1. Un cadre législatif et réglementaire adapté au contexte sociopolitique et administratif du Québec

Le lobbying1 sous toutes ses formes, y compris la défense d’intérêts et autres méthodes permettant d’influencer les politiques publiques, constitue un acte légitime de participation politique. Il accorde aux acteurs concernés et à toutes les parties prenantes intéressées un droit d’accès à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques. Tous les groupes d’intérêts, qu’il s’agisse d’entreprises, d’organismes sans but lucratif, de groupes de réflexion ou d’associations commerciales, représentent des intérêts légitimes et apportent aux responsables publics une expertise, des connaissances techniques, des données utiles ainsi que des éclairages indispensables sur toutes les questions d’intérêt public. Ces informations provenant d’une diversité d’intérêts et de parties prenantes permettent un processus d’élaboration inclusif qui aboutit à des politiques plus éclairées et, à terme, de meilleure qualité. Elles permettent également d’inciter les pouvoirs publics à se saisir de certaines questions sociales ou sociétales. Enfin, une concertation avec les parties prenantes concernées en amont de toute prise de décision publique ou de l’adoption d’une norme donnée permet une meilleure acceptation de celles-ci en aval (OCDE, 2021[1]).

Mais la réalité montre cependant que l’élaboration des politiques n’est pas toujours un processus aussi inclusif et peut mener à des situations où s’exercent une influence indue et/ou un monopole d’influence. Parfois, l’influence est concentrée entre les mains de ceux qui sont plus puissants politiquement et financièrement, au détriment de ceux qui possèdent moins de ressources (monopole d’influence). Ce déséquilibre accentue les difficultés rencontrées par les groupes ayant des capacités d’engagement et des ressources moindres. La réalité montre également que les politiques publiques peuvent être indûment influencées par des argumentaires ou des données biaisés ou trompeurs, ou par la manipulation de l’opinion publique (influence indue). Les études montrent de plus en plus souvent que le lobbying, lorsqu’il a lieu en dehors de tout principe de transparence et d’intégrité, et n’implique qu’un groupe restreint de parties prenantes, peut conduire à une mauvaise affectation des ressources publiques, à une baisse de la productivité et à la perpétuation des inégalités sociales (OCDE, 2017[2]).

Ces situations sont susceptibles de saper la confiance dans les autorités publiques et dans les personnes influençant le processus d’élaboration des politiques, en particulier les entreprises. D’ailleurs, au Québec, l’ampleur des stratagèmes de corruption et d’influence indue exposés devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (la Commission Charbonneau) avait fortement ébranlé la confiance du public dans ses institutions gouvernementales (Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, 2015[3] ; Bégin, Brodeur et Lalonde, 2016[4]).

Aujourd’hui, le lobbying au Québec est perçu de manière négative au sein de la population et reste associé à certaines pratiques pouvant être jugées illégitimes. Les résultats canadiens du Baromètre de confiance Edelman 2021 révèlent par exemple que 50 % des répondants croient que les dirigeants d’entreprise tentent délibérément de les tromper et 46 % estiment que les élus font de même (Edelman, 2021[5]). Ces résultats montrent également que la confiance envers les gouvernements, les entreprises, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les médias reste volatile (graphique 1.1)

C’est pourquoi la Recommandation de l’OCDE sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying (ci-après dénommée « la Recommandation »), adoptée le 18 février 2010 par le Conseil de l’OCDE, propose des lignes directrices internationales destinées à permettre aux pouvoirs publics de combattre les risques d’influence indue et l’iniquité dans le pouvoir d’influence (OCDE, 2010[6]). La Recommandation fournit des instructions et des conseils, d’une part, sur les modalités de promotion d’un accès égal aux discussions politiques pour toutes les parties concernées et, d’autre part, sur l’amélioration de la transparence, de l’intégrité et des mécanismes pour une mise en œuvre efficace sur la base de 10 principes et de quatre objectifs essentiels. La Recommandation reflète également les points de vue d’une grande partie des organes et des parties prenantes de l’OCDE, notamment des législateurs, des représentants du secteur privé, des associations de lobbying, des organisations de la société civile, des syndicats, des groupes de réflexion et des organisations internationales (encadré 1.1). 

En outre, la Recommandation souligne que les Principes sont valables aussi bien au niveau national qu’au niveau infranational. En effet, de nombreuses décisions publiques concernant des pans importants du système de santé et des services publics, tels que les services sociaux, les soins de santé et l'éducation, ainsi que les questions de l’utilisation des terres, de logement, de planification et de construction et la protection de l’environnement, sont prises au niveau infranational, notamment dans les pays fédéraux où une grande partie du pouvoir décisionnaire est attribué aux pouvoirs publics étatiques ou provinciaux. Un cadre solide pour l’encadrement du lobbying au niveau infranational est donc un élément indispensable pour poursuivre l’objectif de transparence et l’intégrité des processus décisionnels.

La Recommandation s’est avérée précieuse dans sa capacité à orienter les débats politiques aux niveaux national et infranational dans les juridictions qui adoptent ou révisent des règlements ou des mesures sur le lobbying. C’est notamment le cas du Québec. En effet, Lobbyisme Québec,2 autorité publique indépendante chargée d’assurer le respect du cadre légal en matière de lobbying, a utilisé les principes inscrits dans la Recommandation pour évaluer la mise en œuvre de la loi québécoise de 2002 sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme (ci-après « la Loi ») (Légis Québec, 2002[7]). Cette Loi, qui privilégie le terme équivalent de « lobbyisme », reconnaît la légitimité du lobbying et le droit des citoyens de savoir qui tente d’influencer les décideurs des institutions parlementaires, gouvernementales et municipales. Elle prévoit notamment l’inscription obligatoire des lobbyistes sur un registre rendu public, un code de déontologie applicable à ceux qui conduisent des activités de lobbying, un commissaire au lobbyisme chargé de la surveillance et du contrôle de ces activités ainsi qu’un régime de sanctions pénales et disciplinaires (Lobbyisme Québec, 2019[8]). Plusieurs textes législatifs et réglementaires sont depuis venus préciser son champ d’application (tableau 1.1).

En juin 2019, le commissaire au lobbyisme a déposé à l’Assemblée nationale du Québec un rapport proposant de faire adopter une refonte complète de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme (Lobbyisme Québec, 2019[8]). Le rapport a bénéficié d’un important travail de consultation avec des experts, des élus parlementaires et municipaux, des dirigeants de ministères et organismes ainsi que des représentants d’entreprises et d’organisations. Des groupes de discussion organisés pour le compte de Lobbyisme Québec avaient également permis de mieux cerner les perceptions du lobbying et les attentes du citoyen quant à l’encadrement de ces activités.

D’une part, le rapport établit un diagnostic de la Loi qui encadre le lobbying au Québec et propose une analyse des différents enjeux conceptuels, opérationnels et techniques liés à l’application de la Loi depuis son entrée en vigueur en 2002. Le rapport considère que la Loi est devenue inadaptée à l’évolution du contexte socio-politique, présente de lourds problèmes de compréhension et d’application, et est défaillante dans la concrétisation de ses objectifs démocratiques. En outre, de multiples problèmes contextuels, conceptuels et opérationnels entravent l’interprétation et l’application de la Loi (encadré 1.2).

D’autre part, le rapport propose un énoncé de 34 principes à l’égard du législateur (ci-après « l’Énoncé de principes ») pour une refonte complète du régime d’encadrement actuel afin de le rendre conforme aux meilleures pratiques identifiées en matière de transparence des communications d’influence ainsi qu’aux principaux standards internationaux sur la transparence et d’encadrement du lobbying – dont la Recommandation de l'OCDE sur les principes de transparence et d'intégrité des activités de lobbying (Annexe A).

Depuis plusieurs années, Lobbyisme Québec avait déjà émis le souhait de faire évoluer la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, et fait des propositions de modifications législatives en ce sens (Lobbyisme Québec, 2008[9] ; 2012[10] ; 2016[11] ; 2017[12]). La remise du rapport de 2019 aux membres de l’Assemblée nationale avait pour objectif d’encourager un dialogue sur la modernisation du cadre législatif et réglementaire, et ce afin de favoriser l’émergence d’un consensus sur l’adoption d’une nouvelle législation permettant de répondre aux évolutions et aux enjeux du lobbying au Québec, et de favoriser encore davantage la confiance des citoyens dans les institutions publiques.

Ce chapitre analyse le champ d’application de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. Spécifiquement, il examine la notion de « lobbyisme » dans le cadre légal et réglementaire du Québec, son champ d’application quant aux décisions publiques visées, ainsi que les définitions de « lobbyisme » et « lobbyiste ».

La Recommandation de l’OCDE sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying encourage les juridictions à instaurer des règles du jeu équitables en accordant à toutes les parties prenantes un accès juste et équitable à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques (Principe 1 de la Recommandation). Il existe plusieurs façons de favoriser la participation (OCDE, 2017[13]), et la reconnaissance juridique du lobbying comme moyen d’accès de toutes les parties prenantes du secteur privé et de l’ensemble du public à l’élaboration des politiques publiques en est une composante essentielle. Cette reconnaissance juridique permet également d’assurer des règles du jeu équitables aux groupes d’intérêts, opérant ou non dans un but lucratif, qui cherchent à influencer les décisions publiques. La Recommandation stipule également que les pays devraient prendre en compte toutes les options réglementaires et politiques de façon à choisir la solution appropriée répondant aux préoccupations fondamentales, notamment le degré de confiance du public (Principe 2 de la Recommandation). Dans cette perspective, le cadre légal encadrant le lobbying au Québec pourrait être modernisé :

  • Dans ses objectifs poursuivis d’une part ; et

  • Dans la terminologie utilisée d’autre part.

Au Québec, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme adoptée en 2002 reconnait dans son article premier que le lobbying « constitue un moyen légitime d’accès aux institutions parlementaires, gouvernementales et municipales, et qu’il est dans l’intérêt du public que ce dernier puisse savoir qui cherche à exercer une influence auprès de ces institutions » (Légis Québec, 2002[7]). En consacrant la légitimité du lobbying et l’objectif de transparence des activités de lobbying, la Loi a permis au Québec de s’inscrire dans la tendance des juridictions canadiennes et internationales. En effet, 18 des pays adhérents à la Recommandation de l’OCDE disposaient en 2020 de registres publics contenant des informations sur les lobbyistes et/ou les activités de lobbying. Dans ces pays, l’adoption de lois et de réglementations sur le lobbying a été un levier de légitimation de ces activités. Toutes les provinces et tous les territoires du Canada, hormis les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, ont aussi adopté un cadre spécifique permettant une reconnaissance juridique du caractère légitime des interactions entre les agents publics et les lobbyistes (OCDE, 2021[1]).

Pour renforcer davantage les objectifs de la Loi, le Québec pourrait inclure un objectif d’accès équitable aux décideurs publics. En effet, un objectif unique de transparence peut laisser entendre que ces activités sont nécessairement marquées par l’opacité et la suspicion. La Recommandation de l’OCDE rappelle dans son Principe 1 que recueillir des points de vue équilibrés sur les dossiers en cause est la clé de la définition de politiques efficaces, et que les agents publics devraient promouvoir une représentation juste et équitable des intérêts des entreprises et de la société. L’équité d’accès de toutes les parties prenantes du secteur privé et de l’ensemble du public à la participation et à l’élaboration des politiques publiques est cruciale pour préserver l’intégrité des décisions publiques et l’intérêt général en contrebalançant les intérêts en place les mieux organisés pour s’exprimer, ainsi que pour renforcer la confiance des citoyens dans la prise de décision publique (Principe 1 de la Recommandation).

