1. Résumé

1. La transformation numérique stimule l’innovation, génère des gains de productivité et améliore les services tout en favorisant une croissance plus inclusive et plus durable ainsi qu’une amélioration du bien-être. Cela étant, la portée et la rapidité de ces changements soulèvent des défis dans de nombreux domaines de l’action publique, dont la fiscalité. Aussi, la réforme du système fiscal international visant à relever les défis fiscaux que pose la transformation numérique de l'économie représente depuis plusieurs années une priorité pour la communauté internationale, qui s’est engagée à parvenir à une solution fondée sur un consensus d’ici la fin de l’année 2020.

2. Ces défis fiscaux constituaient l’un des axes principaux du Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), qui a donné lieu à l’élaboration du Rapport sur l’Action 1 du Projet BEPS (Rapport sur l’Action 1) publié en 20151. Les auteurs du Rapport sur l’Action 1 reconnaissaient que la transformation numérique embrasse l’économie toute entière et qu’en conséquence, il serait difficile, sinon impossible, de délimiter le champ de l’économie numérique. En mars 2018, le Cadre inclusif a publié, en collaboration avec le Groupe de réflexion sur l’économie numérique (GREN), Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – rapport intérimaire 2018 (le Rapport intérimaire)2, qui reconnaissait la nécessité d'élaborer une solution mondiale..

3. Depuis lors, les 137 membres du Cadre inclusif ont travaillé sur une solution mondiale basée sur une approche à deux piliers3. Le Pilier Un est axé sur de nouvelles règles relatives au lien et à la répartition des bénéfices qui visent à garantir qu’à l’heure où le numérique progresse sans cesse, la répartition des droits d’imposition des bénéfices commerciaux ne soit plus uniquement dictée par le critère de présence physique. La mondialisation et la transformation numérique remettent en question les caractéristiques fondamentales du système international d’imposition des bénéfices, telles que la notion traditionnelle d’établissement stable et le principe de pleine concurrence, et mettent en exergue la nécessité de renforcer la sécurité juridique en matière fiscale grâce à une coopération fiscale multilatérale plus poussée. Ces transformations se déroulent alors que le public s’intéresse de plus en plus à l’imposition des entreprises mondialisées à forte composante numérique, ce qui renforce la pression sur les décideurs politiques et la nécessité de s’emparer de ce sujet.

4. Les membres du Cadre inclusif sont convenus que les nouvelles règles éventuelles devaient être basées sur des montants nets, éviter la double imposition et être aussi simples que possible. Ils ont souligné l’importance de la sécurité juridique en matière fiscale, ainsi que la nécessité de disposer de mécanismes améliorés pour la prévention et le règlement des différends. Les membres sont conscients de la nécessité d’assurer une égalité de traitement entre toutes les juridictions, indépendamment de leur taille ou de leur stade de développement. Conscients également des coûts liés à la charge administrative et au respect des obligations fiscales, les membres ont décidé de rendre toute règle aussi simple que le permet le contexte de la politique fiscale, y compris en envisageant de possibles mesures de simplification.

5. À la suite d’une proposition formulée par le Secrétariat4, le Cadre inclusif a approuvé un document définissant les contours de l’architecture d’une approche unifiée en janvier 2020, en tant que base de négociation d’une solution au titre du Pilier Un (les « Contours de l’architecture »)5. Depuis janvier, et malgré l’épidémie de COVID-19, tous les membres ont œuvré au développement technique de toutes les composantes du Pilier Un. Ce rapport représente le blueprint du Pilier Un (le « Blueprint »). Il décrit en détail les principales caractéristiques des composantes du Pilier Un et identifie dans quels domaines une décision politique est nécessaire. Il montre qu’il reste d’importants progrès à accomplir avant de parvenir à un accord mondial, et formule des propositions visant à aplanir les divergences qui persistent. Il reconnaît que des travaux techniques supplémentaires devront être menés pour finaliser certains aspects du Pilier Un, par exemple en vue de réduire la complexité, de faciliter la gestion et de ménager les capacités des économies développées comme en développement.

