Chapitre 5. Évaluation de la viabilité (Module 4)

Ce chapitre présente différents outils pour l’analyse de la viabilité financière à long terme du système de protection sociale. Il propose des orientations en vue d’une double analyse tenant compte à la fois du volet des dépenses et de celui des recettes, en ciblant la dynamique des dépenses du secteur de la protection sociale et des programmes qui le constituent pour le premier, et les ressources disponibles et la façon dont elles sont générées pour le second. Enfin, la dernière partie du module suggère une analyse d’incidence budgétaire afin de combiner les volets des recettes et des dépenses, et de déterminer l’impact du système existant de taxes et de transferts sur l’égalité et la pauvreté.

    

Dimensions analytiques

Le Module 4 évalue les modalités de financement de la protection sociale sur la base de 4 questions clés :

  1. 1. L’allocation des ressources est-elle adéquate au sein de ce secteur ?

  2. 2. Les programmes de protection sociale font-ils gage de viabilité à long terme ?

  3. 3. Existe-t-il des possibilités d’étendre les régimes existants ou d’en introduire de nouveaux ?

  4. 4. Les mécanismes utilisés pour le financement des dépenses de protection sociale sont-ils conformes aux objectifs des programmes qu’ils financent ?

Cette analyse se fonde sur une approche pangouvernementale. Elle reconnaît que la protection sociale ne constitue que l’un des domaines des dépenses publiques, en concurrence avec de nombreuses autres priorités à charge du gouvernement. Elle tient également compte du fait que nombre des sources de financement de la protection sociale servent aussi à celui d’autres domaines de dépenses. La protection sociale n’est pas envisagée isolément, mais dans le contexte du cadre budgétaire global du gouvernement. Dépenses et recettes se voient accorder une importance égale.

Sur le plan des dépenses, ce module analyse la dynamique des dépenses du secteur de la protection sociale dans son ensemble, ainsi qu’à l’échelle des programmes qui le constituent. À l’aide d’une analyse tendancielle détaillée, il identifie les programmes susceptibles de nécessiter davantage de ressources à l’avenir, pouvant être financés grâce à une redéfinition des priorités, par rapport à un autre programme de protection sociale ou à un autre domaine de dépenses publiques. Cette analyse intègre des informations sur l’efficacité des différents programmes afin de garantir l’optimisation de l’allocation des ressources au sein du secteur. D’un point de vue systémique, elle identifie également les économies d’échelle susceptibles d’être réalisées grâce au renforcement de la cohérence administrative et institutionnelle.

Sur le plan des recettes, le module examine non seulement le montant des ressources à disposition du gouvernement, mais aussi la façon dont ces ressources sont générées, cet aspect pouvant avoir une incidence importante à la fois sur la viabilité du financement et l’efficacité globale des dépenses de protection sociale. Il examine le niveau, la composition et l’évolution des recettes fiscales et d’autres sources de financement, telles que les cotisations de sécurité sociale, les revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles ou encore l’aide publique au développement (APD). Il examine en outre la viabilité de la structure actuelle des finances publiques, en termes d’équilibre budgétaire, de niveau d’endettement et de composition de la dette.

Ces recettes sont évaluées au regard de leur pertinence comme instruments de financement de la protection sociale. Nombre des nouveaux programmes de protection sociale créés ces dernières années sont par exemple tributaires de l’APD, mais cette source de financement n’est pas adéquate à long terme : elle peut fluctuer et les donateurs chercheront à réduire leur aide lors du passage du pays dans une catégorie supérieure de revenu. De même, les recettes tirées de l’exploitation des ressources naturelles peuvent être extrêmement volatiles et dépendent souvent de ressources épuisables ; elles constituent donc une source de financement instable (et souvent procyclique) pour des programmes nécessitant au contraire un financement stable, pérenne et (souvent) anticyclique.

Le module analyse en outre si les taxes sur lesquelles s’appuie le gouvernement pour le financement de ses dépenses concourent aux objectifs de la protection sociale, en particulier sur le plan de la réduction de la pauvreté et des inégalités. Si des dépenses publiques progressives sont financées au moyen d’un système fiscal régressif, l’effet distributif global est alors neutre. De même, si les individus percevant un revenu plus élevé tirent plus d’avantages d’une mesure de protection sociale – comme c’est par exemple souvent le cas avec les subventions –, ce type de dépenses ne bénéficie alors pas aux pauvres et doit être réaffecté. En calculant l’incidence globale des taxes et transferts, le module donne non seulement des orientations pour la politique fiscale actuelle, mais éclaire aussi le débat sur la façon dont les recettes qui seront à l’avenir nécessaires au système de protection sociale peuvent être collectées.