Une étude menée par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval auprès de trois groupes d’intervenants concernés par l’encadrement du lobbying (les lobbyistes, les régulateurs du lobbying et les chercheurs) a montré que l’objectif d’un accès équitable aux décideurs publics fait consensus parmi les personnes interrogées (Ouimet, Montigny et Jacob, 2019[14]) (tableau 1.2).

Inclure un objectif d’accès équitable aux décideurs publics permettrait ainsi de renforcer les objectifs poursuivis par le législateur, et de positionner la Loi comme un texte fondamental du cadre législatif québécois en matière de transparence et de participation à l’élaboration des politiques publiques. Si l’analyse de l’ensemble du cadre légal permettant de faciliter la participation du public n’est pas l’objet du présent rapport, des mesures concrètes permettant d’atteindre cet objectif et qui pourraient être incluses dans la Loi sont proposées tout au long de l’analyse.

Dans son Énoncé de principes, Lobbyisme Québec utilise le terme de « représentant d’intérêts » en lieu et place de « lobbyiste », afin de mieux refléter la nature des activités de tous les individus visés par cette expression (tableau 1.3), sans toutefois formuler de recommandation au législateur québécois sur l’utilisation de cette terminologie.

Le commissaire au lobbyisme souligne en effet que les termes « lobbyisme » et « lobbyiste » trouvent peu de résonnance dans l’esprit d’une grande partie de l’opinion publique, et sont parfois associés spontanément à des activités occultes voir illégales, alimentant l’idée d’une collusion entre intérêts corporatifs et responsables publics. Le contexte d’émergence de la Loi, adoptée suite à un scandale politique dévoilant des liens privilégiés entre une firme de relations publiques et le gouvernement de l’époque, a pu contribuer au sentiment que seules certaines activités devaient être associées au mot « lobbying » et faire l’objet de mesures législatives visant à prévenir certaines dérives. Souvent, le lobbying est abordé dans le débat public pour souligner le manque de transparence du dialogue entre certaines grandes industries et les décideurs publics.

En conséquence, la réalité pratique du lobbying est rarement évoquée. Divers sondages menés pour Lobbyisme Québec en 2018 révélaient qu’une majorité de citoyens considèrent que les activités de lobbying faites auprès d’institutions publiques ne sont pas légitimes, tandis qu’un élu ou fonctionnaire sur quatre remettait en question la légitimité même du lobbying (Lobbyisme Québec, 2019[8]). Au cours de diverses consultations menées par Lobbyisme Québec, certains élus parlementaires et municipaux ont souligné que la terminologie de la Loi participait aussi à son incompréhension et à la méfiance du public.

Cette connotation négative se retrouve également dans d’autres pays de l’OCDE, où le terme reste mal compris voir instrumentalisé pour appeler à l’exclusion de certains intérêts de toute discussion sur les politiques publiques, ce qui peut aller à l’encontre des principes de base de la participation démocratique. Par ailleurs, ces perceptions négatives du lobbying ont fait émerger dans le débat public d’autres termes qui bénéficient d’une perception plus laudative, comme la défense d’intérêts et le plaidoyer (« advocacy » en anglais). 

Au Québec, les entretiens menés par l’OCDE avec les organismes à but non lucratif (OBNL) non assujettis à la Loi ont permis de confirmer que ces organismes ne souhaitaient en aucun cas que leurs activités soient associées au terme « lobbying », et considèrent que ce terme ne couvre que des activités ayant des objectifs lucratifs. L’utilisation de ces démarcations conceptuelles – « entreprises-lobbying » et « OBNL-plaidoyer » traduit toutefois une finalité commune de ces activités, celle de convaincre les décideurs publics et d’influencer les processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques (Darut et Germond, 2021[15]). Certaines parties prenantes interrogées ont par ailleurs convenu que leurs activités d’influence s’assimilaient à des activités de représentation auprès des pouvoirs publics.

Dans ce contexte, le législateur québécois pourrait mener une réflexion sur la terminologie utilisée pour qualifier les activités de lobbying dans le cadre légal. La nécessité de cette réflexion s’inscrit pleinement dans le Principe 2 de la Recommandation de l’OCDE, qui souligne que les juridictions devraient prendre en compte toutes les options réglementaires et politiques de façon à choisir la solution appropriée répondant aux préoccupations fondamentales, et prenant en compte le contexte de chaque juridiction, par exemple le degré de confiance du public et les mesures nécessaires pour assurer le respect des dispositions adoptées (Principe 2 de la Recommandation).

Plusieurs pays de l’OCDE ont fait le choix d’intégrer l’ensemble de ces catégorisations en un seul terme de « représentant d’intérêts » (« interest representative » en anglais). L’Allemagne par exemple, sans abandonner la terminologie de « lobbying » dans l’énoncé de la loi et le nom du registre (« Lobbyregister »), utilise toutefois le terme de « représentation d’intérêts » dans ses définitions des mots « lobbying » et « lobbyiste » (tableau 1.4).

Ces éléments de réflexion devront toutefois être soigneusement considérés par le législateur québécois et pondérés en fonction de leur impact attendu sur les perceptions du lobbying au Québec, et sur la cohérence du cadre légal avec celui des autres juridictions canadiennes si un tel changement de terminologie devait être proposé par le législateur. En effet, les lois en vigueur au niveau fédéral et dans les juridictions canadiennes utilisent toutes la terminologie de « lobbying » et « lobbyiste », permettant de préserver une approche cohérente de la transparence à travers tous les niveaux du gouvernement.

À tout le moins, le Québec pourrait aligner la terminologie de la Loi avec les catégories identifiées dans les lois en vigueur au niveau fédéral et dans les juridictions canadiennes. En effet, celles-ci ne distinguent pas dans leurs définitions les lobbyistes d’entreprises des lobbyistes d’organisation en deux catégories distinctes, mais regroupent l’ensemble des personnes qui exercent des activités de lobbying pour le compte de leur employeur en une seule catégorie – « lobbyiste salarié » – qui inclut aussi bien les organisations commerciales que les organismes à but non lucratif, bien que des obligations différentes s’appliquent selon la nature de ces organisations.

Compte tenu du contexte spécifique québécois, il appartiendra au législateur de juger de la meilleure façon d’appréhender la terminologie juridique qualifiant les activités de lobbying, de façon à changer la perception du public et favoriser la confiance dans le processus d’élaboration des politiques publiques.

La Recommandation de l’OCDE sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying souligne que les juridictions ne devraient pas dupliquer directement les règles et lignes directrices d’un système dans un autre, mais évaluer les potentialités et les limites des diverses options réglementaires et politiques, et appliquer à leur propre contexte les leçons tirées d’autres systèmes. La taille et la nature du secteur du lobbying à chaque échelon de gouvernement sont notamment des facteurs à prendre en compte (Principe 2 de la Recommandation). Par ailleurs, les règles et lignes directrices concernant le lobbying devraient être conformes aux dispositifs plus larges de politiques et de réglementation (Principe 3 de la Recommandation), notamment les cadres réglementaires déjà en place qui contribuent à une culture de transparence et d’intégrité des activités de lobbying, et le champ d’application suffisamment précis pour ne pas prêter à de fausses interprétations et pour éviter les failles réglementaires (Principe 4 de la Recommandation). Dans cette perspective, il convient :

  • De traiter les problèmes de gouvernance que soulèvent les pratiques de lobbying dans toutes les étapes du cycle d'élaboration d’une orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative.

  • D’envisager une plus grande adaptation du champ d’application, pour certaines décisions individualisées sans portée générale ou normative, selon l’échelon local ou la décision publique visée.

  • De tenir compte de dispositifs plus larges de politiques et de réglementation mise en œuvre depuis l’adoption de la Loi en 2002.

  • De s’assurer que tous les secteurs à risque sont couverts par le champ d’application.

  • De définir précisément et de clarifier les décideurs publics visés afin d’éviter toute confusion dans l’application de la Loi.

Au Québec, la Loi vise toute communication qui a pour objet d’influencer la prise de décision des institutions publiques parlementaires, gouvernementales et municipales relativement à :

  • L’élaboration, la présentation, la modification ou le rejet d’une proposition législative ou réglementaire d’une résolution, d’une orientation, d’un programme ou d’un plan d’action.

  • L’attribution d’un permis, d’une licence, d’un certificat ou d’une autre autorisation.

  • L’attribution d’un contrat, autrement que dans le cadre d’un appel d’offres public, d’une subvention ou d’un autre avantage pécuniaire.

  • La nomination de certains administrateurs publics (Article 2 de la Loi).

Dans son Énoncé de Principe, Lobbyisme Québec considère que les activités de lobbying à l’égard des orientations doivent faire l’objet d’un régime global et que leur divulgation est jugée pertinente pour informer le public. L’organisation propose de définir comme activité de lobbying pertinente pour le public et d’exiger la divulgation de toute intervention, directe ou par personne interposée, auprès d’une institution publique ayant pour but :

  • De suggérer ou modifier le développement, la teneur, la formulation ou la mise en œuvre de toute forme d’orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative ; ou

  • D’influencer la nomination de toute personne à une fonction clé au sein de l’État; ou

  • D’influencer le processus décisionnel d’une institution publique concernant tout apport financier, contrat, permis ou autre autorisation déterminés par la loi ou par règlement (Principe 1 de l’Énoncé de Principes).

Concernant le développement, la teneur, la formulation ou la mise en œuvre de toute forme d’orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative, la proposition de Lobbyisme Québec est en ligne avec la Recommandation de l’OCDE, qui souligne que les règles et lignes directrices concernant le lobbying devraient traiter les problèmes de gouvernance que soulèvent les pratiques de lobbying (Principe 2 de la Recommandation), et qu’elles devraient être suffisamment dépourvues d’ambiguïté pour ne pas se prêter à de fausses interprétations et pour éviter les failles réglementaires (Principe 4 de la Recommandation). En effet, l’influence peut se produire lors de l'établissement d’un agenda politique, de l'élaboration et de l'adoption des politiques ; certaines décisions peuvent également être influencées lors de la mise en œuvre ou de l'évaluation des politiques liées (graphique 1.2 et tableau 1.5).

Les règles et lignes directrices pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying n’ont pas vocation à couvrir tous les risques spécifiés ci-dessus. En effet, elles font partie d’un cadre de politiques et de réglementations contribuant à une culture de transparence et d’intégrité dans les processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques. Cela inclut l’implication des acteurs concernés par le biais de la consultation et de la participation du public et par le biais du droit de pétition, la législation sur l’accès à l’information et les dispositions régissant le financement des partis politiques et des campagnes électorales, les codes de conduite à l’attention des agents publics et des lobbyistes, les mécanismes assurant la mise en œuvre de la responsabilité des autorités réglementaires et des autorités de contrôle ainsi que des dispositions efficaces réprimant le trafic d’influence (Principe 3 de la Recommandation).