6. Le Pilier Un cherche à adapter le système fiscal international aux nouveaux modèles d'affaires en modifiant les règles relatives au lien et à la répartition des bénéfices applicables aux bénéfices commerciaux. Dans ce contexte, son objectif est d'étendre les droits d’imposition des juridictions du marché (qui, dans certains modèles d’affaires, correspondent aux juridictions où sont situés les utilisateurs)6 lorsqu’une entreprise participe de façon active et soutenue à l’économie de cette juridiction via l’exercice d’activités sur son territoire ou à distance mais ciblant cette même juridiction7. En outre, le Pilier Un entend renforcer sensiblement la sécurité juridique en matière fiscale par l’introduction de mécanismes novateurs de prévention et de règlement des différends. Le Pilier Un a pour but de concilier les différents objectifs des membres du Cadre inclusif et d'aboutir à la suppression des mesures unilatérales concernées.

7. Conformément aux Contours de l'architecture, les éléments fondamentaux du Pilier Un se rattachent à trois composantes : un nouveau droit d’imposition pour les juridictions du marché, portant sur une fraction du bénéfice résiduel calculé au niveau du groupe d’EMN (ou d’un segment) (Montant A) ; un rendement fixe pour certaines activités de distribution et de commercialisation de référence exercées physiquement dans une juridiction du marché, conformément au principe de pleine concurrence (Montant B) ; et des processus visant à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale par le biais de mécanismes efficaces de prévention et de règlement des différends. Onze composantes ont été jugées essentielles à la construction du Pilier Un, et constituent l'assise de ce Blueprint.

8. Bien que les travaux techniques relatifs aux composantes du Pilier Un soient très avancés, les membres du Cadre inclusif reconnaissent qu’il existe un certain nombre de questions en suspens portant sur des caractéristiques fondamentales de la solution qui ne pourront être résolues que par décision politique. Pour parachever le projet, des décisions politiques devront être prises sur un certain nombre de points, et notamment :

  • Champ d'application : avec l’adoption des Contours de l'architecture en janvier 2020, le Cadre inclusif a tenté de rapprocher les positions des membres qui souhaitent cibler le Pilier Un sur un groupe plus restreint de modèles d'affaires « numériques » et ceux qui insistent pour que la solution englobe un éventail plus large d'activités. Aussi, deux catégories d'activités à inclure dans le champ d’application du nouveau droit d’imposition créé par le Pilier Un ont été identifiées : les services numériques automatisés (ADS) et les activités en relation étroite avec des consommateurs (CFB). Comme indiqué ci-après, des travaux techniques considérables ont été accomplis pour définir ces catégories, mais aucun accord politique n’a été obtenu à ce jour sur leur utilisation, et la question du champ d'application n’est toujours pas résolue. Pour pouvoir aboutir à une solution en 2020 conformément au mandat du G20, certains membres plaident en faveur d’une application progressive, en commençant par les ADS, et en enchaînant avec les CFB ultérieurement. Un membre a suggéré d'appliquer le nouveau droit d’imposition dans le cadre d’un « régime de protection », ce qui permettrait à un groupe d’EMN de choisir d’être assujetti au Pilier Un à l'échelle mondiale8. Le champ d'application du Montant A reste à définir.

