Résumé

« Repenser le développement »

La conception du développement a évolué depuis la Seconde Guerre mondiale et différents paradigmes ont, selon les époques, inspiré ses théories et pratiques. L’accent mis sur l’industrialisation, la planification et la croissance durant les années d’après-guerre a ensuite laissé place à une réflexion sur la transformation structurelle dans les années 1960 et la théorie de la dépendance dans les années 1970. Puis le « Consensus de Washington » des années 1980 et 90 a privilégié la stabilité macroéconomique et promu l’ajustement structurel. Enfin, depuis les années 2000, une approche par objectifs a mené à la création des Objectifs du Millénaire pour le développement et de leurs successeurs, les Objectifs de développement durable.

S’il n’existe toujours pas de définition standard du développement, un consensus se dessine toutefois sur son rôle dans l’amélioration réelle de la qualité de vie des individus et de leur bien-être. Mais comment y parvenir ? Peut-on ériger les politiques ayant permis le développement des premiers pays qui se sont industrialisés en références absolues pour les pays en développement ? Les trajectoires de pays industrialisés plus récemment, comme la République populaire de Chine (ci-après dénommée « Chine »), n’ont pas suivi les paradigmes traditionnels. Ceci nous amène à nous interroger sur les types de stratégies que les pays devraient adopter pour atteindre des niveaux plus élevés et pérennes de bien-être.

Les stratégies de développement doivent s’adapter au nouvel ordre mondial

Une transformation majeure de l’économie mondiale s’est opérée ces 30 dernières années. Depuis les années 1990, des économies émergentes telles que la Chine et l’Inde ont connu une croissance plus soutenue que la moyenne des pays de l’OCDE. Conjugués au facteur démographique, ces écarts de croissance ont redessiné le paysage macroéconomique mondial.

Trois grandes phases ont présidé à l’émergence de cette nouvelle géographie économique mondiale :

  • L’ouverture de la Chine, de l’Inde et de l’ex-Union soviétique aux marchés mondiaux s’est fait sentir à partir des années 1990.

  • Une deuxième phase, allant de 2001 à la crise financière mondiale de 2008, a vu la convergence généralisée des pays pauvres. L’urbanisation et l’industrialisation rapides de l’Asie ont entraîné une hausse des prix des produits de base.

  • Une phase plus récente, dans les années 2010, durant laquelle la convergence a donné des signes de ralentissement temporaire, s’inscrit sous le signe de la récession mondiale et de la transformation de la Chine, passée d’une économie manufacturière centrée sur les exportations à une économie axée sur les services et la consommation, entraînant une chute des prix des produits de base.

Cette transformation de la géographie économique a eu de profondes répercussions sur le développement mondial. Elle a : redessiné la carte des relations économiques en termes d’échanges, de flux financiers et de migrations ; stimulé la croissance mondiale, sortant des millions de personnes de la pauvreté ; et enfin, modifié l’architecture de la gouvernance mondiale.

En 2010, les pays en développement représentaient 42 % du commerce mondial de marchandises, les échanges Sud-Sud comptant pour moitié de ce total. La Chine a joué un rôle central à cet égard : depuis la crise financière mondiale, ses importations sont la force motrice des échanges Sud-Sud.

Les économies émergentes sont en outre devenues d’importants acteurs du financement du développement ; les donateurs émergents ont ainsi fait passer leur part de financement ne relevant pas de l’aide publique au développement de 6 % à 13 %. L’initiative de la Chine pour une « nouvelle route de la soie », stratégie internationale de développement de grande envergure visant à améliorer les connexions entre la Chine et les autres pays, renforce par ailleurs l’intégration Sud-Sud.

Les stratégies de développement ne peuvent pas partir du principe que la croissance économique se traduira automatiquement par une amélioration du bien-être

La croissance économique du Sud est loin d’avoir résolu tous les problèmes. La pauvreté, absolue comme relative, a poursuivi son avancée dans certains pays ; les inégalités de revenu se sont creusées dans bien des cas ; et l’industrialisation et l’urbanisation ont entraîné la dégradation de l’environnement.

Rien de très surprenant à ce que la croissance du PIB n’ait pas été la solution miracle à tous les problèmes. Kuznets, qui fut le premier à définir le PIB en 1934, avait lui-même mis en garde contre son utilisation comme indicateur du bien-être. À la Conférence de Bretton Woods, dix ans plus tard, il est toutefois devenu le principal outil de mesure de l’économie d’un pays, et durant des décennies, on a considéré la croissance du PIB comme une bonne variable indicative du développement plus général d’un pays.