Toutefois, la proposition de Lobbyisme Québec pourrait être précisée afin de comprendre toute intervention, directe ou par personne interposée, auprès d’une institution publique ayant pour but :

  • De suggérer le développement de toute forme d’orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative, et de faire des propositions concernant sa teneur, sa formulation et sa mise en œuvre (i.e. solliciter l’adoption d’une décision publique).

  • De modifier le développement, la teneur et la formulation de toute forme d’orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative en projet (i.e. influencer une décision publique qui n’a pas encore été adoptée).

  • De modifier la teneur, la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation de toute forme d’orientation législative, réglementaire, stratégique ou administrative en vigueur, ou d’en demander la suppression (i.e. influencer, pour en obtenir la modification ou la suppression, une décision publique en vigueur).

L’inscription d’une activité de lobbying au registre concernant la nomination de toute personne à une fonction clé au sein de l’État correspond à une bonne pratique internationale qu’il est pertinent d’inclure dans la Loi. En effet, les décisions relatives à la nomination de certains responsables publics peuvent être un domaine d'intérêt clé pour les lobbyistes, leur permettant faire avancer leurs intérêts si une personne sensible à leurs positions spécifiques est placée au poste concerné. En France et aux États-Unis, la nomination de certains agents publics est considérée comme un type de décision visée par les activités de lobbying et est donc couverte par les exigences de transparence (encadré 1.3).

La question des apports financiers, contrats, permis ou autres autorisations est abordée dans les deux sections suivantes.

La Loi québécoise sur le lobbying couvre un large spectre de décisions et d’institutions publiques, et reste l’une des plus complètes et englobantes parmi les juridictions de l’OCDE. Au moment de son adoption en 2002, la Loi vise les institutions publiques parlementaires, gouvernementales et municipales. Ainsi, un même cadre légal et institutionnel s’applique aussi bien aux activités de lobbying visant le gouvernement du Québec qu’aux activités s’exerçant au niveau municipal. D’autres cas de figure existent au niveau des pays dans lesquels un même cadre institutionnel vise plusieurs niveaux de gouvernements (graphique 1.3 et encadré 1.4).

Toutefois, dans les juridictions de l’OCDE, le Québec reste l’un des seuls cadres appliqués au niveau provincial qui s’applique aussi au niveau municipal. En effet, dans les pays dotés d'un cadre de transparence national ou fédéral qui ne couvre pas les activités de lobbying visant les gouvernements locaux, les réglementations en matière de transparence ont généralement été adoptées au niveau des États, mais celles-ci ne couvrent pas le niveau municipal dans sa globalité. Dans ces États ou provinces, des réglementations distinctes existent au niveau municipal (encadré 1.5).

Le régime québécois permet d’assurer aux décideurs publics, aux lobbyistes et aux citoyens du Québec, peu importe où ils résident sur le territoire québécois, qu’un même cadre légal s’applique à tous, ce qui renforce sa cohérence, facilite sa compréhension et permet d’éviter une multiplication de cadres divergents à différents échelons locaux. À cet égard, la Loi québécoise s’inscrit comme l’une des plus complètes et des plus cohérentes parmi les pays de l’OCDE, et il est donc souhaitable de maintenir la couverture de la Loi actuelle concernant les municipalités. Toutefois, une application sans nuance de la Loi à tous les échelons de gouvernement et à toutes les décisions publiques sans tenir compte de la réalité des municipalités peut nuire à l’objectif de transparence de la loi et à sa mise en œuvre efficace. Le régime québécois, qui n’a ainsi pas d’équivalent au niveau des juridictions internationales, doit tenir compte des spécificités de l’action publique locale qui augmentent la complexité d’application du dispositif. Ces défis à prendre en compte incluent notamment :

  • La densité et la continuité des relations entre les acteurs locaux et les responsables publics, plus élevée en milieu municipal. De nombreuses associations de citoyens, groupes communautaires, clubs sportifs, groupes de résidents locaux ou de jeunes entrepreneurs, ainsi que des petites et moyennes entreprises, sont actifs au niveau municipal. Ces groupes sont généralement moins structurés que les groupes d'intérêts représentés au niveau provincial et disposent de moyens plus faibles. Surtout, ils recherchent une relation étroite avec les élus locaux et sont en contact régulier avec les élus et les fonctionnaires des municipalités. Des obligations déclaratives s’appliquant à ces acteurs pour un trop grand nombre d’actes administratifs pourraient s’avérer disproportionnées si elles ne sont pas adaptées à différents échelons de gouvernement.

  • L’hétérogénéité de l'environnement local et municipal. L’organisation municipale du Québec se caractérise par un nombre limité de municipalités disposant de ressources humaines et financières importantes d’une part, et d’un large éventail de moyennes et petites municipalités disposant de ressources plus ou moins importantes d’autre part. En outre, il existe des structures supra-municipales telles que les municipalités régionales de comté (MRC). Lorsqu’il s’agit de gérer l’application de la Loi, la réalité des grandes villes peut donc différer considérablement de celle des petites municipalités. En conséquence, des ressources financières et humaines limitées, ainsi que des capacités plus faibles, peuvent affaiblir la gestion et le contrôle publics, et appeler à un régime simplifié en matière d’encadrement des activités de lobbying.

  • Les liens étroits entre certains représentants d’intérêts corporatifs et les élites politiques locales. Ces liens peuvent conduire à des pratiques clientélistes et à une concentration du pouvoir, ce qui nuit à la responsabilisation et à l’équité d’accès aux responsables publics.

La prise en compte de ces spécificités nécessite de trouver des compromis entre l’objectif de transparence de la Loi, les risques dans la gestion publique locale et les exigences de bon fonctionnement de la démocratie locale, par exemple la nécessité de maintenir un dialogue citoyen avec les institutions publiques.

Dans son Diagnostic, Lobbyisme Québec déplore ainsi que le champ des décisions publiques visées par les activités de lobbying ne fasse l’objet d’aucune distinction selon les institutions publiques visées, municipales ou provinciales, le type de contrat ou le montant du financement. Cette absence totale de modulation selon les divers paliers institutionnels conduit à une moindre lisibilité des informations déclarées sur le registre, et fait courir le risque d’une dilution des activités de contrôle et de vérification. Dans son Énoncé de Principes, Lobbyisme Québec propose d’établir, par règlement, des règles spécifiques et adaptées concernant l’assujettissement et la divulgation de certaines activités de lobbying effectuées auprès des différents niveaux d’institutions publiques, concernant notamment toute forme d’apport financier, contrat, permis ou autre forme d’autorisation qu’il est pertinent d’encadrer (Principe 3 de l’Énoncé de Principes).

Lobbyisme Québec considère ainsi que le cadre législatif devrait couvrir l’ensemble des décisions visant des orientations législatives, réglementaires ou stratégiques, et ce quel que soit l’échelon institutionnel. Toutefois, l’Énoncé de Principes considère que les activités de lobbying devraient être divulguées lorsqu’elles visent des décisions concernant l’octroi de contrats, permis, d’autorisations, d’apports financiers de façon adaptée à la nature de ces activités, à leur contexte, et aux institutions visées. En tenant compte de la particularité du régime québécois, qui s’applique autant au gouvernement provincial qu’au niveau municipal, ainsi que des exclusions déjà prévus par la Loi (encadré 1.6), il parait en effet nécessaire d’adapter les catégories de décisions qui seraient jugées pertinentes à différents paliers institutionnels et ainsi prévoir que l’obligation de déclaration ne s’impose qu’à certaines décisions publiques locales.

Plusieurs approches peuvent ainsi être adoptées. En premier lieu, certaines exclusions de l’article 5 de la Loi concernant les décisions individualisées pourraient être précisées. Par exemple, l’obtention de financements dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir, pourraient être exclues du champ d’application de la Loi, et ce quel que soit l’échelon local. En France par exemple, la délivrance d’une autorisation ou le bénéfice d’un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir n’est pas couverte par l’encadrement des activités de lobbying (encadré 1.7). Pourraient ainsi être exclues de l’obligation d’enregistrement les communications d’influence faites en vue de l’obtention d’une subvention octroyée conformément à la politique gouvernementale « L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec » (Gouvernement du Québec, 2001[18]).

En second lieu, la Loi pourrait retenir une approche par le risque et ne prendre en considération que les décisions les plus sensibles à l’aune de la réalité spécifique d’un territoire ou d’un organisme donné. Par exemple, les communications relatives aux décisions individualisées (subvention, permis, licence, certificat ou autre autorisation) pourraient être exclues dans les municipalités de petite taille afin de privilégier les décisions à portée générale (normes, orientations, programmes et plans d’action). Dans une approche moins restrictive, il pourrait être envisagé d’établir des seuils pour les apports financiers, permis ou autres autorisations octroyées par un organisme municipal, comme par exemple les représentations faites dans le cadre d’un processus administratif établi pour l’obtention d’une subvention, d’une aide financière, d’un prêt, d’une garantie de prêt ou d’un cautionnement d’un montant inférieur à un seuil préétabli. De telles seuils sont par exemple appliquées pour certains apports financiers dans les villes de New York ou Austin. Les décisions concernant les marchés publics sont abordées dans la section ci-dessous.

Assurer un système de gestion contractuelle intègre, efficace et efficient repose sur un accès équitable aux opportunités de marchés publics par les concurrents potentiels de toutes tailles mais aussi sur un degré adéquat de transparence dans la gestion contractuelle. Il s’agit d’un principe fondamental de la Recommandation de l’OCDE sur les marchés publics et de la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique (OCDE, 2017[20] ; OCDE, 2015[21]). En effet, la divulgation des informations à toutes les étapes du cycle de gestion contractuelle contribue à identifier et atténuer ensuite la mauvaise gestion, la fraude et la corruption, mais aussi à augmenter la responsabilisation des donneurs d’ordre. La transparence assure également le traitement juste et équitable des fournisseurs potentiels, tout en permettant que des informations importantes et pertinentes soient accessibles facilement à toutes les parties prenantes.

Le gouvernement du Québec a accompli des progrès significatifs ces dernières années dans le but de mettre en place un cadre institutionnel d’intégrité dans les processus de marchés publics applicable aux organismes publics et municipaux et diminuer l’influence indue exercée par les entreprises dans la conduite des marchés publics (OCDE, 2020[22]). Deux cadres institutionnels distincts s’appliquent dans le secteur public québécois : d’une part, celui régissant les contrats des ministères et des organismes relevant du gouvernement (les organismes publics) et, d’autre part, celui régissant les contrats des organismes municipaux (tableau 1.6).

Tout comme dans les systèmes de gestion contractuelle des pays de l’OCDE et ailleurs, il existe trois types de procédures au Québec: « l’appel d’offre public » - AOP qui est la procédure générale à utiliser, « l’appel d’offre sur invitation » - AOI et le gré à gré. Différents seuils d’AOP peuvent être appliqués car les organismes publics et municipaux sont soumis à différents accords de libéralisation des marchés publics. Les seuils varient donc selon le statut des différents organismes et selon qu’il s’agisse de contrats d’approvisionnement, services, technologies de l’information, ou travaux de construction. Dans certaines situations, un contrat de gré à gré peut être conclu lorsque le montant du contrat est supérieur aux seuils d’appel d’offres public. Il s’agit par exemple des situations d’urgence, des situations où un seul contractant n’est possible, lorsque le contrat implique une question de nature confidentielle ou protégée, et lorsque l’appel d’offres ne servirait pas l’intérêt public.