  • Montant des bénéfices à réattribuer (« Fixation du Montant A) : l’accord sur la fraction du bénéfice résiduel à réattribuer en vertu du nouveau droit d’imposition, qui dépend de la détermination de différents seuils et pourcentages aux fins du champ d'application, du lien et de la répartition des bénéfices (la formule)9, est conditionné à un accord sur le champ d'application. Toutefois, de nombreux travaux ont été accomplis sur l’impact de différents seuils et pourcentages de bénéfices à attribuer, de sorte qu’une décision politique pourrait être prise rapidement dans le cadre d’un accord politique global. De même, certains membres du Cadre inclusif estiment qu’au-delà du bénéfice résiduel, une fraction des bénéfices standards devrait aussi être attribuée aux juridictions de marché en cas d'activités de commercialisation et de distribution exercées à distance grâce aux progrès du numérique. D'autres membres ont proposé d'établir des « mécanismes de différentiation » afin d'accroître le montant du bénéfice résiduel réattribué aux juridictions du marché pour certaines activités commerciales (ADS par exemple), ou une réattribution modulable en fonction de la rentabilité de l'activité (indexation sur le bénéfice). Ces variantes aux règles de répartition des bénéfices au titre du Montant A proposées par certains membres du Cadre inclusif n’ont pas encore fait l’objet d’une décision.

  • Sécurité juridique en matière fiscale : tous les membres conviennent de la nécessité de trouver une solution innovante pour garantir une sécurité juridique précoce et prévenir et régler efficacement les différends concernant le Montant A, mais les avis divergent quant à la portée du mécanisme obligatoire et contraignant de règlement des différends non liés au Montant A. Ce Blueprint formule des propositions visant à aplanir ces divergences de vue. Toute décision sur ce point devra faire partie d’un accord général couvrant les deux autres questions politiques en suspens sur la fraction du bénéfice à réattribuer et le champ d'application du Pilier Un.

  • Portée et application du Montant B : ce Blueprint contient une ébauche de solution qui part du principe que les distributeurs couverts doivent être identifiés sur la base d’un éventail étroit d'activités de référence, mais certains membres souhaitent étudier la possibilité d'élargir la portée du Montant B. D’autres jugent nécessaire d'affiner la conception du Montant B afin que les avantages recherchés en termes de simplification puissent se concrétiser, et estiment en outre qu’un déploiement initial dans le cadre d'un programme pilote permettrait d'évaluer ces avantages en pratique. Aussi, le Cadre inclusif devra décider de la marche à suivre.

9. Abstraction faite de ces questions politiques en suspens, le Blueprint du Pilier Un est décrit ci-dessous.

10. Le nouveau droit d’imposition (Montant A) viendrait se superposer aux règles existantes en matière de lien et de répartition des bénéfices. Il s'appliquerait de façon large et ne serait pas limité à un petit nombre d’EMN appartenant à un secteur d'activité en particulier. Toutefois, compte tenu de ses caractéristiques novatrices, les membres du Cadre inclusif sont conscients de la nécessité de faire en sorte que le nombre d’EMN visées reste gérable, et sont convenus de réfléchir à des seuils et à d'autres mécanismes permettant de cibler l’approche, tout en minimisant les coûts de conformité et en tenant compte des contraintes de capacité des administrations fiscales. Les principales caractéristiques de conception du nouveau droit d’imposition seraient les suivantes :

  • Un seuil de chiffre d'affaires basé sur le chiffre d'affaires annuel consolidé du groupe, associé à une exclusion fondée sur un seuil minimum de chiffre d’affaires couvert d’origine étrangère. Ces seuils visent à minimiser les coûts de conformité et à faciliter la gestion des nouvelles règles par les administrations fiscales. Pour éviter que les administrations fiscales soient submergées de travail du fait du déploiement du nouveau droit d’imposition, une option actuellement envisagée est de déployer ces seuils par étapes. Des seuils élevés pourraient être fixés au départ, qui seraient progressivement abaissés au fil des ans, ou appliqués sur une période plus longue, puis diminués uniquement à l’issue d’un examen postérieur à la mise en œuvre. Une approche par étapes pourrait rendre les règles plus faciles à gérer pour les administrations fiscales et les entreprises, en leur permettant d’acquérir une expérience pratique avant d'élargir le champ d'application à un nombre plus élevé d’EMN. D’autres approches poursuivant les mêmes objectifs pourraient aussi être envisagées, y compris l’option d’un seuil fondé sur un chiffre d'affaires couvert. Aucune décision n’a pour l’heure été prise concernant le nombre de seuils de chiffre d'affaires, le montant de ces seuils ou l’utilisation d’une approche par étapes.

