics tardent, plus ils s’exposent à une transition abrupte, marquée par des prix de l’énergie plus élevés et plus volatils. L’inaction accroît donc les risques que la transition énergétique affecte le niveau de vie des populations et pourrait ébranler l’adhésion du public en faveur de cette transition.

Enfin, nous sommes préoccupés du manque d’action face aux vulnérabilités que la pandémie a révélées et amplifiées. La première d’entre elles est le système de santé. Nombre de systèmes de soins préventifs et curatifs doivent être réformés, la préparation en cas de pandémies doit être améliorée et la distribution de matériel médical et de médicaments mieux coordonnée. Ne pas en faire assez serait inexcusable. Deuxièmement, la fermeture des établissements scolaires a perturbé l’éducation des jeunes et des enfants, et l’insertion des jeunes sur le marché du travail est plus difficile. Jusqu’à présent, trop peu a été fait pour évaluer ces vulnérabilités et y remédier. Plus nous attendrons, plus les dégâts seront importants.

La reprise est bien là, mais la tâche qui incombe aux gouvernements est ardue. Ils doivent conjuguer prudence, patience et persistance à des politiques décisives pour que nos économies soient meilleures demain qu’elles ne l’étaient hier, avant la crise.

Le 1er décembre 2021

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Laurence Boone

Cheffe économiste de l’OCDE

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