En dessous des seuils d’AOP, afin d’assurer la saine gestion des contrats, le cadre réglementaire du Québec impose aux organismes publics un certain nombre de mécanismes, notamment la possibilité de:

  • Procéder par AOP ou AOI.

  • Effectuer une rotation parmi les concurrents.

  • Mettre en place des dispositions de contrôle relatives au montant de tout contrat et de toute dépense supplémentaire qui s’y rattache.

  • Se doter d’un mécanisme de suivi permettant d’assurer l’efficacité et l’efficience des procédures utilisées.

  • Instaurer, sous réserve de tout accord intergouvernemental applicable, des mesures favorisant l’acquisition de biens, de services ou de travaux de construction auprès de concurrents ou de contractants de la région concernée.

Par conséquent, chaque entité publique dispose d’un règlement intérieur indiquant les procédures à suivre dans le respect de ses principes. Les municipalités sont également tenues d’adopter un règlement de gestion contractuelle, de le rendre accessible sur internet et de le transmettre au ministère. Elles peuvent prévoir les règles qu’elles souhaitent pour la passation de tout contrat qui comporte une dépense de moins de 100 000 USD, selon les dispositions du règlement qu’ils auront adopté.

La mise en place de l’Autorité des marchés publics (AMP), avec ses pouvoirs de vérification et de surveillance, vient renforcer davantage le cadre d’intégrité dans les contrats publics. Son mandat de surveillance, ainsi que ses pouvoirs d’ordonnance pour les organismes publics, et de recommandation pour les organismes municipaux, jouent un rôle de premier plan dans le renforcement de l’intégrité dans la conduite de l’ensemble des marchés publics au Québec.

Pour accroître la transparence, le Québec dispose du système électronique d’appels d’offres (SEAO). En termes de fonctionnalités, le SEAO est utilisé principalement comme une plateforme de publication des avis et documents relatifs aux marchés publics. En effet, la publication des documents d’AOP au SEAO est obligatoire pour tous les organismes publics. Les résultats des AOP doivent également être obligatoirement publiés au SEAO lorsque cette procédure est utilisée. Cette mesure permet de lutter plus efficacement contre la collusion et la malversation dans les contrats publics en évitant les contacts directs entre les soumissionnaires potentiels et les fonctionnaires responsables des marchés publics. Depuis l’avènement de cette exigence, les organismes publics et municipaux ne communiquent plus directement avec les soumissionnaires avant la détermination du gagnant de l’appel d’offre. Cette pratique a pour objectif de ne pas avantager une entreprise par rapport à ses concurrents en lui communiquant de l’information de manière privilégiée.

Le gouvernement du Québec a notamment mis en place des communications ciblées afin de sensibiliser les soumissionnaires à ses normes en matière d’éthique et de lobbying. Le gouvernement du Québec exige des donneurs d’ouvrages publics (DOP) qu’ils incluent dans leurs documents d’appel d’offre un questionnaire afin de connaître les raisons ayant mené une entreprise à ne pas présenter de soumission, bien qu’elle ait obtenu les documents d’appel d’offres. De plus, les documents d’appel d’offre rappellent les règles à suivre selon la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme et le Code de déontologie des lobbyistes. Chaque soumissionnaire doit joindre à sa soumission une déclaration dans laquelle il affirme que les communications, si elles ont eu lieu, l’ont été conformément à la Loi et au Code. L’OCDE avait toutefois émis un certain nombre de recommandations afin de renforcer la transparence dans la conduite des marchés publics, notamment de publier les rencontres avec les fournisseurs (OCDE, 2020[22]).

Afin d’éviter de dédoubler ou de superposer la divulgation d’informations, Lobbyisme Québec propose de tenir compte de ces processus de transparence et d’éthique déjà en place et adoptés depuis l’entrée en vigueur de la Loi, notamment sur l’octroi de contrats publics (Principe 1 de l’Énoncé de Principes). Le Commissaire est notamment d’avis que le régime d’encadrement des activités de lobbying ne doit pas viser à pallier les lacunes des autres régimes de transparence et de divulgation mis en place par l’État et pour lesquels la pertinence de l’information a déjà été considérée, et ce d’autant plus que des exclusions sont déjà prévus par la Loi (encadré 1.6).

Actuellement, la Loi couvre l’attribution d’un contrat autrement que dans le cadre d’un appel d’offres public. Les communications d’influence effectuées en amont pour définir les besoins et les spécifications techniques sont donc visées, alors que les communications qui se déroulent une fois l’AOP lancé sont exclues.

À la lumière des éléments ci-dessus, il parait justifié de mieux délimiter par la loi ou par règlement les processus décisionnels d’une institution publique concernant tout contrat visé par un encadrement du lobbying. Il pourrait s’agir par exemple d’exclure du champ d’application de la Loi l’attribution certains (en-dessous d’un certain seuil de valeur) contrats de gré à gré conclus au niveau municipal dans la mesure où chaque entité publique dispose d’un règlement intérieur ou d’un règlement de gestion contractuelle encadrant l’octroi de ce type de contrats.

Il parait toutefois fondamental de couvrir l’étape de la définition des besoins et de la programmation des marchés publics, qui est particulièrement vulnérable à l’influence indue et à la corruption dans les grands projets d’infrastructure, en raison notamment du degré de pouvoir discrétionnaire des pouvoirs publics à l’égard des décisions d’investissement, de l’importance des montants en jeu, de la complexité technique des projets et de la multiplicité des étapes du cycle d’investissement (OCDE, 2017[23]). L’influence d’intérêts politiques et particulièrement aux stades de la définition des besoins d’investissements et de la programmation des projets peuvent conduire au gaspillage et à la création d’« éléphants blancs » (c’est-à-dire des infrastructures qui ne répondent pas aux besoins et dont les coûts ne sont pas justifiés par leur utilité). En France par exemple, l’étape de la définition des besoins est couverte par le régime d’encadrement du lobbying, et certaines communications sont ensuite exclues lorsque la mise en concurrence a été effectuée, comme actuellement au Québec (encadré 1.8). Cet élément serait par ailleurs couvert par le Principe 1 de l’Énoncé de Principes et la recommandation précédente proposant de couvrir influence sur une orientation stratégique ou administrative.

L'entrée en vigueur du projet de loi 10 sur la réorganisation du réseau de la santé a élargi le champ d’application aux établissements de santé (tableau 1.1). Avant le 1er avril 2015, seuls le ministère de la Santé et les agences de santé étaient visés par la Loi. Les établissements suivants sont concernés :

  • Les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).

  • Les établissements non fusionnés : Centre hospitalier de l’Université de Montréal; Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine; Centre universitaire de santé McGill; Institut de cardiologie de Montréal; Institut Philippe-Pinel de Montréal; CHU de Québec – Université Laval; Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval.

  • Les établissements qui exploitent notamment les missions suivantes : centre local de services communautaires (CLSC), centre hospitalier (CH), centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), centre de protection de l’enfance et de la jeunesse ou centre de réadaptation.

Les titulaires de charge publiques du réseau de la santé interrogés pour le compte de ce rapport ont confirmé la pertinence d’inclure ce secteur dans le champ d’application, compte tenu des risques qui pèsent notamment sur l’acquisition de produits ou de services dans le milieu hospitalier. Des préoccupations similaires existent au niveau du secteur de l’éducation, regroupant les commissions scolaires (dont la majorité sont aujourd’hui converties en centres de services scolaires), les collèges et les universités, qui n’est pas couvert par le cadre législatif (à l’exception du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur) alors qu’il représente la deuxième mission de l’État québécois en termes financiers. Les élus et les citoyens consultés en 2018 dans le cadre de l’établissement du Diagnostic et de l’Énoncé de principes de Lobbyisme Québec se sont dits majoritairement favorables à l’assujettissement de ce secteur public.

Parmi les juridictions canadiennes, le régime d’encadrement de l’Île-du-Prince-Édouard couvre les activités de lobbying effectuées auprès des services de l’éducation, tandis que le régime d’encadrement du Nouveau-Brunswick couvre les activités de lobbying effectuées auprès du conseil d’éducation de district et du conseil d’administration d’une régie régionale de la santé. Ainsi, dans un souci de cohérence, le législateur québécois pourrait maintenir l’assujettissement des établissements et du réseau de la santé et des services sociaux et considérer l’assujettissement des établissements d’enseignement supérieur et les commissions scolaires ou centres de services scolaires.

Pour assurer une application efficace de la Loi, il est primordial de permettre à tous ceux qui exercent des activités de lobbying de reconnaître facilement les personnes qui sont considérées comme titulaires de charges publiques au sens de la Loi. Au Québec, l’expression « titulaire d’une charge publique » fait référence à tout élu ou toute personne nommée pour exercer des fonctions au sein de l’administration publique ainsi que les membres de leur personnel :

  • Au niveau parlementaire : les 125 députés et leur personnel.

  • Au niveau gouvernemental : les ministres, les sous-ministres, le personnel de cabinet et les employés du gouvernement et des organisations gouvernementales (environ 350 ministères et organismes du gouvernement québécois).

  • Au niveau municipal : les maires, les préfets, les conseillers municipaux ou d’arrondissements, les présidents et autres membres d’une communauté métropolitaine, le personnel de cabinet ainsi que les employés des municipalités et des organismes municipaux (environ 1 500 municipalités et organismes municipaux et supra-municipaux).

Lobbyisme Québec a souligné à plusieurs reprises que depuis son adoption, la Loi a été la source de plusieurs interprétations erronées et de questionnements de la part de lobbyistes ou de titulaires de charges publiques. En contrepartie d’une plus grande précision dans le champ des décisions publiques visées, Lobbyisme Québec recommande de faciliter la compréhension des dispositions concernant les titulaires de charges publiques, et de viser toutes les institutions publiques et tous les élus, dirigeants et membres du personnel de ces institutions auprès desquels des activités de lobbying peuvent être accomplies, incluant l’appareil législatif, exécutif et administratif, aux niveaux provincial et municipal (Principe 4 de l’Énoncé de Principes). Ce principe implique que toutes les institutions publiques provinciales, municipales, scolaires et du réseau de la santé soient visées par le régime d’encadrement, sans exception, ainsi que tous les élus, dirigeants et membres du personnel de ces institutions. Les restrictions du champ d’application de la Loi ne viseraient ainsi non pas les institutions ou agents publics actuellement visés, mais certaines activités de lobbying.

Cette disposition est envisageable et pourrait faciliter l’application et la compréhension de la Loi dans la mesure où les précédentes recommandations entrent en vigueur, afin d’éviter un champ trop large dans l’application de la Loi et une pertinence moindre dans les informations déclarées. Cette approche a aussi été adoptée dans plusieurs pays de l’OCDE. En Australie par exemple, tous les fonctionnaires d’un organisme soumis aux exigences de transparence sont concernés par le régime d’encadrement du lobbying (Graphique 1.4).