  • Règles de délimitation du champ d'application, couvrant le secteur ADS et plus largement les CFB. Il s'agit d’entreprises en mesure de nouer des interactions significatives et durables avec des clients et des utilisateurs situés dans une juridiction du marché.

  • L'application d'une nouvelle règle du lien pour identifier les juridictions du marché fondées à percevoir le Montant A. La règle du lien concilie l’intérêt des petites juridictions, et notamment des économies en développement, à bénéficier du nouveau droit d’imposition, et la nécessité de maintenir des coûts de conformité faibles et proportionnés, tout en évitant les effets secondaires indésirables dans d'autres domaines fiscaux et non fiscaux.

  • Les règles du lien s'appuient sur des règles de la source détaillées qui reflètent les spécificités des entreprises de services numériques et en relation étroite avec les consommateurs, et tiennent compte à la fois du besoin de précision et de la capacité des EMN couvertes à respecter les règles et des coûts qu’elles supportent à ce titre. Cela pourrait passer par des règles de diligence soumises à une hiérarchie clairement définie, qui devraient revêtir une importance particulière s'agissant des distributeurs non liés.

  • Une approche gérable pour réattribuer le bénéfice résiduel. Les juridictions de marché éligibles recevront une fraction de (X %) du bénéfice résiduel (bénéfice supérieur à un niveau convenu de rentabilité de (Y %)) calculée par application d’une formule. Pour trouver une juste mesure entre simplicité et précision, le calcul du montant approprié du bénéfice s’appuiera le plus possible sur les états financiers consolidés publiés. Les ajustements entre les données comptables et fiscales (similaires à ceux requis pour le Pilier Deux) et la segmentation seront limités au minimum. En pratique, la plupart des EMN calculeront leur bénéfice correspondant au Montant A (la base d’imposition) à partir de leurs états financiers consolidés (comprenant des groupes exerçant des activités non couvertes), mais seule la fraction de ce bénéfice, déterminée par application d’une formule, correspondant au chiffre d'affaires couvert sera en définitive attribuée aux juridictions de marché. Pour garantir la précision et des règles du jeu équitables entre différentes EMN (branche d'activité couverte présentant une rentabilité sensiblement différente par rapport à d'autres branches d'activité, par exemple), il faudra peut-être déterminer la mesure appropriée du bénéfice en procédant par segment, mais uniquement dans un petit nombre de cas dans lesquels l’EMN aura probablement déjà établi des états financiers segmentés aux fins des rapports financiers. D’autres simplifications seront prévues pour les EMN qui calculent une base d’imposition segmentée, comme l’attribution de coûts indirects via une clé de répartition basée sur le chiffre d'affaires. On s’attend à ce que les groupes tenus de segmenter leur base d’imposition au titre du Montant A soient peu nombreux.

  • Un régime de report en avant des pertes visant à garantir qu’il n’y aura pas de répartition du Montant A lorsque l’entreprise concernée n’est pas rentable dans la durée. Pour faire en sorte que le Montant A s'applique uniquement au bénéfice économique, on envisagera d'autoriser les EMN couvertes à inclure des pertes subies avant l’adoption du Montant A dans ce régime de report des pertes. Ce régime fera appel à un mécanisme de compensation afin d’imputer des pertes passées à des bénéfices futurs. Les pertes au titre du Montant A seront conservées et reportées dans un compte unique au niveau du groupe (ou du segment le cas échéant) et ne seront pas attribuées aux différentes juridictions de marché.