Une approche plus globale du développement, tenant compte de différentes dimensions du bien-être, de leur distribution dans la population, et de leur pérennité, révèle cependant une situation plus complexe.

Dans l’ensemble, les indicateurs du bien-être sont en corrélation étroite avec le PIB par habitant. La relation entre ces deux variables a toutefois évolué au fil du temps. Deux phases se distinguent ainsi :

  • De 1820 à 1870, les pays dont le PIB par habitant était plus élevé ne présentaient pas toujours de meilleurs résultats sur le plan du bien-être. Durant les premières années de l’industrialisation, entre les années 1820 et 1870, le PIB des pays industrialisés enregistrait une croissance d’environ 1-1.5 % par an. Bien que relativement lente, la croissance du PIB était en marche, sans quasiment aucun effet positif, toutefois, sur le bien-être. Ce « paradoxe de la croissance » est le prix que les premiers pays qui se sont industrialisés ont dû payer pour la rapidité de leur urbanisation et de leur prolétarisation.

  • Après 1870, la corrélation entre le PIB par habitant et les indicateurs du bien-être s’est renforcée, sous l’effet d’importations alimentaires américaines meilleur marché en Europe, permettant une hausse des salaires réels, de l’essor des régimes démocratiques, des percées de la connaissance médicale et de l’adoption de mesures de politique sociale. De nombreux progrès ont été accomplis sur le plan du bien-être, sans croissance nécessaire du PIB par habitant.

Depuis les années 1950, les nouveaux pays émergents commençant à connaître une croissance rapide se sont démarqués des premiers qui se sont développés par le phénomène de « rattrapage » ou de convergence du PIB par habitant :

  • En Amérique latine et en Asie, les progrès enregistrés sur le plan du bien-être sont supérieurs à la hausse du PIB par habitant pour certaines dimensions (espérance de vie, éducation), mais pas toutes.

  • En Afrique, les progrès réalisés sur le plan du bien-être sont relativement plus importants que la progression du PIB par habitant, mais un écart constant et grandissant subsiste avec le reste du monde.

Les stratégies de développement doivent faire face à de nouvelles tendances et de nouveaux défis

Au-delà des objectifs de croissance économique, la plupart des plans nationaux de développement conçus aujourd’hui mettent bel et bien l’accent sur les dimensions d’inclusion sociale et de durabilité environnementale. Cependant, rares sont ceux à sembler conscients des tendances de fond, ainsi que des défis et opportunités susceptibles d’en découler.

Certains de ces défis se sont déjà présentés auparavant : le ralentissement potentiel de la croissance mondiale, le protectionnisme commercial, le creusement des inégalités, la croissance démographique et l’affaiblissement de la gouvernance mondiale.

De nouveaux défis ont toutefois fait leur apparition, auxquels les premiers pays qui se sont industrialisés n’ont pas été confrontés. Citons notamment les nouvelles règles mondiales, la forte interdépendance entre les pays, les booms démographiques sans précédent, la forte mobilité des populations, les risques de pandémies et le changement climatique, sans oublier les nouvelles technologies, notamment la transformation numérique, l’automatisation, l’intelligence artificielle et la biotechnologie.

Quelles stratégies de développement pour le XXIe siècle ?

Les économies émergentes ont emprunté des trajectoires de développement différentes de celles des premiers pays qui se sont industrialisés, et continueront de le faire. Dans le sillage de la transformation de la géographie économique mondiale, de nouvelles stratégies font en effet leur apparition, notamment le renforcement de la coopération Sud-Sud, l’adoption de politiques liant migrations et développement, et la recherche de solutions novatrices pour l’extension de la protection sociale.

L’expérience montre l’utilité des stratégies comme outil au service d’une croissance équilibrée, soucieuse des questions sociales et environnementales. Au lieu de rechercher un paradigme de développement unique pour tous les pays, l’histoire nous enseigne que l’efficacité des stratégies de développement est optimale lorsqu’elles sont multisectorielles, participatives, territorialisées et inscrites dans une perspective multilatérale, et lorsque l’on dispose des ressources et de la volonté politique nécessaires à leur bonne mise en œuvre.

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