Il parait toutefois essentiel de mettre en œuvre un régime de divulgation adapté selon la catégorie de responsable public approché, afin de ne pas alourdir les informations demandées au registre. Dans ce cas, un champ de « titulaires d’une charge publique désignés » ou « responsables publics désignés », auxquels s’appliqueraient des obligations de divulgation spécifiques et dont le nom devrait être indiqué au registre, pourrait être précisé soit dans la Loi ou dans un règlement. Cette question est abordée plus en détail dans le Chapitre 2.

Pour favoriser la transparence et permettre le droit de regard du public, l’OCDE encourage les pays à définir clairement les termes ‘lobbying’ et ‘lobbyiste’ lorsqu’ils envisagent d'élaborer des règles et des lignes directrices sur le lobbying. La définition des termes devrait être solide, exhaustive et suffisamment dépourvue d'ambiguïté pour ne pas prêter à de fausses interprétations et pour prévenir les failles réglementaires (Principe 4 de la Recommandation), tout en prenant en compte le fardeau administratif de faire respecter les règles, afin que ceci ne devienne pas un obstacle à l’accès équitable à l’administration (Principe 2 de la Recommandation). Dans cette perspective, il convient de :

  • Envisager la définition de « lobbyiste » dans une optique inclusive afin d’assurer des règles du jeu équitables à tous les groupes d’intérêts, opérant ou non dans un but lucratif, qui cherchent à influencer les décisions publiques.

  • Prévoir certaines adaptations afin d’instaurer un juste équilibre entre la diversité des entités pratiquant le lobbying, leurs capacités et leurs ressources, d’une part et les mesures prises pour accroître la transparence d’autre part.

  • Préciser clairement le type de communications avec les agents publics qui n’est pas considéré comme une activité de lobbying au sens des règles et des lignes directrices.

  • Préciser les seuils à partir duquel les communications d’influence sont couvertes par le régime de divulgation.

  • Couvrir les activités de lobbying dans ses formes indirectes, en veillant à ce que la définition soit adaptée à l’évolution des pratiques et suffisamment dépourvue d’ambiguïté pour ne pas se prêter à de fausses interprétations et pour éviter les failles réglementaires.

  • Encadrer la participation des lobbyistes à certains travaux de groupes consultatifs.

Un niveau adéquat de transparence sur les activités de lobbying requiert une transparence sur les personnes qui influencent les politiques du gouvernement ou qui exercent des communications d’influence. Cela implique l’identification claire des acteurs considérés comme lobbyistes dans le processus de prise de décision. Les organismes à but non lucratif (OBNL) et associations d’OBNL sont assujettis à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. En revanche, le Règlement relatif au champ d’application de la Loi vient restreindre l’application de la Loi aux seuls OBNL constitués à des fins patronales, syndicales ou professionnelles ou majoritairement formés d’entreprises à but lucratif ou de représentants de telles entreprises (tableau 1.7).

Ainsi, le législateur québécois a fait le choix il y a 20 ans de faire peser l’obligation de transparence sur certains types d’acteurs dont les activités supposent la recherche d’un bénéfice pécuniaire et corporatif, plutôt que de délimiter un périmètre d’acteurs assujettis selon la nature de leurs communications d’influence et leur effet sur la prise de décision publique. Les groupes d’intérêts dont les activités ont pour objectif la promotion de valeurs ou de causes et non la poursuite de finalités financières ou professionnelles, ne sont pas concernés par l’inscription au registre. Dans le cadre actuel, tous les acteurs effectuant des communications d’influence ne sont donc pas soumis aux exigences de transparence dans leurs activités de lobbying. Des démarches qui viseraient, par exemple, à influencer le contenu d’un projet de loi devraient être inscrites au registre si elles sont initiées par une entreprise, tandis que les communications d’influence de même nature faites auprès des mêmes décideurs publics ne font actuellement l’objet d’aucune mesure de transparence si elles sont effectuées par un organisme à but non lucratif.

Pourtant, la Recommandation de l’OCDE, même si elle indique que les règles et lignes directrices devraient cibler principalement les personnes qui perçoivent une rémunération pour l’exercice d’activités de lobbying, comme les lobbyistes appartenant à des cabinets de consultants et les lobbyistes exerçant en interne au sein des entreprises, souligne explicitement que la définition des activités de lobbying devrait également être envisagée dans une optique plus large et plus inclusive afin d’assurer des règles du jeu équitables aux groupes d’intérêts, opérant ou non dans un but lucratif, qui cherchent à influencer les décisions publiques (OCDE, 2010[6]). En effet, l’influence sur les processus publics de prise de décision peut être exercée par un large éventail d'acteurs et de groupes d'intérêts (encadré 1.9). Par ailleurs, certains organismes à but non lucratif sont de plus en plus de dotés de moyens financiers et d’une équipe dédiés pour mener des activités de lobbying.

Les organismes à but non lucratif se mobilisent également pour modifier le droit en vigueur afin de transcrire en droit les principes défendus. Leurs activités ne se limitent pas à intervenir dans des forums publics, tels des commissions parlementaires ou des consultations publiques, mais peuvent exercer des activités de lobbying comparables à celles des autres acteurs lorsqu’elles cherchent à souligner le trait saillant d’une question de politique publique, notamment par le biais de la recherche, de la sensibilisation et de la proposition d’amendements auprès du législateur (Darut et Germond, 2021[15]). Les OBNL interrogés par l’OCDE ont également confirmé effectuer des communications d’influence, comme par exemple des communications écrites ou des rencontres ayant pour objectif de faire modifier des lois ou des politiques, ou la production de textes d’opinion, de recherches ou de publications transmis aux titulaires de charge publique pour défendre une position donnée. La transparence sur ces activités est donc aussi d’intérêt public. Par exemple, une analyse de l’origine des amendements proposés sur un texte de loi en France a montré que les organisations non-gouvernementales ont été particulièrement actives pour influer sur les processus législatifs (encadré 1.10).

Cette absence d’assujettissement des OBNL peut donc être considéré comme un obstacle à l’atteinte des objectifs de la Loi en matière de transparence et de sain exercice de ces activités. Le régime d’encadrement de ce genre d’activités d’influence ne devrait donc pas dépendre du type d’organisation représentée, ni de son mode de financement ou de son champ d’intervention. Ces critères sont en effet peu lisibles pour atteindre l’objectif de la Loi de rendre transparentes les activités d’influence exercées auprès des titulaires de charges publiques.

Dans son Énoncé de principes, Lobbyisme Québec recommande d’encadrer toutes les personnes qui exercent des activités de lobbying pour le compte d’un individu, d’une entreprise, d’une organisation ou d’un regroupement, peu importe le statut corporatif, la nature ou l’orientation des activités de ces entités (Principe 4 de l’Énoncé de principes), tout en prévoyant certaines exceptions pour les organisations offrant des services directs à la population (Principe 7 de l’Énoncé de principes). Cela alignerait le Québec avec la plupart des juridictions de l’OCDE ayant instauré des mécanismes de transparence encadrant les pratiques de lobbying (tableau 1.8). En France par exemple, tous ces groupes, à l’exception des organisations religieuses, sont tenus de s’inscrire au répertoire des représentants d’intérêts dès lors qu’ils atteignent le seuil déclaratoire. Les organisations à but non lucratif sont également couvertes dans toutes les provinces canadiennes et au niveau fédéral.

Dans d’autres pays comme l’Australie et l’Angleterre, ces organisations ne sont pas automatiquement exclues du champ d’application de la loi. Leur assujettissement dépend de la nature de leurs activités et non de leur statut ou de leurs objectifs. Par exemple, au Royaume-Uni, si l'une de ces organisations communique avec des ministres ou des secrétaires permanents pour le compte de clients payants, cette activité doit être déclarée. En revanche, si elles communiquent pour leur propre compte, l'activité n'a pas besoin d'être déclarée.

Dans ces pays, ainsi que dans les juridictions canadiennes, l’assujettissement général des organismes à but non lucratif aux règles et directives encadrant les activités de lobbying n’a pas fait l’objet de contestations aussi vives qu’au Québec. Ces règles prévoient par ailleurs des exclusions et des exemptions applicables aux OBNL. En Irlande par exemple, l’examen régulier de la mise en œuvre de la Loi sur lobbying de 2015 a permis de mettre en évidence une acceptation globale du régime d’encadrement, y compris par les organismes à but non lucratif qui avaient pu exprimer des craintes au moment de l’introduction de la loi (encadré 1.11). Les mesures spécifiques d’exemptions et d’exclusions sont abordées dans la section suivante.

La Recommandation de l’OCDE souligne que les juridictions devraient prendre en compte la taille et la nature de leur secteur du lobbying. Lorsque l’offre et la demande du lobbying professionnel est limité, la Recommandation encourage les juridictions à mener une réflexion sur les effets d’une réglementation impérative pour accroître la transparence, la responsabilité et l’intégrité dans la vie publique, et de prendre en compte le fardeau administratif de faire respecter les règles, afin que ceci ne devienne pas un obstacle à l’accès équitable à l’administration (Principe 2 de la Recommandation).

Au Québec, beaucoup de petits OBNL sont par exemple composés uniquement ou essentiellement de bénévoles. Une réflexion approfondie sur l’assujettissement des organismes à but non lucratif avait déjà été menée par le législateur québécois et Lobbyisme Québec à l’occasion du projet de loi n°56, « Loi sur la transparence en matière de lobbyisme », qui prévoyait d’assujettir tous les organismes à but non lucratif (encadré 1.12).

À la demande de l’Assemblée nationale, le commissaire au lobbyisme avait procédé, en juin 2016, à une étude sur l’assujettissement de tous les OBNL aux règles d’encadrement du lobbying. Cette étude, basée sur la consultation de représentants de 58 OBNL de divers secteurs d’intervention et la lecture de 64 mémoires qui avaient été soumis à Lobbyisme Québec, avait pour objectif d’identifier les difficultés soulevées et de proposer des pistes de solution à envisager pour mieux mettre en œuvre l’objectif de transparence de la Loi et le droit à l’information des citoyens, tout en prenant en compte les spécificités de la nomenclature des organismes d’action collective au Québec (tableau 1.9).

Il existe par exemple environ 8 000 organismes œuvrant dans le champ de l’action communautaire au Québec, dont 4 600 sont soutenus par le gouvernement du Québec. Ces organismes sont issus d’initiatives citoyennes et œuvrent à la mise en œuvre de services ou d’activités de proximité fondées sur des valeurs de solidarité et de démocratie. Lors de leur création, ils sont généralement composés de bénévoles et ont recours à des ressources philanthropiques ou au soutien de municipalités ou du gouvernement du Québec. Il existe également près de 350 regroupements d’organismes soutenus par le gouvernement du Québec, qui permettent de faciliter le travail des organismes communautaires et qui assurent souvent leur représentation, mènent des actions d’influence, et facilitent la mobilisation. La politique gouvernementale de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, adoptée par le gouvernement du Québec en 2001 et intitulée « L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec », ainsi que le Cadre de référence en matière d’action communautaire, balisent déjà en partie les relations entre les organismes communautaires et l’État (Gouvernement du Québec, 2001[18]). Selon cette politique, « ces organisations apportent une réponse à des besoins exprimés par des citoyennes ou des citoyens qui vivent une situation problématique semblable ou qui partagent un objectif de mieux-être commun ». À ce titre, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), responsable de l’action communautaire, travaille avec trois regroupements qui ont été désignés : le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA); le Réseau de l’action bénévole du Québec (RABQ) et le Réseau québécois de développement social (RQDS). Deux autres organismes ont aussi ce statut d’interlocuteur privilégié au titre de la Loi sur l’économie sociale : le Chantier de l’économie sociale et le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité.