  • En plus du mécanisme proposé d’élimination de la double imposition, diverses options sont envisagées pour ajuster l’attribution du Montant A aux juridictions de marché lorsqu’une EMN se défait déjà de bénéfices résiduels en vertu des règles existantes de répartition des bénéfices fondées sur le principe de pleine concurrence (problèmes dits de « double comptage »), y compris un régime de protection pour les bénéfices issus d’activités de commercialisation et de distribution. Avec cette dernière approche, les impôts dus dans la juridiction de marché en vertu des droits d’imposition existants et du Montant A seraient appréhendés globalement, et le chiffrage du Montant A taxable dans une juridiction de marché serait ajusté, en le plafonnant lorsque le bénéfice résiduel de l’EMN est déjà attribué à cette juridiction en vertu des règles de répartition des bénéfices existantes. Avec le régime de protection, les groupes qui attribuent déjà à une juridiction de marché des bénéfices supérieurs au rendement du régime de protection seraient dans certains cas exonérés du paiement du Montant A, ou appliqueraient le mécanisme d’élimination de la double imposition et pourraient ainsi continuer d’attribuer les bénéfices selon les règles actuelles. Parmi les autres approches envisagées pour traiter les problèmes de double comptage figure, outre le mécanisme d’élimination de la double imposition, l’exception en faveur des entreprises nationales.

  • Le mécanisme d'élimination de la double imposition aura deux composantes : (i) identification des entités payeuses ; et (ii) méthodes permettant d’éliminer la double imposition. Pour identifier l’entité ou les entités qui supporteront l’impôt dû au titre du Montant A, les « entités payeuses », un processus comportant quatre étapes est envisagé. Premièrement, les activités exercées par les entités seraient soumises à un test qualitatif pour déterminer celles qui perçoivent un bénéfice résiduel, au moyen d’une liste positive et négative d’indices (appliqués sur la base de la documentation existante des prix de transfert). Un test de rentabilité serait alors effectué pour s'assurer que ces entités ont la capacité de payer le Montant A. L’impôt dû au titre du Montant A dans une juridiction de marché serait attribué prioritairement aux entités payeuses qui sont liées à cette juridiction. Néanmoins, lorsque les entités payeuses liées à un marché ne réalisent pas de bénéfices suffisants pour payer l’intégralité de cet impôt, l’impôt résiduel éventuel serait réparti entre d'autres entités payeuses (non liées à ce marché) au prorata ou en fonction d’autres mécanismes « d’appui » actuellement à l’étude. On réfléchira également à l’opportunité de simplifier ce processus en éliminant le premier test (fondé sur les activités) et/ou le troisième (priorité donnée aux entités liées à un marché) en faveur d’une approche de nature plus quantitative et reposant sur une formule. Après avoir identifié l’entité ou les entités qui supporteraient l’impôt au titre du Montant A, une juridiction de résidence utiliserait alors la méthode d’exemption ou la méthode d’imputation pour supprimer la double imposition.

  • Lorsqu’une EMN est soumise au nouveau droit d’imposition, un processus administratif simplifié sera élaboré afin de réduire la complexité, d'alléger les contraintes et d'abaisser le coût de déclaration et de paiement, tant pour les administrations fiscales que pour les contribuables.

  • Le nouveau droit d'imposition au titre du Montant A serait appliqué en modifiant la législation nationale, ou au moyen d’instruments internationaux de droit public. Le droit national et la convention multilatérale seraient complétés par des orientations et d'autres instruments si nécessaire.

11. La finalité du Montant B est double : En premier lieu, simplifier l’administration des règles sur les prix de transfert, ce qui sera bénéfique pour les administrations fiscales, et réduire les coûts de conformité, ce qui avantagera les contribuables. En second lieu, le Montant B vise à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale et à réduire le nombre de différends entre les administrations fiscales et les contribuables. C’est pourquoi un certain nombre de membres du Cadre inclusif et d’EMN voient dans le Montant B une réalisation majeure du Pilier Un, partant de l’hypothèse que ses avantages théoriques peuvent se concrétiser.