Indicateurs et sources de données

Ce module s’appuie en grande partie sur des données administratives, dont la plupart proviennent du ministère des Finances et contribuent au processus budgétaire. Ce type de données peut être accessible en ligne ; les données à l’échelle des programmes ne le sont en revanche pas : il est alors nécessaire de contacter les ministères concernés. Les données relatives aux dépenses et aux financements sont souvent exprimées en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) ; dans le cadre de ce module, les dépenses publiques totales constituent un dénominateur plus pertinent pour les dépenses, tandis que le PIB reste un point de référence clé pour les macro-indicateurs, tels que les dépenses totales, les recettes totales ou les indicateurs de la dette. Les données des enquêtes auprès des ménages sont nécessaires à l’analyse d’incidence budgétaire.

Méthodologie

Ce module analyse les dépenses de protection sociale à différents niveaux, à commencer par le niveau fonctionnel, qui définit les grandes catégories de dépenses pour différentes activités. Les dépenses de protection sociale sont calculées en pourcentage des dépenses totales et comparées à d’autres postes de dépenses afin de déterminer leur importance dans les dépenses publiques et de comparer leur évolution par rapport à celle des dépenses d’autres domaines. Le Graphique 5.1 illustre les dépenses par poste au Kirghizistan entre 2005 et 2015 ; la protection sociale représente près de 30 % des dépenses publiques, soit une part supérieure à celle des dépenses combinées de santé et d’éducation.

Graphique 5.1. Au Kirghizistan, les dépenses sociales représentent la moitié des dépenses publiques totales
Dépenses par poste en pourcentage du PIB (2005-15)
Graphique 5.1. Au Kirghizistan, les dépenses sociales représentent la moitié des dépenses publiques totales

Source : CNS (2016[1]), Dépenses budgétaires du gouvernement, http://stat.kg/en (consulté en juin 2017).

Le module analyse la classification économique des dépenses afin de déterminer le montant des dépenses du gouvernement au titre, par exemple, des transferts, des projets d’équipement ou de la rémunération des fonctionnaires. Les gouvernements doivent trouver un équilibre entre les différents types de dépenses – en particulier entre les dépenses (courantes) à court terme et les investissements publics à plus long terme –, qui peut avoir une incidence sur leurs finances à long terme et le développement de leur économie.

Le module recense ensuite les dépenses au titre des programmes relevant de la protection sociale. Ceux-ci peuvent ne pas être inclus dans le poste de la protection sociale, que ce soit parce qu’ils ne font pas partie du budget principal (comme c’est parfois le cas pour les régimes de sécurité sociale), qu’ils sont liés à d’autres domaines de dépenses (comme les programmes de travaux publics), ou qu’ils sont mis en œuvre par des donateurs ou des organisations non gouvernementales (ONG). Les dépenses de protection sociale relevant d’un niveau infranational de l’exécutif peuvent en outre ne pas être incluses. Une fois ce recensement effectué, on calcule les dépenses globales au titre de ces programmes, avant d’en analyser les dynamiques.

Le Graphique 5.2 illustre les dépenses du Kirghizistan au titre de la protection sociale, à la fois en termes réels et en pourcentage du PIB entre 2011 et 2015, par postes les plus importants. Il confirme que les dépenses de protection sociale ont augmenté tant en termes réels qu’en pourcentage du PIB, en grande partie sous l’effet du paiement des pensions (notamment militaires).

Graphique 5.2. Au Kirghizistan, l’augmentation des dépenses de protection sociale est en grande partie imputable au paiement des pensions (2011-15)
Graphique 5.2. Au Kirghizistan, l’augmentation des dépenses de protection sociale est en grande partie imputable au paiement des pensions (2011-15)

KGS = som kirghize.

Source : CNS (2016[1]), Dépenses budgétaires du gouvernement, http://stat.kg/en (consulté en juin 2017).

Le module analyse ensuite la dynamique des dépenses des programmes individuels. Cette approche multi-niveaux évalue la viabilité à long terme des différents régimes et la mesure dans laquelle le système peut être étendu en réponse aux lacunes ou aux futures demandes mises au jour dans d’autres modules de l’ESPS.

Cet inventaire des dépenses de protection sociale est ensuite recoupé avec un inventaire des modes de financement. L’analyse inclut à la fois les régimes non contributifs (financés par les recettes générales) et contributifs (financés par les individus, en général les actifs occupés, et les employeurs), et peut révéler la façon dont les flux financiers sont susceptibles de brouiller ces distinctions (Graphique 5.3). Le système contributif de pension du Kirghizistan est largement subventionné par les recettes fiscales, qui financent la composante de base des pensions, ainsi que les compléments de pension et les pensions militaires. Ces subventions représentent un montant largement supérieur à celui des dépenses totales au titre de l’assistance sociale.

Graphique 5.3. Le système contributif du Kirghizistan est largement subventionné par les recettes fiscales
Dépenses de protection sociale financées par l’impôt (2015)
Graphique 5.3. Le système contributif du Kirghizistan est largement subventionné par les recettes fiscales

Source : CNS (2016[1]), Dépenses budgétaires du gouvernement, http://stat.kg/en (consulté en juin 2017).