Certains titulaires de charges publiques interrogés pour les fins de ce rapport ont par ailleurs confirmé que ces organismes peuvent être considérés comme des partenaires centraux de l’État dans certains domaines, comme la défense des droits, la santé et les services sociaux, ce qui les place dans une position atypique par rapport au champ de la représentation d’intérêts. Ces organismes ont exprimé à plusieurs reprises leurs craintes liées à un assujettissement éventuel sans prévoir d’exceptions ou d’exemptions (encadré 1.13). Plusieurs organismes de bienfaisance ont également émis des craintes sur une éventuelle remise en question de leur statut en cas d’assujettissement à la Loi. L’étude menée par Lobbyisme Québec en 2016 avait pu toutefois déterminer que l’assujettissement ne posait pas de problème de cohérence par rapport à la politique d’action communautaire ou au statut particulier des organismes de bienfaisance.

Dans la continuité de ces réflexions, Lobbyisme Québec a proposé dans son Énoncé de principes de prévoir plusieurs exclusions afin que la Loi assure un espace de dialogue avec les institutions publiques

Premièrement, Lobbyisme Québec propose d’exclure les représentations d’intérêts effectuées sans intermédiaire effectuées par les organismes communautaires qui offrent directement des services de support au public (Principe 7 de l’Énoncé de Principes). Seraient ainsi exclus les organismes communautaires agissant en matière de santé, de lutte contre la pauvreté, d’hébergement, d’aide alimentaire, d’autonomie et de bien-être, de famille, de sport, de loisir et de culture. Cette solution, déjà privilégiée par Lobbyisme Québec en 2016, parait raisonnable au regard de l’objectif recherché. Aussi, une exclusion pourrait être incluse dans le même esprit que celles existant en Allemagne, en Belgique, en Irlande, au Royaume-Uni, et au niveau de l’Union européenne, qui concernent les activités des syndicats et des partenaires sociaux en tant que participants au dialogue social.

Toutefois, l’assujettissement pourrait concerner les regroupements d’organismes, dans la mesure où une partie de leur mission consiste à effectuer des activités de représentation au nom de leurs membres. L’inscription d’un regroupement ou d’une coalition vaudrait pour tous les membres du regroupement. Afin d’alléger le fardeau administratif, cet assujettissement devrait aller de pair avec un assouplissement des modalités d’inscription au registre des lobbyistes. Une seule inscription au registre des lobbyistes par organisme assujetti devrait être requise, dans laquelle seuls le nom des personnes salariées ou qui ont été désignées pour participer aux instances dirigeantes (bureau, conseil d’administration) serait indiqué, et non celui de bénévoles, même si ceux-ci ont été mandatés pour mener des actions de représentation d’intérêts pour le compte de l’organisme. Les activités des membres bénévoles devraient toutefois faire l’objet d’un suivi et d’une divulgation au registre, sans que les obligations d’enregistrement et de divulgation ne pèsent sur ces bénévoles.

De la même manière, il pourrait être précisé dans la Loi que les activités de représentation d’intérêts effectuées pour le bénéfice d’une coalition qui ne compte parmi ses membres que des organismes à but non lucratif sont couvertes par la Loi. Les lois provinciales en Alberta, en Colombie-Britannique au Manitoba, en Nouvelle-Écosse, en Ontario et à Terre-Neuve-et-Labrador incluent les coalitions dans la définition d’une organisation.

En second lieu, Lobbyisme Québec propose de définir un espace de discussion clair lorsque c’est le citoyen lui-même, sans intermédiaire, qui s’adresse aux institutions publiques et, dans le cas des citoyens corporatifs, qu’il se retrouve dans un processus qui prévoit déjà des mécanismes d’intervention ou qui exige son intervention auprès des institutions (par exemple pour exercer un droit ou contester une obligation imposée par la législation). Seraient ainsi exclues :

  • Les activités de représentation d’intérêts effectuées par une entité, dans son rôle de citoyen ou de contribuable de l’État, pour faire valoir ses droits ou intérêts propres lorsque son intervention est spécifiquement prévue ou requise par une loi et accomplie conformément aux processus déterminés.

  • Les activités de représentation d’intérêts effectuées par un individu, ou un groupe d’individus, pour faire valoir ses droits ou intérêts propres à titre de citoyen ou de contribuable de l’État.

Avec une telle exclusion, les communications effectuées par des individus, des entreprises ou des organisations afin d’obtenir un permis ou une autorisation dans un contexte normé précis seraient ainsi exclues, puisque la loi ou le règlement exige que l’organisation obtienne ce permis ou cette autorisation auprès de l’État ou des institutions publiques.

Il apparait toutefois nécessaire d’apporter des précisions à cette recommandation, afin que l’assujettissement de ces types d’organisations dans tous les autres cas de figure ne soit pas disproportionné au regard de l’objectif poursuivi. En effet, plusieurs parties prenantes ont réitéré lors des consultations menées par l’OCDE leurs inquiétudes concernant le fardeau administratif que représenterait une inscription au registre des lobbyistes pour des cas particuliers faisant intervenir par exemple une activité de représentation d’intérêts unique conduite par des associations de quartier n’employant aucun individu. Pour ces cas de figure, il parait nécessaire d’envisager des exemptions afin de préserver l’objectif de pertinence de l’information et d’éviter de faire peser une obligation d’inscription sur de petites structures citoyennes n’effectuant que très peu d’activités de lobbying au sens de la Loi. Certains seuils pourraient être introduits, et appréciés au niveau de l’entité effectuant des activités, comme par exemple le temps passé à préparer, organiser, réaliser et effectuer le suivi d’une action de représentation d’intérêts. Ce critère pourrait s’apprécier sur une période de six mois ou un an. En Colombie-Britannique par exemple, des seuils ont été introduits lorsqu’un ou plusieurs individus d’une organisation, seuls ou collectivement, ont passé au moins 50 heures à faire du lobbying ou à se préparer à en faire au cours des 12 mois précédents. Un mécanisme similaire pourrait être envisagé pour les activités de représentation d’intérêts effectuées par un groupe d’individus, lorsque la nature de ces représentations entre dans le champ d’application de la Loi. Il permettrait à la fois d’éviter une dilution de la pertinence – lorsque ces représentations sont uniques ou ponctuelles – tout en n’excluant pas totalement ces activités, qui, de l’avis de plusieurs parties prenantes interrogées par l’OCDE, peuvent avoir une influence considérable sur certaines décisions, notamment au niveau municipal.

Enfin, les activités de représentation d’intérêts exercées par une personne physique seule pour elle-même et à titre non-professionnel ne devraient pas être considérées comme une activité de lobbying. Par exemple, un particulier qui écrit à un député pour demander la modification d’une loi ne serait pas un lobbyiste au sens de la Loi. Ce type d’exclusion est notamment prévu en Autriche (« activités d'une personne avec lesquelles elle poursuit ses propres intérêts non entrepreneuriaux »), en Allemagne (« les activités des personnes physiques qui formulent des intérêts exclusivement personnels avec leur soumission »), en Lituanie (« opinion exprimée par une personne physique à l'égard d'une législation » et en France (« activités de personnes physiques qui exercent des activités de représentation d’intérêts pour elles-mêmes et à titre non professionnel.

Au Québec, la Loi précise dans son article 2 qu’une activité de lobbying inclue toute communication orale ou écrite. Le fait, pour un lobbyiste, de convenir pour un tiers d’une entrevue avec le titulaire d’une charge publique est aussi assimilé à une activité de lobbying. La Recommandation de l’OCDE précise dans son Principe 4 que les définitions devraient préciser clairement les types de communications qui ne sont pas considérés comme des activités de lobbying, comme les communications déjà rendues publiques, notamment les présentations officielles devant les commissions parlementaires, les auditions publiques et les mécanismes de consultation établis (Principe 4 de la Recommandation).

En plus des exclusions déjà précisées dans la Section 1, la Loi ne s’applique pas aux activités suivantes :

  • Les représentations faites dans le cadre de procédures judiciaires ou juridictionnelles ou préalablement à de telles procédures.

  • Les représentations faites dans le cadre d’une commission parlementaire de l’Assemblée nationale ou dans le cadre d’une séance publique d’une municipalité ou d’un organisme municipal.

  • Les représentations faites dans le cadre de procédures publiques ou connues du public à une personne ou à un organisme dont les pouvoirs ou la compétence sont conférés par une loi, un décret ou un arrêté ministériel.

  • Les représentations dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la sécurité d’un lobbyiste ou de son client, d’un titulaire d’une charge publique ou de toute autre personne.

  • Les représentations faites en réponse à une demande écrite d’un titulaire d’une charge publique, y compris les représentations faites dans le cadre d’appels d’offres publics émis sous l’autorité d’un tel titulaire.

Cette dernière exception peut rendre difficile, en cas d’infraction potentielle, le traçage visant à définir qui était à l’initiative d’une communication, en particulier lorsque les communications entre un titulaire de charges publiques et un lobbyiste sont régulières et bien établies. Cela crée également des inégalités entre les représentants d’intérêts : ceux ayant construit des relations proches et régulières avec des décideurs sont plus facilement identifiés par les responsables publics et sont plus souvent sollicités ; en conséquence, ils peuvent se voir soumis à des obligations de divulgation moindres par rapport aux groupes d’intérêts n’entretenant que des contacts limités et qui sont presque toujours initiateurs de ces échanges.

La Loi pourrait ainsi préciser que l’obligation de déclaration s’impose lorsque la communication est à l’initiative du responsable public et qu’elle ne concerne pas des informations purement factuelles. L’exception ne concernerait que les communications faites en réponse à une demande d'un agent public concernant des informations factuelles, comme c’est le cas dans douze juridictions de l’OCDE (Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, France, Irlande, Pérou, Royaume-Uni, États-Unis, Union européenne). Lobbyisme Québec avait déjà suggéré une exception similaire en 2017, en recommandant que soient exclues de l’application de la Loi les représentations faites dans le seul but de répondre aux questions d’ordre technique d’un titulaire d’une charge publique pour autant que cette réponse ne cherche pas autrement à influencer une telle décision ou qu’elle ne puisse être considérée comme cherchant à influencer une telle décision. Au Royaume-Uni, une communication émanant d'un ministre ou d'un secrétaire permanent n'a pas besoin d'être enregistrée. Toutefois, si un ministre ou un secrétaire permanent prend l'initiative d'une communication avec une organisation et que, dans la suite de l'échange, les critères caractérisant une activité de lobbying sont remplis, l'organisation est tenue de s'inscrire au registre et d'enregistrer son activité.