12. Le Montant B vise à standardiser la rémunération des distributeurs liés qui exercent des « activités de commercialisation et de distribution de référence déterminées » dans la juridiction de marché. La définition des activités de commercialisation et de distribution de référence englobe les distributeurs qui (i) achètent des produits à des parties liées en vue de les revendre à des parties non liées ; et (ii) dont le profil fonctionnel est celui de distributeurs standards.

13. En outre, les activités couvertes sont avant tout définies selon une ‘liste positive’ de types de fonctions exercées, d'actifs détenus et de risques assumés dans des conditions de pleine concurrence par des distributeurs standards (étroitement définis, et assimilables à des distributeurs à faibles risques). Une ‘liste négative’ de fonctions types qui ne doivent pas être exercées, d'actifs qui ne doivent pas être détenus et de risques qui ne doivent pas être assumés dans des conditions de pleine concurrence par des distributeurs standards est également utilisée pour mesurer qualitativement les facteurs supplémentaires qui conduiraient à exclure un distributeur du champ d’application du Montant B. Certains indicateurs quantitatifs sont ensuite appliqués pour confirmer l’identification des activités couvertes.

14. Le Montant B vise à se rapprocher des résultats déterminés conformément au principe de pleine concurrence, et serait donc basé sur une analyse d’entreprises comparables selon la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN), et pourra varier en fonction du secteur d'activité ou de la région, à condition que cette variation soit étayée par l’analyse comparative pertinente10. Aussi, le Montant B pourrait se décliner en plusieurs fourchettes de rémunérations fixes appropriées. Chaque rémunération fixe versée en contrepartie d'activités de commercialisation et de distribution de référence au titre du Montant B vise à obtenir un résultat qui se rapprocherait du résultat de pleine concurrence.

15. Si certains membres du CI estiment que le Montant B pourrait procurer certains avantages en termes de sécurité juridique et de simplification du principe de pleine concurrence, les avis divergent sur la gamme des activités de référence à inclure dans son champ. Ce Blueprint suppose que les distributeurs couverts doivent être identifiés sur la base d’un éventail étroit d'activités de référence, une position partagée par une catégorie de membres du Cadre inclusif. Toutefois, une autre catégorie de membres, réunissant notamment des pays en développement, juge que la règle n’atteindra son objectif politique qu’à condition d’avoir un champ d’application de vaste portée, et souhaite étudier la possibilité d'élargir le champ du Montant B. D'autres encore estiment intéressant d’envisager un déploiement initial dans le cadre d’un programme pilote, qui permettrait de tester les avantages en termes de simplification. Des travaux techniques supplémentaires seront engagés pour finaliser la définition précise des régions, secteurs, activités couvertes et indicateurs.

16. La sécurité juridique en matière fiscale est une composante essentielle du Pilier Un et s’inscrit au cœur de ce Blueprint qui prévoit des mécanismes innovants de prévention et de règlement des différends.

17. Le nouveau droit d'imposition sera déterminé par application d’une formule à une base d’imposition redéfinie, correspondant à une fraction du bénéfice résiduel généré par les activités couvertes de grandes EMN. Le Blueprint intègre un mécanisme visant à garantir que toutes les juridictions concernées s'accordent sur l’application du nouveau droit d’imposition à un groupe d’EMN donné. Un système de comités serait mis en place pour les administrations fiscales, en coopération avec les EMN concernées, afin de définir : (i) la base d’imposition, notamment en cas de segmentation par branche d’activité ; (ii) le résultat de la mise en œuvre de la formule, et (iii) toute autre caractéristique du nouveau droit d’imposition, y compris les entités payeuses et l'élimination de la double imposition. Il est également admis que l’impact du processus multilatéral sur les ressources est sensiblement moindre qu’en cas de mesures unilatérales non coordonnées.