Différentes sources de recettes sont ensuite analysées, notamment les recettes fiscales (ventilées par instrument) et non fiscales (telles que les redevances sur les ressources naturelles ou l’APD). La trajectoire de ces recettes indique la viabilité des finances du gouvernement à long terme, tandis que l’analyse d’indicateurs macro-économiques plus globaux, comme l’équilibre budgétaire et le ratio dette/PIB, détermine la marge de manœuvre du gouvernement à court et long termes. Sont également analysés la solidité du système de recouvrement des recettes, notamment les taux de conformité et l’élasticité du système fiscal, et le degré de décentralisation.

Le Graphique 5.4 indique les flux d’ODA à destination de l’Éthiopie entre 2007 et 2016, en pourcentage du PIB. Le système de protection sociale de ce pays, notamment son programme de protection des moyens de production (Productive Safety Net Programme), est fortement tributaire du soutien des partenaires de développement. Ce soutien représente une part de plus en plus faible du PIB, reflétant en partie la croissance de l’économie éthiopienne au cours de cette période. Cependant, les recettes fiscales du pays n’ont pas augmenté en pourcentage du PIB, ce qui implique que les ressources publiques n’ont pas comblé cet écart. La Stratégie nationale de protection sociale de l’Éthiopie prévoit la poursuite de la diminution de l’aide des donateurs au titre de la protection sociale et souligne l’importance de la planification d’un système de protection sociale uniquement financé par des sources nationales.

Enfin, le module combine les analyses des recettes et des dépenses dans le cadre d’une analyse d’incidence budgétaire, qui calcule l’impact distributif du système existant de taxes et de transferts, ainsi que son effet sur la pauvreté. Le Graphique 5.5 illustre la quasi-neutralité de l’impact combiné du vaste système de taxes et de transferts du Kirghizistan : le taux de pauvreté est aussi élevé lorsque la population ne paie aucune taxe et ne reçoit aucune prestation que lorsque ces deux dispositifs sont en place, bien que les transferts en nature, comme les services de santé publique ou d’éducation, ne soient pas inclus.

Graphique 5.4. En Éthiopie, l’aide publique au développement (APD) a considérablement diminué en pourcentage du PIB
Flux d’APD à destination de l’Éthiopie en provenance des pays du Comité d’aide au développement (CAD) (2007-16)
Graphique 5.4. En Éthiopie, l’aide publique au développement (APD) a considérablement diminué en pourcentage du PIB

Source : OCDE (2016[2]), « Dépenses des membres du Comité d’aide au développement », OECD.Stat (base de données), https://stats.oecd.org (consulté en juin 2017).

Graphique 5.5. Au Kirghizistan, l’incidence des taxes et des transferts sur la pauvreté est quasiment neutre
Incidence des taxes et des transferts sur le taux de pauvreté (2015)
Graphique 5.5. Au Kirghizistan, l’incidence des taxes et des transferts sur la pauvreté est quasiment neutre

Source : Calculs des auteurs, sur la base des données de CNS (2015[3]), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages (base de données), http://stat.kg/en (consulté en juin 2017).

Cette analyse finale apporte des orientations essentielles pour le développement de recommandations en faveur des instruments de recettes ou de dépenses les plus efficaces ou adéquats pour la réduction des inégalités et de la pauvreté. Elle s’appuie sur différentes méthodologies utilisées dans des publications de l’Organisation de coopération et de développement économiques – Social Cohesion Policy Review of Viet Nam (2014[4]) ; Toujours plus d’inégalité (2011[5]) ; et Croissance et inégalités (2008[6]), ainsi que sur la méthodologie conçue par le Commitment to Equity Institute (2017[7]). Si l’analyse de ce chapitre s’appuie principalement sur des données administratives, l’analyse d’incidence budgétaire combine quant à elle ce type de données à des informations tirées des enquêtes sur les revenus et les dépenses des ménages ou des individus.

Références

Nora Lustig (éd.) (2017), Commitment to Equity Handbook: Estimating the Impact of Fiscal Policy on Inequality and Poverty, Brookings Institution Press and Commitment to Equity (CEQ) Institute, Nouvelle-Orléans. [7]

CNS (2016), Dépenses budgétaires du gouvernement, page web des statistiques des finances, Bichkek, http://stat.kg/en (consulté le 1er juin 2017). [1]

CNS (2015), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages, Comité national de statistique de la République kirghize, Bichkek, http://stat.kg/en (consulté le 1er juin 2017). [3]

OCDE (2016), OECD.Stat, Éditions OCDE, http://data.oecd.org (consulté le 1er juin 2017). [2]

OCDE (2014), Social Cohesion Policy Review of Viet Nam, Études du Centre de développement, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264196155-en. [4]

OCDE (2011), Toujours plus d'inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264119550-fr (consulté le 6 décembre 2018). [5]

OCDE (2008), Croissance et inégalités : Distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l'OCDE, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264044210-fr (consulté le 6 décembre 2018). [6]

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