De même, toutes les représentations portant sur l’exécution, l’interprétation ou l’application d’une loi ou d’un règlement à l’égard d’une organisation pourrait également être exclues. Une telle disposition existe notamment en France (encadré 1.14).

Enfin, il apparait nécessaire de maintenir les autres exceptions prévues, en particulier les communications d’influence où tous les éléments du processus consultatif sont déjà rendus publics (par exemple, les auditions au sein de commissions parlementaires).

Le lobbying est un concept lui-même en constante mutation et l’avènement des réseaux sociaux a davantage accru sa complexité. Les lois et les règlements sur le lobbying encadrent donc un environnement qui est appelé à évoluer. De plus en plus, les groupes d’intérêts utilisent les médias traditionnels et sociaux pour orienter les débats politiques, façonner les perceptions du public et celles des responsables publics, ou persuader la société civile d’exercer une pression sur les décideurs et d’influencer indirectement le processus de décision publique. En particulier, les entreprises font de plus en plus appel à ce genre d’activités pour s’adresser à la société civile en raison des attentes accrues qui pèsent sur leur responsabilité sociale et environnementale.

La prise en compte de ces activités de lobbying indirect semble devenue un incontournable. Elle est également vue par certaines parties prenantes, comme les investisseurs institutionnels, comme une information pertinente devant faire l’objet de divulgations. En effet, la dernière décennie a vu l’émergence au Québec, comme dans l’ensemble des juridictions de l’OCDE, d’un nouvel activisme actionnarial évaluant la contribution des entreprises à certaines questions sociétales. Cet « activisme actionnarial » se manifeste également par la demande d’une plus grande transparence sur les activités politiques des entreprises (Tchotourian, 2019[30]). Les investisseurs et les principaux gestionnaires d'actifs considèrent de plus en plus le manque de transparence sur le lobbying et les engagements politiques des entreprises, et ses incohérences avec leur positionnement sur les questions environnementales et sociétales, comme un risque d'investissement et pour la performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) (Principles for Responsible Investment, 2018[31]). Le nombre de propositions d'actionnaires concernant la divulgation de l'engagement politique des entreprises a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, pour devenir l'un des types de résolutions d'actionnaires les plus populaires soumises au vote, en particulier dans le domaine du lobbying sur le changement climatique (encadré 1.15). Ces propositions incluent systématiquement l’appel au grand public et le lobbying indirect.

Au Québec, la déclaration des activités de lobbying des lobbyistes inscrits doit actuellement indiquer les moyens de communication que le lobbyiste compte utiliser ou a utilisé. Le registre permet donc de savoir si les communications seront faites dans le cadre de communications écrites ou orales, à l’occasion de rencontres physiques ou d'appels téléphoniques.

Au niveau international, le Registre canadien des lobbyistes et le registre de transparence de l’Union européenne (UE) exigent des lobbyistes qu’ils divulguent des informations sur l’utilisation des réseaux sociaux comme outil de lobbying. Au palier fédéral, les lobbyistes sont tenus de divulguer toute technique de communication utilisée, y compris les appels au grand public. De même, le registre de transparence de l’UE couvre les activités visant à « influencer indirectement » les institutions de l’UE, notamment par le recours à des vecteurs intermédiaires tels que les médias, l’opinion publique, des conférences ou des événements sociaux. Au niveau infranational, la plupart des juridictions canadiennes et américaines qui encadrent les communications d’influence considèrent l’appel au grand public comme moyen de communication pour tenter d’influencer les titulaires de charges publiques.

À l’instar de ce qui se fait au palier fédéral et dans les autres provinces canadiennes qui encadrent les activités de lobbying, la loi québécoise devrait aussi exiger des lobbyistes qu’ils déclarent s’ils entendent utiliser comme moyen de communication un « appel au grand public ». Ces types d’appels, effectués directement par un lobbyiste auprès du public ou par l’entremise d’un média à grande diffusion, ont pour objectif de convaincre le public, les membres d’une organisation ou d’un autre groupe de personnes ayant des intérêts similaires de communiquer directement avec un titulaire de charges publiques afin de faire pression sur lui pour qu’il appuie une certaine position (encadré 1.16). La Loi pourrait aussi préciser que le fait de signer et demander la signature d’une pétition n’est pas couvert par ce type de communication.

L’une des manières dont différents intérêts influencent les politiques gouvernementales consiste à financer des organisations tierces, comme des groupes de réflexion, des établissements de recherche ou des associations. L’objectif visé est de présenter des avis d’experts, des éléments probants et des données factuelles et de mobiliser le public autour du processus d’élaboration des politiques publiques. Or, comme pour toute autre forme de lobbying, il existe un risque d’influence subjective, d’où l’importance d’assurer la transparence autour de ces pratiques pour permettre le contrôle par le public (Benamouzig et Cortinas, 2019[34] ; Bruckner, s.d.[35]).

En outre, une plus grande transparence sur le financement de ces organisations en particulier permettrait de faire la distinction entre les véritables réseaux de défense d’intérêts et la pratique dite « d’astroturfing ». Ces pratiques consistent à créer ou financer des associations ou des organisations citoyennes en vue de donner ou de renforcer une impression de soutien populaire généralisé en faveur d’une action publique ou d’un programme, afin d’influencer indirectement la prise de décision. Les messages véhiculés donnent l’apparence d’un mouvement spontané et désintéressé qui émane de consommateurs ou de citoyens mais dissimulent en réalité des prises de positions s’alignant avec celles défendues par une industrie, un groupe de pression ou autre groupe d’intérêts. À ce jour, le registre de transparence de l’UE est l’unique régime de transparence à exiger des groupes de réflexion, des centres de recherche et des institutions universitaires qu’ils déclarent la source de leur financement : toute organisation doit indiquer dans le registre ses sources de financement, soit en indiquant un lien vers une page web contenant ses informations, soit en exigeant la divulgation de ces informations au registre si l’information n’est pas déjà rendue publique.

La Loi québécoise pourrait donc également couvrir ces pratiques de lobbying indirect, en faisant peser l’obligation de divulgation sur les entités qui financent ces types d’organismes, ou en exigeant des organisations elles-mêmes qu’elles divulguent leur source de finance, à l’instar de ce qui est exigé au niveau européen.

Comme au niveau fédéral, la définition d’un lobbyiste d’entreprise et d’un lobbyiste d’organisme à but non lucratif assujetti à la Loi comporte la notion de « partie importante », soit le seuil à partir duquel les communications d’influence doivent être divulguées. Lobbyisme Québec a produit deux avis d’interprétation permettant aux lobbyistes de déterminer s’ils exercent des activités « pour une partie importante », mais ces avis ont été contestés devant les tribunaux (Cour d'appel du Québec, 2017[36]). Lobbyisme Québec est d’avis que cette notion porte à confusion tant pour lobbyistes que pour les responsables publics visés en raison de la dimension subjective de cette notion. Cet aspect de la Loi permettrait aussi pour certains lobbyistes de contourner la Loi et d’utiliser cette disposition comme moyen de défense advenant le cas où il lui serait reproché une non inscription au registre.

Lobbyisme Québec recommande de ne « prévoir aucun seuil minimal d’activités pour que la loi trouve application, ni aucune exigence de rémunération d’un représentant d’intérêts » (Principe 5 de l’Énoncé de Principes). Les difficultés que pose la notion de « partie importante » ont également été relevées par d’autres juridictions internationales, comme en France. La recommandation de supprimer les dispositions relatives à la partie importante des fonctions a été faite par le Commissaire au Lobbying au niveau fédéral (Office of the Commissioner of Lobbying of Canada, 2020[37]) et dans d’autres juridictions canadiennes.

Cette proposition semble cohérente avec l’objectif de la Loi de rendre transparente toutes les communications d’influence dont le but est d’influencer les décisions prises par les institutions publiques, et non seulement celles qui sont exercées pour une partie importante. Toutefois, retirer complètement la notion de « partie importante » pourrait entraîner, pour un nombre élevé de petites entreprises ou de petits organismes, l'obligation de s'inscrire au registre pour des activités anecdotiques ou très ponctuelles. Comme discuté plus haut, il parait nécessaire de prévoir des seuils plus précis pour ces cas particuliers. À tout le moins, le législateur québécois pourrait également considérer de prévoir que la qualité de lobbyiste s’apprécie en considérant l’ensemble des activités de la personne morale concernée, et non celles des personnes physiques qui la composent, afin de déterminer des seuils plus pertinents déclenchant une obligation d’inscription au registre. De telles dispositions s’appliquent par exemple en Colombie-Britannique (encadré 1.17).

Un groupe consultatif ou d’expertise se rapporte à tout comité, conseil, commission, congrès, panel, groupe de travail, groupe ou sous-comité similaire, ou sous-groupe y appartenant, apportant conseil, expertise et recommandations aux gouvernements. De tels groupes sont composés de membres des secteurs public et privé ainsi que de représentants de la société civile, et peuvent être mis en place par le pouvoir exécutif, législatif, ou judiciaire du gouvernement. Les différents gouvernements de l’OCDE s’appuient largement sur ces groupes pour concevoir et mettre en œuvre les politiques publiques. Dans le cadre de la crise de la COVID-19, de nombreux gouvernements ont établi des arrangements institutionnels spécialement adaptés afin de disposer d’un conseil scientifique et d’une expertise technique afin de guider leurs plans d’intervention et de secours d’urgence.

Les groupes consultatifs présentent le potentiel de renforcer la prise de décisions basées sur des données probantes. Cependant, sans une transparence suffisante et des mesures de protection contre les conflits d’intérêts, ces organismes font face à des problématiques susceptibles de compromettre la légitimité de leur expertise. En effet, les représentants du secteur privé participant à ces groupes ont un accès direct aux processus de définition de politiques sans être considérés comme des lobbyistes extérieurs et risquent (inconsciemment ou non) de favoriser les intérêts de leur entreprise, industrie ou groupe d’intérêts, contribuant ainsi à l’amplification des conflits d’intérêts.

Au Québec, la consultation de personnes détenant une expertise dans un domaine particulier est souvent sollicitée dans le cadre de comités consultatifs qui peuvent être composés à la fois de titulaires de charges publiques et de personnes représentant entre autres des entreprises, des associations ou d’autres groupements à but non lucratif. Dans un avis datant de 2009, Lobbyisme Québec avait considéré que l’exception de l’article 5 de la Loi, qui prévoit que la Loi ne s’applique pas aux représentations faites en réponse à une demande écrite d’un titulaire d’une charge publique, s’appliquait aussi aux communications faites dans le cadre des travaux d’un comité consultatif institué par une autorité publique, et ce, même si ces communications ont pour objet d’influencer la prise de décision de l’institution en cause (Lobbyisme Québec, 2009[38]).

Toutefois, compte tenu des risques, la Loi pourrait inclure une exception distincte sur les fonctions consultatives exercées par certains lobbyistes auprès du Gouvernement, en précisant certaines conditions d’application de cette exception. En Irlande par exemple, les groupes de travail impliquant des membres du secteur privé doivent se conformer à un Code de transparence pour pouvoir s’affranchir des exigences relatives à l’inscription sur le registre de lobbying (encadré 1.18).