18. Comme l’explique la section 1.2.2, le Montant B vise à accroître la sécurité juridique en matière fiscale en réduisant les différends entre administrations fiscales et contribuables, notamment dans les juridictions où le traitement des différends sur les prix de transfert se heurte à des contraintes. Il le fait en standardisant la rémunération des distributeurs liés qui exercent des ‘activités de commercialisation et de distribution de référence déterminées’.

19. Outre les mécanismes novateurs de prévention des différends, ce Blueprint comporte des mécanismes novateurs de règlement des différends. Les membres du Cadre inclusif sont convenus qu’en cas de différend portant sur le Montant A non couvert par le processus de prévention des différends liés au Montant A, des mécanismes obligatoires et contraignants appropriés de règlement des différends seront mis sur pied11. Les membres du Cadre inclusif sont également convenus d’explorer des mécanismes obligatoires et contraignants pour le règlement rapide de différends non liés à l’application du nouveau droit d’imposition. Ces mécanismes devront respecter la souveraineté des juridictions, en prenant en compte la situation de certaines économies en développement qui n’instruisent pas ou peu de cas soumis à la procédure amiable. Comme mentionné précédemment, il n’y a pas encore d'accord sur la portée du mécanisme obligatoire et contraignant de règlement des différends non liés au Montant A.

20. Pour illustrer l'application pratique du Blueprint, le graphique ci-dessous donne un aperçu des différents éléments du processus (en mettant l'accent sur le Montant A). L’Annexe A décrit plus en détail les différentes étapes mentionnées dans ce graphique.

Notes

← 1. OCDE (2015), Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie, Action 1 – Rapport final 2015, Projet OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris.

← 2. OCDE (2018), Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – rapport intérimaire 2018, Cadre inclusif sur le BEPS, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris.

← 3. Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – Note politique, telle qu’approuvée par le Cadre inclusif sur le BEPS le 23 janvier 2019, OCDE 2019.

← 4. Document de consultation publique, Proposition du Secrétariat d’une « Approche unifiée » au titre du Pilier Un, 9 octobre 2019 – 12 novembre 2019.

← 5. OCDE (2020), Déclaration du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS relative à l’approche à deux piliers visant à relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économieJanvier 2020, Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, OCDE, Paris.

← 6. Aux fins de ce document, par juridictions du marché/de l’utilisateur (ci-après les « juridictions du marché »), on entend les juridictions dans lesquelles un groupe d’entreprises multinationales commercialise ses produits ou services, ou, dans le cas d’entreprises à forte composante numérique, fournit ses services aux utilisateurs ou sollicite et recueille des données et des contenus auprès d’eux.

← 7. En retour, et afin d’éliminer la double imposition, ce nouveau mécanisme minorera le droit d’imposition des juridictions dans lesquelles résident des entités membres de groupes d’EMN pouvant prétendre à des bénéfices résiduels en vertu des règles existantes de répartition des bénéfices.

← 8. Le 3 décembre 2019, le Secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin a adressé un courrier au Secrétaire général de l’OCDE Ángel Gurría qui, tout en réitérant le soutien des États-Unis en faveur d'une solution multilatérale, proposait que le Pilier Un soit mis en œuvre en tant que « régime de protection ».

← 9. Il convient d’observer que d'autres caractéristiques du Pilier Un auront une incidence sur le montant du bénéfice à réattribuer, notamment la question de savoir si le régime de report en avant des pertes au titre du Montant A s'étend aux « manques à gagner », le traitement des pertes antérieures au régime, la problématique du double comptage (et l’inclusion éventuelle d’un régime de protection pour les activités de commercialisation et de distribution), ainsi que le processus d’identification des « entités payeuses » (afin d'éliminer la double imposition). Toutes ces questions doivent être prises en compte dans la réflexion sur le chiffrage du Montant A.

← 10. Les secteurs d'activité concernés pourraient inclure : biens de consommation à rotation rapide, véhicules à moteur, TIC, produits pharmaceutiques et grande distribution.

← 11. Ce mécanisme de règlement des différends devra faire l’objet d’un consensus.

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