La Loi pourrait aussi inclure des dispositions supplémentaires sur les autres communications faites par une personne qui participe aux travaux d’un comité consultatif, dans la mesure où celles-ci se qualifient d’activités de lobbying au sens de la Loi. En 2017, Lobbyisme Québec proposait ainsi que demeurent assujetties à son application de telles communications :

  • Si elles sont faites en dehors du cadre des travaux du comité.

  • Si elles concernent un sujet qui est étranger au mandat du comité ou à l’ordre du jour d’une rencontre.

  • Si elles visent à influencer l’objet ou la portée du mandat du comité ou encore le contenu d’un ordre du jour et qu’aucune demande formelle et explicite à cet effet n’a été faite par un titulaire d’une charge publique.

De plus, et bien que cela ne soit pas directement lié aux questions de transparence, la représentation équilibrée des intérêts (si applicable) entre représentants du secteur privé et de la fonction publique et la collecte d’expertise de différents secteurs permettraient d’assurer l’équité et la diversité dans les groupes consultatifs. Par exemple, le ministère du gouvernement local et de la modernisation de la Norvège a publié des lignes directrices sur l'utilisation de comités consultatifs indépendants, qui précisent que la composition de ces groupes doit refléter des intérêts, des expériences et des points de vue différents (Ministère de l'administration locale et de la modernisation de la Norvège, 2019[39]). Il est également nécessaire d’adopter des règles de procédure pour ces groupes, incluant notamment des conditions de nomination, des normes de conduite et, en particulier, des procédures de prévention et de gestion des conflits d’intérêts. Ces mesures constitueraient une protection raisonnable contre les groupes d’intérêts entreprenant d’apporter un conseil biaisé auprès du gouvernement.

Références

[4] Bégin, L., P. Brodeur et P. Lalonde (2016), « Rapport du Comité public de suivi des recommandations de la Commission Charbonneau », Éthique et scandales publics, vol. 18/2, https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.2789.

[34] Benamouzig, D. et J. Cortinas (2019), « Les stratégies politiques des entreprises en santé publique : le cas de l’agroalimentaire en France », Revue française des affaires sociales, vol. 1/3, p. 189, https://doi.org/10.3917/rfas.193.0189.

[35] Bruckner, D. (s.d.), Fake News: Distortion of Democracy by Opaque, Deceptive and Fake ‘Think Tanks’, Transparify, https://commons.lib.jmu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1502&context=honors201019.

[24] Colli, F. et J. Adriaensen (2018), « Lobbying the state or the market? A framework to study civil society organizations’ strategic behavior », Regulation & Governance, https://doi.org/10.1111/rego.12227.

[33] Commissariat au Lobbying du Canada (2017), Application de la Loi sur le lobbying aux appels au grand public, https://lobbycanada.gc.ca/fr/r%C3%A8gles/la-loi-sur-le-lobbying/avis-et-interpr%C3%A9tation-loi-sur-le-lobbying/application-de-la-loi-sur-le-lobbying-aux-appels-au-grand-public/.

[3] Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (2015), Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/les-commissions-d-enquete-au-quebec-depuis-1867/7732-commission-charbonneau-2015.

[25] Communication & Institutions (2020), « Sourcing » des amendements: où en est-on? L’exemple de la loi économie circulaire, https://www.cominst.com/fr/actualites-ci-lobbying/le-sourcing-des-amendements-dans-la-loi-economie-circulaire-en-un-coup-doeil/.

[36] Cour d’appel du Québec (2017), Décision Cliche, http://t.soquij.ca/Ms82A.

[15] Darut, A. et M. Germond (2021), Lobbying & plaidoyer environnementaux: les juemeaux vénitiens?, https://www.plaidoyer-lobbying.fr/etude-au-format-pdf/.

[26] Department of Public Expenditure and Reform (2020), Second Statutory Review of the Regulation of Lobbying Act 2015., https://www.gov.ie/en/publication/7ef279-second-statutory-review-of-the-regulation-of-lobbying-act-2015/.

[5] Edelman (2021), Baromètre de confiance Edelman 2021. Rapport national: La confiance au Canada, https://www.edelman.ca/sites/g/files/aatuss376/files/trust/Barometre%20de%20confiance%20Edelman%202021_0.pdf.

[18] Gouvernement du Québec (2001), L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, https://www.mtess.gouv.qc.ca/sacais/action-communautaire/politique-reconnaissance-soutien.asp#:~:text=Politique%20gouvernementale%20sur%20l'action%20communautaire,-L'%C3%A9laboration%20de&text=Par%20cette%20politique%2C%20le%20gouvernement,et%20leur%20pou.

[19] HATVP (2021), L’encadrement de la représentation d’intérêts. Bilan, enjeux de l’extension du répertoire à l’échelon local et propositions, https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2021/11/HATVP_Rapport_lobbying_web_2021-VF.pdf.

[29] HATVP (2018), Répertoire des représentants d’intérêts: Lignes directrices, https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2018/10/Lignes-directrices-octobre-2018.pdf.

[27] Hepburn, E. (2017), The Scottish Lobbying Register: Engaging with Stakeholders. A Report by Eve Hepburn prepared for the Scottish Lobbying Register Working Group of the Scottish Parliament, https://archive2021.parliament.scot/LobbyingRegister/Hepburn_Lobbying_Register_Report_2017_Nov2017.pdf.

[28] Lamarche, L. et al. (2017), La surveillance et le contrôle technocratique des organismes sans but lucratif (OSBL) : un enjeu de droits collectifs, https://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/rapport_droit_association.pdf.

[7] Légis Québec (2002), Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme., http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/t-11.011.

[8] Lobbyisme Québec (2019), Simplicité, Clarté, Pertinence, Efficacité. Réforme de l’encadrement du lobbyisme, https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/Centre_de_documentation/Documentation_institutionnelle/2019-06-13_Enonce-principes-CLQ.pdf.

[12] Lobbyisme Québec (2017), La révision de la loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. Le temps est à l’action. Amendements proposés au projet de loi no 56, https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/user_upload/128_presentation_des_amendements_au_projet_de_loi_no_56.pdf.

[11] Lobbyisme Québec (2016), Étude sur l’assujettissement de tous les organismes à but non lucratif aux règles d’encadrement du lobbyisme, tel que prévu au projet de loi n°56, Loi sur la transparence en matière de lobbyisme, https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/user_upload/243_etude_obnl_web.pdf.

[10] Lobbyisme Québec (2012), Proposition de modifications à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme du Commissaire au Lobbyisme du Québec, https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/user_upload/rapport_propositions_modifications_loi_2012.pdf.

[38] Lobbyisme Québec (2009), Avis no 2009-01, Les activités de lobbyisme faites dans le cadre de travaux d’un comité consultatif institué par une autorité publique et l’application du paragraphe 10o de l’article 5 de la Loi sur la transparence et l’éthique en matiere de lobbyisme.

[9] Lobbyisme Québec (2008), Bâtir la Confiance. Rapport du Commissaire au Lobbyisme du Québec concernant la révision quinquennale de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, https://lobbyisme.quebec/fileadmin/user_upload/277_batir_confiance_rapport_commissaire_lobbyisme_quebec.pdf.

[39] Ministère de l’administration locale et de la modernisation de la Norvège (2019), Le travail des comités dans l’État. Un guide pour les dirigeants, les membres et les secrétaires des commissions d’études gouvernementales., https://www.regjeringen.no/contentassets/793636d2e55a4236b82e632897f96d50/utvalgsarbeid-i-staten_veileder.pdf.

[17] National Conference of State Legislatures (2021), How States define Lobbying and Lobbyist, https://www.ncsl.org/research/ethics/50-state-chart-lobby-definitions.aspx#:~:text=States%20generally%20define%20lobbying%20as,either%20written%20or%20oral%20communication.&text=The%20definition%20of%20a%20lobbyist,behalf%20of%20another%20for%20compensati.

[1] OCDE (2021), Lobbying in the 21st Century: Transparency, Integrity and Access, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/c6d8eff8-en.

[22] OCDE (2020), Examen d’intégrité dans les marchés publics du Québec, Canada: Une approche stratégique contre les risques de corruption, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/g2g95003-fr.

[23] OCDE (2017), Cadre d’intégrité pour l’investissement public, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264263543-fr.

[2] OCDE (2017), Preventing Policy Capture: Integrity in Public Decision Making, OECD Public Governance Reviews, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264065239-en.

[20] OCDE (2017), Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/gov/ethics/Recommandation-integrite-publique.pdf.

[13] OCDE (2017), Recommandation du Conseil sur le Gouvernement Ouvert, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/gov/open-government.htm (consulté le 13 septembre 2020).

[21] OCDE (2015), Recommandation de l’OCDE sur les marchés publics, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/gouvernance/ethique/Recommandation-OCDE-sur-les-marches-publics.pdf.

[6] OCDE (2010), Recommandation du Conseil sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0379 (consulté le 6 novembre 2020).

[32] OCDE / PRI (2022), Regulating corporate political engagement: trends, challenges and the role for investors, https://www.oecd.org/governance/ethics/regulating-corporate-political-engagement.htm.

[37] Office of the Commissioner of Lobbying of Canada (2020), Annual report 2019-20, https://lobbycanada.gc.ca/en/reports-and-publications/annual-report-2019-20/.

[14] Ouimet, M., É. Montigny et S. Jacob (2019), « Les pratiques d’encadrement du lobbyisme : Revue systématique de la portée et étude Delphi », Département de science politique, Université Laval. Cahier de Recherche Électorale et Parlementaire, vol. Numéro 18, http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/chaire_democratie/fichiers/120017_cahier_de_recherche_chaire_democratie_no182.pdf.

[31] Principles for Responsible Investment (2018), Converging on Climate Lobbying. Aligning Corporate Practice Within Investor Expectations, https://www.unpri.org/Uploads/g/v/q/PRI_Converging_on_climate_lobbying.pdf.

[16] Sunlight Foundation (2013), The Landscape of Municipal Lobbying Data, https://sunlightfoundation.com/2013/04/04/the-landscape-of-municipal-lobbying-data/.

[30] Tchotourian, I. (2019), « Entreprises à mission sociétale : regard de juristes sur une institutionnalisation de la RSE », Vie & sciences de l’entreprise, vol. 2/208, pp. pp. . 72-93, https://www.cairn.info/revue-vie-et-sciences-de-l-entreprise-2019-2-page-72.htm.

Notes

← 1. En phase avec la Recommandation de l’OCDE sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying, l’ensemble du rapport utilise le terme « lobbying » au lieu de « lobbyisme ». Toutefois, le terme « lobbyisme », communément utilisé au Québec, est utilisé pour désigner par exemple des textes de loi utilisant ce mot ainsi que pour désigner Lobbyisme Québec et le commissaire au Lobbyisme du Québec. Les termes « lobbying » et « lobbyisme » sont considérés par l’OCDE comme équivalents.

← 2. Depuis le 17 février 2022, « Lobbyisme Québec » désigne l’organisation placée sous l’autorité du commissaire au lobbyisme, personne désignée par l’Assemblée nationale, dont la nomination doit recevoir l’approbation des deux tiers des membres de l’Assemblée nationale. L’organisation était précédemment désignée sous l’appellation « Commissaire au Lobbyisme du Québec ».

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